Re: Ephéméride - 24 janvier 1915
Publié : dim. janv. 24, 2010 2:15 am
LOIN DU FRONT - L'INSTRUCTION DES BLEUS
Lettre du Sergent DUCLOUX Désiré - 146° Régiment d'Infanterie - classe 1904 - Matricule 015262
Villemoustaussou (Aude), 24 janvier 1915
Ma bien chère Irène
C'est de ma nouvelle résidence que je t'écris. Tu comprendras alors pourquoi tu es restée quelques jours sans nouvelles. J'étais désigné pour partir au front vendredi dernier, mais voici qu'une circulaire ministérielle est arrivée, prescrivant de confier l'instruction des bleus aux sous-officiers revenant du front. Quatre compagnies de bleus sont à Villemoustaussou ; leurs cadres étaient composés en grande partie de fricoteurs n'ayant pas encore marché. Alors que je revenais jeudi soir de monter la garde à la caserne, où sont internés des prisonniers allemands, j'étais informé que mon capitaine avait désigné au commandant du dépôt cinq sergents, dont P. et moi. J'attendis donc d'être fixé avant de te faire connaître la nouvelle, comme pour ma désignation au feu. Samedi matin, le commandant ratifiait le choix du capitaine, sauf pour P.
Samedi à 2 heures, je quittai donc Castelnaudary avec 17 sergents à destination de Villemoustaussou. Me voici donc arrivé à destination. Accueil sympathique des sous-officiers de la 28° Cie, à laquelle je suis affecté. Encore quelques jours pour le dégrossissement obligatoire ; on est toujours un peu gêné quand on est transplanté dans un autre milieu. J'avais éprouvé un certain regret en quittant Pennautier, car nous vivions, là, la véritable et bonne vie de cantonnement. J'avais eu la chance de tomber sur un bon propriétaire. À Castelnaudary, ce fut la vie de caserne dans toute sa laideur et toute sa rigueur. À Villemoustaussou, nouveau régime de la paille. J'ai bien retrouvé ici mon ami Poirot qui a dégotté un lit d'une place chez l'habitant. Nos prédécesseurs ont gâté les indigènes. N'ayant pas comme à Pennautier de billet de logement, ils ont loué des chambres à 1f. la nuit. Moi, je ne marche pas. J'engueule ces braves méridionaux qui veulent vivre sur notre dos jusqu'au bout.
Quel temps doit-il faire à Nancy, car depuis six jours il pleut sans discontinuer. Quand j'aurai des économies, je m'offrirai une pèlerine caoutchoutée comme les copains. Si le "Daily Mail" insère l'article que je lui ai envoyé, je pourrai réaliser le projet que j'ai formé, mais voici quinze jours que j'ai écrit et je n'ai pas de nouvelles. Aujourd'hui, il neige abondamment. Toute la Montagne Noire est poudrée de frimas, mais cette neige n'est pas consistante. Je profite donc de cet après-midi de dimanche pour faire ma correspondance. Je vais écrire à M. et Mme S. pour les remercier d'un petit colis qu'ils m'ont adressé, comme à tout le personnel mobilisé, je crois. Le colis comprenait un petit cache-nez en laine tricotée (pas fameux), une paire de poignets en laine, une pochette de ce papier sur lequel je t'écris, un crayon, un quart de chocolat Stanislas, un carnet, 10 cigarettes, le tout accompagné d'une carte de visite, portant les meilleurs vœux des expéditeurs. Cela m'a fait plaisir.
J'ai reçu trois lettres de toi cette semaine ainsi que celle de Mme T. Je ferai mon possible pour lui en accuser réception afin qu'elle ne me taxe pas d'indifférence.
J'ai reçu aussi une carte de M. L., une lettre d'Octave qui me dit être toujours à Château-Thierry. J'ai écrit à Armand, comme au colonel du 147 ° pour mon frère, mais je suis toujours sans réponse. Je suis content des bonnes relations que tu entretiens avec Mme X. Comme cela tu formes, avec elle et Mme Y, un petit groupe qui t'apporte un peu de gaieté dans ton isolement.
J'espère que les Boches maintenant te laissent dormir tranquille. Moi aussi je suis obligé de me lever à 6 heures du matin ; c'est un peu dur, vu la saison.
P. faisait une drôle de tête à mon départ. Il m'a annoncé la venue prochaine de sa femme à Castelnaudary. Enfin, me voici tranquille pour deux mois. Vraiment, tes prières m'attirent les bénédictions de Dieu. Je m'en vais rester avec les bleus, sans plus entendre parler tous les huit jours de départ. Je gagnerai avec eux la frontière et, à cette époque, la température peut-être sera-t-elle plus clémente. C'est la seule chose que je considère. On m'a confié le commandement d'une section, soit 80 poilus, parisiens et bretons.
J'espère que Jean est raisonnable et que Simonne est plus sage et plus travailleuse. Amitiés et bon souvenir à M. Mme T. et à Mme V. Et à toi, ma chère Irène, les meilleurs baisers de ton Gaston.
Comme je préfèrerais avoir un billet de logement pour la rue de la Commanderie ! Je ne coucherais pas seul, sur la paille !
Lettre du Sergent DUCLOUX Désiré - 146° Régiment d'Infanterie - classe 1904 - Matricule 015262
Villemoustaussou (Aude), 24 janvier 1915
Ma bien chère Irène
C'est de ma nouvelle résidence que je t'écris. Tu comprendras alors pourquoi tu es restée quelques jours sans nouvelles. J'étais désigné pour partir au front vendredi dernier, mais voici qu'une circulaire ministérielle est arrivée, prescrivant de confier l'instruction des bleus aux sous-officiers revenant du front. Quatre compagnies de bleus sont à Villemoustaussou ; leurs cadres étaient composés en grande partie de fricoteurs n'ayant pas encore marché. Alors que je revenais jeudi soir de monter la garde à la caserne, où sont internés des prisonniers allemands, j'étais informé que mon capitaine avait désigné au commandant du dépôt cinq sergents, dont P. et moi. J'attendis donc d'être fixé avant de te faire connaître la nouvelle, comme pour ma désignation au feu. Samedi matin, le commandant ratifiait le choix du capitaine, sauf pour P.
Samedi à 2 heures, je quittai donc Castelnaudary avec 17 sergents à destination de Villemoustaussou. Me voici donc arrivé à destination. Accueil sympathique des sous-officiers de la 28° Cie, à laquelle je suis affecté. Encore quelques jours pour le dégrossissement obligatoire ; on est toujours un peu gêné quand on est transplanté dans un autre milieu. J'avais éprouvé un certain regret en quittant Pennautier, car nous vivions, là, la véritable et bonne vie de cantonnement. J'avais eu la chance de tomber sur un bon propriétaire. À Castelnaudary, ce fut la vie de caserne dans toute sa laideur et toute sa rigueur. À Villemoustaussou, nouveau régime de la paille. J'ai bien retrouvé ici mon ami Poirot qui a dégotté un lit d'une place chez l'habitant. Nos prédécesseurs ont gâté les indigènes. N'ayant pas comme à Pennautier de billet de logement, ils ont loué des chambres à 1f. la nuit. Moi, je ne marche pas. J'engueule ces braves méridionaux qui veulent vivre sur notre dos jusqu'au bout.
Quel temps doit-il faire à Nancy, car depuis six jours il pleut sans discontinuer. Quand j'aurai des économies, je m'offrirai une pèlerine caoutchoutée comme les copains. Si le "Daily Mail" insère l'article que je lui ai envoyé, je pourrai réaliser le projet que j'ai formé, mais voici quinze jours que j'ai écrit et je n'ai pas de nouvelles. Aujourd'hui, il neige abondamment. Toute la Montagne Noire est poudrée de frimas, mais cette neige n'est pas consistante. Je profite donc de cet après-midi de dimanche pour faire ma correspondance. Je vais écrire à M. et Mme S. pour les remercier d'un petit colis qu'ils m'ont adressé, comme à tout le personnel mobilisé, je crois. Le colis comprenait un petit cache-nez en laine tricotée (pas fameux), une paire de poignets en laine, une pochette de ce papier sur lequel je t'écris, un crayon, un quart de chocolat Stanislas, un carnet, 10 cigarettes, le tout accompagné d'une carte de visite, portant les meilleurs vœux des expéditeurs. Cela m'a fait plaisir.
J'ai reçu trois lettres de toi cette semaine ainsi que celle de Mme T. Je ferai mon possible pour lui en accuser réception afin qu'elle ne me taxe pas d'indifférence.
J'ai reçu aussi une carte de M. L., une lettre d'Octave qui me dit être toujours à Château-Thierry. J'ai écrit à Armand, comme au colonel du 147 ° pour mon frère, mais je suis toujours sans réponse. Je suis content des bonnes relations que tu entretiens avec Mme X. Comme cela tu formes, avec elle et Mme Y, un petit groupe qui t'apporte un peu de gaieté dans ton isolement.
J'espère que les Boches maintenant te laissent dormir tranquille. Moi aussi je suis obligé de me lever à 6 heures du matin ; c'est un peu dur, vu la saison.
P. faisait une drôle de tête à mon départ. Il m'a annoncé la venue prochaine de sa femme à Castelnaudary. Enfin, me voici tranquille pour deux mois. Vraiment, tes prières m'attirent les bénédictions de Dieu. Je m'en vais rester avec les bleus, sans plus entendre parler tous les huit jours de départ. Je gagnerai avec eux la frontière et, à cette époque, la température peut-être sera-t-elle plus clémente. C'est la seule chose que je considère. On m'a confié le commandement d'une section, soit 80 poilus, parisiens et bretons.
J'espère que Jean est raisonnable et que Simonne est plus sage et plus travailleuse. Amitiés et bon souvenir à M. Mme T. et à Mme V. Et à toi, ma chère Irène, les meilleurs baisers de ton Gaston.
Comme je préfèrerais avoir un billet de logement pour la rue de la Commanderie ! Je ne coucherais pas seul, sur la paille !