Bonjour à tous,
Rencontre avec un sous-marin le 25 Février 1918.
Rapport du capitaine
Le 25 Février à 02h00 du matin, après avoir doublé la pointe Elbow, faisant route au S50W à 8milles de la côte par bonne brise d’Est et mer agitée, un sous-marin, qui malgré une veille attentive n’avait pas été détecté, a ouvert sur nous un feu nourri et précis. Prévenu par l’officier de quart, suis monté sur la passerelle pour prendre la direction de la manœuvre. Fait mettre aux postes de combat et forcer la vapeur. Lancé SOS qui sont demeurés sans réponse. Riposté avec notre pièce de 90 mm arrière sur l’avis de l’EV, le tir de l’ennemi devenant dangereux.
Ne pouvant voir le sous-marin qui était dans une position avantageuse par rapport à nous qui étions éclairés par la lune, notre tir n’a pu être conduit en direction qu’en se basant sur la flamme des canons ennemis, et en portée sur le temps qui s’écoulait entre la flamme et la chute du projectile. La distance approximative devait être de 4000 m. Mais le tir de l’ennemi était réglé depuis le début et se précisait de plus en plus, devenant encadrant. Les obus tombaient à quelques mètres seulement du bord, soulevant des gerbes énormes qui justifiaient de la puissance des canons ennemis. Commencé à faire des zigzags au 8e coup ce qui a obligé le sous-marin à cesser le feu quelques instants, pour le reprendre ensuite avec la même précision. Les manœuvres devaient dérégler son tir et notre vitesse était passée à 11,5 nœuds. Au dernier coup tiré par nous, le sous-marin a cessé le feu ce qui m’a fait supposer qu’un projectile avait du tomber près de lui et que la manœuvre visant à s’écarter de la lune avait augmenté les difficultés de réglage de son tir.
Continué à marcher à grande vitesse en nous rapprochant de la côte, ce que je n’avais pu faire au début, car cela nous aurait rapprochés du sous-marin.
Avons tiré 12 coups de canon et le sous-marin entre 30 et 35. Le combat a duré de 02h10 à, 02h55. Calme et esprit de décision au dessus de tout éloge à bord. Les passagers qui étaient sur le pont au moment de l’attaque se sont réfugiés aussitôt dans le spardeck n° 3 jusqu’à la fin du combat.
A 07h00 du matin, un vapeur de gros tonnage probablement neutre, qui se trouvait à 30° sur bâbord arrière à 5 ou 6 milles, a été attaqué par un sous-marin dont nous n’avons pu apercevoir que la lueur des pièces au départ des coups. Ce sous-marin était à trois quarts sur notre bâbord arrière. Un coup du sous-marin est tombé sur l’avant de la passerelle du vapeur et de la fumée s’en est dégagée ; Le vapeur a ralenti et arboré son pavillon national et hissé au marocain un signal à 4 signes (probablement son numéro). Le sous-marin a continué à canonner, puis à 08h00 a disparu à l’horizon.
Continué notre route et lancé un « Allo » donnant notre position. Toujours pas de réponse.
Je signale tout particulièrement la belle attitude de l’Enseigne de Vaisseau JOTTE-LATOUCHE, commandant la 16e équipe qui s’est tenu près de moi et m’a prêté son précieux concours en cette pénible circonstance.
Mr. MONIER, 2e capitaine de quart au moment de l’attaque, déjà décoré de la Croix de Guerre, qui a montré beaucoup de sang froid et organisé un sauvetage éventuel.
Mr. GIUDICELLI Paul, lieutenant, a dirigé le tir en utilisant judicieusement les circonstances du moment et a fait preuve de beaucoup de sang froid, d’énergie et d’esprit de décision.
Mr. DAMOISIN Jean, chef mécanicien, a pris la direction du service machine au premier coup de canon, n’hésitant pas à jeter de l’huile sur le charbon pour obtenir le meilleur rendement ce qui a facilité l’augmentation d’allure et le déréglage du tir de l’ennemi.
Mr. BEVEN, second mécanicien, qui n’était pas de quart, est descendu dans la machine et a prêté son concours avec dévouement à son chef mécanicien.
Mr. Ange POLI, 3e mécanicien, de quart au moment de l’attaque, est resté à son poste montrant beaucoup de zèle et de courage.
Les trois canonniers BERGER, BLANC et FABRE ont parfaitement exécuté les ordres de l’officier de tir et ont montré beaucoup de sang froid.
FRANCESCHI, maître d’équipage, et MATTEI, matelot, sont restés sur la passerelle sous mes ordres et ont montré beaucoup de sang froid.
Nota, le capitaine remercie ensuite la presque totalité de l’équipage.
Rapport de l’Enseigne de Vaisseau JOTTE-LATOUCHE, commandant la 16e équipe spéciale
J’avais quitté la passerelle à 22h45 sans que rien d’anormal ne soit signalé. Les courants portant à terre, le commandant avait légèrement déboité à la nuit. A 01h20, l’officier de quart cherchait à découvrir avec ses jumelles les collines de la Déception par le travers desquelles l’estime le plaçait et l’homme de veille de bâbord veillait avec ses jumelles le travers. C’est alors qu’ils virent l’éclair d’un coup de feu. Personne n’avait vu le sous-marin.
Je suis arrivé sur la passerelle pour voir le départ du second coup, très légèrement sur l’arrière du travers bâbord. Pas de point de chute observé. L’ennemi semble tirer des obus à balles. On en aperçoit l’éclatement caractéristique quelques instants après. Nous nous efforçons de découvrir le sous-marin, mais ne voyons que les lueurs de son tir. Les hommes se couchent à plat pont, le plus bas possible, pour essayer de découvrir sa coque, mais nul ne la voit. Après 6 ou 7 coups, le sous-marin cesse de tirer à balles et emploie des obus percutants. DRAA file alors 9,5 nœuds en faisant des zigzags. J’estime la distance du sous-marin à 4000 m et il cherche à nous maintenir dans le reflet de la lune. Bien qu’encadrants, ses obus manquent de précision. Bons en direction, ils tombent soit très longs, soit très court d’environ 500 m.
D’accord avec le commandant, nous venons de 40° sur tribord pour sortir du reflet de la lune et obliger le sous-marin à se rapprocher. Si je peux l’apercevoir, j’ouvrirai alors un feu nourri sur lui avec les 75 mm dont il ignore la présence et j’aurai quelques chances de l’atteindre…
Malgré ce crochet sur la droite, le sous-marin continue à tirer sans se rapprocher. Son tir devient remarquablement précis et aucun coup ne tombe à plus de 25 m du bord. Il tire lentement, par salves avec deux pièces probablement de 150 mm
(nota : U 152 était en fait armé de deux canons de 105 mm). Constatant que le tir devient dangereux, je donne l’ordre d’ouvrir le feu avec le 90 mm, si toutefois on peut découvrir le sous-marin. Vers 03h00, le sous-marin tire un dernier coup qui tombe à 10 m du bord.
Tout le monde reste au poste de combat et la veille est faite avec le plus grand soin car on attend un retour offensif au lever du jour.
A 05h30, à l’aube, on aperçoit un gros cargo que l’on suppose être le norvégien aperçu la veille, qui n’a ni canon ni TSF. A 06h00, deux lueurs apparaissent à tribord du cargo et les coups tombent près de lui. Tir encadrant, mais écarts au but considérable ce qui laisse à penser que le sous-marin attaque à grande distance. On ne l’aperçoit pas. Le cargo est à 11000 m (distance télémétrique) et le sous-marin doit être à au moins 20000 m du DRAA. Lançons un « Allo » avec la position, mais pas de réponse.
Le cargo fuit devant le sous-marin en zigzaguant, puis hisse son pavillon et un signal. Au bout d’un quart d’heure il est atteint par un obus et une fumée blanchâtre s’élève de l’avant. Le sous-marin cesse alors son tir, le reprend quelques minutes plus tard avec 2 ou 3 coups, puis cesse définitivement. Nous sommes à 16000 m du cargo et nous attendons à être attaqué à nouveau quand le sous-marin aura reconnu que le cargo est un neutre. Nous filons 11 nœuds et perdons le cargo de vue. Aucune attaque ne se produit dans la journée et à aucun moment le sous-marin n’est aperçu.
Pendant tout le combat, attitude digne du personnel du bord et de l’équipe spéciale.
Je signale l’attitude remarquable du commandant, au dessus de tout éloge. Il a été un exemple de calme, de sang froid et de mépris du danger pour ses officiers et son équipage. Ascendant considérable sur ses hommes. Il est certain qu’en toute circonstance il accomplira son devoir jusqu’au bout.
Belle attitude du second capitaine du lieutenant et du chef mécanicien.
Déposition du lieutenant Paul GIUDICELLI
Je suis monté sur le pont 3 ou 4 minutes après l’alerte. Quand j’ai pris la direction du tir, un coup avait été tiré sur ordre de la passerelle.
Le chef de pièce, qui avait de suite rejoint l’homme de veille avait tiré avec une hausse de 3500 m.
J’ai alors ordonné une hausse à 4500 m avec dérive à 110. La vitesse du tir est difficile à préciser car nous avons réglé notre tir sur celui du sous-marin qui tirait de façon irrégulière.
Rapport de la commission d’enquête
Il résulte du rapport du capitaine, de celui de l’Enseigne de Vaisseau commandant la 16e équipe, de l’interrogatoire des officiers et de quelques hommes d’équipage que DRAA a été attaqué le 25 Février à 02h00 du matin par beau temps clair et nuit de pleine lune sur la route côtière prescrite à ce vapeur pour aller de Gibraltar à Dakar.
Le sous-marin avait l’avantage au point de vue éclairage, mais aucun projectile ennemi n’a atteint le bâtiment. Toutefois, un éclat a été retrouvé sur le pont à l’arrivée à Dakar, preuve que le tir était précis.
Pendant tout le combat, le but du capitaine a été de sauver son bâtiment. Il n’a pas tenté une action offensive comme lui en donnait l’occasion la présence d’une équipe spéciale pendant cette attaque de nuit et l’attaque d’un vapeur de gros tonnage qui a suivi vers 07h00 sur son arrière.
La commission regrette de n’avoir pu entendre Mr. L’Enseigne de Vaisseau JOTTE-LATOUCHE, embarqué sur EUROPE le jour même de son arrivée à Dakar, car son rapport écrit est en contradiction avec celui du QM chef de pièce et de l’officier de tir du DRAA. Il dit en effet :
« Au début du combat, DRAA n’a tiré avec aucune pièce. J’espérais ainsi que l’ennemi se rapprocherait pour régler son tir. Mais voyant que son tir devenait dangereux, j’ai donné l’ordre d’ouvrir le feu avec la pièce de 90 si on pouvait découvrir l’emplacement du sous-marin ».
Il semble donc qu’un temps appréciable se soit écoulé pendant lequel on cherchait à se rendre compte de la valeur du tir de l’adversaire.
Or l’officier de tir dit qu’il est arrivé à sa pièce 3 ou 4 minutes après l’alerte et qu’un coup avait déjà été tiré. Le chef de pièce, qui était couché tout habillé à proximité de la pièce est venu aussitôt à son poste, a chargé sa pièce (qui aurait d’ailleurs du l’être déjà) et a ouvert le feu, sur ordre à 3500 m. Aucune dérive n’a été donnée par la passerelle où se trouvait le commandant et le commandant de l’équipe spéciale. C’est le QM Berger qui a choisi lui-même la dérive, d’ailleurs à l’inverse de celle qu’il aurait fallu prendre.
Il n’a pas été fait usage de fumigènes dont l’emploi, par vent arrière, eut été tout indiqué.
La commission estime :
- Que la veille était bien faite
- Que le commandant a fait le nécessaire pour sauver son bâtiment
- Que l’équipage s’est bien comporté
- Que les SOS n’ont pas été entendus, soit qu’ils aient été mal faits, soit que la veille ait été insuffisante à Port Etienne éloigné de 200 milles du lieu du combat.
Note du Contre Amiral SALAUN, Directeur Général de la Guerre sous-marine au sujet du rapport de la commission d’enquête
J’attire l’attention du Président de la commission sur son 3e alinéa du rapport qui implique de la part de la commission une compréhension inexacte du rôle des équipes spéciales.
Les officiers qui commandent ces équipes ont pour instruction de limiter leur rôle à celui de défenseurs des navires qui les porte. Ces officiers n’ont pas, à proprement parler, à faire la chasse aux sous-marins, mais doivent protéger les navires qui leurs sont confiés, en profitant bien entendu des circonstances qui leur permettraient de détruire l’ennemi.
Note du CV LAGIER, Commandant Marine Dakar au Ministre
J’ai fait demander à la station TSF de Port Etienne, par l’inspecteur du réseau radiotélégraphique d’AOF pourquoi cette station n’a entendu aucun appel du DRAA. Voici la réponse :
« 25 Février à 02h00 écoute maritime strictement assurée. A 01h39 et 02h32, entendu FDA et FLK sous forts IS. A 02h00, aucune émission.
Appels transmis trop faibles et émission illisible sous IS. »
Il résulte de cette réponse que l’écoute de Port Etienne est gênée par les « atmosphériques » et par les émissions de Dakar et d’autres postes. Le passage prochain des postes de Dakar et de Port Etienne sous les ordres de la Marine permettra de réduire au minimum les échanges de télégrammes de poste à poste et d’exercer une meilleure veille.
L’interruption d’écoute observée à 06h00 par la réception de Nantes me paraît être trop brève pour avoir empêché d’entendre tout appel, surtout si celui-ci a été renouvelé plusieurs fois.
Récompenses
Citation à l’Ordre du Régiment
ANTOMARCHI Paul EV auxiliaire Capitaine
Pour le sang froid et la courageuse énergie avec lesquels il a dirigé la riposte de son navire contre un sous-marin
Citation à l’Ordre de la Brigade
DAMOISIN Jean Chef mécanicien
A donné à son personnel l’exemple de l’entrain et du courage et a pris, au cours d’un combat contre un sous-marin, une adroite et courageuse initiative qui a contribué à sauver son navire.
Témoignage Officiel de Satisfaction
Vapeur DRAA Compagnie Paquet
Pour le sang froid et l’énergie dont chacun a fait preuve à bord de ce vapeur au cours d’une riposte à une attaque au canon par un sous-marin le 25 Février 1918.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’U 152 du Kptlt z/s Constantin KOLBE.
On peut d’ailleurs se demander si le gros vapeur norvégien que les hommes de DRAA ont vu se faire canonner le matin n’est pas le SILJESTAD, qui allait de Gibraltar à Montevideo sur ballast et suivait lui aussi la côte. Il sera finalement coulé le lendemain 26 Février par 23°36 N et 16°16 W, soit à environ 60 milles plus au Sud, toujours en longeant la côte. Les points pourraient laisser penser que le navire a poursuivi à faible vitesse sa route vers le Sud avant d’être rejoint et coulé.
Cdlt