Bonjour à tous,
Un complément sur le naufrage du THISBE
Rapport du capitaine LE BITTER (Officier de la Marine Marchande)
Quitté Neath Abbey le 5 Septembre 1917 à 21h00 avec un plein chargement de charbon pour Caen. Suivi les routes prescrites jusqu’au 6 Septembre à 12h15 .
A 6 milles dans le S85W de Lizard, aperçu le sillage d’une torpille par le travers de la passerelle à 10m. L’explosion suit. Je suis précipité sur le spardeck avec l’homme de barre, tandis que le second capitaine (officier de quart) s’accroche aux haubans de la cheminée.
Le spardeck est rempli d’eau et de fumée. Je cours vers l’arrière pour aller au canon. Mais j’ai tout juste le temps de sauter sur le radeau de la cale 3. Le THISBE coule et disparaît en une minute et demie et sept hommes avec lui.
Sitôt le THISBE disparu, la vedette anglaise ML 334, qui se trouvait à proximité, a aperçu le périscope du sous-marin entre la baleinière et le radeau. Elle a tiré dessus et l’obus est tombé à 10 m. Le sous-marin a aussitôt plongé.
La vedette nous a recueillis et a recherché les manquants parmi les débris. Elle nous a déposés à Penzance à 18h00.
Note complémentaire
Quelques semaines plus tard, le capitaine Le Bitter demandera une citation pour son second, le maître au cabotage Jean Hamon, en signalant l’esprit de décision et le sang froid dont il a fait preuve en mettant seul à l’eau l’unique baleinière intacte, malgré les brûlures de ses mains, assurant ainsi le sauvetage de sept hommes.
Rapport de la Commission d’enquête
Le THISBE était muni d’un poste de TSF et l’explosion s’est produite juste à l’aplomb de la cabine qui a été anéantie avec l’opérateur. Aucun signal n’a pu être envoyé.
THISBE était équipé d’un canon de 90 mm modifié 1916 avec mise à feu à étoupilles. Le navire ayant sombré immédiatement, il n’a pu être utilisé.
Le navire avait aussi quatre appareils fumigènes.
La torpille a été lancée perpendiculairement à la route du vapeur et a touché à tribord, à hauteur de la passerelle, sans qu’on puisse dire à quelle profondeur. Elle n’a été vue qu’à une vingtaine de mètres.
Les avaries causées par l’explosion furent énormes. Trois hommes qui étaient dans le poste avant ont du défoncer la porte pour se sauver. De même, le canonnier qui logeait à l’arrière. Le canonnier de veille à la pièce arrière a été projeté sur le pont.
Les hommes se sont sauvés instinctivement et au petit bonheur. Le canonnier arrière a pu couper les saisines du radeau de la cale 3 sur lequel ont pris place le capitaine, le chef mécanicien et 5 hommes.
Le 2e capitaine a mis à l’eau seul la baleinière Bd, aidé ensuite par le chauffeur Le Bon, arrivé entre temps. Sept hommes en tout ont pu monter dans cette baleinière qui a du couper sa bosse aussitôt pour ne pas être entraînée par le navire qui sombrait.
Les sept derniers marins ont disparu à savoir :
- dans la machine, le 2e mécanicien Lenjalley Hippolyte, de quart avec les chauffeurs Cozic Guillaume et Subye Adrien. Ils ont du être tués par l’explosion qui s’est produite par le travers de la chaudière. Quand le chef mécanicien a voulu descendre à la machine pour aller chercher son monde, l’eau était déjà par dessus les cylindres. Il n’a vu personne.
- au carré, situé juste sous la passerelle, le lieutenant Louail Raphaël, le 1er chauffeur Tanguy Guillaume et son fils, le mousse Tanguy Marcel étaient en train de déjeuner. Le carré a été complètement bloqué. Le chauffeur Le Bon a vu au travers du hublot le lieutenant Louail qui lui a crié « Adieu » et le mousse qui l’a appelé désespérément pour qu’il vienne le sauver. Mais aucun sauvetage n’était possible. L’eau pénétrait déjà par les hublots et ils ont tous trois été engloutis vivants.
- Dans le poste TSF, le matelot mobilisé Fleury Georges a été tué. Personne ne l’a vu. Il était juste à l’aplomb du point d’impact et il est probable qu’il a été volatilisé.
La vedette anglaise a tiré un coup de canon sur le sous-marin qui a plongé. Elle a ensuite lancé plusieurs grenades sans constater de résultat.
Conclusion : la perte du navire a été si rapide qu’il a été impossible à l’équipage de rallier un poste d’évacuation en ordre.
La Commission ne propose ni sanctions ni récompenses.
Elle émet un avis favorable pour que la faculté de commander soit maintenue au capitaine Le Bitter dont les antécédents sont tout à son honneur.
Récompenses
Aucune citation n’étant proposée, la Société Navale Caennaise va adresser une lettre (sans doute un peu maladroite) au Autorités Maritimes pour s’en étonner et demander une citation pour tout le navire.
Elle recevra une réponse assez cinglante :
« Tout en reconnaissant que les naufragés ont traversé des moments angoissants, on ne peut relever des actes de courage méritant une citation. Ceci tient d’ailleurs au déroulement des évènements. L’enquête précise bien que la disparition fut si rapide que chacun a du se sauver instinctivement et au petit bonheur. Le capitaine Le Bitter dit bien dans son rapport que lui-même n’a eu que le temps de sauter sur le radeau et que tout sauvetage méthodique fut impossible.
Le 2e capitaine Hamon a effectivement mis seul la baleinière à l’eau, mais car c’était sa seule chance de salut. Il ne pouvait faire autrement sans commettre un véritable suicide.
La Croix de Guerre sanctionne des actes bravoure qui ne sont pas de purs réflexes mais des actes prouvant initiative et sang-froid, qui doivent nous faire triompher de l’ennemi. Elle n’est pas une compensation à dommages causés par acte de guerre.
La lettre de l’Armateur, qui n’apporte aucun fait nouveau, ne tend qu’à discréditer aux yeux des gens de mer le principe d’équité auquel toute commission d’enquête s’attache de la manière la plus absolue.
Il est inadmissible qu’un armateur se substitue à la commission pour juger, récompenser ou punir des actes qui font partie de son enquête. »
Commentaire
On note quelques petites différences avec l’article du journaliste cité plus haut par Yves. S’il a été blessé, le capitaine Le Bitter n’était semble-t-il pas « agonisant ». Toutefois, il n’était peut-être pas en grande forme car son rapport est exceptionnellement bref.
Ce n’est d’ailleurs pas lui qui a vu le mousse, dont la disparition est en effet tragique, mais l’un des chauffeurs.
Cdlt