Re: Puissance de feu des Corps d'Armée allemands et français en 1914
Publié : sam. juin 14, 2014 8:38 pm
Bonsoir,
La question des mitrailleuses en France est plus compliquée qu'il n'y paraît à première vue.
Si les textes d'emploi sont lamentablement absents de la production de l'Etat-Major de l'Armée, à l'exception des manuels et règlements techniques, la "littérature militaire" française en ce domaine est extrêmement riche en études d'officiers. Depuis 1900, au moins 20 livres sur ce sujet ont été publiés chez les éditeurs militaires, leurs auteurs sont essentiellement des officiers des grades de lieutenant à commandant.
J'ai sous la main une douzaine de ces livres pleins d'excellentes analyses qui auraient dû et pu inspirer les généraux de 1914. D'ailleurs, le premier livre important sur ce sujet a été rédigé par le chef d'escadron Gabriel Rouquerol en 1902 (rappelons que cet officier, devenu général commandant l'artillerie du 3e Corps d'Armée, assuma réellement le commandement de ce Corps en 1914 à Charleroi au moment critique de la bataille quand le général Sauret "La Honte" abdiqua de fait son commandement lamentable).
Un premier fait à prendre en compte dans les jugements des autorités civiles et militaires d'avant 1914: l'emploi désastreux qui fut fait en 1870 du canon à balles de Reffye, ancêtre des mitrailleuses et "arme miracle" de l'Empereur Napoléon III.
Pourtant, ces armes remportèrent des succès tactiques notables à plusieurs reprises (voir le livre du commandant Reboul, éditions Chapelot-1910).
Petit rappel, dans le livre de Jules Cesbron-Lavau "Les mitrailleuses de cavalerie" (éd. Siraudeau-1908):

Un jugement sur l'emploi des mitrailleuses modernes dans le livre précité de 1908 (sur mon exemplaire ayant appartenu au Général et futur Maréchal Fayolle, toutes les pages concernant l'emploi des mitrailleuses ont été l'objet d'annotations particulières):


Ce livre, comme tous ceux parus après 1905 contient de multiples exemples du tir foudroyant des mitrailleuses lors de la guerre russo-japonaise.
Les officiers français avaient donc une large documentation à leur portée et il faudra bien un jour expliquer la "fuite en avant" des "jeunes turcs" de l'entourage de Joffre dans leur "nouvelle" conception de l'offensive.
La question de l'expérience du feu des mitrailleuses avant 1914 peu se résumer ainsi:
-la guerre russo-japonaise est citée dans les livres de tous les pays et singulièrement en France, les contacts entre militaires français et russes ont été suffisamment nombreux pour se faire une idée très précise de la question. D'autant plus que l'Armée russe était équipée de mitrailleuses "Maxim", presque identiques aux mitrailleuses allemandes tandis que les japonais avaient employé la mitrailleuse française Hotchkiss!
-les allemands n'ont eu avant 1914 aucune expérience réelle de l'emploi au combat, à l'exception des opérations dans le Sud-Ouest africain et des campagnes contre les Héréros.
-les français ont employé la mitrailleuse Hotchkiss qui équipait les unités coloniales et l'Armée d'Afrique avant même l'adoption de la mitrailleuse Saint-Etienne. Cet emploi n'avait rien à voir avec du "rétablissement de l'ordre" et a concerné à plusieurs reprises des "attaques en masse" de guerriers déterminés et bien armés contre des postes entourés de barbelés avec les conséquences qu'on imagine pour les assaillants.
-les "événements" insurrectionnels au Mexique et en Espagne ont aussi été très commentés dans la littérature de l'époque (emploi dans les deux cas des mitrailleuses françaises Hotchkiss).
-certains cadres français ayant suivi les cours des Ecoles spécialisées du tir de l'infanterie de Corps d'Armée avaient une solide expérience de l'emploi des mitrailleuses. On ne trouve pas trace par contre en France de stages comparables à ceux de l'Armée allemande, cités plus haut, à destination des commandants de régiments et de bataillons.
-les guerres balkaniques ont aussi fait l'objet de nombreux compte-rendus des officiers envoyés en mission ou en observateurs (dont des généraux), tant en ce qui concerne l'utilisation de l'artillerie lourde que des mitrailleuses.
Après cette esquisse, deux petits exemples de la mentalité de l'époque:
-lors de Grandes Manœuvres de cavalerie, un lieutenant, chef de section de mitrailleuses de cavalerie, fut sévèrement blâmé par son général de Division de Cavalerie après avoir effectué un tir à blanc au moment d'une "belle" charge de cavalerie alors que sa section avait été à peu près oubliée des participants mais avait un choisi un bon emplacement.
-de même, une section de mitrailleuses d'infanterie troubla la sérénité d'une belle attaque d'infanterie effectuée à la satisfaction béate du ministre et de nombreux parlementaires d'autant que le cri de "Vive la République" poussé par des milliers de poitrines témoignait de la fidélité de l'Armée aux Institutions!
Cordialement,
Guy François.
La question des mitrailleuses en France est plus compliquée qu'il n'y paraît à première vue.
Si les textes d'emploi sont lamentablement absents de la production de l'Etat-Major de l'Armée, à l'exception des manuels et règlements techniques, la "littérature militaire" française en ce domaine est extrêmement riche en études d'officiers. Depuis 1900, au moins 20 livres sur ce sujet ont été publiés chez les éditeurs militaires, leurs auteurs sont essentiellement des officiers des grades de lieutenant à commandant.
J'ai sous la main une douzaine de ces livres pleins d'excellentes analyses qui auraient dû et pu inspirer les généraux de 1914. D'ailleurs, le premier livre important sur ce sujet a été rédigé par le chef d'escadron Gabriel Rouquerol en 1902 (rappelons que cet officier, devenu général commandant l'artillerie du 3e Corps d'Armée, assuma réellement le commandement de ce Corps en 1914 à Charleroi au moment critique de la bataille quand le général Sauret "La Honte" abdiqua de fait son commandement lamentable).
Un premier fait à prendre en compte dans les jugements des autorités civiles et militaires d'avant 1914: l'emploi désastreux qui fut fait en 1870 du canon à balles de Reffye, ancêtre des mitrailleuses et "arme miracle" de l'Empereur Napoléon III.
Pourtant, ces armes remportèrent des succès tactiques notables à plusieurs reprises (voir le livre du commandant Reboul, éditions Chapelot-1910).
Petit rappel, dans le livre de Jules Cesbron-Lavau "Les mitrailleuses de cavalerie" (éd. Siraudeau-1908):

Un jugement sur l'emploi des mitrailleuses modernes dans le livre précité de 1908 (sur mon exemplaire ayant appartenu au Général et futur Maréchal Fayolle, toutes les pages concernant l'emploi des mitrailleuses ont été l'objet d'annotations particulières):


Ce livre, comme tous ceux parus après 1905 contient de multiples exemples du tir foudroyant des mitrailleuses lors de la guerre russo-japonaise.
Les officiers français avaient donc une large documentation à leur portée et il faudra bien un jour expliquer la "fuite en avant" des "jeunes turcs" de l'entourage de Joffre dans leur "nouvelle" conception de l'offensive.
La question de l'expérience du feu des mitrailleuses avant 1914 peu se résumer ainsi:
-la guerre russo-japonaise est citée dans les livres de tous les pays et singulièrement en France, les contacts entre militaires français et russes ont été suffisamment nombreux pour se faire une idée très précise de la question. D'autant plus que l'Armée russe était équipée de mitrailleuses "Maxim", presque identiques aux mitrailleuses allemandes tandis que les japonais avaient employé la mitrailleuse française Hotchkiss!
-les allemands n'ont eu avant 1914 aucune expérience réelle de l'emploi au combat, à l'exception des opérations dans le Sud-Ouest africain et des campagnes contre les Héréros.
-les français ont employé la mitrailleuse Hotchkiss qui équipait les unités coloniales et l'Armée d'Afrique avant même l'adoption de la mitrailleuse Saint-Etienne. Cet emploi n'avait rien à voir avec du "rétablissement de l'ordre" et a concerné à plusieurs reprises des "attaques en masse" de guerriers déterminés et bien armés contre des postes entourés de barbelés avec les conséquences qu'on imagine pour les assaillants.
-les "événements" insurrectionnels au Mexique et en Espagne ont aussi été très commentés dans la littérature de l'époque (emploi dans les deux cas des mitrailleuses françaises Hotchkiss).
-certains cadres français ayant suivi les cours des Ecoles spécialisées du tir de l'infanterie de Corps d'Armée avaient une solide expérience de l'emploi des mitrailleuses. On ne trouve pas trace par contre en France de stages comparables à ceux de l'Armée allemande, cités plus haut, à destination des commandants de régiments et de bataillons.
-les guerres balkaniques ont aussi fait l'objet de nombreux compte-rendus des officiers envoyés en mission ou en observateurs (dont des généraux), tant en ce qui concerne l'utilisation de l'artillerie lourde que des mitrailleuses.
Après cette esquisse, deux petits exemples de la mentalité de l'époque:
-lors de Grandes Manœuvres de cavalerie, un lieutenant, chef de section de mitrailleuses de cavalerie, fut sévèrement blâmé par son général de Division de Cavalerie après avoir effectué un tir à blanc au moment d'une "belle" charge de cavalerie alors que sa section avait été à peu près oubliée des participants mais avait un choisi un bon emplacement.
-de même, une section de mitrailleuses d'infanterie troubla la sérénité d'une belle attaque d'infanterie effectuée à la satisfaction béate du ministre et de nombreux parlementaires d'autant que le cri de "Vive la République" poussé par des milliers de poitrines témoignait de la fidélité de l'Armée aux Institutions!
Cordialement,
Guy François.