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Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : jeu. déc. 17, 2009 4:52 pm
par Laurent59
Bientôt Noel, je relis régulièrement qques lettres de poilus qui passent le premier Noel de la guerre, décembre 1914, les illusions sont perdues et cette guerre qui se voulait courte n'en finit pas.
voici un extrait de deux courriers écrits sur le front de l'Argonne en hiver 1914, les 2 hommes sont de la même compagnie (19e) et du même régiment (272e) mais pas du même rang.
Lettre datée du 25 décembre 1914 (tranchées près de Servon)
auteur:
Capitaine Pierre Quentin Bauchart"
Le temps est presque beau. Ce matin, juste assez de neige pour nous rappeller que c'est le soir de Noel, et poudreriser les tranchées. Comme reveillon, j'offre à mes hommes une avance de qques mètres vers les Boches; les tranchées s'enchevêtrent et deviennent inextricables, d'autant plus que la pluspart sont innondées.
je serais plein, non seulement de courage, mais d'entrain, si je pensais au moins à vous...Merry Christmas ! quelle ironie ! "il est né le divine enfant" qui apportera aux hommes la doctrine d'amour. Mais les hommes l'ont crucifié ! et continuent...
Vaillant Noel pour les femmes et les enfants de France ! Noel c'est le jour de l'espoir".
Dans la même tranchée, le même jour, le
caporal Louis Bénard écrit:
"
Jour de Noel ! mais plutot Noel des gueux ! Nous sommes dans la tranchée le reveillon n'est guère réussit, nous avons mangé 1 biscuit avec une tasse de thé ! quelle fête !. Un de mes camarades nous a chanté Minuit Chrétien, cela ne manquait pas d'une certaine grandeur au milieu de la fusillade intense. J'ai hate de rentrer, tu me manques tellement, les enfants me manquent aussi. Ici on survit dans le froid et la misère. Heureusement notre capitaine (PQBauchart) veille sur nous.".
Le capitaine PQBauchart sera tué le 7 octobre 1916 dans la Somme. Louis Bénard envoyé une lettre par jour à sa femme et survivra à cette guerre, sans aucune blessure, après ces 4 longues années de guerre ces premiers mots seront...j'ai honte d'être encore en vie !
émouvant n'est ce pas.
Dans le gourbis Noel 1914 avec les hommes de la 19e Cie (Argonne)

les regards m'interpellent...dans le froid, la peur du lendemain et la fraternité des copains.
Laurent

Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : jeu. déc. 17, 2009 5:04 pm
par jbraze
Bonjour Laurent,
Oui, très émouvants sont ces deux témoignages. L'image du Christ crucifié jusqu'à la fin des temps par la méchanceté des hommes chez l'un, celle d'un capitaine proche de ses hommes (un "Christ de la fraternité" pour reprendre la formule de Malraux) chez l'autre, voilà ce qui m'a le plus touché en les lisant.
Merci à vous.
Bon après-midi à tous,
Jean-Baptiste.
Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : ven. déc. 18, 2009 12:17 am
par Cuchlainn
Bonsoir,
Merci Laurent pour ces témoignages et cette photo, tout aussi poignante.
Il m'est revenu en mémoire ces répliques, dans Genevoix, par laquelle l'auteur et d'autres protagonistes expriment leur lassitude de cette guerre qui déjà, n'en finit pas. Vingt semaines de guerre et de misère, déjà, les accablent. Les malheureux, s'ils avaient su alors qu'ils en avaient encore pour plus de quarante mois. Qu'il y aurait encore trois Noëls de guerre après le premier.
"Mon malheur vient d'avoir compris avant les autres que cette guerre allait durer, durer..."
Cdlt
Cyrille
Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : mar. déc. 22, 2009 6:14 pm
par ae80
Bonsoir à tous,
Je remonte le sujet de Laurent pour le détourner légèrement j'espère qu'il ne m'en voudra pas. Je ne voulais pas créer un nouveau sujet et celui-ci semblait tout indiqué. J'aurais souhaité que chacun de vous sorte de ses archives (mais si cherchez bien...) un petit document (écrit, photo, etc.) sur Noël pendant la Grande Guerre, toutes nations confonfues, tant des forces de la Triple Entente que des Puissances Centrales, qui évoque un moment particulier parfois de répit, parfois de déluge de feu, mais aussi de fraternisation (pour la noël 1914 en quelques endroits du front).
Voici une illustration du Noël dans une tranchée allemande
Weihnachten bei der Infanterie im Schützengraben
Cordialement
Eric Abadie
Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : mar. déc. 22, 2009 7:11 pm
par ae80
J'ajoute le lien vers une page du site consacrée à un dessin de Noël :
pages1418/Pages-14-18-l-Art-et-la-Guerr ... t_94_1.htm
Cordialement
Eric
Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : mar. déc. 22, 2009 8:00 pm
par margareta
Bonsoir à tous,
J'apporte ma petite contribution à partager. Voici deux extraits du guide du musée In Flanders Fields à Ypres).
1914
"A Pervijse, le soir de Noël, les Allemands placèrent un panneau au bord de leurs tranchées, demandant aux Belges d'oublier pendant une heure les affres de la guerre afin de commémorer la naissance du Christ. Les soldats Belges furent d'accord. Ainsi la veillée de Noël se passa dans une ambiance de fraternité. Les soldats Allemands offrirent aux soldats Belges quantité de bonnes choses et même du vin. Les Belges étaient ennuyés de ne rien pouvoir leur donner en retour. Une heure plus tard, tout le monde se retrouva dans les tranchées. Le no mans'land se mit une fois de plus à retentir du bruit des mitrailleuses. Suite à cet évènement, un supérieur de poste Belge, le sous-lieutenant Naviau, fut dégradé peu de temps après."
Un autre extrait du guide :
"Camarades ne tirez pas".
La trêve s'est instaurée tout naturellement du fait que l'enterrement des tués n'avait pas été perturbé le jour de Noël. Les troupes sortirent sans armes des tranchées et de firent mutuellement des cadeaux. Un Anglais joua avec l'harmonica d'un Allemand, d'autres dansèrent. Les adversaires haïs et aigris chantaient des cantiques de Noël autour d'un sapin, jusqu'à ce que l'intervention des états-majors supérieurs mit fin à cette trêve. Les compagnies se virent interdire de fraterniser mais aussi de tirer inutilement.
On voit que l'homme continue à vivre, même quand il est réduit à tuer et à assassiner. (Guide du Musée In Flanders Fields, Ypres)
Joyeux Noël à tous
Amicalement
Denise
Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : mer. déc. 23, 2009 6:20 pm
par Gerard Jouve
Bonjour à tous,
Voici ce qu'écrivait mon grand oncle le 25 décembre 1914 dans son journal de guerre :
"Triste noël. Sommes réveillés à 5 heures pour aller aux tranchées renforcer les troupes qui doivent combattre. Préparons nos sacs et partons à 6 heures. Restons dans un petit bois dans l'attente d'un ordre pour avancer. Le bombardement se fait à 7 heures et finit à midi. Le matin à 10 heures le sergent M..., le caporal B.... ainsi que plusieurs camarades sont désignés par le colonel pour aller couper les fils de fer à trente mètres en avant. Ils hésitent un peu car c'est la mort certaine qu'ils voient devant eux, le colonel leur renouvelle l'ordre et les menace de les faire fusiller sur le champ; voyant cela, les camarades s'exécutent et partent chacun avec leur outil. A peine le parapet enjambé, les allemands font marcher leur mitrailleuse et c'est le pauvre B....qui reçoit les premières balles à la jambe, peu après c'est le sergent M...Le camarade P... est touché en pleine poitrine et est mort sur le coup. Toutefois le sergent et B.... ont pu aller jusqu'aux réseaux mais les boches tirent à bout portant. B....tombe frappé en pleine tête et le sergent aussi, mais lui a la force de revenir jusqu'à nous et au moment de descendre dans la tranchée, il reçoit une pluie de balles dans la tête et la poitrine, ce qui l'a achevé, il est mort presqu'aussitôt. Pendant ce temps là, B.....se plaignait, il est resté plus de trois heures dans cette position, les camarades le voyaient très bien mais que faire, impossible aller le chercher, c'est se faire tuer si on le risquait. B....est mort vers 1 heure de l'après-midi, il a souvent répété ces mots : "ah ! maman! Tuez-moi, Tuez-moi!". D'une part une autre équipe est partie dans le même but, ce qui a causé la mort aux camarades M....; T....., R......., D......., tous trois restés entre les tranchées boches et les nôtres. En somme notre attaque a complètement échoué et bénéfice net une centaine de blessés et une trentaine de morts, dont 7 au 2ème Génie, compagnie 19/3. Cela été chose terrible. Il reste paraît-il trois de nos camarades qui ne sont pas encore rentrés, ils sont disparus, sans nouvelles d'eux."
Ce texte se suffit à lui-même et tout commentaire me paraît superflu.
Mon grand-oncle était sapeur du génie. Il fut tué quelques jours après, le 8 janvier 1915, lors de l'attaque de la côte 132 à Crouy faisant suite à l'échec du 25 décembre.
Joyeux noël à tous,
Gérard
PS : j'ai volontairement "gommé" les noms de ses camarades.
Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : mer. déc. 23, 2009 11:30 pm
par pierret
Bonsoir à tous
Ci-après un extrait de "La Grande Guerre entre les lignes" de Dominique Saint Pierre qui cite le journal de Joseph Saint Pierre, médecin au 23° RI
Fin 1914, le 23° RI (ainsi que le 133° RI) était dans le secteur Ban de Sapt – Saint Jean d'Ormont dans les Vosges.
25 décembre : lever à 6h1/4. . . Messe chantée à Saint Jean. . . Invité par le colonel et Gaillard : dinde de Mme Sohier. Celle de Gaillard n'est pas arrivée. . . Vêpres chantées par l'abbé Cottard Josserand . . . M Decourcelles a apporté des cadeaux de Bourg. . . Visite au 150 modèle 1883, tir à 55. A La Fontenelle, les Boches nous lancent des bouteilles de bière vides. . . nous leur lançons de bouteilles de champagne non moins vides. . .le 155 loge 26 coups sur 30 dans leurs tranchées. . . Nos patrouilleurs vont se perdre dans les fils de fer boches à 8 mètres de l'ennemi qui les manquent (un blessé : sergent Mondragon).
Les Boches fêtent Nöel : Wassbauer leur parle allemand, cause avec un Boche. On convient de part et d'autre de ne pas tirer. Ils chantent . . . nous applaudissons . . . et, réciproquement. . . Kyrie, Noëls. . . Ils montent sur leurs tranchées, nous aussi. . . "A bas Guillaume !" – "A bas Poincaré !" . . . Un français (Wassbauer ?) et un boche se rencontrent entre les lignes et échangent des cigarettes.
Joyeux Nöel à vous tous.
Jean-Louis
Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : jeu. déc. 24, 2009 11:00 am
par Titeuil
Bonjour à tous,
Voici deux courriers de soldats ligériens, dont je possède les correspondances. Ils écrivent en ces jours aux symboliques très fortes. L'un d'entre eux reviendra, l'autre laissera sa vie au fort de Vaux.
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Vendredi 25 / 12 / 1914
Chers parents
Je voulais commencer cette carte cette nuit, j’en ai pas eu le courage. On a changer de patelin dans la journée, le matin relevés à 6 h à 8 h on été parti on ne savez pas trop où on allé. On a fait une vingtaine de km le sac était terriblement lourd, il faisait froid mais en marchant on s’en apercevait pas mais au pause on gelé tout trempé de sueur qu’on était, la bise vous glacée et pour comble de malheur sans pouvoir manger ni presque ce changer. Il a fallut prendre la garde c’était un bon réveillon mais il a fallut y passer et maintenant je suis relevé. Avec les autres ce que j’aurai de mieux à faire ce sera d’écraser un peu de paille, essayer de dormir quoique pourtant il fait très beau. Le temps est clair la bise pas trop forte et pourtant ce sera un triste jour de Noël pour moi et pour bien d’autres. Nous avons passé à côté de Nancy, j’aurai bien voulu y passer pour voir un peu ce que ça ressemblait. Voilà deux cartes où j’ai battu ce sera un petit souvenir pour plus tard si ça m’est permis d’y revoir. Cette nuit le canon a tonné presque toute la nuit. On voyait bien la lueur étant sentinelle, c’est vous dire que je ne suis pas très loin mais encore ( ??). Je vais toujours bien, je pense qu’il en est de même de vous tous. Je vous souhaite aussi une bonne année et le retour de vos enfants de bientôt, d’ici la Noël prochaine. C’est bien un peu long mais il faut s’attendre que ça durera encore un certain temps.
Votre fils Louis
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Samedi, 25 décembre 1915
Chère Marie,
Je t'écris ces quelques mots pour te dire que je suis toujours en bonne santé pourvu que vous en soyez tous de même. Je te dirai que le temps me dure bien de recevoir de vos nouvelles car il y a dix jours aujourd'hui que je n'ai point reçu de lettre, je pense qu'il y en a encore une qui s'est perdue et je n'ai encore pas reçu mes galoches que tu m'avais aussi envoyé, le service des postes ne marche guère bien. Nous célébrons aujourd'hui la fête de Noël mais elle n'est guère brillante pour nous cette fête mais nous avons eu l'occasion quand même d'assister à la messe de minuit il y a un prêtre qui est venu hier soir où nous sommes, il a confessé la veillés et il nous a dit la messe à minuit, Denis et moi nous avons été communier tous les deux pendant qu'on avait l'occasion surtout que nous devons monter aux tranchées ces jours probablement après-demain et nous devons en même temps changer de régiment. Il faudrait bien que mon colis arrive avant que je parte autrement il trainera encore davantage en route et puis ça pleut tous les jours et on m'a encore pas voulu changer mes souliers, il faut demander deux mois à l'avance et plus pour avoir ce que l'on a besoin, c'est comme une couverture, nous en avons tous une que nous portons avec nous pour nous coucher, moi on m'en avait donné une qui ne valait rien du tout et à présent elle est toute en morceaux, les rats m'en ont mangé la moitié parce qu'elle était pourrie, elle s'est déchirée comme du papier mouillé et il y a plus d'un mois que j'en ai fait la réclamation et je leur ai renouvellé plusieurs fois, ils me promettent bien une couverture mais j'en ai encore point touché, en attendant l'hiver se passe et puis crève si tu veux, voilà comme on est bien soigné sur le front. Je ne t'en dis pas plus long sur cette lettre, je pense qu'elle vous trouvera tous en bonne santé et je t'envoie bien le bonjour ainsi qu'à la mère et à mon frère et je t'embrasse bien ainsi qu'Amélie.
Cyrille (à son épouse)
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Bien à vous, et bon Noël à tous,
Christophe
Re: Noel 1914, je vous écris de ma tranchée
Publié : jeu. déc. 24, 2009 12:00 pm
par ae80
Bonjour à tous,
Merci à vous pour tous ces témoignages tous aussi intéressants, ... émouvants les uns que les autres.
Cordialement
Joyeux Noël
Eric