Re: PRIMEVERE - goélette de Saint Valéry, armateur Maurice Chatelain
Publié : jeu. juin 12, 2014 2:46 pm
Bonjour,
"La Primevère était une bonne petite goélette de Saint Valéry qui faisait jadis la pêche d'Islande. Mais la pêche à la morue étant un métier d'enfer comme chacun sait, elle avait changé d'affectation et en 1916, elle se livrait au grand cabotage, tout prosaïquement. Le premier jour de décembre 1916, elle quitte Swansea où elle se trouvait depuis 40 jours et met le cap vers la France avec un plein chargement de charbon. Son capitaine, Auguste Legentil, est un vieux routier de la Manche. Il est seul maître à son bord, avec ses cinq hommes d'équipage, y compris le mousse. Trois jours après, au jour naissant, le temps était beau, un peu brumeux, avec faible brise de E.N.E. et pas de houle. L'on voyait droit devant soi à peine à un mille, mais c'était bien suffisant pour cette coquille de noix filant ses 3 noeuds, vent arrière. Et tout à coup, elle se trouva nez à nez avec un sous-marin allemand, dont une partie de l'équipage travaillait à dégager l'avant d'un lourd fragment de filet indicateur qu'il avait traversé et arraché au cours d'une plongée. L'UB39 n'avait pas de pavillon, mais portait sur son étrave une cocarde aux couleurs allemandes peinte sur le gris éraillé de sa coque. Vous pensez bien qu'il n'envoya pas une torpille contre la pauvre Primevère, une torpille presque aussi longue que la moitié du voilier…Il ne se donna même pas la peine de lui envoyer un coup de semonce. Il gouverna de façon à passer à petite distance à l'arrière pour lire au tableau arrière le nom de la goélette et, après en avoir fait le tour, vint stopper à 100 mètres sur son avant. Puis son commandant, l'oberleutenant Kustner fait signe au capitaine Legentil, de venir le trouver "avec tout son monde" ce qui est fait à l'aide du canot du bord. A peine ont-ils accosté à l'arrière du sous-marin que quatre Allemands, avec deux bombes, se rendent sur la Primevère, y enlevèrent des lainages, des vivres : pommes de terre, jambon, etc…et font sauter le bâtiment qui coule en dix minutes. Malheureusement, en revenant, les Allemands crevèrent le canot le long du sous-marin. Le commandant de celui-ci, bien embarrassé, se décida à faire descendre les six français à l'intérieur de l'UB39 et s'éloigna en plongée. Vers midi, Français et Allemands partagèrent la soupe du bord et le plat de résistance fut le jambon "emprunté" au Primevère. Un jeune mécanicien de Uboote, qui parlait fort bien le français, annonça en riant à ses "invités" que la croisière allait durer dix jours et qu'ils resteraient avec eux jusqu'à Zeebruge. l'après-midi, il y eut trois alertes. l'on tira le canon contre des vapeurs anglais que l'on manqua à cause du roulis. Le soir arrive avec le même menu qu'à midi et les six français sont autorisés à monter prendre l'air quelques instants sur le pont, ce qui les rassure guère car une plongée est vite faite. La nuit se passe en repos sur le fond et une nouvelle journée s'écoule sans trop d'incidents. Aux repas, le jambon achevé, est remplacé par des boîtes de viande, et le capitaine dira dans sa déposition : "Personne n'est brutal avec nous, pas plus que la veille." Le soir, vers 7 heures, nouvelle alerte, canonnade, puis du kiosque le commandant crie :" En haut les Français, tous." Ils ne se le font pas répéter deux fois. Ils montent sur le pont. Le temps est très beau et un clair de lune laisse apparaître la côte française, qu'ils ne peuvent identifier. Un canot du vapeur suédois Omk est accosté le long du bord, l'oberleutenant les faits embarquer en recommandant "de bien les traiter, car, dit-il, ce sont de braves gens." Quelques instants après, nos sous-mariniers involontaires étaient à bord du suédois. Ils débarquèrent, le 5 décembre, à Dartmouth, puis rapatriés au Havre. Ils furent longuement interrogés sur leur aventure. La déposition du capitaine Legentil fut particulièrement remarquable par l'importance des observations qu'il avait pu faire à bord de l'UB39. Avant leur départ, le commandant du sous-marin leur avait dit dans un sourire ironique : "On ne vous défend même pas sur vos côtes…" C'était là un propos bien imprudent."
En effet, UB39 sera coulé par le bateau-piège Glen le 17 mai 1917.
Source : Albert Chatelle, la base navale du Havre, Editions Medicis, 1949.
N.B. figure dans la liste de JPC et celle d'Ar Brav.
Cordialement.
"La Primevère était une bonne petite goélette de Saint Valéry qui faisait jadis la pêche d'Islande. Mais la pêche à la morue étant un métier d'enfer comme chacun sait, elle avait changé d'affectation et en 1916, elle se livrait au grand cabotage, tout prosaïquement. Le premier jour de décembre 1916, elle quitte Swansea où elle se trouvait depuis 40 jours et met le cap vers la France avec un plein chargement de charbon. Son capitaine, Auguste Legentil, est un vieux routier de la Manche. Il est seul maître à son bord, avec ses cinq hommes d'équipage, y compris le mousse. Trois jours après, au jour naissant, le temps était beau, un peu brumeux, avec faible brise de E.N.E. et pas de houle. L'on voyait droit devant soi à peine à un mille, mais c'était bien suffisant pour cette coquille de noix filant ses 3 noeuds, vent arrière. Et tout à coup, elle se trouva nez à nez avec un sous-marin allemand, dont une partie de l'équipage travaillait à dégager l'avant d'un lourd fragment de filet indicateur qu'il avait traversé et arraché au cours d'une plongée. L'UB39 n'avait pas de pavillon, mais portait sur son étrave une cocarde aux couleurs allemandes peinte sur le gris éraillé de sa coque. Vous pensez bien qu'il n'envoya pas une torpille contre la pauvre Primevère, une torpille presque aussi longue que la moitié du voilier…Il ne se donna même pas la peine de lui envoyer un coup de semonce. Il gouverna de façon à passer à petite distance à l'arrière pour lire au tableau arrière le nom de la goélette et, après en avoir fait le tour, vint stopper à 100 mètres sur son avant. Puis son commandant, l'oberleutenant Kustner fait signe au capitaine Legentil, de venir le trouver "avec tout son monde" ce qui est fait à l'aide du canot du bord. A peine ont-ils accosté à l'arrière du sous-marin que quatre Allemands, avec deux bombes, se rendent sur la Primevère, y enlevèrent des lainages, des vivres : pommes de terre, jambon, etc…et font sauter le bâtiment qui coule en dix minutes. Malheureusement, en revenant, les Allemands crevèrent le canot le long du sous-marin. Le commandant de celui-ci, bien embarrassé, se décida à faire descendre les six français à l'intérieur de l'UB39 et s'éloigna en plongée. Vers midi, Français et Allemands partagèrent la soupe du bord et le plat de résistance fut le jambon "emprunté" au Primevère. Un jeune mécanicien de Uboote, qui parlait fort bien le français, annonça en riant à ses "invités" que la croisière allait durer dix jours et qu'ils resteraient avec eux jusqu'à Zeebruge. l'après-midi, il y eut trois alertes. l'on tira le canon contre des vapeurs anglais que l'on manqua à cause du roulis. Le soir arrive avec le même menu qu'à midi et les six français sont autorisés à monter prendre l'air quelques instants sur le pont, ce qui les rassure guère car une plongée est vite faite. La nuit se passe en repos sur le fond et une nouvelle journée s'écoule sans trop d'incidents. Aux repas, le jambon achevé, est remplacé par des boîtes de viande, et le capitaine dira dans sa déposition : "Personne n'est brutal avec nous, pas plus que la veille." Le soir, vers 7 heures, nouvelle alerte, canonnade, puis du kiosque le commandant crie :" En haut les Français, tous." Ils ne se le font pas répéter deux fois. Ils montent sur le pont. Le temps est très beau et un clair de lune laisse apparaître la côte française, qu'ils ne peuvent identifier. Un canot du vapeur suédois Omk est accosté le long du bord, l'oberleutenant les faits embarquer en recommandant "de bien les traiter, car, dit-il, ce sont de braves gens." Quelques instants après, nos sous-mariniers involontaires étaient à bord du suédois. Ils débarquèrent, le 5 décembre, à Dartmouth, puis rapatriés au Havre. Ils furent longuement interrogés sur leur aventure. La déposition du capitaine Legentil fut particulièrement remarquable par l'importance des observations qu'il avait pu faire à bord de l'UB39. Avant leur départ, le commandant du sous-marin leur avait dit dans un sourire ironique : "On ne vous défend même pas sur vos côtes…" C'était là un propos bien imprudent."
En effet, UB39 sera coulé par le bateau-piège Glen le 17 mai 1917.
Source : Albert Chatelle, la base navale du Havre, Editions Medicis, 1949.
N.B. figure dans la liste de JPC et celle d'Ar Brav.
Cordialement.