JEANNE CORDONNIER
Trois-mâts barque lancé le 20 Décembre 1901 aux Chantiers et Forges de la Méditerranée à Graville, près du Havre, pour la Société des Voiliers Français, 60 rue de la Victoire à Paris.
Cette compagnie était encore appelée compagnie des Molinos car son premier président avait été Mr. Molinos. A l’époque, les administrateurs étaient Dolfus-Galline, Fautrel, Cordonnier, Dolfus, Roux, Laurans, Molinos et le comte Waleswski. C’est pourquoi on retrouve ces noms sur plusieurs des voiliers de cette compagnie.
Pris au neuvage par le capitaine Stanislas Porcher.
Voilier type EMMA LAURANS, très différent des voiliers nantais.
3200 tpl 2194 tx JB 1906 tx JN
Longueur 84,20 m Largeur 12,30 m TE 6,20 m
La perte du JEANNE CORDONNIER
Au début de la guerre, JEANNE CORDONNIER avait participé au ravitaillement en charbon de Cardiff de l’escadre anglaise de Coronel.
Il quitte Iquique le 24 Décembre 1916 avec 3150 t de nitrate.
Capitaine Arnaudtizon Ludovic CLC inscrit à Marseille
Second Manoir Jean Baptiste CC inscrit à Binic
Lieutenant Huguin
Matelots ayant signé le PV d’enquête : Le Crest, Coquet, Guiffaud, Kérisit.
En tout 21 hommes d’équipage, tous Français.
Grands calmes dans le Pacifique ne permettent de doubler le cap Horn que le 10 Février. Calmes à nouveau dans l’Atlantique sud ne permettent de franchir l’équateur que le 18 Mars.
Le 31 Mai 1917, par 49°30N et 33°00W, gros temps de sud avec pluie continuelle, visibilité réduite dans les grains, mer grosse et vent très fort. Le voilier file 8 à 9 nœuds, grand largue, sous huniers volants et perroquets fixes.
Aperçu à 3000m sur Bd avant un grand sous-marin, route au SW, avec deux périscope et une cheminée d’où sort de la fumée. Il commence à tirer sur le voilier avec un canon de 105mm.
Le 1er obus traverse le mât de misaine. Le 2e coupe l’étai d’artimon et ses manœuvres et le 3e tombe à proximité de la chambre de veille. La misaine se met à fasseyer.
Le navire étant non armé, le capitaine fait mettre la barre sous le vent pour lofer, mais le phare arrière n’est pas masqué et la vitesse est réduite à environ 3 nœuds. Il fait affaler la baleinière bâbord. Celle de tribord était inutilisable, étant au vent et, de plus, ayant eu son étrave arrachée par l’étai d’artimon qui la fouettait.
Ne voyant plus personne sur le pont le capitaine demande : « Tout le monde est-il là ? »
Le second lui répond : « Oui. Tout le monde y est. Vous pouvez embarquer, capitaine ».
Celui-ci embarque et fait couper la bosse. Le canot est alors rapidement distancé par le voilier qui continue sur son erre. C’est alors qu’apparaît sur le pont le matelot Le Gaudu, portant un sac d’effets qu’il était allé chercher dans le poste équipage. On lui crie de se jeter à l’eau. Mais, soit qu’il n’entendit pas, soit qu’il eût peur, il se dirige vers l’avant de la dunette.
Le JEANNE CORDONNIER s’éloigne toujours. Le sous-marin, dont on voit les périscopes entre les crêtes des lames fait le tour du voilier, puis se met en position et tire une quinzaine de coups de canons. Il finit par lancer une torpille qui explose sur l’arrière provoquant une grande gerbe d’eau. Le voilier mâte son avant et coule rapidement, engloutissant avec lui le malheureux Le Gaudu, 51 ans, oublié à bord.
Le sous-marin est décrit comme très grand (100m) armé de deux canons dont au moins un de 105 mm sur l’avant. Le bruit des détonations était différent pour chaque canon. Une passerelle circulaire entourée de toiles ceinture le kiosque. Une cheminée, plus haute que les périscopes, dégageait une épaisse fumée noire. Peint en gris-bleu. Remarquablement stable et ne roulait pas malgré la mer grosse.
Le coup de vent de SW dura jusqu’au 1er Juin, rendant très dure les conditions de navigation du canot. Il fallait écoper en permanence car il se remplissait d’eau. Peu de place pour les 20 survivants et il est impossible de bouger car il faut laisser un large espace pour pouvoir écoper.
Le capitaine fait route sur les Sorlingues. Ayant conservé son sextant, il peut prendre des méridiennes et contrôler sa latitude. Le 2 Juin à 02h00 le feu de Bishop Rock est aperçu.
Après un parcours de 175 milles, dans la matinée du 2, le canot de sauvetage de St Agnés recueille les marins très affaiblis, notamment le mousse qui commençait à divaguer. Il remorque la baleinière.
Les naufragés sont débarqués à Sainte Mary et aussitôt hospitalisés. La plupart ne peuvent plus remuer leurs jambes.
Ils sont ensuite envoyés à Penzance, puis rapatriés en France.
La commission d’enquête
Les conclusions de la commission d’enquête sont très dures pour le capitaine Arnaudtizon.
« Le capitaine n’a pas vérifié par tous les moyens en son pouvoir que le navire était évacué quand il a quitté le bord. Il s’est contenté de l’affirmation de son second, assurant que tout le monde était dans la baleinière. De plus, l’erre du voilier n’a pas été cassée. Il s’est contenté de lofer sans masquer le phare arrière pour mettre complètement en panne.
Sa responsabilité est partagée par le second capitaine Manoir qui a affirmé que tout le monde était présent alors qu’aucun appel précis n’avait été effectué.
En conclusion, nous demandons que les nommés Arnaudtizon Ludovic, capitaine au long cours, et Manoir Jean-Baptiste, capitaine au cabotage, soient suspendus des prérogatives attachées à leur brevet jusqu’à la fin de la guerre au motif suivant :
N’ont pas fait l’appel de l’équipage au moment de l’évacuation du navire. Sont donc responsables de la disparition du matelot Le Gaudu. »
(Nota : certes le reproche pouvait être justifier. Mais il faut imaginer une évacuation sous les obus avec une mer grosse et un vent de force 9 ou 10. Ce ne sont pas forcément des conditions idéales pour faire un appel précis…)
En fait, l’amiral Lacaze se montrera plus clément. Une note signée de lui est jointe au dossier. Il écrit :
« Après examen de l’enquête sur la perte du voilier JEANNE CORDONNIER, j’ai décidé de ne pas appliquer au capitaine au long cours Arnaudtizon et au capitaine au cabotage Manoir les sanctions qu’ils eussent méritées pour l’abandon trop rapide du voilier qui a entrainé la perte d’un homme d’équipage.
Ceci en raison des véritables efforts de sauvetage qu’ont faits les officiers de ce voilier pour tout le reste de l’équipage »
Le sous-marin attaquant
C’était l’U 88 du KL Walther Schwieger.
Dans l’après midi du même jour, il torpillera le gros vapeur japonais MIYAZAKI MARU, 7892 t, dont les naufragés du JEANNE CORDONNIER entendront l’explosion.
Walther SCHWIEGER s’était déjà illustré en coulant le LUSITANIA, faisant une centaine de morts américains. Il disparaitra avec l’U 88 et ses 43 marins le 5 Septembre 1917 du côté de Terschelling.
Voici sa photo

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