Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"
Publié : sam. nov. 23, 2013 8:05 pm
Bonsoir
source : http://www.lepoint.fr/editos-du-point/j ... 081_53.php
1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"
Le Point.fr - Publié le 23/11/2013 à 12:59
Jean Guisnel
Le général Christian Baptiste, directeur du musée de l'Armée, se confie sur le sort des fusillés pour l'exemple de la Première Guerre mondiale.
Le Point.fr : Lors de son discours du 7 novembre ouvrant les cérémonies du centenaire de la Première Guerre mondiale, François Hollande a demandé "qu'une place soit accordée à l'histoire des fusillés au musée de l'Armée". Quelles réactions cette annonce vous inspire-t-elle ?
Général Christian Baptiste : Nous avions été informés de cette possibilité. Elle nous engage à une démarche historique et pédagogique scientifiquement rigoureuse, qui fait suite au travail de fond engagé par l'historien Antoine Prost dans son rapport Quelle mémoire pour les fusillés de 1914-1918 ? Un point de vue historien. Il suggérait alors quatre attitudes. Tout d'abord, ne rien faire et laisser les choses en l'état. Deuxième voie : la réhabilitation générale demandée par certaines associations, qui n'auraient pas tenu compte de certaines condamnations à mort qui ne sont pas contestées par les poilus, pour meurtre par exemple. La troisième proposition consistait à réhabiliter certains fusillés, au cas par cas, ce qui aurait exigé à chaque fois une réouverture du procès de l'époque. Le quatrième choix, qui avait la faveur des historiens, conduisait à lancer une initiative forte sous forme d'un discours présidentiel symbolique, assorti d'un acte pédagogique. C'est ce qui a été fait.
Et pourquoi le musée de l'Armée ?
Quand nous avons connu la direction que prenait la réflexion du président de la République, l'idée du musée de l'Armée s'est présentée comme, oserais-je dire, une évidence ! Ce musée, que j'ai le grand honneur de diriger, se situe aux Invalides, lieu, depuis 1670, de l'expression de l'affection de la nation pour ses soldats. Dans ce domaine, c'est l'un des plus beaux musées du monde, qui traite avec justesse des sujets difficiles : il a récemment présenté une exposition sur la période coloniale française en Algérie, qui n'a pas éludé les sujets difficiles et a été accueillie de la façon la plus élogieuse. Nous présentons actuellement une exposition sur l'Indochine, "Des territoires et des hommes", elle aussi excellemment reçue.
Mais les fusillés pour l'exemple ne demeurent-ils pas un objet de polémique, cent ans après les faits ? La mise en cause des tribunaux militaires ne risque-t-elle pas de susciter de vives réactions ?
Ne pensez pas que la communauté militaire demeure dans le non-dit. Dans l'exposition sur l'Algérie, nous avons traité la question de la torture et présenté le livre d'Henri Alleg La question ! Le drame des fusillés n'est pas à considérer, si vous me permettez l'expression, comme une patate chaude, mais comme un sujet historique ! Nous nous efforçons, en permanence, d'appliquer la formule de Paul Ricoeur, que je fais mienne : "Il revient à l'historien de comprendre. Pas d'inculper ni de disculper." Je vous garantis que l'équipe du musée de l'Armée, sous la direction éclairée du conservateur général du patrimoine David Guillet, entend appliquer les principes de rigueur scientifique, de volonté pédagogique, d'utilité sociale et de force esthétique. En revanche, pour ne pas blesser inconsidérément, nous évitons de nous appesantir inutilement.
Comment comprenez-vous l'ambition "pédagogique" de François Hollande ?
Bien des choses sont à posément expliquer, si nous voulons que le dernier sujet polémique de cette Grande Guerre s'apaise : les 2 500 condamnations à mort prononcées, les 740 exécutions effectives, dont 640 à 650 pour l'exemple. Les contextes sont différenciés : durant les six premiers mois de la guerre, fin 1914 et début 1915, on fusille lourdement. Des conseils de guerre spécifiques ont été mis en place, composés de trois officiers, dont souvent le chef de corps. Les droits de la défense sont réduits au minimum, voire à rien. Parallèlement, le recours en grâce au président de la République est supprimé. Ces dérives, causées par l'urgence, entraîneront une reprise en main du politique, puis des réformes. Après les mutineries de mai-juin 1917, qui toucheront entre 40 000 et 80 000 poilus, 30 mutins seront fusillés.
Même dans les immenses Invalides, le musée de l'Armée n'est pas vraiment extensible. Avez-vous encore de la place, pour une telle présentation ?
Nous avons tout de même 20 000 mètres carrés d'exposition, parmi lesquels 4 000 consacrés à la période 1870-1945, dont 600 pour 1914-1918. Franchement, au-delà du problème de place, il s'agit, au final, de pouvoir présenter les acquis de la recherche historique sur ce dossier et de le faire avec justesse, proportion, et toute la nécessaire rigueur scientifique. Nous allons, bien évidemment et comme à l'accoutumée, nous appuyer sur les conseils d'un comité scientifique. Nous avons d'ores et déjà réfléchi à quelques suggestions à leur proposer afin d'intégrer ce dossier au sein du parcours consacré à la Première Guerre mondiale.
Cordialement
Jean-Louis
source : http://www.lepoint.fr/editos-du-point/j ... 081_53.php
1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"
Le Point.fr - Publié le 23/11/2013 à 12:59
Jean Guisnel
Le général Christian Baptiste, directeur du musée de l'Armée, se confie sur le sort des fusillés pour l'exemple de la Première Guerre mondiale.
Le Point.fr : Lors de son discours du 7 novembre ouvrant les cérémonies du centenaire de la Première Guerre mondiale, François Hollande a demandé "qu'une place soit accordée à l'histoire des fusillés au musée de l'Armée". Quelles réactions cette annonce vous inspire-t-elle ?
Général Christian Baptiste : Nous avions été informés de cette possibilité. Elle nous engage à une démarche historique et pédagogique scientifiquement rigoureuse, qui fait suite au travail de fond engagé par l'historien Antoine Prost dans son rapport Quelle mémoire pour les fusillés de 1914-1918 ? Un point de vue historien. Il suggérait alors quatre attitudes. Tout d'abord, ne rien faire et laisser les choses en l'état. Deuxième voie : la réhabilitation générale demandée par certaines associations, qui n'auraient pas tenu compte de certaines condamnations à mort qui ne sont pas contestées par les poilus, pour meurtre par exemple. La troisième proposition consistait à réhabiliter certains fusillés, au cas par cas, ce qui aurait exigé à chaque fois une réouverture du procès de l'époque. Le quatrième choix, qui avait la faveur des historiens, conduisait à lancer une initiative forte sous forme d'un discours présidentiel symbolique, assorti d'un acte pédagogique. C'est ce qui a été fait.
Et pourquoi le musée de l'Armée ?
Quand nous avons connu la direction que prenait la réflexion du président de la République, l'idée du musée de l'Armée s'est présentée comme, oserais-je dire, une évidence ! Ce musée, que j'ai le grand honneur de diriger, se situe aux Invalides, lieu, depuis 1670, de l'expression de l'affection de la nation pour ses soldats. Dans ce domaine, c'est l'un des plus beaux musées du monde, qui traite avec justesse des sujets difficiles : il a récemment présenté une exposition sur la période coloniale française en Algérie, qui n'a pas éludé les sujets difficiles et a été accueillie de la façon la plus élogieuse. Nous présentons actuellement une exposition sur l'Indochine, "Des territoires et des hommes", elle aussi excellemment reçue.
Mais les fusillés pour l'exemple ne demeurent-ils pas un objet de polémique, cent ans après les faits ? La mise en cause des tribunaux militaires ne risque-t-elle pas de susciter de vives réactions ?
Ne pensez pas que la communauté militaire demeure dans le non-dit. Dans l'exposition sur l'Algérie, nous avons traité la question de la torture et présenté le livre d'Henri Alleg La question ! Le drame des fusillés n'est pas à considérer, si vous me permettez l'expression, comme une patate chaude, mais comme un sujet historique ! Nous nous efforçons, en permanence, d'appliquer la formule de Paul Ricoeur, que je fais mienne : "Il revient à l'historien de comprendre. Pas d'inculper ni de disculper." Je vous garantis que l'équipe du musée de l'Armée, sous la direction éclairée du conservateur général du patrimoine David Guillet, entend appliquer les principes de rigueur scientifique, de volonté pédagogique, d'utilité sociale et de force esthétique. En revanche, pour ne pas blesser inconsidérément, nous évitons de nous appesantir inutilement.
Comment comprenez-vous l'ambition "pédagogique" de François Hollande ?
Bien des choses sont à posément expliquer, si nous voulons que le dernier sujet polémique de cette Grande Guerre s'apaise : les 2 500 condamnations à mort prononcées, les 740 exécutions effectives, dont 640 à 650 pour l'exemple. Les contextes sont différenciés : durant les six premiers mois de la guerre, fin 1914 et début 1915, on fusille lourdement. Des conseils de guerre spécifiques ont été mis en place, composés de trois officiers, dont souvent le chef de corps. Les droits de la défense sont réduits au minimum, voire à rien. Parallèlement, le recours en grâce au président de la République est supprimé. Ces dérives, causées par l'urgence, entraîneront une reprise en main du politique, puis des réformes. Après les mutineries de mai-juin 1917, qui toucheront entre 40 000 et 80 000 poilus, 30 mutins seront fusillés.
Même dans les immenses Invalides, le musée de l'Armée n'est pas vraiment extensible. Avez-vous encore de la place, pour une telle présentation ?
Nous avons tout de même 20 000 mètres carrés d'exposition, parmi lesquels 4 000 consacrés à la période 1870-1945, dont 600 pour 1914-1918. Franchement, au-delà du problème de place, il s'agit, au final, de pouvoir présenter les acquis de la recherche historique sur ce dossier et de le faire avec justesse, proportion, et toute la nécessaire rigueur scientifique. Nous allons, bien évidemment et comme à l'accoutumée, nous appuyer sur les conseils d'un comité scientifique. Nous avons d'ores et déjà réfléchi à quelques suggestions à leur proposer afin d'intégrer ce dossier au sein du parcours consacré à la Première Guerre mondiale.
Cordialement
Jean-Louis