http://www.lexpress.fr/informations/law ... 07480.html
T.E.L. était francophone, d'abord pour avoir vécu à Dinard durant 3 années (âgé de 3 à 6 ans), ensuite pour avoir parcouru la France en solitaire (en vélo, âgé de 20 ans) afin de préparer sa thèse d'archéologie deux années plus tard sur les châteaux médiévaux français (Université d'Oxford) : "The influence of the Crusades on European Military Architecture - to the end of the XIIth century" (1910).
Après la Grande Guerre, Lawrence participera également à la conférence de la Paix à Paris (1919) lors des négociations entre les Alliés vainqueurs et la délégation arabe de l'Emir Fayçal qui décida de l'avenir du Proche-Orient ; plus tard, il participera également à la conférence du Caire (1922) en qualité de conseiller du secrétaire aux colonies Winston Churchill pour les affaires arabes ; en cette qualité, il assista... silencieux à cette conférence. Si l'anglais était largement en usage, le français était la langue diplomatique...
Le conflit d'Orient (1914-1918 et au-delà) aiguisait l'appétit de plusieurs acteurs, grosso modo :
- le bureau britannique de l'India Office qui considérait l'Arabie/Syrie relevant de son autorité
- le bureau britannique du Cairo Office qui supplantera politiquement/militairement l'India Office dans ses prétentions régionales
- les Français qui, du fait de leurs rapports privilégiés de "protecteurs" des Maronites libanais mais aussi des Lieux Saints en Palestine ottomane, voyaient là une occasion inespérée d'étendre leur influence sur la Grande Syrie après la défaite de la "Sublime Porte".
Si le public sait "l'aventure" lawrencienne en Arabie, Jordanie, Syrie, il ne sait sans doute pas (ou peu) que les Français y ont pris également une grande part au sein même des troupes constituées par T.E.L. sous l'autorité incontestée et unique de l'Emir Fayçal Ibn Hussein, fils de Hussein Ibn Ali alors Emir du Hedjaz sous tutelle ottomane et investi du titre prestigieux de Sherif de La Mecque.
Du fait des enjeux diplomatiques du conflit, la France s'est heurté en permanence aux intérêts de la Grande-Bretagne qui veillait jalousement sur les destinées de la Révolte arabe ; ce, dans la perspective du partage de l'Empire ottoman. Une lutte farouche et les intérêts divergents des parties (durant de longs mois) entre le lieutenant-colonel Edouard BREMOND (chef de la Mission militaire française au Hedjaz) et T.E. LAWRENCE, illustre cet antagonisme virulent et, par extension, la "légende" infondée de la soi-disant "francophobie" de T.E.L.!
La France souhaitait affirmer sa présence dans la région. Elle décida l'envoi d'une mission politique et militaire dans la province du Hedjaz. Avec un effectif réduit, la Mission Militaire Française au Hedjaz conseilla les forces bédouines et joua un rôle actif dans le sabotage de la voie ferrée du Hedjaz. Une collaboration anglo-française qui se poursuivra jusqu'aux portes de Damas en 1918 !
Il est utile de souligner, car peu le savent, que les troupes britanniques et leurs supplétifs anglo-arabes, sous l'autorité du Général Edmund ALLENBY, n'entrèrent pas les premiers à Damas : les troupes françaises y entrèrent également à leurs côtés le 1er octobre 1918 et les premières à pénétrer dans la "cité mythique" furent des supplétifs français !
D'un caractère fortement différent du sien, le lt-colonel Brémond se heurta à Lawrence et en témoigna dans son livre le plus important : "Le Hedjaz dans la guerre mondiale". Le lt.-colonel Brémond parlera de "farouche francophobie" de la part de T.E.L.
Quand on s'intéresse à la psychologie de T.E.L., ses déconvenues avec sa hiérarchie militaire et diplomatique, les témoignages de ses intimes, ses écrits ultérieurs et ses "ambitions" pour la nation arabe, il devient clair que sa "francophobie" concernait surtout les visées expansionnistes régionales de la France, en sus de celles de sa patrie !
Dès lors, il s'agit moins d'un rejet de ce qui est "français" que de clairvoyance de sa part quant à l'écroulement annoncé de son "rêve d'Orient" ; celui d'une Nation arabe consacrée par les Puissances après la chute annoncée de l'empire ottoman et son dépeçage à venir !
La conférence de la Paix à Paris en 1919 (à laquelle il participa) confirma ses appréhensions et le début de sa "descente aux enfers" : la Grande-Bretagne, et Lawrence à qui l'on avait donné des "garanties", avaient fait des "promesses" aux Arabes pour s'assurer de leur concours dans le conflit oriental : engagements non tenus...
A l'issue de la conférence du Caire en 1922, Lawrence écrit :
"En quelques semaines, lors de la conférence du Caire, Winston Churchill débrouilla tout l’écheveau, trouvant des solutions qui répondaient, je le pense, à la lettre et à l’esprit de nos promesses quand c’était humainement possible, sans sacrifier aucun des intérêts de l’Empire ni aucun des peuples intéressés. Nous nous retrouvions au terme de l’aventure du Proche-Orient les mains propres. Fayçal reçut en effet le trône d’Irak, Abdullah celui de Transjordanie. Aux seules exceptions de la Syrie et du Liban, placés sous mandat français, l’Arabie fut émancipée".
Ici T.E.L. oublie de dire que l'Irak, la Transjordanie et la Palestine passent sous mandat britannique...
Il poursuit :
"Le résultat de cette épopée.....Après cela il n’y a pas grand-chose de mieux que je puisse faire. Je n’avais eu toute ma vie qu’une seule envie : pouvoir m’exprimer sous une forme imaginative".
En quittant la Syrie en novembre 1918, Lawrence ne se réadapta pas au monde ; partant pour l'Angleterre il écrivit à un de ses amis avant de quitter Damas et n'y plus jamais revenir :
"Je me sens comme un homme qui a brusquement abandonné un lourd fardeau, le dos lui fait mal quand il se redresse. J’avais rêvé, à la City School d’Oxford, de forcer l’Asie à prendre la forme nouvelle qu’inexorablement le temps poussait vers nous. La Mecque devait conduire à Damas, Damas à l’Anatolie, puis à Bagdad".
Plus tard, dans son chef-d'oeuvre "clef" : Les Sept piliers de la Sagesse, Lawrence déclarera :
« ...si nous gagnons la guerre, les promesses faites aux Arabes seraient un chiffon de papier... », faisant ainsi allusion aux "accords secrets" Sykes-Picot.
Dans son opus majeur, joyau de la littérature anglaise, Lawrence confesse son "rêve d'Orient" :
"Tous les hommes rêvent mais pas de la même façon. Ceux qui rêvent la nuit dans les recoins poussiéreux de leur esprit s’éveillent au jour pour découvrir que ce n’était que vanité, mais les rêveurs du jour sont des hommes dangereux, car ils peuvent jouer leur rêve les yeux ouverts pour le rendre possible. C’est ce que j’ai fait. Je voulais bâtir une nouvelle nation, restaurer une influence disparue, donner à vingt millions de Sémites les fondations sur lesquelles édifier un palais inspiré de leurs pensées nationales".
Alors, "francophobie" ?
Plutôt l'expression de l'espoir brisé d'un homme... anéanti pour s'être confondu avec son "rêve fracassé" !
That's the remaining question

T. E. Lawrence à Damas, il a 30 ans, au faîte de sa gloire et... au seuil de ses désillusions
(Syrie, octobre 1918)
