Bonjour,
Fascinante, cette histoire de Lanciers du Bengale ! C’est un beau texte, merci de l’avoir partagé.

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Quelques éléments pour espérer en cerner le contexte.
Le régiment de Jean Giono, le 140ᵉ RI, a été engagé aux côtés des troupes britanniques fin avril 1918 dans la bataille du Kemmel. Les troupes françaises, belges, britanniques et portugaises tentent alors d’empêcher la prise de ce verrou vers Ypres. Giono y est gazé. Cet épisode apparaît ailleurs dans l’œuvre de Giono, avec ce même détail. Ainsi, dans
Le Grand Troupeau (1931), il mentionne :
"Des lanciers à turban et à écharpes flottantes galopent dans un claquement d’étoffe."
Dans
Refus d'obéissance en 1937, témoignage de Giono, le 26 avril, avec son unité débordée, "au beau milieu des Anglais", dans la plaine au nord du mont Kemmel :
Le jour est venu tout d'un coup. On a dormi dans la boue. Là-bas, devant, le mont Kemmel fume comme un volcan crevé. On est le long d'une route de saules. Une terre neuve avec des arbres, de l'herbe, des saules déjà touchés de printemps en cet avril. Les balles claquent dans les branches.
Des vols d'obus passent, s'abattent, sautent, arrachent des branches, rugissent sous la terre, se vautrent lourdement dans la boue, puis tournent comme des toupies et restent là... On est au beau milieu des Anglais... Des Français bardés de bidons et de boules de pain passent en courant contre les abris... La tempête des canons s'enrage...
La poussière de terre et de fer dépasse le bord du vallon et monte. Le Kemmel n'est plus là-haut dans le ciel qu'un petit croissant de terre séparé du monde. Le tir de barrage s'allonge : Ils viennent !
Un soldat français, déséquipé, capote ballante, sans casque, sort en courant de la fumée.
— Les Boches !
Oui, ils sont là à deux cents mètres. La ligne d'hommes gris avance dans les herbes. Ils ont l'air fatigués. Ils portent le fusil à bout de bras. Ils ne courent plus, ils marchent.
Il a fallu traverser le tir de barrage, dans le hurlement de toute cette terre en transe qui bout comme une eau de marmite. Une odeur pointue de soufre et de terre brûlée déchire le fond des gorges...
Quatre avions à croix noire sortent des nuages. Ils volent comme des hirondelles. Ils viennent presque raser la terre avec leur ventre. Ils tirent à la mitrailleuse ! Les nuages coulent lentement, paisiblement... La paix !
Jean Giono, Refus d'obéissance, 1937.
Historique du 140ᵉ RI, après la prise du mont Kemmel en avril 1918, et que ce régiment "a défendu âprement." Disponible sur le site BnF / Gallica :
"Le 29 au matin, le régiment est alerté à 9 heures et, à 11 heures, se met en route pour se porter à hauteur de la ferme de Haute-Rome, le long de la route Steenworde - Cassel. Il bivouaque sur place le reste de la journée et le lendemain. La canonnade est toujours violente. Steenworde reçoit des obus de gros calibre. Un bataillon anglais relevé vient bivouaquer à Haute-Rome et à son arrivée nous assistons à son défilé accompagné par sa musique qui ne rappelle en rien la nôtre, et cette chose imprévue nous surprend et nous amuse."
Les unités de Gurkhas ont quitté la France en 1915. Le
1st Battalion 1st King George’s Own Gurkha Rifles réembarque à Marseille fin 1915, tout comme le
2nd Battalion 2nd King Edward’s Own Gurkha Rifles, le
2nd Battalion 3rd Queen Alexandra’s Own Gurkha Rifles, le
1st Battalion 4th Gurkha Rifles, le
2nd Battalion 8th Gurkha Rifles et le
1st Battalion 9th Gurkha Rifles.
Structure des divisions de cavalerie indienne en France
Les six brigades de cavalerie de l’Indian Expeditionary Force furent intégrées au Corps de cavalerie indien, sous le commandement du général Rimington. On notera que seules certaines de ces unités sont à strictement parler d'authentiques "Bengal Lancers", certaines sont armées de sabres, ou recrutées au Pendjab.
Trois d’entre elles formèrent la 1ʳᵉ division de cavalerie indienne, sous le commandement de Hew Fanshawe (armée britannique) :
1. Brigade de Sialkot – Commandant : Henry Leader (armée britannique). 17ᵉ lanciers (britanniques), 6ᵉ cavalerie (indienne), 19ᵉ Fane’s Horse.
2. Brigade d’Ambala – Commandant : Charles Pirie (armée indienne). 8ᵉ hussards, 9ᵉ Hodson’s Horse, 30ᵉ lanciers (indiens).
3. Brigade de Lucknow – Commandant : William Fasken (armée indienne). 1ᵉʳ Dragoon Guards, 29ᵉ lanciers (indiens), 36ᵉ Jacob’s Horse.
Les trois autres brigades de cavalerie indienne furent intégrées à la 2ᵉ division de cavalerie indienne, sous le commandement de George Cookson (armée indienne) :
1. Brigade de Mhow – Commandant : George Barrow (armée indienne). 6ᵉ dragons, 2ᵉ lanciers (indiens), 38ᵉ Central India Horse.
2. Brigade de Meerut – Commandant : Fitz-James Edwards (armée indienne). 13ᵉ hussards, 3ᵉ Skinner’s Horse, 18ᵉ lanciers (indiens).
3. Brigade de Secunderabad – Commandant : Frederick Wadeson (armée indienne). 7ᵉ Dragoon Guards, 20ᵉ Deccan Horse, 34ᵉ Poona Horse.
La brigade comptait également les Jodhpur Lancers, commandés par Pratap Singh, prince régent de Jodhpur.
(Source : George Morton-Jack, Cambridge University Press).
La
1st Indian Cavalry Division et la
2nd Indian Cavalry Division quittent la France en mars 1918. Ces unités indiennes sont ensuite redéployées au Proche-Orient. Elles laissent derrière elles quatre régiments de cavalerie britanniques : le 8ᵉ Hussars, le 7ᵉ Dragoon Guards, le 6ᵉ Dragons et le 17ᵉ Lanciers, ainsi que deux unités du Royal Horse Artillery (RHA).
(Source : Order of Battle, part 4, Major Becke, His Majesty’s Stationery Office, Londres, 1945)
https://www.longlongtrail.co.uk/army/or ... -division/
https://www.longlongtrail.co.uk/army/or ... -division/
Je n’ai pas trouvé de trace, dans les sources anglaises, de cet engagement impliquant une unité indienne, ce qui ne prouve pas qu'il n'a pas eu lieu. Voici quand même la conclusion d’un article sur la cavalerie britannique en mars-avril 1918 :
Mounted Action. There were only two instances of shock action, namely the charge of the 6th Cavalry Brigade composite squadron near Villeselve on 24th March, and that of a squadron of Lord Strathcona’s Horse at Moreuil Wood on the 30th. Both these charges were delivered at short notice, without any covering fire, against infantry with rifles and machine guns, and it is important to note that although severe losses were sustained, in each case the charge was driven home, inflicting even heavier casualties on the enemy and stopping his advance for a considerable period, apart from the moral effect. It was shown that opportunities for shock action could still occur in a modern battle, though they might be few. The best formation was in waves at least 100 yards apart, and the men well extended, say 100 yards per troop.
Lieutenant-Colonel Preston (Yorkshire Hussars Yeomanry), article “The Cavalry in France, March–April 1918” in The Cavalry Journal, 1933.
Traduction en français :
Action montée. Il n’y eut que deux exemples d’action de choc, à savoir la charge de l’escadron composite de la 6ᵉ brigade de cavalerie près de Villeselve, le 24 mars, et celle d’un escadron du Lord Strathcona’s Horse au bois de Moreuil, le 30. Ces deux charges furent menées à bref délai, sans aucun tir de couverture, contre de l’infanterie armée de fusils et de mitrailleuses, et il est important de noter que, bien que de lourdes pertes aient été subies, dans chaque cas la charge fut menée à bien, infligeant à l’ennemi des pertes encore plus sévères et stoppant son avance pendant une période considérable, sans compter l’effet moral. Il fut démontré que des occasions d’action de choc pouvaient encore se présenter dans une bataille moderne, bien qu’elles pussent être rares. La meilleure formation était en vagues espacées d’au moins 100 mètres, les hommes étant bien étendus, disons 100 mètres par troupe.
Lieutenant-colonel Preston (Yorkshire Hussars Yeomanry), article "The Cavalry in France, March–April 1918" dans The Cavalry Journal, 1933.

- 20th Deccan Horse, avant leur attaque du 14 juillet 1916. Référence IWM Q 823. Photographie lieutenant Ernest Brooks.
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Concernant les unités de cavalerie indienne, l’épisode le plus connu semble être Neuve-Chapelle en mars 1915. Pour la spectaculaire et mémorable charge du
20th Deccan Horse à Bazentin le 14 juillet 1916, dont le terrain avait été minutieusement préparé en amont, on dispose de témoignages directs fiables, comme :
"Alors que chaque escadron franchissait le défilé, il se mettait en ligne et avançait au galop dans la direction prise par l’avant-garde, qui traversait une large bande de blé sur pied, dans laquelle de petits groupes ennemis étaient dissimulés. Des Allemands isolés commencèrent alors à surgir de toutes parts, levant les bras et criant : “Kamarad”, et plusieurs, manifestement persuadés qu’aucune pitié ne leur serait accordée, passèrent leurs bras autour de l’encolure des chevaux et implorèrent grâce — tout cela ralentissant la progression."
Lt.-Col Tennant, The Royal Deccan Horse in the Great War, 1939.
Transcription :
As each squadron cleared the defile, it formed line and advanced at a gallop in the direction taken by the advanced guard, which lay through a broad belt of standing corn, in which small parties of the enemy lay concealed. Individual Germans now commenced popping up on all sides, throwing up their arms and shouting "Kamerad," and not a few, evidently under the impression that no quarter would be given, flung their arms around the horses’ necks and begged for mercy — all of which impeded the advance.
Lt.-Col Tennant, The Royal Deccan Horse in the Great War, 1939.
Le 20th Deccan Horse y eut trois morts, deux officiers indiens blessés, 50 blessés parmi les sous-officiers et hommes du rang, 18 chevaux tués ou manquants, 52 chevaux blessés.
Si Giono insiste sur la similitude de tactique avec les guerres d’Italie quatre siècles plus tôt, on peut au contraire penser que les Britanniques ont cherché à adapter l’emploi de la cavalerie à la guerre moderne, en témoigne cette note de l’état-major britannique en 1917 :

- État-major britannique 1917, note citée par David Kenyon, thèse sur la cavalerie britannique 1916-1918, Cranfield University, disponible en ligne.
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NOTE SUR LES RÉCENTS COMBATS DE CAVALERIE JUSQU’AU 7 AVRIL 1917
Publiée par l’État-Major Général — Avril 1917
Les déductions suivantes sont tirées de l’expérience récente de la cavalerie opérant sur le front de l’avance en terrain découvert :
(a) Une reconnaissance très minutieuse du terrain ainsi que de la position ennemie avant l’attaque est essentielle. La reconnaissance aérienne ne suffit pas. Les patrouilles doivent être largement employées, généralement à cheval de jour et à pied de nuit.
(b) Lorsque la localité à attaquer se trouve dans une dépression, il est souvent conseillé de fixer les objectifs sur les hauteurs situées au-delà. Cela augmente les chances de couper la retraite de l’ennemi et réduit les pertes, notamment parmi les chevaux tenus à la main, causées par le bombardement ennemi dirigé sur la localité après sa capture.
(c) De courts et violents bombardements immédiatement avant l’attaque (après un réglage préalable effectué discrètement) ont donné de bons résultats. Une observation très attentive est nécessaire pour permettre un relèvement du tir au bon moment. La cavalerie ne disposera rarement, voire jamais, d’assez de canons pour établir un barrage régulier ; mais, avec une bonne organisation de l’observation et une avance rapide et audacieuse de l’artillerie en cas de succès, il devrait être possible d’assurer une certaine couverture à l’avance, de bombarder l’ennemi en retraite, de rechercher les probables postes d’observation ennemis et de contrer une contre-attaque.
(d) Les avances sur terrain découvert ont été menées avec succès au galop, en ordre dispersé.
(e) La combinaison de manœuvres de débordement rapides avec des attaques frontales et un tir de couverture (pour fixer l’attention de l’ennemi) a donné de bons résultats. Les véhicules blindés se sont révélés très utiles lors des attaques frontales et semblaient attirer la majorité des tirs ennemis.
(f) Lors d’une attaque, l’ouverture soudaine d’un feu de mitrailleuse ou de fusil ennemi venant d’un flanc peut être contrée en détachant une troupe ou un escadron pour charger le canon ou les tireurs, pendant que le gros continue son avance.
(g) La rapidité d’exécution est essentielle. Toute hésitation après qu’une décision a été prise est fatale. Les manœuvres cherchant à obtenir du terrain ou un couvert visuel pendant l’avance, si elles entraînent un retard, donneront rarement des résultats suffisants pour compenser la perte de temps occasionnée.
(h) Lors de l’attaque d’une localité, il est conseillé de désigner à l’avance les détachements de poursuite. Ils doivent suivre l’attaque de près. Une limite doit généralement être fixée au-delà de laquelle la poursuite ne doit pas aller. À l’intérieur de cette limite, les détachements de poursuite doivent agir avec la plus grande audace.
Quartier général — 10 avril 1917 (Réf. PRO : WO33/816)
Alors, Jean Giono a-t-il été témoin d’une charge de cavalerie indienne devant Cassel ? Est-ce une rumeur sur le champ de bataille ? Une hyperbole narrative ? L'influence de Gary Cooper et d'Hollywood ? Un texte intriguant. En espérant faire avancer cette réflexion ...
Bonne lecture !
Bien cordialement.
Eric