Bonsoir,
Le 11 Novembre 1918, là où elle se trouvait "évacuée" depuis plus de cinq mois pour cause de guerre dans son village, Juliette Chatinet, ma grand-mère, eut-elle le cœur de faire un gâteau, avec quatre bougies, pour fêter le quatrième anniversaire de la naissance de son dernier enfant, ma mère ? Je l'ignore. Mais, parmi les divers contenus que l'on peut mettre à célébrer cette date du 11 Novembre, comme on l'a vu sur ce Forum dans plusieurs pages auxquelles je me suis abstenu de participer, le mien est, en effet, d'abord, celui de l'anniversaire de ma Mère... née, donc, le 11 Novembre 1914 !...
Cependant, cette date, je ne sais pourquoi, me fait obstinément penser que, ce jour là, les "veuves de guerre" (auxquelles j'ai déjà consacré un Souvenir bref, publié dans les pages de ce Forum), durent se sentir "plus veuves que jamais". En effet, si les hommes -les survivants...- ne rentrèrent pas ce jour-là, mais quelques semaines plus tard, pour la plupart, au moins eurent-ils dès ce jour l'espoir plus ferme de rentrer vivants, et donc celles à qui ils étaient chers, celui de les retrouver bientôt. Tandis que les veuves...
Ma grand-mère Juliette eut au moins la "consolation" de savoir assez exactement les circonstances de la mort du sergent major Georges Lambert, son époux, et où il fut enterré "par les soins de ses supérieurs et subordonnés desquels il était l'estimé et l'ami", comme le dit son "image mortuaire".
Aussi, parmi ces veuves de guerre, ma pensée se fixe souvent plus particulièrement sur d'autres, auxquelles, peut être, j'ai été rendu plus sensible, pour avoir accompagné, un peu, leur descendante ou descendant dans ses recherches sur ce Forum, et pour lesquelles j'ai donc, cette fois, égrené quelques mots, en chapelet de grains d'ébène, noirs....
In extremis en ce soir, pour cause de panne de ligne Internet ! , les voici ci-dessous, après quelques hésitations sur la rubrique dans laquelle les insérer...
Bien à vous,
Achache
******
L'AVEUGLE DEUIL
Ces ombres noires
Aux cimetières
Qu'ont-ell's à faire
A y roder ?
Chacune en vain
Quête le sien...
Il n'est pas là
Dans ces allées,
Aucune terre
Ne sait ses os.
Il n'est pas d'urne
Pour ses cendres.
Pas un seul tertre,
Ou motte à peine
Nain tumulus
De simple esquisse
Rien!
Rien que la plaine plate
Ou labourée de guerre
Quand il tomba !
Grands trous d'obus,
Ou sape sombre,
Ou quoi encore...
Tous entonnoirs
Sous le pressoir
Pour ce vin rouge
-Rouge est le sang...-
D'Hommes Vivants !
-Tombés sans tombe !
Puisque, voyez,
L'on dit qu'il fut
Porté parmi
Les disparus...
O morts -milles !-
Sans sépulture...
Pas un seul trait,
Un souvenir
Sur quoi fixer
Ses larmes noires,
Pas un récit funèbre
A reprendre sans cesse
Pas un seul canevas
Pour la déploration !
Rien ! Rien
Que des questions
Béantes.
Où ? Quand ? Comment ?
Qu'est-il resté de lui ?
A-t-il souffert ?
Comment vint-elle,
La Faucheuse ?
-En traîtresse ?
De plein front ?
A quelle heure ?
Et sous quel ciel ?
Soleil ardent ?
Pluie diluvienne ?
Et puis encore:
Où, sur son corps
Le trou mortel ?
Ou bien fut-il
Eclaté tout,
Eparpillé
Dispersé plus
Qu'écartelé ?
En combien de
Tronçons sanglants ?
Ecorché vif
De feu, de flamme ?
Images, vues,
Jamais fixées,
Aux yeux intimes,
Dans l'obsession
Du cœur qui erre...
Aveugle deuil !...
Où le chercher ?
Où le poser ?
Deuil obstiné
Deuil à tâtons
Deuil sans visage
Deuil sans rivage
De femme épou-
se de marin ...
Deuil de falaise,
Gouffre mouvant
Qui attire, ô
Vertige !
Deuil océan:
Où est-il dans
Le vaste flot,
L'immense abîme ?
Pourtant mon homme
Etait de Terre...
Un paysan
Qui retournait
Sa tendre argile.
Retourné, où,
Dans quel limon ?
Il est là-bas,
Là-haut, ailleurs.
Il est partout
Et nulle part !
Deuil impossible,
Toujours, toujours
Recommencé...
Avec au ventre
Le blême fruit:
Enceinte ? Vide !
Enceinte... -grosse
A tout jamais
De la mort -seule !
Mère promise
D'enfants mort-nés
De vains fantômes
Monstres hanteurs
Tous avortons
De la camarde...
Ces ombres noires
Aux cimetières
- Sans rendez-vous !
Qui titubaient
-Cœurs chancelants !-
Comme, eût-on dit,
Ivres ou folles ...
Je m'en souviens
Par ce brouillard
De Novembre
En mes yeux...
pour le 11 Novembre: L'AVEUGLE DEUIL
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Re: pour le 11 Novembre: L'AVEUGLE DEUIL
Achache
Émouvante forêt, qu'avons-nous fait de toi ?
Un funèbre charnier, hanté par des fantômes.
M. BOIGEY/LAMBERT, La Forêt d'Argonne, 1915
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- violette
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Re: pour le 11 Novembre: L'AVEUGLE DEUIL
Merci beaucoup, Achache, pour ce texte poignant. Ombre parmi les ombres ... Il en est encore aujourd'hui, de ces ombres noires qui ont repris le flambeau de ces veuves qui semblent vous hanter, et, à leur tour, cherchent "le leur"
Violette
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"Voici que point ton dernier jour - Dépose ici toute espérance - Hélas, comme un fardeau trop lourd"
F Carco in La Bohème et mon coeur
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