Bonjour à tous,
SAINT JEAN
Compagnie Générale Transatlantique
Rencontre avec un sous-marin le 2 Septembre 1918
Traversée Bordeaux New York du 16 Août au 4 Septembre 1918
Rapport du Second Maître canonnier Jacques LAGATHU, chef de section, au Capitaine
Le 2 Septembre 1918 étant de quart sur la passerelle à 07h40 j’ai aperçu vers 100° bâbord et à 2000 m environ un sillage semblable à celui qui serait produit par un kiosque de sous-marin. J’ai averti aussitôt le commandant, le 2e capitaine et le 1er lieutenant. Le commandant a donné de suite l’ordre de mettre au poste de combat puis de tirer. Moins d’une minute plus tard, les pièces étaient prêtes à faire feu.
Tandis que l’on manœuvrait pour venir sur la droite afin de mettre le but dans le champ de tir de la pièce arrière, j’ai suivi sa marche avec un plateau approprié. Dès qu’il fut possible de tirer, un coup est parti dans le gisement indiqué au pointeur qui dût viser l’horizon, le sillage venant de disparaître depuis deux secondes environ. Puis on ne vit plus rien. La pièce fut rechargée, mais il fut inutile de continuer le feu.
A 09h00, le commandant fit rompre du poste de combat. La veille fut doublée jusqu’au lendemain matin 08h00.
De cette attaque, je conclus que si le canon avait été sur un affût modèle 93-97, il aurait été possible de tirer au moins 4 ou 5 coups ce qui aurait pu donner un résultat vu le temps favorable et la position de l’ennemi.
Rapport du capitaine
Le 2 Septembre 1918 le vapeur français SAINT JEAN, de la Compagnie Générale Transatlantique, était par 40°42 N et 61°38 W, faisant route au S79W par mer belle et petits vents d’Est lorsque le Second maître canonnier Lagathu, de veille sur la passerelle, aperçut à un quart sur l’arrière du travers bâbord un sillage suspect. Il le fit voir à Monsieur Troadec, 2e capitaine, à Monsieur Carville, 1er lieutenant et à moi-même, qui étions tous trois sur la passerelle. Ce sillage, dont la nature nous fit fortement soupçonner la présence d’un submersible, me fit venir à droite toute pour présenter l’arrière. Mis au poste de combat et donné 5 ou 6 coups de sifflet brefs pour attirer l’attention du vapeur SAINT ANDRE, de la même compagnie, qui était sur tribord arrière à 2500 m et avec lequel nous naviguions de conserve depuis Bordeaux.
Ce sillage était à 2000 m et formait une écume blanche semblable à celle faite par l’avant d’un navire en marche. Il fut aperçu 4 minutes, temps nécessaire pour mettre la barre à droite toute et pour présenter l’arrière du SAINT JEAN. Il disparut juste au moment où le navire se trouvait dans cette dernière position. L’équipage attendit que le but soit dans le champ de tir de l’arrière et n’avait pu faire feu aussitôt le sillage aperçu. Le coup envoyé ne donna aucun résultat, car le sillage avait disparu quelques secondes avant. Conservé la route au N28W puis, ne voyant plus rien, conservé le personnel au poste de combat et repris la route au S79W à la vitesse de 10 nœuds. Il y avait, je crois, de grandes chances pour que le sous-marin ne puisse nous rattraper qu’en surface et le temps étant favorable pour voir le sillage et la veille doublée et très attentive, armés et prêts comme nous l’étions, nous ne craignions rien.
Tout ayant disparu, j’ai eu des doutes sur la nature du sillage et, bien que présumant qu’il ne devait être dû qu’à un submersible, je craignais d’être victime d’une illusion et pensais à une réverbération provoquée par les nuages et le soleil sur la surface de la mer.
Après avoir signalé l’incident à mon collègue du SAINT ANDRE, le capitaine de ce navire, Monsieur Robert, m’informa que son canonnier de veille avait lui aussi aperçu au même moment un sillage suspect et en avait averti la passerelle.
Le lendemain vers 11h00, un avis provenant d’un navire de guerre a donné la position d’un sous-marin par 41°19 N et 64°03 W. En rapprochant ces faits, mes doutes sur la nature du sillage se sont évanouis et tout me fait croire qu’il y avait bien un sous-marin.
De cet incident, je conclue que la présence d’un sous-marin qui cherchait à nous lancer une torpille par notre travers et marchait à toute vitesse, ne pouvant nous rattraper qu’en surface. Se voyant démasqué par notre brusque changement de route, il n’a pas hésité à abandonner son intention en présence de deux navires armés filant dix nœuds et prêts à faire feu sur lui.
Cette vitesse de dix nœuds, et aussi la navigation faite de concert avec SAINT ANDRE, ajoutées à la veille attentive du personnel (avec mention spéciale pour le second maître Lagathu) ont été les causes de la non-réussite de l’entreprise du sous-marin.
Je termine ce rapport, dont le but est de permettre aux autorités maritimes compétentes de tirer des conclusions sur la façon d’opérer des sous-marins ennemis, en signalant le calme et le sang froid montré par tout le personnel et en regrettant que la pièce de 140 mm arrière, n’ait pu, suite à la limitation de son champ de tir, tirer plus tôt. Il y aurait eu de fortes chances, à mon avis, pour que le sillage ait été atteint.
Voici la signature assez peu lisible du capitaine du SAINT JEAN.
Et une photo du SAINT ANDRE qui accompagnait donc le SAINT JEAN.
(Source: Yvon Perchoc, navires français avant 1970)
Le sous-marin aperçu
Deux grands sous-marins ont croisé vers cette époque au large de la Nouvelle Ecosse :
- U 117 du Kptlt Otto DRÖSCHER
- U 156 du Kptlt Richard FELDT
La date du 2 Septembre correspondrait mieux pour le premier qui était sur la zone fin Août.
A tout hasard, voici la silhouette de l’U 156, dessinée par les hommes du schooner canadien avec moteur auxiliaire DORNFONTEIN coulé le 2 Août 1918. L’U 156 avait aussi coulé le croiseur américain SAN DIEGO le 18 Juillet 1918.
Cdlt