Bonjour à tous,
TEXAS
Rapport de mer du premier maître pilote BOUDENEC. Patrouilleurs de Bretagne. Service des convois de Roscanvel. Voyage en convoi Brest-Quiberon. TEXAS n° 2 de la ligne.
Embarqué le 28 Novembre 1917 sur le vapeur français TEXAS venant d’Amérique et allant à Bordeaux avec un chargement de farine. Appareillé à 14h30 et sorti par la passe Nord du goulet. Passé Le Toulinguet à 16h45. Le convoyeur signale de se former en colonne, par division, au Raz de Sein. Pris cette formation, TEXAS à tribord à 800 m du n° 1.
Le 29 à 00h45, le n° 1 ayant diminué sa vitesse, passé à 6 nœuds, puis 5 nœuds.
A 01h30, le patrouilleur américain nous dit à la voix de faire route à 8 nœuds sur Quiberon. Nous étions alors à 4 milles dans l’WSW de Groix Pen Men. Augmenté la vitesse et passé au Nord de Groix.
A 02h15, TEXAS est en tête du convoi. Demandé au patrouilleur s’il fallait conserver ce poste. Il répond : »Oui, puisque vous avez un pilote. Faites routes sur Quiberon à 8 nœuds.
A 03h53, je venais de sortir de la chambre de veille où j’avais porté sur la carte le point de 03h50 quand je ressens une secousse terrible, accompagnée d’une trombe d’eau, qui remue le TEXAS come un vulgaire canot. Nous étions à 2 milles dans le N80W de la tourelle des Chevignettes. C’était sans aucun doute un torpillage ou la rencontre d’une mine. Le capitaine fait aussitôt mettre au poste d’évacuation, où se rend l’équipage. Les embarcations sont prêtes à être amenées.
Le bateau ayant pris une forte gite sur tribord, les embarcations de bâbord sont amenées à quelques mètres au dessus de l’eau, de façon à pouvoir les mettre rapidement à la mer le cas échéant.
Le premier moment de surprise passé, et voyant que, bien que très enfoncé de l’avant, la bateau conservait de la flottabilité et que la machine pouvait tourner, remis au poste de manœuvre et décidé d’échouer le TEXAS sur le banc de la Croix, à Groix, afin d’essayer de le sauver, ainsi que son importante cargaison. Etant à 5 milles du point choisi, fait route sur ce point où nous sommes arrivés à 05h00. Mouillé à pleine mer, par 14 m d’au, dans la partie Est du banc de Croix. Vu le grand tirant d’eau avant qui avait atteint 12 m, il a été difficile de gouverner pendant tout le trajet.
A 07h00, le bateau s’enfonçait de plus en plus de l’avant. La mer baissant, l’avant a finalement touché le fond. Bien qu’il n’y ait eu que peu de houle, les secousses ébranlaient fortement la coque et la mâture. Nous avons tenté d’appareiller pour nous mettre en meilleure posture, mais il a été impossible de bouger le navire.
Monsieur le Contre Amiral Major Général et le Directeur des mouvements du port de Lorient sont alors venus à bord et ont fait envoyer des remorqueurs.
A 13h30, remorqué TEXAS dans le Nord du feu de la Croix et l’échouons par des fonds de 7 m à basse mer, à l’abri de la houle de Sud, Ouest et même Nord-Ouest. On peut alors le considérer comme sauvé ainsi qu’une grande partie de la cargaison.
Après le naufrage, l’admirable sang froid du capitaine Viard, très bien secondé par ses officiers tant du pont que de la machine a largement contribué à maintenir le bon ordre et la discipline qui n’ont jamais cessé d’exister. Le signal SOS a été lancé à plusieurs reprises.
Au moment du torpillage, un patrouilleur américain se trouvait à 300 m à 2 quarts sur notre arrière et la canonnière ISERE au même relèvement à 300 m plus au large.
L’un des canonniers dit avoir vu le sillage de la torpille à quelques mètres du bord seulement, venant de deux quarts sur l’arrière tribord. Comme les deux patrouilleurs étaient de ce côté, on peut supposer qu’elle est passée très près d’eux, peut-être même au dessous de ces deux bateaux. Le 2e patrouilleur nous a accompagnés jusqu’au mouillage, puis est resté en surveillance au tour de nous jusqu’au jour.
Note du sous-secrétaire d’Etat au ravitaillement au Ministre de la Marine. 6 Décembre 1917
Le vapeur TEXAS ayant été torpillé a du être amené à Lorient pour y effectuer son déchargement, au lieu de continuer sa route sur Nantes.
Je suis dans l’obligation de diriger sur Nantes sa cargaison car les possibilités de magasinage et d’évacuation de Lorient ne permettent pas d’y débarquer des marchandises aussi précieuses que la farine qui doit être livrée immédiatement à la consommation.
Je vous demande de bien vouloir prendre des dispositions pour que les caboteurs BESSE et MARIE THERESE qui effectueront le transport de la marchandise de Lorient sur Nantes soient escortés de façon à éviter tout accident en cours de route. Ces vapeurs chargent actuellement à Lorient.
Interrogatoire du capitaine VIARD
Le capitaine dut répondre aux questions suivantes :
1. Pourquoi le capitaine n’était-il pas dans la chambre de veille ?
La couchette est insuffisante pour la taille du commandant. De sa cabine, qui est immédiatement sous la passerelle, il donne plus facilement les ordres. Les cartes se trouvant dans la chambre de veille, il eut été dérangé à chaque instant. La nuit précédent avait été pour ainsi dire sans sommeil.
La commission d’enquête a vérifié sur place l’exactitude des faits rapportés. Elle exprime l’avis que la chambre de veille est réellement insuffisante et mal disposée. La couchette porterait tout juste un enfant.
2. Quelles étaient les portes étanches non fermées ?
Les portes du tunnel et des soutes à charbon.
3. En quoi a consisté le flottement de l’équipage ?
Il y a eu un peu de précipitation de la part de certains hommes et deux d’entre eux ont embarqué sans ordre dans le youyou. Mais il a suffi d’un mot du capitaine pour les ramener à leur devoir.
4. Pourquoi TEXAS n’avait-il pas la carte de la baie de Quiberon ?
Le capitaine déclare qu’il possédait les cartes des mouillages usuels et des ports et rades, mais qu’il n’avait pas cette carte du fait qu’on allait jamais à Quiberon en temps normal.
La commission demande que les cartes de toutes les côtes de France où leur navire pourrait relâcher soient fournies aux capitaines.
Rapport de l’officier AMBC
Avant : 1 canon de 90 mm matricule 77 sur affut en position verticale
Arrière : 1 canon de 65 mm modèle 1904
Officier de tir : Monsieur Moricet, lieutenant
Adjudant de tir avant : Guezennec, matelot du commerce
Pointeur Evrard, servant de hausse Ballet, servant de culasse Lavenue, chargeur Madec, Pourvoyeurs Bideau.
Adjudant de tir arrière : Le Bourdelles, matelot du commerce
Pointeur Le Corvaisier, servant de hausse Le Verge, servant de culasse Malcafal, chargeur Fauquembergue, pourvoyeurs Gouriard et Chapu.
Ce rôle n’est pas conforme, pour les armements de pièces à la circulaire du 4 Novembre 1917. Le personnel a été réparti au mieux de ses connaissances et de sa force musculaire. L’officier de tir a reçu l’instruction au centre du Havre. Au retour d’Am érique, un tir de 2 coups par pièce a été exécuté.
Le parc de la pièce avant était approvisionné à 25 coups, celui de la pièce arrière à 12 coups, plus 48 placés à 5 m de la pièce.
La veille était assurée par 6 hommes : 2 pièce avant, 2 pièce arrière, 1 vigie, 1 passerelle supérieure. Le sous-marin n’a pas été vu et TEXAS n’a pas tiré.
Voici les instructions du capitaine pour la veille
Rapport de la Commission d’enquête
Le 29 Novembre 1917, le vapeur français TEXAS se rendant en convoi de Brest à Quiberon a subi à sa partie avant une violente explosion provenant d’une mine ou d’une torpille. Le capitaine pense que c’est une torpille, d’autant plus que le canonnier avant en a vu le sillage. Selon les experts, les morceaux de métal recueillis à bord du TEXAS ne peuvent provenir d’une mine. Ces morceaux sont en tôle mince, étamée intérieurement avec une surface extérieure polie. Ils proviennent d’un cône de charge d’une torpille et deux pièces en métal nickelé, également recueillies, proviennent de la pointe percutante ou de la machinerie d’une torpille.
Le navire a pris de la gite sur tribord et apiqué de l’avant. En raison de la gite qu’il redoutait de voir augmenter, le capitaine a mis aux postes d’embarcation. Mais constatant que le navire continuait à flotter, que la forte entrée d’eau ne s’était pas produite dans les cales 1 et 2, il a fait rompre ce poste et a indiqué qu’il n’était plus maître de sa manœuvre. Il a fait route pour venir mouiller sous l’île de Groix. Toutes ces manœuvres logiques, prises avec décision et rapidité, ont permis de sauver le bâtiment.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UB 59 du Kptlt Erwin WASSNER
Récompenses
Citation à l’Ordre de l’Armée
VIARD Albert André CLC, LV auxiliaire
Par son esprit de décision, son sang froid et son énergie, a réussi à conserver son navire torpillé.
Citation à l’Ordre du Corps d’Armée
DONNIO Alexandre Chef mécanicien
MOUREAU Charles 2e capitaine
BRUNE Maurice 4e mécanicien
THEBAULT Jean Maître d’équipage
Se sont signalés par leur énergie et leur autorité sur leur personnel en luttant pour conserver à flot leur bâtiment torpillé.
SOLGRAIN Hilaire Charpentier
LE BIHAN Yves Graisseur
Pour le sang froid et l’énergie exceptionnels dont ils ont fait preuve en concourant au sauvetage de leur navire torpillé.
Citation à l’Ordre de la Brigade
COYECQUE Marcel 2e lieutenant
S’est signalé par son sang froid et son énergie lors du torpillage de son navire.
FRY John Timonier anglais
A fait preuve de beaucoup de zèle et de courageux dévouement lors du torpillage d’un navire français sur lequel il était embarqué.
Témoignage Officiel de Satisfaction du Ministre
Vapeur TEXAS
Pour l’énergie et le dévouement dont tout l’équipage a fait preuve en luttant pour maintenir à flot leur navire torpillé le 29 Novembre 1917.
Cdlt