Page 1 sur 2

Re: Rédaction des citations

Publié : mer. juil. 28, 2010 1:26 pm
par Laurent59
Bonjour à tous, qui se chargeait de la rédaction des citations ? à partir de quelles informations le soldat ou l'officier était soumis à une citation (témoin visuel, récit...etc) ?

merci de vos réponses

PS: j'ai bien lu la réponse sur wikipedia mais...je n'ai pas obtenu la réponse souhaitée ;)

Laurent :hello:

Re: Rédaction des citations

Publié : sam. juil. 31, 2010 4:09 pm
par Tanker
Bonjour Laurent,

Les citations ! Vaste tarte à la crême que l'on pourrait aussi nommé "de la relativité des choses" !

Il faut d'abord bien comprendre que, aussi bien en temps de paix qu'en période de guerre, les citations (et donc les médailles qui en découlent) correspondent à une logique administrative très précise et à des quotas fixés par le commandement.

Chaque niveau de commandement (Armée, Corps d'Armée ou Division, Régiment) définit l'enveloppe de citations et de décorations à attribuer pour chacun des niveaux subordonnés qui a été concerné par l'action menée.
Il est bien entendu que la "performance" de telle ou telle unité pourra être récompensé par un supplément de "droit ouvert" et ce, au dépend de ceux qui auront été jugés moins performant.

De manière concrête, et en partant de la base, celà se matérialise par :
- Un ordre du Colonel commandant le régiment, du Chef de Bataillon ou des Capitaines commandant les Compagnies, de rédiger des propositions de citations.
- Des compte-rendus (écrits pou verbaux) élogieux rédigés par les chefs ayant commandé l'action au feu sur un ou des individus,
- Des rapports de combats fournissant directement une liste de noms de combattants à citer avec (parfois) quelques lignes d'argumentation.
A tous les niveaux, les chefs connaissaient le système et savaient, si les conditions s'y prétaient prendre le temps de rédiger, à toutes fins utiles, ces quelques lignes de "cadre de proposition".

Quelques soit l'origine de la proposition, ce sont les subordonnés directes qui fournissent les premiers éléments.
Ce premier jet de citation (ou de brouillon de citation) est généralement détaillé car c'est l'argumentaire qui appuie la demande et qui fera choisir cet individu plutôt qu'un autre.
Il est fait "à chaud" par des intervenants ayant vécus l'action. Il n'y a pas le recul sur l'événement que montre les citations "pondues à la chaîne" par les bureaux des citations des niveaux supérieurs.

Le niveau supérieur Cdt de Compagnie, Chef de Bataillon, Colonel cdt le Régiment fait la fusion des propositions qui lui sont fournies et s'il a déjà des précisions sur le volume qui lui sera attribué place dans un ordre de choix les propositions qu'il fait remonter.

C'est déjà le début de la "Sauce" car en effet, il est à ce stade possible de favoriser un ou des individus qui se sont déjà fait remarquer précédemment et n'ont finalement pas été retenus les fois précédentes. Voir d'éliminer un individu brillant sur le terrain mais semeur de pagaille à l'arrière.
Pour ces rattrappés, le "brouillon de citations" peut être complété par un rappel d'une ou d'actions précédentes qui n'avaient pas été récompensées.

Cela peut aussi être l'occasion de favoriser quelqu'un pour qui cette nouvelle citation permettra l'attribution d'une médaille.
L'action de cet individu (dans cette dernière affaire) peut même, éventuellement, ne pas avoir été exceptionnelle par rapport à celles d'autres candidats qui, en l'occurence, passeront derrière lui.

Concernant le niveau régimentaire, si le régiment a reçu de la Division le nombre de citations (voir de décorations) qu'il est en mesure d'attribuer, les citations élaborées seront celles que l'ont retrouvera dans le JMO et dans les pièces des individus (avec généralement une simplification du texte et la disparition de détails très précis).

Concernant les citations, c'est aussi à ce niveau que les personnels finalement cités, ne seront pas exactement ceux ayant participé aux actions recompensées.
Si la conduite du régiment a permis de bien "secouer le bananier" cela peut-être pour le chef de corps l'occasion de récompenser des personnels du régiment qui n'ont pas particulièrement l'occasion de briller au feu ! Le livre du Cne Désagneaux cite quelques exemples intéressants de personnels de son régiment cités en place de ceux de sa compagnie.

Les citations sont donc toujours à prendre avec des pincettes et doivent être confrontées à la place dans l'unité (et au moment des faits) du bénéficiaire de la citation.
C'est entre autre là qu'il faut aller au delà du JMO et piocher dans les notes annexes et rapports de combat. . . .

Au niveau du Régiment, les effectifs ne permettent pas de disposer d'un bureau spécialisé, et c'est probablement le service des effectifs régimentaire qui était en charge de ce travail sur les citations et décorations.

Il est bien entendu que si le Régiment demande des attributions de citations de niveau supérieur,ou si les niveaux de commandements supérieurs ont décidé d'attribuer des citations (attribuées par eux), les noms et citations des personnels proposés remonteront dans la hiérarchie et subiront le passage "en fusionnement" de ces différents niveaux.

Au niveau supérieur (Division, Corps d'Armée, Armée et Ministère) le volume des citations et décorations accordées nécessitait la création de Bureaux spécifiques pour traiter ce problème.
On rentre là dans une logique de rédaction beaucoup plus formatée et pas nécessairement totalement en phase avec l'action menée.

Toute la complexité de ce problème des citations se retrouve dans les artributions faite au profit d'une autre unité, et accordée sur les quotas de l'unité.
Dans les unités d'appuis comme l'artillerie, le Génie où l'artillerie Spéciale des personnels étaient parfois recompensés avec des citations des Régiments ou Divisions qu'ils étaient chargé d'appuyer.

Un dernier élément vient se greffer sur ce problème citation, c'est la catégorie du personnel cité (Hommes du Rang, Sous-Officiers ou Officiers).
Dans une même action, ces trois catégories de personnels se verront, en final, attribuer des décorations de niveau totalement différents.

A titre d'exemple l'équipage d'un char St Chamond, après une brillante conduite au feu (parfois signalée par le Régiment d'Infanterie appuyé, voir par les rapports de la Division) verra ses personnels récompensés de manière très différentes.

- Tout l'équipage recevra la citation collective de l'unité d'AS (citation généralement du Niveau Artillerie Spéciale).
- L'officier chef du char pourra se voir attribuer la Légion d'Honneur (en particulier s'il a déjà été cité et décoré de la croix de guerre).
- Le Sous-Officier, adjoint au chef de char, pourra se voir attribuer la médaille militaire (en particulier s'il a déjà été cité et décoré de la croix de guerre).
- Le Brigadier canonnier pourra se voir attribuer la croix de guerre (en particulier s'il a déjà été cité une ou deux fois).
- Idem pour le reste de l'équipage qui, au delà de la citation collective de l'AS peut se voir attribuer une citation spécifique.

Dans tous les cas ces citations pouvent amener les personnels à recevoir la croix de guerre ou des "clous" supplémentaires sur leur croix de guerre.

Pour terminer sur une note plus récente qui démontre que rien n'a changé, lors de la 1° Guerre du Golf, le Ministre de la Défense de l'époque aurait dit : Nous n'avons pas d'argent à leur donner, donnez leurs des médailles !).
Le résulat un croix de guerre pour la moitié de l'effectif de la Division Daguet. Quota très loin des "standards" 14-18 et 39-45 (voir des guerres plus récentes).
Les stylos du Bureau des citations ont alors très lourdement chauffé avec quelques bugs manifestes.

Assez rapidement, après les distributions de médaille, des plaintes sont arrivées au Ministère avec des lettres du style :

"Monsieur le Ministre, je ne comprends pas, mon fils untel du X Régiment vient de faire les 6 mois de guerre avec son camarade de chambrée (autre untel). Ils étaient binomés et ont passé ces 6 mois dans le même trou.
Tous les deux ont été cités dans les mêmes termes et seul le camarade de mon fils a eu la croix de guerre . . . . ! "


Le Ministre n'avait pas dit de donner la croix de guerre à tout le monde et les rédacteurs ont aussi un peu manqué d'imagination pour citer les nombreux "non événement" qu'il a fallu récompenser d'une citation.

Cela ne fait pas le tour du problème mais va, peut-être, ouvrir le débat . . . .

Michel

Re: Rédaction des citations

Publié : sam. juil. 31, 2010 4:43 pm
par ALVF
Bonjour,

Bravo Michel pour cette synthèse éclatante!
Je n'ajouterai que deux points pour "ouvrir" le débat en 1914-1918:
-à égalité de "mérite" entre officiers, la citation accordée à un officier ira de préférence à l'officier d'active car cette citation lui sera "utile" pour la suite de sa carrière...car la paix viendra un jour!L'officier de réserve peut attendre une nouvelle "chance" ou occasion de citation, s'il n'est pas mort entre temps....
-en 1917, après les "mouvements" divers allant de la mutinerie à la "grogne", les citations se multiplient, elles sont parfois accordées à la grande "louche", par exemple 30 pour une compagnie, 100 pour un bataillon, etc...Jamais les citations n'ont été aussi nombreuses que cette année là avec l'exception de la fin de l'année 1918 où les "rattrapages" d'oubliés ont été très nombreux.
Tout a été dit par Michel, au même titre qu'en 1914 "on" privilégie "l'offensive à outrance", pas seulement dans le monde militaire mais aussi dans les hautes sphères des dirigeants politiques car les baïonnettes coûtent moins que les pièces d'artillerie lourde, aucune autorité n'hésite à citer "en masse" pour rehausser le moral défaillant du poilu car la dépense est minime.
Ce phénomène n'est pas propre à la France, en Allemagne, on avait coutume de dire qu'il fallait être à peu près mort pour mériter la Croix de Fer au début de la guerre alors qu'elle était distribuée "à la pelle" en 1918!
Cordialement,
Guy François.

Re: Rédaction des citations

Publié : sam. juil. 31, 2010 5:05 pm
par violette
Bonjour,
Merci à tous deux pour ces explications lumineuses et détaillées. Voilà donc comment un chef de char dont le char est misérablement tombé en panne peut se retrouver bénéficiaire d'une citation commençant par "son char ayant été détruit."
Michel, qui semblez bien renseigné, auriez-vous un complément concernant les citations à titre posthume, généralement à l'ordre du régiment ? J'ai l'impression que le simple fait d'avoir été tué valait bien souvent une citation accompagnée de croix de guerre et médaille militaire, de type : "Très brave soldat ... "a donné de nombreuses preuves de dévouement et de courage" ... ou encore "tué héroïquement à l'ennemi."
Cordialement,
Violette

Re: Rédaction des citations

Publié : sam. juil. 31, 2010 7:45 pm
par Tanker
Violette,

Concernant, votre chef de char, il a tout de même eu le temps de mettre hors de combat quelques nids de mitrailleuses. Il ne faut donc pas lui jeter la pierre !

Les décorations à titre postum "ne mangent pas de pain" et elles ne jouent, sans doute, pas sur le quota de celles destinées aux vivants (ou dirai-je aux survivants).

C'est bien connu, dans tous les enterrements les louanges fleurissent sur le défun. Ce n'est que plus tard que les langues se délient ou que l'analyse des documents permet de pondérer l'impression que pourrait donner le seule lecture des citations.

Ceci dit, ils y étaient tout de même dans cette guerre !

Michel

Re: Rédaction des citations

Publié : sam. juil. 31, 2010 11:17 pm
par violette
Bonsoir à tous,
Bonsoir Michel,
Mon message était peut-être un peu lapidaire et pouvait prêter à confusion :
- loin de moi l'idée de mettre en doute les mérites de mon chef de char, encore moins celle de lui jeter la pierre :non: ... Il était certainement aussi courageux et énergique que le dit la citation, je pointais seulement du doigt la première partie de celle-ci, qui donne de la situation une version plus dramatique que ce qu'elle ne fut en réalité. Celà n'enlève rien aux mérites de son bénéficiaire.
Pour les citations à titre posthume, votre réponse confirme l'impression que j'en avais, bien souvent un simple hommage officiel à un mort, pas forcément plus courageux ou héroïque qu'un autre, qui n'aurait sans doute pas été distingué s'il s'en était sorti .
Ceci dit, ils y étaient tout de même dans cette guerre !
D'accord avec vous, le fait d'avoir fait cette guerre, d'avoir vécu dans ces conditions, justifie en soi cet hommage, mais ceux qui en sont revenus l'auraient tout autant mérité.
Je me posais tout de même la question du mécanisme de l'attribution de ces citations à titre posthume car si le fait semble très largement répandu, il n'a pas l'air systématique ?
Avec toutes mes excuses, Laurent, pour ce qui commence à ressembler à un détournement de fil ...
Cordialement,
Violette

Re: Rédaction des citations

Publié : dim. août 01, 2010 2:14 am
par Jean RIOTTE
Bonsoir Michel et Guy,
Bravo pour votre analyse et votre additif. Très bien vu.
J'ai même reconnu des pratiques vécues !
Cordialement.
Jean RIOTTE.

Re: Rédaction des citations

Publié : lun. août 02, 2010 10:04 am
par Laurent59
Bonjour, merci "Tanker" pour cette réponse bien complète et riche d'informations.

cdlt Laurent :hello:

Re: Rédaction des citations

Publié : lun. mai 09, 2011 8:22 pm
par Rutilius

Bonsoir à tous,

Pour rouvrir ce très intéressant débat :

Citation et attribution de la Croix de guerre

La règle selon laquelle une citation comportait attribution de plein droit de la Croix de guerre semble avoir été restrictivement interprétée, même à l'égard des officiers supérieurs, par l'administration du Ministère de la Guerre, notamment quant à la portée à donner à la notion de « faits de guerre ». L'arrêt du Conseil d'État Sieur Lipman (*) ci-après reproduit, rendu aux conclusions du commissaire du Gouvernement Léon Blum, en témoigne.


Conseil d'État, 17 mai 1918 — 63.448 — Sieur Lipman.

(M.M. Delfau, rapp.; Blum, c. du g. ; Me Bickart-Sée, av.).

(Rec., p. 472, 3e esp.)

Vu LA REQUÊTE présentée pour le sieur Lipman, chef d'escadron d'artillerie à l'état-major de la 17e région à Toulouse,... et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler, pour excès de pouvoir, une décision, en date du 27 mars 1917, par laquelle le ministre de la Guerre a refusé de lui attribuer la croix de guerre ; — Ce faire, attendu que, le 10 juin 1915, alors qu'il exerçait les fonctions de chef d'état-major de la 85e division d'infanterie, le requérant a été l'objet d'une citation à l'ordre de la division ; qu'aux termes de la loi du 8 avril 1915 et du décret du 23 avril suivant, cette citation devait comporter de plein droit attribution de la croix de guerre ; que, pour lui refuser cette distinction, le ministre de la Guerre s'est fondé, d'une part, sur ce que la citation dont le sieur Lipman a été l'objet n'aurait pas été obtenue pour faits de guerre, et, d'autre part, sur ce que la citation dont il s'agit n'aurait pas été confirmée par le commandant d'armée, comme l'exigeait une circulaire du général commandant en chef, en date du 8 juin 1915 ; que ces motifs ne sauraient être retenus ; qu'en effet, si le sieur Lipman a été cité à l'ordre de la division, c'est bien en raison de faits de guerre, et qu'aucun texte n'a subordonné à l'approbation de l'autorité supérieure, la validité de citations faites régulièrement par les chefs d'unités, dans la limite des pouvoirs qui leur sont conférés par les règlements militaires ; que, par suite, c'est à tort, et en violation de la loi du 8 avril 1915, que le ministre de la Guerre a refusé de lui attribuer la croix de guerre ;
Vu les observations présentées par le sous-secrétaire d'Etat à la justice militaire,... et tendant au rejet de la requête, par le motif : que la citation dont le sieur Lipman a été l'objet n'a pas été obtenue pour faits de guerre ; que, dès lors, et par application des textes mêmes invoqués par cet officier, elle ne comporte pas attribution de la croix de guerre ;
Vu les nouvelles observations présentées pour le sieur Lipman,... et tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et, en outre, par le motif que, si la citation dont le sieur Lipman a été l'objet ne relate pas expressément des faits de guerre, il n'est pas contesté que cette situation a eu, en fait, pour but de reconnaître les services rendus par cet officier dans la zone immédiate des opérations et à l'occasion de faits de guerre ;
Vu la loi du 8 avril 1915 ; le décret du 23 avril 1915 ; les lois des 7-14 octobre 1790, 24 mai 1872) ;

CONSIDÉRANT qu'aux termes de l'article unique de la loi du 8 avril 1915 : « Il est créé une croix, dite croix de guerre, destinée à commémorer, depuis le début de la guerre 1914-1915, les citations individuelles pour faits de guerre, à l'ordre des armées de terre et de mer, des corps d'armée, des divisions, des brigades et des régiments », et que l'article 3 du décret du 23 avril 1915, relatif à l'application de la loi précitée, précise que la croix de guerre est conférée, de plein droit, aux militaires qui auront obtenu pour faits de guerre, une des citations ci-dessus énumérées ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la citation à l'ordre de la 85e division dont le commandant Lipman, alors chef d'état-major de cette division, a été régulièrement l'objet, a été décernée à cet officier en raison de sa participation à des faits de guerre ; que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que ladite citation comporte, aux termes mêmes des textes précités, attribution de la croix de guerre ; ... (Décision annulée).

_________________________________________________________________________________________

(*) Armand Bernard LIPMAN, né le 12 août 1858 à Phalsbourg, alors département de la Meurthe. Fils de Benjamin et de Rosalie SÉE. Avait opté pour la nationalité française le 23 septembre 1872 à Lille (Nord).

Chef d'escadron d'artillerie breveté. Rappelé le 2 août 1914 comme chef d'escadron de réserve et affecté en qualité de chef d'état-major de la 85e Division territoriale (Région Est du Camp retranché de Paris) ; rayé des cadres par limite d'âge, le 1er avril 1918.

Cité à l'ordre de la Division dans les termes suivants : « Chef d'état-major de la 85e Division territoriale depuis la mobilisation, s'est fait remarquer dans ses fonctions par un travail, une conscience, un zèle et un dévouement hors pair, dont il ne s'est pas départi un seul instant. Signé : Comby. » (Ordre de la Division n° 72 du 10 juin 1915).

En dépit de l'arrêt du Conseil d'État du 18 mai 1918 qui lui était favorable, il semble bien qu'Armand Lipman n'a jamais été décoré de la Croix de guerre...

V. ici : http://www.culture.gouv.fr/Wave/savimag ... 447515.htm



Le Temps, n° 20.7825, Vendredi 31 mai 1918, en rubrique « Conseil d'État » :


Image

_______________________

Bien amicalement à vous,
Daniel.

Re: Rédaction des citations

Publié : mar. mai 10, 2011 4:07 pm
par garigliano1
Bonsoir à tous,

Pour rouvrir ce très intéressant débat :

Citation et attribution de la Croix de guerre

La règle selon laquelle une citation comportait attribution de plein droit de la Croix de guerre semble avoir été restrictivement interprétée, même à l'égard des officiers supérieurs, par l'administration du Ministère de la Guerre, notamment quant à la portée à donner à la notion de « faits de guerre ». L'arrêt du Conseil d'État Sieur Lipman (*) ci-après reproduit, rendu aux conclusions du commissaire du Gouvernement Léon Blum, en témoigne.


Conseil d'État, 17 mai 1918 — 63.448 — Sieur Lipman.

(M.M. Delfau, rapp.; Blum, c. du g. ; Me Bickart-Sée, av.).

(Rec., p. 472, 3e esp.)

Vu LA REQUÊTE présentée pour le sieur Lipman, chef d'escadron d'artillerie à l'état-major de la 17e région à Toulouse,... et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler, pour excès de pouvoir, une décision, en date du 27 mars 1917, par laquelle le ministre de la Guerre a refusé de lui attribuer la croix de guerre ; — Ce faire, attendu que, le 10 juin 1915, alors qu'il exerçait les fonctions de chef d'état-major de la 85e division d'infanterie, le requérant a été l'objet d'une citation à l'ordre de la division ; qu'aux termes de la loi du 8 avril 1915 et du décret du 23 avril suivant, cette citation devait comporter de plein droit attribution de la croix de guerre ; que, pour lui refuser cette distinction, le ministre de la Guerre s'est fondé, d'une part, sur ce que la citation dont le sieur Lipman a été l'objet n'aurait pas été obtenue pour faits de guerre, et, d'autre part, sur ce que la citation dont il s'agit n'aurait pas été confirmée par le commandant d'armée, comme l'exigeait une circulaire du général commandant en chef, en date du 8 juin 1915 ; que ces motifs ne sauraient être retenus ; qu'en effet, si le sieur Lipman a été cité à l'ordre de la division, c'est bien en raison de faits de guerre, et qu'aucun texte n'a subordonné à l'approbation de l'autorité supérieure, la validité de citations faites régulièrement par les chefs d'unités, dans la limite des pouvoirs qui leur sont conférés par les règlements militaires ; que, par suite, c'est à tort, et en violation de la loi du 8 avril 1915, que le ministre de la Guerre a refusé de lui attribuer la croix de guerre ;
Vu les observations présentées par le sous-secrétaire d'Etat à la justice militaire,... et tendant au rejet de la requête, par le motif : que la citation dont le sieur Lipman a été l'objet n'a pas été obtenue pour faits de guerre ; que, dès lors, et par application des textes mêmes invoqués par cet officier, elle ne comporte pas attribution de la croix de guerre ;
Vu les nouvelles observations présentées pour le sieur Lipman,... et tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et, en outre, par le motif que, si la citation dont le sieur Lipman a été l'objet ne relate pas expressément des faits de guerre, il n'est pas contesté que cette situation a eu, en fait, pour but de reconnaître les services rendus par cet officier dans la zone immédiate des opérations et à l'occasion de faits de guerre ;
Vu la loi du 8 avril 1915 ; le décret du 23 avril 1915 ; les lois des 7-14 octobre 1790, 24 mai 1872) ;

CONSIDÉRANT qu'aux termes de l'article unique de la loi du 8 avril 1915 : « Il est créé une croix, dite croix de guerre, destinée à commémorer, depuis le début de la guerre 1914-1915, les citations individuelles pour faits de guerre, à l'ordre des armées de terre et de mer, des corps d'armée, des divisions, des brigades et des régiments », et que l'article 3 du décret du 23 avril 1915, relatif à l'application de la loi précitée, précise que la croix de guerre est conférée, de plein droit, aux militaires qui auront obtenu pour faits de guerre, une des citations ci-dessus énumérées ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la citation à l'ordre de la 85e division dont le commandant Lipman, alors chef d'état-major de cette division, a été régulièrement l'objet, a été décernée à cet officier en raison de sa participation à des faits de guerre ; que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que ladite citation comporte, aux termes mêmes des textes précités, attribution de la croix de guerre ; ... (Décision annulée).

_________________________________________________________________________________________

(*) Armand Bernard LIPMAN, né le 12 août 1858 à Phalsbourg, alors département de la Meurthe. Fils de Benjamin et de Rosalie SÉE. Avait opté pour la nationalité française le 23 septembre 1872 à Lille (Nord).

Chef d'escadron d'artillerie breveté. Rappelé le 2 août 1914 comme chef d'escadron de réserve et affecté en qualité de chef d'état-major de la 85e Division territoriale (Région Est du Camp retranché de Paris) ; rayé des cadres par limite d'âge, le 1er avril 1918.

Cité à l'ordre de la Division dans les termes suivants : « Chef d'état-major de la 85e Division territoriale depuis la mobilisation, s'est fait remarquer dans ses fonctions par un travail, une conscience, un zèle et un dévouement hors pair, dont il ne s'est pas départi un seul instant. Signé : Comby. » (Ordre de la Division n° 72 du 10 juin 1915).

En dépit de l'arrêt du Conseil d'État du 18 mai 1918 qui lui était favorable, il semble bien qu'Armand Lipman n'a jamais été décoré de la Croix de guerre...

V. ici : http://www.culture.gouv.fr/Wave/savimag ... 447515.htm



Le Temps, n° 20.7825, Vendredi 31 mai 1918, en rubrique « Conseil d'État » :


mesimages/3512/Arret-Lipman---Le-Temps..gif

_______________________

Bien amicalement à vous,
Daniel.

Bonjour à tous

Pour continuer sur ce sujet intéressant et pour parler des décorations posthumes, le JO du 16 janvier 1921 ( page 873 ) indique " malgré toute la diligence apportée dans la constitution et l'examen des dossiers de proposition, il reste environ 800 000 candidatures à étudier et il est vraisemblable que leur examen nécessitera toute l'année 1921". La suite du texte indique que la date limite d'attribution des citations posthumes est repoussée.

Pour l'année 1920, j'ai trouvé environ 450 MM posthumes pour l'unité que j'étudie, certaines portant soit l'attribution de la croix de guerre avec l'étoile d'argent ou l'étoile de bronze, certaines mentionnant "a été cité " mais à quel niveau : armée ?

Cordialement

yves