Bonjour,
Quelques photographies du Lieutenant Jeantrel me permettent de répondre à une question posée par Françoise un peu plus haut:
La 8ème Batterie du 28ème R.A.C. a eu des éclatements de canons 75 mm à quatre reprises, mais on ne peut les imputer ni au personnel, ni aux canons, ces éclatements sont la triste conséquence de la "crise des munitions".Je m'explique, l'Armée française est partie en campagne avec environ 5.700.000 coups complets de 75, pratiquement tous fabriqués dans les Arsenaux de l'état à part quelques fabrications de la grande industrie de l'armement (Le Creusot-Schneider, Saint-Chamond, Montbard).Ce stock était presqu'épuisé à la fin de septembre du fait de l'intensité des combats et les Arsenaux n'avaient qu'une production insuffisante, de nombreux personnels des Arsenaux avaient été d'ailleurs mobilisés dans les Armées de campagne!
Le Ministre de la Guerre, Millerand, aidé par Albert Thomas, bientôt secrétaire d'état, fut très mal inspiré fin septembre 1914 en prenant, sous le signe de l'urgence, la décision de recourir à la solution de confier la fabrication des obus de 75 à des petites usines voire à des ateliers faiblement équipés.La simple et doûteuse recommandation de parlementaires a parfois suffi à donner des marchés lucratifs à des industriels incapables d'entreprendre une aussi délicate fabrication.Mieux, les tolérances de fabrication furent abaissées dangereusement (par exemple les normes de pression des projectiles usinés furent diminuées par trois!).Le résultat ne se fit pas attendre:
-avec les projectiles fabriqués par les Arsenaux ou les grandes firmes précitées, le nombre d'incidents était de 1 pour 500.000 coups tirés.
-avec les projectiles des petits industriels, les accidents furent de 1 pour 3000 coups tirés!
Les projectiles de nouvelle fabrication furent introduits sur le front à partir du 20 décembre 1914, presqu'immédiatement commença la grave crise des éclatements de 75 qui menaça même de ruiner toute notre artillerie de campagne!
Il fallut retirer des approvisionnements 1.500.000 coups suspects, pourtant achetés 100 Francs-or pièce (contre 30 francs-or pour les fabrications des Arsenaux, pourtant déjà "décriés" à l'époque!) et la crise ne fut conjurée qu'à l'été 1915!
Le pouvoir trouva une victime expiatoire, en la personne du Général Baquet, Directeur de l'Artillerie au Ministère de la Guerre, pourtant nommé après les funestes décisions prises en septembre 1914 par le gouvernement replié alors à Bordeaux, décisions prises sous le signe de la panique et des intérêts mal compris (certains se croyaient encore en l'An II où Carnot pouvait mobiliser les forgerons pour tremper des piques ou des baïonnettes).Ce général Baquet eut tout de même la prescience de créer de très grands ateliers modernes de construction en grande série des obus (où se distingua un certain André Citroën) et il faut lire le livre de souvenirs de ce général pour avoir des lumières sur ce problème très grave car il causa de nombreuses victimes dans l'artillerie et provoqua une grave crise morale car si un soldat peut supporter beaucoup de choses, il doit avoir absolument confiance en ses armes et cette crise faillit lui faire perdre la confiance en son canon, par ailleurs excellent.
La crise des éclatements conduit à des mesures d'urgence: arrivée sur le front de batteries équipées de canons de 90 mm Mle 1877 de Bange (anciens canons de campagne), introduction de canons de montagne de 80 mm de Bange et de 65 mm Mle 1906 pour suppléer au manque de munitions de 75, recours au tir d'artillerie lourde des pièces anciennes de Bange 120 L et 155L, mise de côté des derniers "bons" lots de munitions de 75 d'avant-guerre par les commandants de groupe en cas de "coup dur", etc...
Voici quatre photos de matériels, dont deux de 75 "éclatés":
75 mm Mle 1897 de la 8ème Batterie du 28ème R.A.C. devant La Boisselle:

Autre explosion à la 8ème Batterie du 28ème R.A.C.:
Le Lieutenant Dauré de la Batterie Lefol à Méaulte, 120L Mle 1878 de Bange:
120L Mle 1878 de la Batterie Lefol à Méaulte:
Cordialement,
Guy François.