La vie d'un canon sur le champ de bataille
Publié : mer. août 24, 2022 5:08 pm
Bonsoir,
Un sujet précédent a étudié "La mort des canons sur le champ de bataille". Le sujet de ce jour est consacré à un point particulièrement difficile à étudier, celui de la "vie" des canons de campagne au sein des unités. En effet, les JMO conservés évoquent très rarement "l'identité" exacte des pièces d'artillerie à l'exception notable des canons de très gros calibre de l'Artillerie Lourde à Grande Puissance qui ont le privilège, du fait de leur faible nombre, de leur poids et de leur coût, d'être bien identifiés et souvent même "baptisés" d'un nom particulier. Les pièces de l'artillerie lourde peuvent encore souvent être suivies dans les JMO bien tenus mais beaucoup sont très laconiques et l'exercice devient difficile.
En ce qui concerne l'artillerie de campagne, il est tout à fait exceptionnel de pouvoir suivre le parcours d'un canon sur le champ de bataille car, surtout à partir de la fin de 1915, les canons changent continuellement d'unités et donc d'affectation sur le front même pour éviter les sorties de batteries d'un front devenu continu et de plus en plus fortifié. Les relèves ne concernent alors que les personnels et les canons sont pris en compte sur le front même par les relevants qui cèdent en échange leurs canons aux relevés, ceux-ci les perçoivent dans l'arrière-front.
Cette pratique économise beaucoup d'efforts et permet surtout de ne pas indiquer à l'ennemi les relèves et même les positions exactes des canons si l'unité a eu la chance rare de ne pas avoir été repérée.
L'inconvénient majeur de ces changements fréquents d'affectation réside dans le suivi du bon entretien des pièces, les artilleurs n'ont plus "leurs" pièces mais utilisent temporairement des pièces inconnues. Les équipes d'entretien et les Parcs sont donc très sollicités pour maintenir un haut niveau de fiabilité des matériels.
Dans les secteurs particulièrement agités, notamment à Verdun et sur la Somme, les changements d'affectation des canons de 75 sur le front sont continuels.
Il serait théoriquement possible de suivre en détail la vie d'un matériel de 75 sur le front car chaque pièce dispose d'un "livret de bouche à feu" qui détaille les affectations successives, les réparations, les changements d'éléments, les tirs effectués, etc...
Il existe aussi des "Registres à souche des mouvements du matériel" qui rassemblent tous les mouvements depuis les plus petits accessoires jusqu'au mouvement d'une pièce complète.
Malheureusement, les archivistes chargés du tri des montagnes d'archives papier existantes à la fin de la Grande Guerre et après n'ont pas jugé utile de garder ces documents techniques, jugés sans intérêt.
Heureusement, certains officiers, généralement à l'issue de la destruction d'un matériel sur le front ou à l'issue d'une dissolution d'unité, ont estimé importante la conservation de leurs documents techniques dont bien peu sont parvenus jusqu'à nous.
Avant d'étudier en détail la "vie" du 75 modèle 1897 n°11851, j'expose en préambule quelques généralités:
Depuis le début de la fabrication du canon de 75 en 1896, plusieurs éléments du matériel sont immatriculés. En effet, l'interchangeabilité complète des éléments du canon de 75 autorise des changements instantanés d'éléments avariés ou usés et il importe de pouvoir bien les identifier. Sont principalement immatriculés:
...le manchon du canon qui porte la culasse, c'est l'élément principal qui identifie le matériel. Sur la partie supérieure arrière du manchon sont gravés: l'établissement constructeur, pour la grande majorité la Fonderie de Bourges, devenue "Atelier de construction de Bourges" et dont les initiales indique l'origine "ABS", suivies du numéro de série du canon et de l'année de fabrication.
...le frein, lui-aussi immatriculé, systématiquement fabriqué par l'Atelier de Puteaux "APX" ou "APx" suivi du numéro de série et de l'année de fabrication.
...le tube, fabriqué avant-guerre dans les établissements de l'état mais aussi construits dans plusieurs établissements privés pendant la guerre, l'immatriculation comprend le numéro de série, l'établissement constructeur et l'année de fabrication.
...l'affût, fabriqué comme le tube dans plusieurs établissements, le principe d'immatriculation est le même, celle-ci figure sur une plaque ovale fixée à l'affût.
Pour les non-spécialistes, je joins des illustrations montrant:
-la position du manchon et du tube: -le détail du frein, invention majeure à la douceur de fonctionnement inégalée: -la position sur le manchon de la gravure de l'immatriculation du canon. J'ai choisi un matériel de 75 construit en 1917, fabriqué à Bourges vers la fin de l'année 1917 au vu de son numéro de série très élevé (N° 17951). Ce matériel figure devant les bâtiments de la Direction de l'Artillerie de l'Armée de la République du Niger à Niamey: -le même canon de 75 de Niamey a un affût fabriqué à la Manufacture d'Armes de Tulle en 1917, son numéro de série n'est plus lisible: Le prochain message décrira la vie du 75 modèle 1897 N° 11851 sur le front.
Cordialement,
Guy François.
Un sujet précédent a étudié "La mort des canons sur le champ de bataille". Le sujet de ce jour est consacré à un point particulièrement difficile à étudier, celui de la "vie" des canons de campagne au sein des unités. En effet, les JMO conservés évoquent très rarement "l'identité" exacte des pièces d'artillerie à l'exception notable des canons de très gros calibre de l'Artillerie Lourde à Grande Puissance qui ont le privilège, du fait de leur faible nombre, de leur poids et de leur coût, d'être bien identifiés et souvent même "baptisés" d'un nom particulier. Les pièces de l'artillerie lourde peuvent encore souvent être suivies dans les JMO bien tenus mais beaucoup sont très laconiques et l'exercice devient difficile.
En ce qui concerne l'artillerie de campagne, il est tout à fait exceptionnel de pouvoir suivre le parcours d'un canon sur le champ de bataille car, surtout à partir de la fin de 1915, les canons changent continuellement d'unités et donc d'affectation sur le front même pour éviter les sorties de batteries d'un front devenu continu et de plus en plus fortifié. Les relèves ne concernent alors que les personnels et les canons sont pris en compte sur le front même par les relevants qui cèdent en échange leurs canons aux relevés, ceux-ci les perçoivent dans l'arrière-front.
Cette pratique économise beaucoup d'efforts et permet surtout de ne pas indiquer à l'ennemi les relèves et même les positions exactes des canons si l'unité a eu la chance rare de ne pas avoir été repérée.
L'inconvénient majeur de ces changements fréquents d'affectation réside dans le suivi du bon entretien des pièces, les artilleurs n'ont plus "leurs" pièces mais utilisent temporairement des pièces inconnues. Les équipes d'entretien et les Parcs sont donc très sollicités pour maintenir un haut niveau de fiabilité des matériels.
Dans les secteurs particulièrement agités, notamment à Verdun et sur la Somme, les changements d'affectation des canons de 75 sur le front sont continuels.
Il serait théoriquement possible de suivre en détail la vie d'un matériel de 75 sur le front car chaque pièce dispose d'un "livret de bouche à feu" qui détaille les affectations successives, les réparations, les changements d'éléments, les tirs effectués, etc...
Il existe aussi des "Registres à souche des mouvements du matériel" qui rassemblent tous les mouvements depuis les plus petits accessoires jusqu'au mouvement d'une pièce complète.
Malheureusement, les archivistes chargés du tri des montagnes d'archives papier existantes à la fin de la Grande Guerre et après n'ont pas jugé utile de garder ces documents techniques, jugés sans intérêt.
Heureusement, certains officiers, généralement à l'issue de la destruction d'un matériel sur le front ou à l'issue d'une dissolution d'unité, ont estimé importante la conservation de leurs documents techniques dont bien peu sont parvenus jusqu'à nous.
Avant d'étudier en détail la "vie" du 75 modèle 1897 n°11851, j'expose en préambule quelques généralités:
Depuis le début de la fabrication du canon de 75 en 1896, plusieurs éléments du matériel sont immatriculés. En effet, l'interchangeabilité complète des éléments du canon de 75 autorise des changements instantanés d'éléments avariés ou usés et il importe de pouvoir bien les identifier. Sont principalement immatriculés:
...le manchon du canon qui porte la culasse, c'est l'élément principal qui identifie le matériel. Sur la partie supérieure arrière du manchon sont gravés: l'établissement constructeur, pour la grande majorité la Fonderie de Bourges, devenue "Atelier de construction de Bourges" et dont les initiales indique l'origine "ABS", suivies du numéro de série du canon et de l'année de fabrication.
...le frein, lui-aussi immatriculé, systématiquement fabriqué par l'Atelier de Puteaux "APX" ou "APx" suivi du numéro de série et de l'année de fabrication.
...le tube, fabriqué avant-guerre dans les établissements de l'état mais aussi construits dans plusieurs établissements privés pendant la guerre, l'immatriculation comprend le numéro de série, l'établissement constructeur et l'année de fabrication.
...l'affût, fabriqué comme le tube dans plusieurs établissements, le principe d'immatriculation est le même, celle-ci figure sur une plaque ovale fixée à l'affût.
Pour les non-spécialistes, je joins des illustrations montrant:
-la position du manchon et du tube: -le détail du frein, invention majeure à la douceur de fonctionnement inégalée: -la position sur le manchon de la gravure de l'immatriculation du canon. J'ai choisi un matériel de 75 construit en 1917, fabriqué à Bourges vers la fin de l'année 1917 au vu de son numéro de série très élevé (N° 17951). Ce matériel figure devant les bâtiments de la Direction de l'Artillerie de l'Armée de la République du Niger à Niamey: -le même canon de 75 de Niamey a un affût fabriqué à la Manufacture d'Armes de Tulle en 1917, son numéro de série n'est plus lisible: Le prochain message décrira la vie du 75 modèle 1897 N° 11851 sur le front.
Cordialement,
Guy François.