Bonjour à tous,
LOUISIANE
Voici quelques renseignements complémentaires sur les torpillages de LOUISIANE et SILIUS.
LOUISIANE avait quitté La Nouvelle Orléans le 9 Février 1916. Après une escale à Newport News les 17 et 18 Février, le navire avait traversé l’Atlantique avec une météo plutôt favorable pour la saison. Il avait embarqué une seule passagère pour la France. Il était arrivé sur rade du Havre le 6 Mars à 23h30. L’arraisonnement avait eu lieu très tôt le 7 Mars et il avait reçu l’ordre d’aller mouiller en dehors de l’alignement bouée A2/feu du cap de La Hève.
La rade était encombrée et il y avait de forts grains de neige. Le 7 vers midi, le commandant changea de mouillage et alla se placer sur des fonds de 10m, dans le S22W de La Hève, un peu au nord de la bouée sud de La Carosse.
Le 9 Mars à 22h10, il était toujours en attente à ce mouillage, tous feux éteints, sauf les feux réglementaires de mouillage.
Vent faible de NNE. Mer clapoteuse.
Le navire est alors ébranlé par une forte secousse. Il vient d’être torpillé, la torpille ayant frappé dans le compartiment machine et chaufferie.
Le capitaine Leprêtre, qui venait d’aller se coucher mais ne dormait pas, monte aussitôt sur la passerelle et constate que le navire s’enfonce rapidement.
Le canot n° 7 est mis à l’eau, non sans difficultés dans la nuit noire, toutes les lumières du bord s’étant éteintes. Il s’écarte avec son armement, la passagère, et le chauffeur Leroy, blessé par l’explosion alors qu’il était de quart dans la machine.
Le navire s’enfonce parfaitement droit. Sur le pont principal, le second capitaine Curie a déjà de l’eau jusqu’aux genoux. Il dirige la mise à l’eau du petit canot n° 1, les autres étant devenus inaccessibles.
Le reste de l’équipage parvient à y prendre place, à l’exception du second capitaine qui lui donne alors l’ordre de s ‘éloigner rapidement pour ne pas être aspiré par le remous. Lui-même se jette à l’eau pour tenter de le rejoindre à la nage.
Seul reste sur la passerelle le capitaine. S’étant assuré que plus personne ne semble être à bord, il saute à son tour à l’eau et se hisse sur le canot 1. C’est alors qu’il aperçoit une forme humaine accrochée au bossoir avant du canot 1. Il plonge à nouveau, regagne le navire et attrape cet homme qui était le cuisinier équipage. Mais il a beaucoup de mal à nager en le traînant avec lui et doit s’agripper à un garant d’embarcation qui pend dans la mer. Le canot 1 parvient à récupérer le capitaine et le second, ainsi que le cuisinier, transis et à bout de force.
Le canot 1 va accoster le vapeur suédois HOLLANDIA et y débarque capitaine, second et quelques hommes qui sont aussitôt réconfortés. Les autres restent dans le canot et font route vers la terre qu’ils accostent à minuit. Les marins récupérés par le HOLLANDIA seront plus tard transférés sur l’arraisonneur NEPTUNE qui les conduira à terre.
Dès qu’il avait entendu l’explosion, le second du HOLLANDIA avait fait route sur le LOUISIANE avec une « petrolita » (nota : sans doute petit canot à moteur) et avait récupéré un homme de l’équipage, boulanger, qui s’était jeté à la mer sans attendre la mise à l’eau des canots.
Le canot 7, sous les ordres des lieutenants Morellet et Morin, avait accosté le vapeur norvégien OTTO sur lequel les naufragés avaient embarqué. Puis Morin était revenu sur les lieux du torpillage avec une chaloupe et quatre hommes de l’OTTO, pour voir s’il n’y avait pas d’autres rescapés. C’est alors qu’il avait entendu l’explosion du SILIUS. Les naufragés embarqués sur l’OTTO seront ensuite transférés sur le torpilleur 278.
Enquête
La commission d’enquête va entendre les marins suivants :
LEPRETRE Maurice CLC 36 ans Capitaine Rapport ci-dessus
CURIE Edouard CLC 33 ans 2e capitaine Confirme en tous points le rapport du capitaine
MORILLET Alaric CLC 32 ans 1er lieutenant Etait de quart sur la passerelle au moment du torpillage. A nettement entendu le bruit d’un moteur semblable à un moteur d’aéroplane avant l’explosion.
Se trouvait à bord du HOLLANDIA quand il a entendu l’explosion du SILIUS environ 1h10 après celle du LOUISIANNE.
MORIN Joseph CLC 28 ans 2e lieutenant Est retourné sur les lieux du naufrage avec un canot et quatre hommes du HOLLANDIA. S’y trouvait lorsqu’il a entendu l’explosion du SILIUS.
DERVE François 53 ans Chef mécanicien Estime que
Mr PELLOQUIN, 3e mécanicien, se trouvait au parquet inférieur situé à 4 mètres sous la flottaison et qu’il a été tué par l’explosion.
ALLAIN Pierre 29 ans 2nd mécanicien Venait juste de quitter le quart à 22h00, laissant la responsabilité à Mr. Pelloquin, 3e mécanicien, disparu dans le naufrage.
SECQ Matelot sénégalais de quart à la passerelle au moment du torpillage. A entendu un bruit. Se disposait à avertir l’officier de quart quand l’explosion s’est produite.
DUCOLOMBIER Jean 29 ans Graisseur Etait de quart à la machine. A cru à l’abordage du navire par un remorqueur.
LEROY Eugène 35 ans Chauffeur Avait pris le quart à 22h00 et venait de recevoir l’ordre de Mr Pelloquin de décrasser les fourneaux. Commençait celui de tribord quand l’explosion s’est produite. A été projeté sur un tas d’escarbilles et blessé par des projections de tôles. S’est relevé, mais s’est retrouvé en un instant avec de l’eau jusqu’au cou. Malgré l’obscurité complète et la fumée, a réussi à trouver l’échelle de secours et à remonter sur le pont. A été placé dans une embarcation et ramené à terre.
COUSIN César 47 ans 1er boulanger A entendu le bruit d’un moteur d’aéroplane avant l’explosion et a vu une grande gerbe d’eau et de la fumée après.
CASQUET Roger 17 ans 3e boulanger A vu une lueur balayer la surface de l’eau après l’explosion. Toutefois la commission déclare que son témoignage est sujet à caution, car il a du confondre cette lueur avec celle des deux bouées lumineuses jetées à l’eau après le torpillage.
(Casquet est peut-être le boulanger qui s’est jeté à la mer et a été repêché par le second du HOLLANDIA, mais sans certitude)
Réaction des autorités
Bien sûr, ce double torpillage sur rade du Havre interpelle les autorités maritimes qui se posent des questions sur l’efficacité de la surveillance.
Dès le 10 Mars, le Capitaine de Vaisseau OLLIVIER, commandant le front de mer, envoie une note au préfet maritime de Cherbourg pour expliquer ce qui a pu se passer.
« Vers 22h00 hier soir, le vapeur de la Compagnie Générale Transatlantique LOUISIANE a été coulé. Quelques minutes plus tard, le voilier norvégien SILIUS était également coulé. Le commandant du front de mer procèdera aujourd’hui à l’interrogatoire des équipages torpillés. Les PV vous seront transmis le plus tôt possible.
En attendant cette documentation qui permettra d’élucider complètement les causes de la perte des deux bâtiments coulés, je vous adresse les renseignements de la première heure.
Le second du SILIUS a entendu un bruit de moteur en l’air. Il a vu des bombes et des éclats tomber sur l’eau et sur le pont. Le SILIUS a chaviré sur bâbord en coulant et trois hommes ont été noyés.
Le commandant du torpilleur 276, en patrouille dans le secteur sud, a entendu une première détonation qu’il a cru venir d’un coup de canon dans la direction de la Hève. Il a fait route nord. Il a entendu une seconde détonation paraissant venir du sud. Il a alors viré de bord et fait route sur le SILIUS dont il a fait le tour et recueilli l’équipage.
Le torpilleur 301 de surveillance dans le secteur nord, l’arraisonneuse et le dragueur de service n’ont rien entendu. De même pour les services du Front de mer.
L’alerte donnée, le torpilleur 278, de veille, s’est porté sur rade pour transmettre les ordres aux autres torpilleurs. Il n’a rien vu et rien entendu.
Les trois autres torpilleurs disponibles ainsi que le CLAYMORE sont sortis de la citadelle vers 01h00 du matin et sont restés toute la nuit à patrouiller sans rien voir de suspect.
Il est probable que nous avons eu à faire cette nuit à un sous-marin naviguant en surface qui a lancé des torpilles et des bombes. LOUISIANE était mouillé par 9m de fond non loin de la bouée sud de La Carosse. SILIUS était à 500 m dans l’ouest. Le sous-marin a du se présenter dans l’ouest de la rade de La Carosse, faire route dans le secteur blanc du feu des Falaises des Fonds, virer de bord vers la bouée sud pour attaquer LOUISIANE et SILIUS en les laissant par tribord. »
Puis le Contre-Amiral BIARD, commandant Marine Le Havre et Gouverneur militaire de la ville, envoie des propositions au Préfet Maritime.
« Je vous adresse des propositions concernant les mesures à prendre à l’égard des bâtiments mouillés sur rade de La Carosse dans le cas où une force navale allemande viendrait à franchir le Pas de Calais.
- Si les heures de marées s’y prêtent, faire entrer en Seine le plus grand nombre possible de bâtiments, en commençant par les alliés et les neutres transportant du matériel pour le gouvernement.
- S’il en est temps, ordonner à tous les bâtiments qui ne pourraient rentrer en Seine d’appareiller immédiatement et de faire route vers l’ouest en se disséminant dans les divers mouillages de la côte entre Ouistreham et La Hougue.
- J’ai pris l’avis du l’ingénieur en chef des ponts et chaussées et de plusieurs officiers du pilotage sur la rentrée des bâtiments dans les bassins du Havre. Tous sont unanimes à déclarer que cette solution constitue un danger et doit être évitée à tous prix. La plupart sont même d’avis (que je trouve exagéré) de faire plutôt évacuer les bassins.
Il faut toutefois reconnaître que si la Seine constitue un abri, ce n’est pas le cas des bassins, soumis aux mêmes risques de bombardement que la ville. Il est préférable de voir les bâtiments couler sur rade que dans les bassins.
- Vous me conseillez de faire mouiller les bâtiments le plus près possible de terre. Cette mesure est appliquée depuis longtemps au Havre, mais n’est efficace qu’en cas d’attaque par sous-marin, et encore ! Un sous-marin peut attaquer en surface et n’être en rien gêné par cette mesure. Elle n’est d’aucune utilité en cas de bombardement de la ville et du port, tous les coups courts étant destinés aux bâtiments au mouillage.
La seule mesure véritablement efficace consisterait à empêcher la rade de se remplir en déroutant sur Cherbourg ou Portland tous les navires de plus de 5m de tirant d’eau, et à destination de Rouen les autres. »
Enfin, le préfet maritime demande que quatre torpilleurs soient en permanence affecté à la surveillance de la rade.
Une note lui est alors envoyée, en réponse, par le commandant du TROMBE, commandant supérieur des torpilleurs détachés au Havre.
« Amiral,
Jusqu’à présent, nous avions trois torpilleurs de service : deux allant en mer et le troisième se tenant sur une bouée de service de l’avant port pour assurer les communications avec ceux du large.
Vous venez de me dire que vous voulez désormais trois torpilleurs au large et un quatrième sur bouée.
Ce matin, nous avons au Havre 6 torpilleurs : 295, 292, 276, 278, 300 et 301 + le TROMBE.
TROMBE et 301 sont en cale sèche.
300 est indisponible avec ses tuyautages de vapeur en réfection.
295 a besoin de deux jours pour remettre en état son cheval alimentaire (nota : pompe principale)
276 a des « broutements » sur son cylindre MP qui deviennent inquiétants et peuvent entraîner une avarie grave du cylindre lui-même. De plus il vient de mettre bas les feux sur une chaudière, un joint d’extraction ayant sauté.
Je suis obligé de mettre en réparations 276 et il ne me reste plus que deux torpilleurs pour assurer le service.
Dans ces conditions, il me paraît impossible d’augmenter le nombre de bâtiments en patrouille et d’assurer une veille efficace. Je crains que les avaries ne deviennent de plus en plus graves et que nous nous trouvions avec un nombre tellement restreint de torpilleurs que cette veille ne devienne tout à fait illusoire. »
Signé Lieutenant de Vaisseau LANOE Commandant du TROMBE.
Cette note ( sans doute peu appréciée par les hauts gradés) mettait toutefois en évidence la fragilité de ces torpilleurs et les difficultés des responsables aux prises avec des problèmes inextricables et insolubles.
Pour terminer, signalons que l’OTTO, petit vapeur norvégien de 400 tx lancé en 1915 sera à son tour torpillé le 15 Janvier 1917, à dix milles au NW de Belle Ile au cours d’une traversée Middlesbrough - Saint Nazaire, par l’UC 18 de l’OL Wilhelm Kiel.
Quant au HOLLANDIA, vapeur suédois de 1115 tx lancé en 1912, sa destination était Rouen où il montera quelques jours plus tard. Mais il sera lui aussi torpillé trois semaines plus tard, le 31 Mars, se rendant sur lest de Rouen à Rotterdam, et alors qu’il était arrivé au mouillage de Galloper, le sous-marin attaquant étant l’UB 6 de l’OL Ernst Voigt.
Voici le HOLLANDIA (source U-boat.net)
Ajoutons enfin que le second capitaine Edouard Curie et le second mécanicien Pierre Allain (tous deux Croix de Guerre) feront par la suite une belle carrière à la Compagnie Générale Transatlantique. Sur la bible Transat de 1935, on les retrouve respectivement commandant de 1ère classe et chef mécanicien de 1ère classe. On peut penser qu'il naviguaient alors sur les grands paquebots de la compagnie.
Cdlt