Restez-en donc au fond du dossier. Je ne vois pas pourquoi, sauf droits d'auteurs, les §I et II ne seraient pas transcriptibles sur ce forum. Eux ont leur place!
Cordialement
Étienne, d'un peu partout et qui n'a pas sa carte de pêche
Or donc , voici ces " 2 extraits autorisés "
[ I
L'IMPOT DU SANG.
1.
La guerre et les "indigènes"
Avant 1914, ils n'étaient que de sales nègres et de sales Annamites, bons tout au plus à tirer le poussepousse et à recevoir des coups de cadouille de nos administrateurs.
La joyeuse et fraîche guerre déclarée, les voilà devenus «chers enfants» et «braves amis » de nos paternels et tendres administrateurs et même de nos gouverneurs plus au moins généraux.
Ils (les indigènes) ont été tout d'un coup promus au grade suprême de « défenseurs du droit et de la liberté ». Cet honneur subit leur a coûté cependant assez cher, car pour défendre ce droit et cette liberté dont eux- mêmes sont dépourvus, ils ont dû quitter brusquement leurs rizières ou leurs moutons, leurs enfants et leurs femmes pour venir, par delà les océans, pourrir sur les champs de bataille de l'Europe.
Pendant la traversée, beaucoup d'indigènes, après avoir été conviés au spectacle merveilleux de la démonstration scientifique du torpillage, sont allés au fond des ondes pour défendre la patrie des monstres marins.
D'autres ont laissé leur peau au désert poétique des Balkans en se demandant si la Mère Patrie avait l'intention d'entrer comme première dans le Harem du Turc; sinon pourquoi les aurait- on fait zigouiller dans ces pays ?
D'autres encore, sur le bord de la Marne ou dans la boue de la Champagne se faisaient massacrer héroïquement pour arroser de leur sang les lauriers des chefs et sculpter avec leurs os les bâtons des maréchaux.
Ceux, enfin, qui trimaient à l'arrière, dans les poudreries monstrueuses, pour n'avoir pas respiré le gaz asphyxiant des «Boches», ont subi les vapeurs rutilantes des Français; ce qui revient au même puisque les pauvres diables crachaient leurs poumons comme s'ils étaient « gazés ».
700.000 indigènes en tout sont venus en France et, sur ce nombre,
80.000 ne reverront plus jamais le soleil de leur pays !
2. Le volontariat
Voici ce que nous dit un confrère : Le prolétariat indigène de l'Indochine pressuré de tous temps sous forme d'impôts, prestations, corvées de toute nature, d'achats, par ordres officiels, d'alcool et d'opium, subit depuis 1915- 16 le supplice du volontariat.
Les événements de ces dernières années ont donné prétexte, sur toute l'étendue du pays, à de grandes rafles de matériel humain encaserné sous les dénominations les plus diverses : tirailleurs, ouvriers spécialisés, ouvriers non spécialisés, etc.
De l'avis de toutes les compétences impartiales qui ont été appelées à utiliser en Europe le matériel humain asiatique, ce matériel n'a pas donné de résultats en rapport avec les énormes dépenses que son transport et son entretien ont occasionnées.
Ensuite, la chasse au dit matériel humain, dénommée pour la circonstance « Volontariat » (mot d'une affreuse ironie), a donné lieu aux plus scandaleux abus.
Voici comment ce recrutement volontaire s'est pratiqué : le « satrape » qu'est chacun des résidents indochinois avise ses mandarins que, dans un délai fixé, il faut que sa province ait fourni tel chiffre d'hommes. Les moyens importent peu. Aux mandarins de se débrouiller. Et pour le système D, ils s'y connaissent, les gaillards, surtout pour monnayer les affaires.
Ils commencent par ramasser des sujets valides, sans ressources, lesquels sont sacrifiés sans recours. Ensuite, ils mandent des fils de famille riche ; s'ils sont récalcitrants, on trouve très facilement l'occasion de leur chercher quelque histoire, à eux ou à leur famille, et, au besoin, de les emprisonner jusqu'à ce qu'ils aient résolu le dilemme suivant : « Volontariat ou finance ».
On conçoit que des gens ramassés dans de pareilles conditions soient dépourvus de tout enthousiasme pour le métier auquel on les destine. A peine encasernés, ils guettent la moindre occasion pour prendre la fuite.
D'autres, ne pouvant se préserver de ce qui constitue pour eux un fâcheux destin, s'inoculent les plus graves maladies, dont la plus commune est la conjonctivite purulente, provenant du frottement des yeux avec divers ingrédients, allant de la chaux vive jusqu'au pus blennorragique.
*
N'empêche que, ayant promis des grades mandarinaux aux volontaires indochinois qui survivraient et des titres posthumes à ceux qui seraient morts « pour la Patrie », le gouvernement général de l'Indochine poursuivait ainsi sa proclamation :
« Vous vous êtes engagés en foule, vous avez quitté sans hésitation votre terre natale à laquelle vous êtes pourtant si attachés ; vous, tirailleurs, pour donner votre sang ; vous, ouvriers, pour offrir vos bras. »
Si les Annamites étaient tellement enchantés d'être soldats, pourquoi les uns étaient- ils emmenés au chef- lieu enchaînés, tandis que d'autres étaient, en attendant l'embarquement, enfermés dans un collège de Saigon sous l'oeil des sentinelles françaises, baïonnette au canon, fusil chargé ?
Les manifestations sanglantes du Cambodge, les émeutes de Saïgon, de Bienhoa
et d'ailleurs, étaient- elles donc les manifestations de cet empressement à s'engager « en foule » et « sans hésitation » ?
Les fuites et les désertions (on en a compté 50 pour cent dans les classes de réservistes) provoquèrent des répressions impitoyables et celles- ci des révoltes qui ont été étouffées dans le sang.
Le gouvernement général a pris soin d'ajouter que, bien entendu, pour mériter la « visible bienveillance » et la « grande bonté » de l'Administration, « il faut que vous (soldats indochinois) vous vous conduisiez bien et que vous ne donniez aucun sujet de mécontentement ».
Le commandant supérieur des troupes de l'Indochine prit une autre précaution : il fit inscrire sur le dos ou le poignet de chaque recrue, un numéro ineffaçable au moyen d'une solution de nitrate d'argent.
Comme en Europe, la grande misère des uns est cause de profit pour les autres : galonnés professionnels, auxquels cette bonne aubaine de recrutement et d'encadrement d'indigènes permet de se tenir le plus longtemps possible éloignés des périlleuses opérations d'Europe, fournisseurs qui s'enrichissent rapidement en faisant crever de faim les malheureuses recrues, détenteurs de marchés, qui tripotent d'accord avec les fonctionnaires.
Ajoutons, à ce propos, qu'il existe un autre genre de volontariat : le volontariat pour les souscriptions aux divers emprunts. Procédés identiques. Quiconque possède est tenu de souscrire. On emploie contre les récalcitrants des moyens persuasifs et coercitifs tels que tous s'exécutent.
Comme la plupart des souscripteurs asiatiques ignorent tout de notre mécanisme financier, ils considèrent les versements aux emprunts comme de nouveaux impôts et n'accordent pas d'autre valeur aux titres que celle de quittances.
*
Voyons maintenant comment le volontariat a été organisé dans les autres colonies.
Prenons, par exemple, l'Afrique Occidentale.
Des commandants, accompagnés de leurs forces armées, se rendaient de village en village pour obliger les notables indigènes à leur fournir immédiatement le nombre d'hommes qu'ils voulaient recruter.
Un commandant n'a- t- il pas jugé ingénieux, pour amener les jeunes Sénégalais qui s'enfuyaient devant lui à quitter leur retraite et à coiffer
la chéchia, de torturer leurs parents ?
N'a- t- il pas arrêté vieillards, femmes enceintes, jeunes filles, en les faisant dépouiller de leurs vêtements qui étaient brûlés devant leurs yeux. Nues et ligotées, les malheureuses victimes, sous les coups de schlague, parcoururent les communes au pas de course, pour « donner l'exemple » !
Une femme qui portait son bébé sur le dos a dû solliciter l'autorisation d'avoir une main libre pour maintenir son enfant en équilibre. Deux vieillards sont tombés d'inanition pendant le parcours ; des jeunes filles, terrorisées par de telles cruautés, ont eu leurs règles pour la première fois ; une femme enceinte accoucha avant terme d'un enfant mort- né ; une autre mit au monde un enfant aveugle.
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Les procédés de recrutement étaient d'ailleurs très variés. Celui- ci fut particulièrement expéditif.
On tend une ficelle au bout de la rue principale d'un village et une autre ficelle à l'autre bout. Et tous les nègres qui se trouvent entre les deux ficelles sont engagés d'office.
«
Le 3 mars 1923, à midi, nous écrit un témoin, les quais de Rufisque et de Dakar ayant été cernés par la maréchaussée, on fit une rafle de tous les indigènes qui y travaillaient. Comme ces bougres ne semblaient pas disposés à s'en aller tout de suite défendre la civilisation, on les invita à monter dans des camions automobiles qui les conduisirent à la prison. De là, et quand ils eurent pris le temps de se raviser, on les mena à la caserne. Là, après des cérémonies patriotiques, 29 volontaires furent proclamés héros éventuels pour la prochaine dernière... Tous brûlent maintenant du désir de rendre la Ruhr à la mère- patrie.»
Seulement, écrivit le général Mangin qui les connaissait bien, ce sont
des troupes « à consommer avant l'hiver. »
Nous avons en main une lettre d'un indigène du Dahomey, ancien combattant qui a fait son « devoir » dans la guerre du droit.
Quelques extraits de cette lettre vous montreront comment les
« Batouala » sont protégés et de quelle façon nos administrateurs coloniaux fabriquent du loyalisme indigène qui décore tous les discours officiels et qui alimente tous les articles des Régismanset et des Hauser de tout calibre.
« En 1915, dit la lettre, lors du recrutement forcé ordonné par M. Noufflard, gouverneur du Dahomey, mon village a été pillé et incendié par les agents de la police et les gardes du Cercle. Au cours de ces pillages et incendies, tout ce que je possédais comme bien m'a été enlevé. Néanmoins, j'ai été enrôlé par force, et, sans tenir compte de cet odieux attentat dont j'ai été la victime, j'ai fait mon devoir au front français. J'ai été blessé à l'Aisne.
Maintenant que la guerre est terminée, je vais rentrer dans mon pays, sans foyer et sans ressources.
Voici ce qui m'a été volé :
1.000 francs en espèces ;
12 porcs ; 15 moutons ; 10 cabris ; 60 poulets ;
8 pagnes ; 5 vestons ; 10 pantalons ; 7 coiffures ; 1 sautoir en argent ; 2 malles contenant divers objets..
Voici les noms des camarades demeurant dans le même quartier que moi et qui ont été enrôlés par force, le même jour que moi, et dont les maisons ont été pillées et incendiées."(Suivent sept noms.)
Nombreuses sont encore les victimes de ces faits d'armes de M. le Gouverneur Noufflard, mais j'ignore leur noms pour vous les donner aujourd'hui… »
Les « Boches » de Guillaume n'auraient pas fait mieux
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