Re: SAINT MICHEL Brick goélette de Saint Malo
Publié : sam. janv. 23, 2016 9:11 pm
Bonjour à tous,
SAINT MICHEL
Brick goélette de 175 tx JB construit au chantier Gautier de St Malo en 1894
Capitaine – armateur Eugène BAILBLED Saint Malo 333 Capitaine au Long Cours
Navire armé à Marseille
Equipage
CHOLLET François Maître d’équipage Dinan 4014
LE ROUX François Matelot Saint Brieuc 3681
TOULARASTOF Matelot
THOURE Matelot
PORTANGUEN Ange Matelot
BESTAGNE Mousse
Rapport de mer du capitaine
Parti de Malaga le 6 Mai 1917 à 07h00 avec 216 tonnes de fer et fonte. Louvoyé jusqu’au 10 courant jour où nous sommes arrivés près du cap de Gate vers 03h20 du matin.
Nous avons alors entendu près de 30 coups de canon jusqu’à 03h40, dans l’ESE, qui nous annonçait un combat entre un sous-marin et un navire armé. Nous n’avons rien vu car le jour n’était pas établi. Du 10 au 17, navigué avec calme et mer belle.
Le 17 à 18h00 nous étions à un mille dans le Sud du cap de Palos et le vent a fraîchi. Gouverné au NE.
Le 18 au matin, donné la route pour se rapprocher de terre et à 08h35 un homme ayant les jumelles en main me dit : « Voilà un sous-marin, capitaine ». Au même instant, nous entendons un premier coup de canon suivi de deux autres. Je fais aussitôt amener les voiles et mettre l’embarcation à la mer. Tous les hommes étant dans l’embarcation, nous nous écartons promptement du bord, voyant que nous avons à faire à un pirate qui nous fait avoir bien des craintes pour notre vie, vu que dans ces circonstances ils ont déjà tué bien des marins, même dans les embarcations.
Ne voyant plus le sous-marin, qui a plongé, nous nous dirigeons vers la terre et entrons à 18h00 dans la petite ville de Benidorm où nous sommes très bien accueillis. Nous avons abandonné le voilier à 50 milles dans le NE du cap de Palos et à 22 milles de terre. Nous avons ramé pendant longtemps pour ne pas faire paraître notre voile de crainte que le sous-marin ne l’aperçoive.
Pendant cette manœuvre promptement faite, je n’ai qu’à me louer de mon équipage qui a montré un véritable sang froid et un courage extraordinaire.
Rapport signé par le Vice consul de France à Alicante, A. Fuibert.
Interrogatoire du maître d’équipage CHOLLET
Je venais de quitter le quart à 08h00 et j’allais me coucher lorsque la bordée de quart a aperçu ce sous-marin. Aussitôt averti, je suis monté sur le pont et j’ai entendu deux coups de canon. . Nous avons viré lof pour lof pour amener le canot, puis amené toutes les voiles en même temps. Quand le bâtiment a été presque arrêté, nous avons mis le canot à la mer. Deux autres coups de canon ont été tirés pendant que nous débarquions.
Nous sommes partis avec le canot et nous avons perdu le voilier de vue sans savoir si le sous-marin allait le couler, car il y avait du brouillard.
Interrogatoire du matelot LE ROUX
J’étais à la barre quand le matelot de quart avec moi, qui avait les jumelles, a vu le sous-marin à 3 milles. Je l’ai vu presque ne même temps. Il avait le cap sur nous et j’ai vu le feu du coup de canon.
Au premier coup, je suis venu au lof et le bateau a masqué. Puis j’ai laissé porter et nous sommes venus vent arrière. On a largué les drisses des voiles et j’ai quitté la barre pour aider à débarquer dans l’embarcation. Je ne crois pas que le bâtiment ait été touché avant que nous quittions le bord.
Rendu à 20 m du bord, nous n’avons plus vu le sous-marin. Nous nous sommes éloignés et avons perdu le bateau de vue dans la brume.
Rapport de la commission d’enquête
Au début, ce rapport reprend celui du capitaine, puis il continue :
Le capitaine fait larguer les drisses de cacatois, perroquet volant et grand voile, pendant que l’homme de barre vient au lof sans ordre. Personne ne voit tomber les projectiles des coups de canon et le navire n’est pas atteint. On se précipite pour mettre l’embarcation à la mer, et comme elle est au vent, on change d’amures et tout le monde débarque. On pousse du bord, mais pendant ce temps, le sous-marin a disparu.
Le capitaine pourrait croire que tout est fini, que l’ennemi s’est éloigné. Il pourrait remonter à bord, rétablir la voilure et se rapprocher au plus vite des côtes d’Espagne. Au lieu de cela, il continue à s’éloigner à force de rames et, comme le temps est très brumeux, le bâtiment ne tarde pas à disparaître sans que personne puisse dire s’il a été ou non coulé.
Le SAINT MICHEL flotte sans doute encore comme une épave, avec son chargement de fer et d’acier destiné à la guerre.
La commission estime que le capitaine n’a pas fait son devoir en abandonnant son bâtiment sans qu’il en ait été sommé par un signal, qu’il est inadmissible que s’étant éloigné dans le canot et ayant vu le sous-marin disparaître en plongée, il ait jugé devoir faire route sur la terre sans songer à rester dans les environs pour s’assurer du sort de son bâtiment qui n’avait été touché par aucun projectile.
Elle constate avec regret l’état d’esprit de cet équipage, tout heureux d’avoir sauvé sa peau en abandonnant son bâtiment sans penser à la valeur et à l’utilité du chargement qu’il transportait pour la Défense Nationale.
Elle appelle l’attention du Ministre de la Marine sur la conduite déplorable du commandant et de l’équipage du SAINT MICHEL qui ont abandonné lâchement un bâtiment qu’ils auraient certainement pu reprendre et ramener au port.
Elle propose au Ministre de la Marine d’infliger un blâme sévère au Capitaine au long cours Bailbled qui a abandonné le bâtiment qu’il commandait, qu’il aurait pu très probablement ramener au port.
Punition
Le CLC BAILBLED Eugène, Saint Malo 333, est suspendu de la faculté de commander pendant trois mois au motif suivant :
Attaqué au canon par un sous-marin, mais aucun des 4 coups tirés n’ayant atteint le navire, a abandonné celui-ci en bon état et n’a même pas tenté de ramener son équipage à bord bien que l’ennemi eût aussitôt disparu.
Ce Capitaine au long cours est en outre informé que s’il ne reprend pas la navigation à l’expiration des 45 jours autorisés comme délai d’inactivité, il sera levé au service en qualité de Premier Maître pourvu qu’il soit âgé de moins de 50 ans.
Le sous-marin attaquant
En fait, SAINT MICHEL sera trouvé en dérive, sans équipage, le 21 Mai suivant par 37°55 N et 01°15 E, c’est-à-dire au SSW des Baléares, par l’U 34 du Kptlt Johannes KLASING. Il sera alors incendié et coulé par bombes placées à bord.
C’est d’ailleurs très probablement l'U 34 qui avait canonné SAINT MICHEL trois jours plus tôt, dans la brume, car il était dans les parages du cap de Palos. Toutefois, il ne semble pas que le commandant Klasing ait fait le rapprochement entre ces deux rencontres avec le même navire à trois jours d'intervalle.
Cdlt
SAINT MICHEL
Brick goélette de 175 tx JB construit au chantier Gautier de St Malo en 1894
Capitaine – armateur Eugène BAILBLED Saint Malo 333 Capitaine au Long Cours
Navire armé à Marseille
Equipage
CHOLLET François Maître d’équipage Dinan 4014
LE ROUX François Matelot Saint Brieuc 3681
TOULARASTOF Matelot
THOURE Matelot
PORTANGUEN Ange Matelot
BESTAGNE Mousse
Rapport de mer du capitaine
Parti de Malaga le 6 Mai 1917 à 07h00 avec 216 tonnes de fer et fonte. Louvoyé jusqu’au 10 courant jour où nous sommes arrivés près du cap de Gate vers 03h20 du matin.
Nous avons alors entendu près de 30 coups de canon jusqu’à 03h40, dans l’ESE, qui nous annonçait un combat entre un sous-marin et un navire armé. Nous n’avons rien vu car le jour n’était pas établi. Du 10 au 17, navigué avec calme et mer belle.
Le 17 à 18h00 nous étions à un mille dans le Sud du cap de Palos et le vent a fraîchi. Gouverné au NE.
Le 18 au matin, donné la route pour se rapprocher de terre et à 08h35 un homme ayant les jumelles en main me dit : « Voilà un sous-marin, capitaine ». Au même instant, nous entendons un premier coup de canon suivi de deux autres. Je fais aussitôt amener les voiles et mettre l’embarcation à la mer. Tous les hommes étant dans l’embarcation, nous nous écartons promptement du bord, voyant que nous avons à faire à un pirate qui nous fait avoir bien des craintes pour notre vie, vu que dans ces circonstances ils ont déjà tué bien des marins, même dans les embarcations.
Ne voyant plus le sous-marin, qui a plongé, nous nous dirigeons vers la terre et entrons à 18h00 dans la petite ville de Benidorm où nous sommes très bien accueillis. Nous avons abandonné le voilier à 50 milles dans le NE du cap de Palos et à 22 milles de terre. Nous avons ramé pendant longtemps pour ne pas faire paraître notre voile de crainte que le sous-marin ne l’aperçoive.
Pendant cette manœuvre promptement faite, je n’ai qu’à me louer de mon équipage qui a montré un véritable sang froid et un courage extraordinaire.
Rapport signé par le Vice consul de France à Alicante, A. Fuibert.
Interrogatoire du maître d’équipage CHOLLET
Je venais de quitter le quart à 08h00 et j’allais me coucher lorsque la bordée de quart a aperçu ce sous-marin. Aussitôt averti, je suis monté sur le pont et j’ai entendu deux coups de canon. . Nous avons viré lof pour lof pour amener le canot, puis amené toutes les voiles en même temps. Quand le bâtiment a été presque arrêté, nous avons mis le canot à la mer. Deux autres coups de canon ont été tirés pendant que nous débarquions.
Nous sommes partis avec le canot et nous avons perdu le voilier de vue sans savoir si le sous-marin allait le couler, car il y avait du brouillard.
Interrogatoire du matelot LE ROUX
J’étais à la barre quand le matelot de quart avec moi, qui avait les jumelles, a vu le sous-marin à 3 milles. Je l’ai vu presque ne même temps. Il avait le cap sur nous et j’ai vu le feu du coup de canon.
Au premier coup, je suis venu au lof et le bateau a masqué. Puis j’ai laissé porter et nous sommes venus vent arrière. On a largué les drisses des voiles et j’ai quitté la barre pour aider à débarquer dans l’embarcation. Je ne crois pas que le bâtiment ait été touché avant que nous quittions le bord.
Rendu à 20 m du bord, nous n’avons plus vu le sous-marin. Nous nous sommes éloignés et avons perdu le bateau de vue dans la brume.
Rapport de la commission d’enquête
Au début, ce rapport reprend celui du capitaine, puis il continue :
Le capitaine fait larguer les drisses de cacatois, perroquet volant et grand voile, pendant que l’homme de barre vient au lof sans ordre. Personne ne voit tomber les projectiles des coups de canon et le navire n’est pas atteint. On se précipite pour mettre l’embarcation à la mer, et comme elle est au vent, on change d’amures et tout le monde débarque. On pousse du bord, mais pendant ce temps, le sous-marin a disparu.
Le capitaine pourrait croire que tout est fini, que l’ennemi s’est éloigné. Il pourrait remonter à bord, rétablir la voilure et se rapprocher au plus vite des côtes d’Espagne. Au lieu de cela, il continue à s’éloigner à force de rames et, comme le temps est très brumeux, le bâtiment ne tarde pas à disparaître sans que personne puisse dire s’il a été ou non coulé.
Le SAINT MICHEL flotte sans doute encore comme une épave, avec son chargement de fer et d’acier destiné à la guerre.
La commission estime que le capitaine n’a pas fait son devoir en abandonnant son bâtiment sans qu’il en ait été sommé par un signal, qu’il est inadmissible que s’étant éloigné dans le canot et ayant vu le sous-marin disparaître en plongée, il ait jugé devoir faire route sur la terre sans songer à rester dans les environs pour s’assurer du sort de son bâtiment qui n’avait été touché par aucun projectile.
Elle constate avec regret l’état d’esprit de cet équipage, tout heureux d’avoir sauvé sa peau en abandonnant son bâtiment sans penser à la valeur et à l’utilité du chargement qu’il transportait pour la Défense Nationale.
Elle appelle l’attention du Ministre de la Marine sur la conduite déplorable du commandant et de l’équipage du SAINT MICHEL qui ont abandonné lâchement un bâtiment qu’ils auraient certainement pu reprendre et ramener au port.
Elle propose au Ministre de la Marine d’infliger un blâme sévère au Capitaine au long cours Bailbled qui a abandonné le bâtiment qu’il commandait, qu’il aurait pu très probablement ramener au port.
Punition
Le CLC BAILBLED Eugène, Saint Malo 333, est suspendu de la faculté de commander pendant trois mois au motif suivant :
Attaqué au canon par un sous-marin, mais aucun des 4 coups tirés n’ayant atteint le navire, a abandonné celui-ci en bon état et n’a même pas tenté de ramener son équipage à bord bien que l’ennemi eût aussitôt disparu.
Ce Capitaine au long cours est en outre informé que s’il ne reprend pas la navigation à l’expiration des 45 jours autorisés comme délai d’inactivité, il sera levé au service en qualité de Premier Maître pourvu qu’il soit âgé de moins de 50 ans.
Le sous-marin attaquant
En fait, SAINT MICHEL sera trouvé en dérive, sans équipage, le 21 Mai suivant par 37°55 N et 01°15 E, c’est-à-dire au SSW des Baléares, par l’U 34 du Kptlt Johannes KLASING. Il sera alors incendié et coulé par bombes placées à bord.
C’est d’ailleurs très probablement l'U 34 qui avait canonné SAINT MICHEL trois jours plus tôt, dans la brume, car il était dans les parages du cap de Palos. Toutefois, il ne semble pas que le commandant Klasing ait fait le rapprochement entre ces deux rencontres avec le même navire à trois jours d'intervalle.
Cdlt