Bonjour à tous,
Rencontre avec un sous-marin le 9 Mai 1917.
Rapport du capitaine
L’EV1 auxiliaire ARGENTO commandant le vapeur ALSACE de la Société Générale de Transports Maritime au Vice Amiral commandant la Marine à Marseille :
LE 9 Mai 1917 à 11h30, le paquebot ALSACE, se rendant d’Oran à Marseille avec 276 passagers et 51 hommes d’équipage a été attaqué au canon par un sous-marin par 42°12N et 03°49E.
Prévenu à 11h30 d’un remous suspect se déplaçant à 4,5 milles sur notre bâbord arrière, j’ai reconnu à 11h35 que ce remous était provoqué par un sous-marin. Appelé aux postes de combat et donné l’ordre au chef mécanicien de marcher à pleine puissance. La mer étant calme, notre vitesse est passée de 13 nœuds à 14,5 nœuds.
L’ennemi a ouvert le feu sur nous à 11H40 à une distance d’environ 7500 m. Riposté immédiatement avec notre pièce arrière de 90 mm. Le combat a duré de 11h40 à 12h32. Pendant ce laps de temps, l’ennemi qui se maintenait toujours à 7500 m a tiré exactement 38 coups de canon, tous à obus percutants. De notre côté, nous avons tiré 30 coups. Les obus ennemis tombaient à droite ou à gauche de l’ALSACE, mais rarement en direction. L’ennemi devait sans cesse modifier son tir en raison des routes en lacets que je faisais suivre à l’ALSACE, d’après les points de chute des obus ennemis.
Je suis persuadé que ces routes en lacets nous ont permis d’éviter les coups de l’ennemi et que c’est grâce à la précision de notre tir qu’il a été contraint d’abandonner le combat après notre trentième coup de canon visiblement tombé très près du sous-marin. Celui-ci a du être ébranlé, sinon atteint. Le sous-marin s’est mis en travers et a cessé le feu. Vers 12h45, je l’ai perdu de vue et j’ai continué ma route sur Marseille.
Les signaux réglementaires avaient été lancés par TSF en temps opportun. Un croiseur espagnol nous a répondu : « Je sors du port de Barcelone. Avez-vous besoin de mes services ? » J’ai répondu : « Non. Remerciements ». Ce croiseur a retransmis notre SOS aux postes de terre.
J’ai été très satisfait de la conduite de mon équipage qui par son sang froid et son calme a fait que l’ordre a régné à bord pendant tout le combat d’une façon parfaite. Je me permets de signaler tout spécialement l’officier de tir, le lieutenant Mestre Charles, le QM chef de pièce Siberchicot et les servants qui ont conduit leur tir et servi leur pièce avec un calme et une habileté remarquable, l’homme de barre, le timonier Bard Pierre qui veillait avec attention à faire évoluer le navire suivant les indications que je lui donnais. Chacun d’ailleurs s’est conduit à mon entière satisfaction à quelque service qu’il appartint, pont, machine ou restaurant.
De légers éclats d’obus sont en petit nombre parvenus jusqu’à bord sans causer le moindre mal.
Vers 13h45, par 42°25 N et 04°14 E j’ai croisé un navire en flammes qui achevait de sombrer. Je n’ai aperçu dans les parages de ce sinistre aucune embarcation et n’ai pu recueillir aucune indication quant à la nature du navire sinistré.
Je suis entré dans le port de Marseille ce même jour à 20h20 sans autre incident.
Ci-joint Amiral, veuillez trouver copie du rapport que le commandant d’armes à bord a envoyé à ses chefs.
Voici la signature du capitaine ARGENTO
Description du sous-marin
Mal vu étant donné la distance. Mais blockhaus rectangulaire au tiers à partir de l’avant. Arrière plat. Une seule pièce assez longue.
Paraissait gris foncé
Le point où il nous a attaqués est exactement sur la route San Sébastien – Marseille. Il paraissait venir du cap Creux. Il s’est dirigé sur nous à toute vitesse dès qu’il nous a aperçus.
Voici sa silhouette
Armement de l’ALSACE
1 canon de 90 mm modèle 1877 sur galets à pivot central
1 canon de 47 mm modèle 1885 système guerre
SIBERCHICOT Etienne QM canonnier Bayonne 4957
LEDORLOT Laurent Fusilier auxiliaire Auray 4647
JANNE Louis Canonnier breveté 107359.2
BLANCHET Joseph Fusilier auxiliaire Belle Ile 2334
ORSONI François Matelot sans spé. Ajaccio 1442
Télégramme de Marine Paris à Cdt Marine Marseille du 12 Mai 1917
Remplacez le matériel 90 mm du vapeur ALSACE par un matériel de 90 sur affût modèle 1916
Hommes d’équipage déjà titulaires de la Croix de Guerre
MESTRE Charles Lieutenant
BALANSARD Achille Chef mécanicien
MOÏSE Jules Second mécanicien
DOMENICI Toussaint Maître d’équipage
BLANC Louis Restaurateur
Rapport de la commission d’enquête
Cette commission reprend tout d’abord presque mot pour mot le rapport du capitaine. Elle ajoute :
La commission a eu à s’occuper d’abord de la route suivie par le bâtiment puisque d’après la position signalée ALSACE se trouvait notoirement en dehors de l’itinéraire fixé par la note du 24 Avril 1917.
Il résulte de la déposition du capitaine qu’il n’a pas été informé de cette nouvelle route et que les ordres reçus au départ étaient de faire route directe de San Sébastien sur Marseille et non de remonter jusqu’à 8 milles à l’Est du cap Béar. La commission a estimé qu’il y avait lieu d’avoir confirmation de ces ordres et une dépêche a été envoyée le 10 mai au commandant de Marine Oran pour lui demander quelles instructions avaient été données au commandant d’ALSACE. La réponse reçue le 12 a confirmé la déposition du capitaine.
En ce qui concerne l’artillerie, l’officier de tir et l’armement de la pièce ont déclaré que le tir était bien réglé en direction et qu’ils auraient pu atteindre le but avec un canon de plus grande portée.
L’Etat Major, l’équipage et les passagers ont fait preuve de calme et de sang froid pendant toute la poursuite. L’équipage du bâtiment n’était du reste pas à sa première alerte ayant déjà été attaqué lors d’un de ses voyages précédents.
Conclusions
La commission constate que le capitaine s’est conformé pour la navigation aux instructions qui lui avaient été données au départ. Il a réussi à sauver son bâtiment par sa manœuvre et l’emploi judicieux de son artillerie.
Le personnel pont, machine et les passagers ont fait preuve de beaucoup de calme et de sang froid. Grâce à l’ordre qui n’a cessé de régner, les ordres ont pu être bien exécutés et le bâtiment a pu être sauvé.
Elle estime que les ordres donnés aux capitaines quant aux routes à suivre leur soient remis sous pli secret et contre reçu. Ils en seraient personnellement responsables.
Récompenses
Citation à l’Ordre de la Brigade
ARGENTO Thomas Capitaine au Long Cours Commandant Bastia 206
A fait preuve de beaucoup de calme et de sang froid pendant l’attaque de son bâtiment par un sous-marin ennemi. A réussi à sauver son bâtiment grâce à sa manœuvre et à une utilisation judicieuse de son artillerie.
Témoignage Officiel de Satisfaction
Etat-major, équipage et passagers de l’ALSACE
Ont fait preuve de beaucoup de calme et de sang froid au moment de l’attaque du bâtiment par un sous-marin ennemi. Ont aidé le capitaine à sauver le bâtiment en exécutant ponctuellement les ordres qui leur étaient donnés.
Le sous-marin attaquant
N’est pas formellement identifié.
Mais on peut penser qu’il s’agissait de l’U 34 du Kptlt Johannes KLASING qui opérait sur cette zone. Il torpilla ce jour (juste avant ou juste après avoir croisé le paquebot) le vapeur anglais HARPAGUS, 5866 t, qui allait de New Orleans à Marseille et dont l’épave en train de sombrer fut aperçue à 13h45 par les homme d’ALSACE.
Voici l'HARPAGUS
Cdlt