La campagne du 41e régiment d'infanterie

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Yv'
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par Yv' »

Bonjour à tous,

En complément au sujet suivant qui avait déjà évoqué le parcours du 41e RI :
pages1418/forum-pages-histoire/ri-sujet_5292_1.htm

je vous propose aujourd'hui une suite d'articles (découverts totalement par hasard) parus dans le journal l'Ouest-Eclair. Voici le début, la suite viendra... un peu plus tard. :)
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Yves
Piou-Piou
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par Piou-Piou »

Bonsoir Yves,

Interressant,vivement la suite.

Cordialement.
Phil.
Phil.
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Yv'
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par Yv' »

Voilà, ça prend un peu de temps, mais on va y arriver.
Voici donc ce premier article paru le 20 février 1916, sous la plume du "Dr V." :


PREFACE

Ce carnet de route rédigé en suivant le
service médical du 41e régiment d'infanterie
n'a nullement la prétention d'être une his-
toire de la guerre. C'est simplement la rela-
tion aussi exacte et complète que possible
de nos impressions de campagne. Tenu au
jour le jour, il permettra de suivre, pas à
pas, notre randonnée formidable et de pé-
nétrer un peu dans cette vie si variée que
nous avons menée à la guerre. A côté des
événements essentiels auxquels nous avons
assisté, nous notons tout ce que nous avons
remarqué d'intéressant sur notre passage,
soit pendant la retraite de Belgique, soit
dans la victoire dont nous avons connu la
griserie à la bataille de la Marne.
Cette relation n'étant pas une œuvre his-
torique présente certainement des lacunes,
des erreurs de jugement ou de faits qui sont
la conséquence de sa sincérité. Nous avons
simplement voulu conserver le souvenir im-
périssable de cette guerre où il nous a été
donné de voir des événements, des specta-
cles que notre imagination se serait refusé
à admettre. Et surtout nous avons voulu
conserver le souvenir de tous les braves du
41e, de tous les braves de toute l'armée dont
il nous a été donné de constater directe-
ment la valeur.

A Vouziers, le 7 août 1914.

G. V.


CHAPITRE PREMIER

LA MOBILISATION

La guerre m' a surpris pendant ma première année de service militaire que j'accomplissais au 41e régiment d'infanterie de Rennes.

Au 1er juillet, à la suite d'un séjour de 15 jours à l'infirmerie, j'obtenais un congé de 30 jours de convalescence. Me voilà immédiatement parti pour la campagne où toute la famille était réunie à l'exception de mon frère Raymond qui terminait son séjour à Londres.

Le temps s'écoulait rapidement dans le calme et la tranquillité de la campagne, l'été s'annonçant d'une douceur toute particulière. Ce n'étaient que parties de pêche
dans l'étang poissonneux dont les eaux profondes dormaient non loin du joli château voisin.

Comme un rêve s'envolèrent les longues promenades en famille autour de l'étang aux bords ombragés, les longues courses à travers la campagne pour assister à la manœuvre du 41e dont les batailles pour rire réveillaient les échos de Saint-Germain et de Saint-Médard ; les interminables parties de croquet réunissant toute la famille.

Nous vivions tous dans la tranquillité la plus grande : à peine lisait-on les journaux. Les carpes de l'étang nous intéressaient bien plus que les discussions de l'Autriche
avec la Serbie. Une chose cependant donnait l'éveil : les quelques rares journaux que nous lisions témoignaient d'une réserve non coutumière. On sentait un mot d'ordre venant de haut : pour un esprit avisé cette réserve aurait dû avoir sa signification ; si l'on modérait la presse, c'est que l'heure était grave.

Mais la guerre était-elle possible ? On savait bien que les esprits chagrins nous en rabattaient les oreilles depuis dix ans sans que jamais on la vît : ça se passerait comme les autres fois ; les diplomates auraient une fois de plus le plaisir de discuter, mais la paix était assurée. Qui donc voulait la guerre ? Guillaume II ! Tout juste s'il ne s'intitulait pas le prince de la paix !
France, Angleterre et Russie ne parlaient que de concorde. Pourquoi ce nuage aussi imprévu que soudain : quelqu'un voudrait-il par hasard déchaîner l'orage ? Mais baste ! Occupons-nous de rendre notre séjour ici aussi agréable que possible. Peut-on songer à s'entretuer quand la campagne est si belle, quand les blés dorés qui frissonnent sous la brise attendent encore d'être recueillis dans lés vastes granges, lorsque le soleil brille d'un éclat si doux à travers les grands sapins et vient vous réveiller par ses caresses le matin dans votre lit ? Pourrait-il se faire que quelqu'un oblige des millions d'hommes à coucher dehors dans un fossé, sous la pluie parfois ; alors que toutes les douceurs de la vie nous sourient, serait-il possible que dans quelques jours on soit privé de sommeil, on boive parfois de l'eau souillée pour apaiser la fièvre des marches et des combats, on mange souvent du pain moisi, et parfois on se serre la ceinture d'un cran en guise de dîner.

Non ! c'est impossible ! à peine notre esprit entrevoit-il tout cela.

Le mardi 21 juillet, en rentrant de Cancale à midi après une trotte de 75 kilomètres à vélo, je trouve un télégramme m'appelant à Sion (Loire-Inférieure) pour remplacer le médecin de l'endroit. Pendant huit jours me voilà attaché à ma tâche qui a pour moi l'attrait du nouveau. Tous les jours, je parcours le pays avec la petite auto monocylindre « Zèbre », visitant les malades des trois communes avoisinantes.
En quelques jours, je conduis à peu près convenablement. Une rencontre avec une vache, l'écrasement de trois ou quatre poulets avait suffi pour me donner un coup de volant à peu près suffisant. Le pays est calme, en plein travail. Cependant déjà vers le lundi 27, les journaux deviennent plus inquiétants. Les affaires ne s'arrangent pas du tout entre les puissances ; l'Allemagne montre une mauvaise volonté manifeste.
Un soldat permissionnaire qui venait de se fracturer l'avant-bras dans une chute de bicyclette est rappelé d'urgence à Versailles par télégramme. A la poste, les employés sont sur les dents. Tous les permissionnaires sont rappelés en hâte : la journée du lundi se passe dans une attente fébrile. Le maire de Sion reçoit l'ordre d'exécuter toutes les mesures préparatoires de la mobilisation, inventaire de tous les attelages, des autos, etc.

Le mardi matin, à 6 heures, je reçois un télégramme envoyé par le colonel du 41e à Saint-Médard : « Rentrez au corps sans délai ! ». Je venais de passer la nuit pour un accouchement ; impossible de partir immédiatement. A 4 heures de l'après-midi, je pars en auto pour Martigné-Ferchaud. La route est longue et très dure, un orage épouvantable nous assaille en route ; la pluie qui tombe à torrents rebondit sur le capot de la voiture, rejaillit sur la glace : il est très dfificile de conduire dans ces conditions. Les dérapages sont fréquents, il faut d'énergiques coups de volant pour ramener la voiture sur le macadam. Nous arrivons cependant à destination. En attendant le train, nous entrons dans un café pour lire quelques journaux : les nouvelles sont franchement mauvaises, le courrier de Paris est en retard, partout des mesures spéciales sont prises. Je remarque dans un coin de la gare plusieurs rames de wagons sur lesquels on monte les bancs mobiles pour le transport des troupes. Plusieurs voyageurs qui arrivent par le train de Vitré nous apportent quelques nouvelles de Paris où l'opinion publique est très calme, mais envisage froidement toutes les éventualités. Ici, à la campagne, tout le monde est tranquille ; il ne semble nullement que le pire cataclysme plane sur la nation ; les paysans continuent leurs travaux ; si on leur demande ce qu'ils pensent de la guerre éventuelle, ils vous répondent flegmatiquement qu'ils sont prêts à partir et à faire tout leur devoir. Ce calme est remarquable.

Le train de Rennes arrive enfin avec deux heures de retard pendant lesquelles nous nous morfondons sur le quai. Je suis en retard de plus de 18 heures pour rentrer au corps et suis fort inquiet quant à la réception qu'on me réserve à la caserne. Le train, qui nous amène à Rennes à une allure d'escargot, traîné par une locomotive poussive, est bondé de permissionnaires rappelés par télégrammes. Enfin nous entrons en gare ; au pas de gymnastique, je cours à la maison dont le portail est fermé à clef. Je suis obligé d'escalader la balustrade et de grimper dans la maison par une fenêtre du premier étage. En dix minutes, ma tenue civile est remplacée par l'uniforme. A Saint-Hélier, je trouve mon père chez M. Grillet (1). Réception fort aimable de ce futur commandant de territoriale qui devait se trouver à mon insu si près de nous à la bataille des Flandres ; il devait récolter trois citations à l'ordre du jour dans cette bataille où s'illustrèrent nos divisions de territoriaux bretons. La conversation roule naturellement sur la guerre pendant que je descends un petit repas froid que l'on me sert très aimablement.

(A suivre.) Docteur V.


(1) Comme dans le cours du récit nous n'au-
rons pas l'occasion de parler de nouveau du
commandant Grillet, nous ne pouvons resis-
ter au plaisir de reproduire dès maintenant
Ses trois citations :

Le lieutenant-colonel commandant le 74e
rég. territ. d'infanterie, cite à l'Ordre du régi-
ment (3 octobre 1914) :

Grillet Louis-Etienne, capitaine :
A fait preuve de beaucoup d'énergie et d'ini-
tiative devant Langemarck.


Le général commandant la ...e division d'in-
fanterie territoriale cite à l'Ordre de la divi-
sion (24 janvier 1915) :

GRILLET Louis, capitaine au 74e territorial :
A exécuté avec audace et courage des recon-
naissances périlleuses en avant des lignes.


Le colonel commandant la ...e brigade d'in-
fanterie territoriale cite à l'Ordre de la bri-
gade (30 mai 1915) :

GRILLET Louis, capitaine au 74e territorial :
A dirigé avec un grand courage la défense
du canal au pont du chemin de fer à Bœsin-
ghe. Plusieurs attaques ont été repoussées,
grâce à son énergie et à ses dispositions ju-
dicieuses.



Source: gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
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los
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par los »

Bonsoir Yv
Grand merci pour cette retranscription. :bounce: Il me tarde de lire la suite.
Je pense que l'auteur est le docteur Georges Veaux du 41e RI de Rennes. Il a aussi écrit "En suivant nos soldats de l'Ouest" qui, je crois, a également été publié par Ouest Eclair mais j'ignore à quelle date cela est paru... Si, en feuilletant Ouest Eclair vous trouvez ce récit, pourrez vous m'indiquer la date de parution ? Merci d'avance.

Amicalement
Sophie :hello:
Recherches sur le 19eme RI, le 219e RI et le 50eme RA.
Mes deux sites: http://19emeri.canalblog.com/ et http://219eri.e-monsite.com/
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Achache
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par Achache »

Bonsoir,

En suivant nos soldats de l'Ouest, Georges Veaux Rennes : Imprimerie Oberthur, 1917

Bien à vous,

[:achache:1]
Achache
Émouvante forêt, qu'avons-nous fait de toi ?
Un funèbre charnier, hanté par des fantômes.
M. BOIGEY/LAMBERT, La Forêt d'Argonne, 1915
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los
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par los »

Bonsoir HH

Merci pour ces précisions.
Donc paru en 1917 chez Oberthur, je suppose que la parution en épisodes de ce récit dans Ouest Eclair a eu lieu après.

Amicalement
Sophie :hello:
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Yv'
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par Yv' »

Bonsoir,

Bravo Sophie pour cette identification rapide de l'auteur !

Voici le chapitre suivant :


AVANT-CHAPITRE

(SUITE)

A la caserne, je trouve une animation toute particulière. Les mesures préparatoires de la mobilisation ont été prises, tous les permissionnaires sont rentrés ; les collections de guerre ont déjà quitté les magasins et sont distribuées. Sous les hangars s'alignent les piles de bidons, de musettes, de cartouchières, de ceinturons. Partout les voitures, les autos, les vélos, les chevaux sont recensés. La majorité de la population ne croit cependant pas à la guerre. Et pourtant les dépêches que la foule va lire devant l'Ouest-Eclair montrent la gravité de l'heure ; la tension diplomatique augmente de plus en plus.

Le vendredi 31 juillet, on se rend très bien compte que la guerre est presque inévitable et d'un moment à l'autre, on s'attend à l'ordre de mobilisation. Ce jour-là, nous faisons la dernière marche manœuvre « pour rire » : partis à 2 heures du matin, en pleine nuit, par le faubourg de Fougères, la route de la Mi-Forêt, nous rejoignons Cesson où doit se passer la manœuvre. Une batterie d'artillerie nous soutient ; nous attaquons au-dessus de Cesson, vers Chantepie.

Le général Bonnier, le nouveau divisionnaire, vient assister à la manœuvre. Nous sommes tous vivement frappés par l'expression de sa physionomie : le teint est jaunâtre, pale, la face complètement rasée ; l'œil perçant vous fixe d'une façon toute particulière, comme s'il voulait lire jusqu'au fond de votre âme. Quand on le salue, il vous regarde longuement, vous prend du regard, puis vous rend votre salut d'un air paternel et bienveillant. C'est un colonial, nous le savons ; avec un tel général ça doit bien marcher.

Au retour en ville, le régiment tout entier défile dans les rues de Rennes, parcourt le boulevard de la Liberté encombré par la foule du marché du vendredi. Son allure magnifique soulève des acclamations unanimes ; les compagnies sont toutes à 250 hommes ; tout le monde est présent. On sent qu'en ce moment où la guerre nous menace, le pays tout entier met sa confiance dans son armée.

Le samedi 1er août, tous les préliminaires de la mobilisation sont terminés ; les dossiers sont tous prêts. - La nervosité se manifeste de plus en plus ; on apprend avec stupéfaction l'ultimatum de l'Allemagne à la Belgique. Déjà le bruit court en ville que la mobilisation est chose faite.

Vers trois heures et demie de l'après-midi, je rentrais à la caserne lorsqu'un camarade me dit d'aller voir il la poste où il y a du nouveau. Là, je trouve affiché un petit télégramme sur papier jaune :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

TELEGRAMMES OFFICIELS

La mobilisation générale est ordonnée :
le premier jour de mobilisation sera le
dimanche 2 août.

Poincaré. 15 h. 25

Je suis un des premiers à lire le télégramme, mais la nouvelle n'est pas longue à se propager.

Au même instant, la grosse cloche, le bourdon de l'Hôtel de Ville, résonne lugubrement ; les coups tombent un à un dans le silence de la foule qui encombre la place. Tout le monde se regarde ; c'est un moment extraordinaire où toute cette foule semble se recueillir. Les yeux des femmes se mouillent, les mouchoirs sortent des poches, mais, soudain, un grand cri s'élève de toutes les poitrines, réveillant les échos de la grande place :

« Vive l'armée ! Vive la France »

Le maire. M. Janvier, apparaît au balcon de l'Hôtel de Ville, et, en quelques phrases brèves, mais bien senties, il rappelle nos défaites de 1870, la douleur de tous les Français d'alors, et crie sa confiance en l'heure présente, la confiance de la France en elle-même. Son discours est accueilli par des applaudissements frénétiques ; les quelques rares soldats qui sont sur la place sont portés en triomphe. Avant que j'aie eu le temps de me reconnaître, je suis empoigné par les quatre membres, enlevé de terre et transporté à travers mille secousses aux cris de : « Vive l'armée ! ». Je
réussis cependant à me dégager. J'aperçois mes frères, René et Maurice, accompagnant ma mère qui arrive sur la place. Son émotion parait bien vive ; déjà elle s'imagine que je vais partir dans quelques heures ; je la détrompe : nous ne partons que le 4e jour de la mobilisation.

Partout on colle les grandes affiches blanches de mobilisation et d'ordre de réquisition.

A la caserne, tout le monde est en l'air. Il reste encore cinq ou six heures avant la « première heure » de la mobilisation : on en profite pour avancer le travail.
Ce soir, je reste à la maison : c'est la dernière fois que j'y couche pour longtemps. L'appétit ne marche pas beaucoup au repas du soir. Tout le monde est énervé, le départ
est proche, quoique la guerre ne soit pas encore déclarée.


Dimanche 2 août

C'est le 1er jour de la mobilisation. Les gardes des voies et communications sont tous appelés; ils revêtent le bourgeron et le pantalon de treillis, partent armés de fusils Gras pour garder les ponts, les viaducs, les passages à niveau, les postes d'aiguillages, les ouvrages d'art de toutes natures. Leur rôle, si modeste d'apparence, a une importance considérable.

La mobilisation, si compliquée, commence immédiatement. Le dossier ou plan 17, qui vient d'être mis au point, est ouvert : heure par heure, il fixe chaque corvée, le nom de chacun des soldats qui devra l'effectuer ; un tel doit à telle heure aller chercher la voiture à quatre roues de l'usine à gaz et la conduire pour telle heure dans la cour de tel bâtiment. Tel autre ira ramener le camion de tel marchand de bois; une équipe part préparer toutes les salles du Lycée pour recevoir telle ou telle compagnie ; on dévisse les bancs et les tables, on apporte de la paille. Les petites voitures à
bras emportent des charges de bidons, de capotes, de guêtres. Le képi rouge a disparu subitement sous un manchon bleu qui donne tout de suite un air guerrier ; la tenue de campagne, pans de la capote relevés, est de rigueur. Dans toute la ville l'activité est fiévreuse ; les corvées sillonnent les rues ; malheureusement, l'alcool ne perd pas ses clients et plus d'un louvoie dans les rues. On ferme plus ou moins les yeux : d'ici peu on aura besoin de tout le monde, car devant l'Ouest-Eclair, la foule qui stationne, vient de lire la nouvelle de la déclaration de guerre de l'Allemagne à la
France.

Le travail de la journée s'effectue d'une façon remarquable ; quand la nuit arrive, tous les véhicules du 41e sont mobilisés et les trois classes 1911, 1912, 1913, actuellement sous les drapeaux, sont complètement équipées en guerre.

De son côté, l'artillerie n'a pas flané : le 7e et le 50e ont pris leurs nouveaux cantonnements dans les petits villages des environs ; en un jour, tous les hommes sous les drapeaux sont équipés ; ils attendent dans leurs cantonnements l'arrivée des réserves.

Lundi 3 août

Dès 3 heures du matin, certaines compagnies du 41e quittent leurs casernements, et vont occuper le Lycée, le Grand Séminaire, le hangar Métayer, tous les bâtiments qui ont été préparés hier pour les recevoir ; chaque compagnie en effet sera doublée par les classes 1908, 1909 et 1910. D'ailleurs, déjà de nombreux réservistes sont arrivés hier, devançant le moment légal de leur arrivée et, depuis ce matin, la porte de la caserne est franchie par une multitude de réservistes : les campagnards dans leur blouse du dimanche, leur journée de vivres dans le panier, les citadins dans leurs vêtements distingués, une petite valise élégante à la main. Une heure après, tous sont confondus sous l'uniforme du soldat français. Ils arrivent tout joyeux ; beaucoup retrouvent des camarades actuellement sous les drapeaux. Chaque homme est immédiatement équipé ; on les dirige ensuite par petits groupes sous la conduite d'un gradé vers leur compagnie, au Lycée ou ailleurs.
Le travail s'effectue sans heurt ; quelques-uns, qui sont malades, passent à la visite. Ils veulent presque tous partir, d'ailleurs ; un ancien adjudant cassé de son grade court d'une compagnie à l'autre, suppliant les capitaines de le prendre chez eux ; naturellement, il est très difficile de l'accepter ainsi de but en blanc ; mais sans rien dire, il s'occupe de s'équiper à droite et à gauche, trouvant des guêtres ici, des souliers là. Une fois en route, on s'aperçoit qu'il est dans le train.

Les magasins de compagnies sont transformés en salons d'habillement.

Je m'informe de mon sort : personne ne sait ce que je deviens en cas de mobilisation. L'interne des Hôpitaux de Paris Le Gac, qui est dans le même cas que moi, rentre dans sa compagnie et s'imagine qu'il va partir comme soldat de 2e classe. Je vais à la Direction du Service de santé : dans l'antichambre se pressent une nuée de médecins, chirurgiens et pharmaciens.
Ce soir, pour la première fois, je couche tout habillé pour m'habituer à cette nouvelle façon de dormir.


Mardi 4 août

La mobilisation s'avance à merveille, tout se passe régulièrement : il n'y a pas une minute de retard.

Au Lycée cantonne une partie du 2e bataillon. La physionomie de l'établissement est toute changée par cet envahissement inattendu ; dans tous les couloirs ce ne
sont que civils échangeant fébrilement leurs effets contre les collections de guerre. Dans un coin, l'adjudant Mauxion habille les hommes avec une célérité toute particulière. C'est notre adjudant de bataillon à la caserne et je sais qu'il déteste les Allemands. Il s'empare des hommes au fur et à mesure de leur arrivée, en deux tours de main leur donne ce qu'il faut comme tenue, trouvant un mot pour rire pour chacun ; il crie sans arrêt, mais c'est à ces sales Boches qu'il en veut. « Ah ! ils vont voir de quel bois se chauffent les Bretons ! »

Notre journée est remplie par la visite médicale de tous les réservistes souffrants. On remarque un grand enthousiasme parmi eux : tous veulent partir avec le régiment et protestent contre les décisions que prennent les médecins, lorsqu'on les désigne pour rester au dépôt.

La mobilisation de la 10e section d'infirmiers se poursuit aussi avec activité. Les prêtres arrivent de partout ; leur soutane noire est vite remplacée par l'uniforme. On remarque l'entrée sensationnelle de cinquante capucins qui reviennent volontairement d'Espagne s'engager au service de leur patrie. Quand ils sortent du magasin, avec leurs grandes robes, les pieds nus dans des sandales, leurs uniformes sous le bras, leurs sacs sur le dos, une ovation leur est faite, aussi chaleureuse que méritée.

Pendant que j'examine un homme qui vient d'être pris d'une crise d'épilepsie, on me fait demander au poste : c'est mon père qui arrive à pied de Saint-Médard ; il a fait rapidement les 30 kilomètres qui le séparaient de Rennes. Je suis vivement impressionné en remarquant l'émotion qui l'étreint. On sent qu'il a eu peur d'arriver trop tard : il est couvert de poussière et de sueur ; jamais je n'avais compris si bien son affection pour nous qu'au moment où il me serre la main chaleureusement, avec l'allure carrée qui le caractérise lorsqu'il cherche à cacher son émotion. Il voudrait que je sorte en ville avec lui, mais c'est impossible ; il y a encore plus de 150 hommes à examiner. On se reverra ce soir : ce sera court, car demain nous partons.

Personne ne veut encore m'habiller : nous sommes à la veille du départ. C'est le moment d'agir, car je vais rester ici, si je ne me débrouille pas. Plusieurs camarades de Vitré, de Saint-Malo, dans le même cas que moi, sont rentrés à la 10e section d'infirmiers. Je veux pourtant partir avec mon régiment, suivre mes camarades, mes amis, dans cette vie nouvelle et terrible où il sera si nécessaire de se sentir les coudes.
Je passe dans les différents magasins, barbote ici une capote, là une veste ; je prends les chaussures toutes neuves du sergent-major de ma compagnie qui refusait de m'en donner et qui chausse par bonheur la même pointure que moi ; enfin je réussis à m'équiper avant le soir. Je passe une soirée agréable, mais si fiévreuse à la maison.

Demain, en effet, nous partons dans la matinée. A 10 heures du soir, on distribue les vivres de réserve et les cartouches. On s'endort pour la dernière fois à Rennes.
DOCTEUR V...
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Yv'
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par Yv' »

25 février 1916 :

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Piou-Piou
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par Piou-Piou »

Bonsoir ou bonjour Yv,

Merçi pour le partage, interressant, bataille de Charleroi vivement la suite.

Cordialement.
Phil.
Phil.
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Yv'
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Re: La campagne du 41e régiment d'infanterie

Message par Yv' »

Et le fameux 27 février 1916 :

Image

Bon, eh bien désolé, je n'avais pas vérifié si tous ces épisodes annoncés avaient bien été publiés... Et pourtant, ça m'avait paru exceptionnel qu'un journal puisse donner ainsi des détails sur le parcours d'un régiment. J'avais donc raison. Ce n'était pas possible.
Bien, il ne reste plus qu'à se procurer le livre de ce Georges Veaux !

Amicalement,
Yves
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