« Damned ! », malédiction : c’est l’interjection qu’avait choisi Blake sur ce forum pour répondre à Flamel qui venait de découvrir sa véritable identité : derrière ce pseudonyme, Blake, l’anagramme partielle de son nom (B Klae...), se cachait en effet Bernard Klaeyle. Après avoir salué la perspicacité de son interlocuteur, Bernard, lui avait demandé de garder son anonymat…

- Bernard Klaeyle dans les années 2010
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Avait-il choisit ce pseudo pour évoquer l’artiste britannique aux talents multiples, William Blake ? Mon papa était en effet discret et doté d’une grande culture, de véritables talents artistiques et de goûts éclectiques : il appréciait autant le vin d’Alsace que le Groupe de Chasse des Cigognes où se sont illustrés Guynemer ou Roland Garros. Il s’était aussi lancé dans la fabrication de modèles réduits de voitures ayant couru les 24 heures du Mans. Le défi consistait, par des coupes prédéterminées, collages et ponçages précis à faire émerger d’un tasseau de bois, la ligne parfaite du bolide… Pour ce faire, et comme pour de nombreux biplans, il réalisait de savants calculs et des vues d’une précision industrielle.
Après avoir grandi entre Paris et les rives du Loing, Bernard s’était installé au Mans, où Wilbur Wright à réalisé l’un de ses exploits… A quelques vrombissements des courses du célèbre circuit sarthois, il avait acheté avec sa femme un bois et y avait construit la maison qu’il avait dessiné avec le même souci de perfection.

- Landowski, Monument Wilbur Wright, Le Mans, 1920
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Blake avait amassé nombre de maquettes d’avions à construire, « pour s’occuper lors de sa retraite » disait-il ! Et quand je l’interrogeais sur la dizaine de boites identiques du mirage 2000, il me répondait que c’était pour en construire toutes les versions ! Mais, malgré sa passion pour la chose militaire, son père longtemps prisonnier de guerre ou mon grand oncle, « malgré nous » alsacien tué en Yougoslavie, l’avaient peut-être encouragés a créer un échange franco-allemand auquel avaient pu participer plus de 1 500 étudiants...
L’une de ses activités préférées, assis dans son fauteuil de cuir noir, chat ronronnant sur les genoux, consistait à observer l’inépuisable documentation qu’il avait rassemblé pendant près d’un demi-siècle. Son métier de professeur de mathématique lui avait en effet laissé le loisir d’aller étudier les archives, au Bourget ou bien au SHAA, le service historique de l’Armée de l’Air… Lunettes posées sur le front, il passait des heures à analyser les documents, m’appelant parfois pour lire le numéro d’un Spad qu’il distinguait pourtant toujours bien mieux que moi…

- Bernard Klaeylé & Philippe Osché, Guynemer, les avions d'un As, Lela Presse, Histoire de l'Aviation n° 6, 1998, 208 p
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Sa plus grande passion fut en effet et sans contexte l’aéronautique… Disciple de l’historien Jean Devaux, il n’a cependant pas beaucoup publié : en 1998, sortait son unique ouvrage, extrêmement détaillé, « Guynemer – les avions d’un as », coécrit avec Philippe Osché (Lela Presse, 208 pages) épuisé depuis longtemps. Il souhaitait en publier une édition augmentée qui n’aura finalement pas vue le jour.
Spécialiste incontesté des avions Nieuport ou Deperdussin, il publiait en 1999 dans la revue de l’Association des Amis du Musée de l’Air, Pégase, un article de 26 pages sur les types militaires Nieuport de 1915 à 1918 (n° 94 et 95).
Il était en effet sollicité comme conseiller sur bon nombre de publications et apportait régulièrement son expertise à ses amis auteurs du monde entier. Il avait aussi collaboré à la série des revues Icare éditée par le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), consacrées à l’Aéronautique françaises en août-septembre 1914 (n° 193, 195, 197, 199, 201 et 229), mais aussi au monumental « L’aviation maritime française pendant la Grande Guerre » publié par l’ARDHAN (Association pour la Recherche de Documentation sur l'Histoire de l'Aéronautique Navale). Il fut le relecteur du fameux « René Dorme et Joseph Guiguet, la guerre aérienne de deux as » de Marc Chassard et participa, de près ou de loin, à une multitude d’articles.

- Série des Icare sur l’Aéronautique françaises de l'été 1914
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D’aucuns en garde le souvenir d'un historien qui ne se satisfaisait pas de détails superficiels et qui surprenait toujours par la pertinence de ses remarques. Il avait le souci du détail, de la précision historique et remettait en question ses hypothèses tant qu'un seul élément contradictoire restait présent.
Il fallait de très sérieux arguments pour engager un débat contradictoire sur un sujet où vous étiez en désaccord avec lui. Oublier de compter les nervures d’une aile d’avion pouvait s’avérer désastreux pour l’argumentaire qu’on lui opposait. Et on raconte encore le débat, qui dura plusieurs semaines, entre l'auteur d'un livre à paraître et Bernard pour déterminer les couleurs exactes d'un texte sur le fuselage d’un Blériot de Jules Védrines, en s'appuyant sur l'unique document existant... en noir et blanc !
Ainsi est-il devenu au fil du temps un expert reconnu aux connaissances encyclopédiques et très certainement l’un des très fin connaisseur des débuts de l'aviation… Il aurait eu 80 ans cette semaine et un article paru dans la presse spécialisée en décembre a salué sa mémoire. Amateur du 9ème Art, Bernard avait tiré son pseudo - et sa réplique - de la bande dessinée Blake et Mortimer. Comme le faisait remarqué l’un de ses trois petits-enfants, le 30ème opus de la célèbre BD est sorti le 31 octobre 2024... Le jour ou Blake, a pris son dernier envol.
Aloys Klaeyle
Merci à FC, LM, et TM pour leur aide et leurs mots.