Le printemps m'avait mené en Argonne (1), et le 11 Novembre ramené à mes chères "veuves de guerre" (2). En ce temps de neige que voici, avec dessous ses sentiers devenus secrets, je ne puis m'empêcher de songer à cet hiver à Souchez qui fit le titre d'un des livres de Jean Galtier-Boissière.
Il faisait déjà si froid, dès Octobre, en Artois, en 1915, d'après, par exemple, Jacques Le Petit,
qui écrivait dans son Journal de guerre, Ed. ANOVI, pp 57-58:
Octobre 1915
Il fait froid et il pleut.
/.../
19 octobre
Il fait déjà très froid.
Voilà donc, en troisième poème de mon cru, une évocation de ces temps-là...:
DERNIERE LETTRE D'ARTOIS
à la Mémoire de mon tendre grand père,
qui repose en terre d'Artois.
Quelques temps avant de recevoir en plein front
une balle définitive, ce bien peu "farouche guerrier"
écrivait à son épouse:
"Je regarde les petites photos, et je pleure."
A peine mi Octobre
Comme il fait froid
Déjà
En cet Artois maudit
Dieu que l'Enfer
Est donc glacé !
Des routes de Lorraine
-Pauvre Marche de France !-
A celle de Bapaume,
Cavaliers démontés,
En aurons nous connu ...
Jusqu'aux chemins de pluie
Sous le ciel artésien
-Moi qui aimais marcher !
M'en voici plus que las...
Que donne la vendange
Dans notre vieux Bugey ?
Quel temps fait-il ?
Les noix sont-elles grasses ?
Les as-tu bien gaulées ?
Il faudra en Décembre
Outre la vogue des boudins,
Fumer les Vignes Mauves,
-Tu sais: nos six-vingt pieds
Au dessous Nivolet.
La pente est rude et rocailleuse
Sauras-tu bien porter la hotte ?...
Et au printemps, vers 13 de Mars,
Rejoindras-tu Villard-de-Lans
Y quérir la vache de l'an,
Ça fait loin, je sais bien
Mais les cornues là-bas
Sont si bien les meilleures.
Pousseras-tu, par le Col Vert
Jusqu'aux Saillants, comme j'aimais
Manger là-bas leurs esgagots.
Quand tu verras là haut
L'Agathe et la Sophie,
Les deux Sœurs au Gerbier,
Ça te plaira, je pense:
C'est du bien beau versant
Et d'un autre vertige
Que notre Colombier,
Oui, ça vaut le voyage !
Ô, passe, passe
Par la Fontaine Ardente:
Toutes ses flammes c'est mon cœur
Plein du feu du Soleil de Toi !
J'ai tant aimé ces pays là...
-Marcher jusqu'à...
Serrer la main
Aux Palanchous -
Pourquoi faut-il ainsi
Qu'on aime les pays,
Le sien, ou d'autres,
Ce n'est pas raisonnable,
Ça nous fait tant mourir...
Ici, ma dou' Lélette
Le secteur: "plutôt calme"
Dit le communiqué:
Deux ou trois Sacrifiés
Chaque jour alentour
C'est bien peu, en effet,
Au Démon de la Guerre !...
Quelle idée ont-ils eu
Ceux-là qui sont nos maîtres
De faire des soldats
De chacun de nous autres,
Nous, les pousseurs de bœufs,
Les humbles émondeurs
De chemins vicinaux....
On a toujours des maîtres !
-Liberté ? Belle blague...
De quel droit donc un homme
Peut-il régir ainsi
La vie de son semblable
A décréter sa mort !
- J'ai un pressentiment !...
Il faut m'aimer très fort:
Tout autant que je t'aime !
Ma Colette accolée...
Les soldats - malgré eux !
Tous sont-ils pas
Des "malgré nous" ? -
Les soldats dans l'exil
Ont le cœur si liquide
Et si près d'éclater:
Du feu, d'acier, d'une arme
Ou du poignard des larmes...
J'ai senti dans ta lettre
Comme un moins dans ton cœur
-Si tu me trahissais !...
J'en mourrais, bien plus sûr,
Que de toute blessure... -
Tout meurt un jour,
Moi le premier
Peut être
Quand, comment ?
Où serai-je enterré ?
- Le serai-je ?... -
Que je reste où je tombe !
C'est ainsi, les soldats:
Ça demeure où ça meurt
Puisque c'est ce sol là
Que j'aurai défendu...
Et qu'importe ma tombe
Si je suis dans ton cœur
Jusqu'à l'Eternité !...
******
Bien entendu, il s'agit là d'une composition littéraire: pleine de transpositions, amalgames, et autres procédés propres au genre. Il serait donc bien vain et non avenu d'y chercher quelque ressemblance avec l'une ou l'autre "personne ayant réellement existé". A commencer par mon grand-père, qui, bien que né à Lyon, n'avait aucun rapport avec le Bugey et autres lieux, et ne partageait sans doute presque aucun des sentiments ici exprimés, -surtout pas le doute esquissé sur les sentiments à son égard de sa "bonne Lélette" (là, oui, le petit nom de ma grand-mère est authentique, mais pas en diminutif de Colette...).
Avec tous mes plus vifs et chaleureux remerciements à Geneviève, ma "pré-lectrice" qui a bien voulu consacrer du temps à la lecture de cette petite pièce tandis qu'elle était encore "sur l'établi", et me faire part de ses remarques toutes aussi avisées qu'amicales.
Bien à vous,

Je ne pouvais guère mieux choisir, pour insérer ce poème sur ce Forum, que ce jourd'hui 3 Janvier où, outre la bien connue Ste Geneviève patronne de Paris, l'on fête St Gordien, centurion devenu "objecteur de conscience", martyr pour avoir refusé de sacrifier au dieu Mars.
Mars: dieu de la guerre; qui prend ses victimes chez ceux qui refusent de lui sacrifier: l'immense majorité des victimes de la Guerre, dans les siècles des siècles, ne sont-elles pas, en effet, des "malgré nous"...
(1) voir:
pages1418/annonces-pages-bibliophile/gu ... .htm#t5196
(2) voir:
pages1418/annonces-pages-bibliophile/no ... .htm#t5856
Et, comme aurait dit la gardienne de cimetière de Bruno17 :
pages1418/forum-pages-histoire/Generali ... htm#t71161
- Ah ben dame, la poésie : ça s’rait-y pas une affaire d’famille chez vous autres…?
Le grand père que j'évoque ci-dessus était le frère ainé de ce grand oncle qui a écrit un poème: Vauquois, dont j'ai parlé ici, où l'on trouvera le lien pour le lire sur le site qui me l'a publié:
pages1418/annonces-pages-bibliophile/ri ... .htm#t6067