Fusillés - réhabilitation

garigliano1
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Fusillés - réhabilitation

Message par garigliano1 »

Bonjour à tous
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Cet extrait de la proposition de loi n°153 concernant la réhabilitation dite « collective » montre l’incompétence et l’ignorance des personnes qui ont rédigé ce texte ou des personnes qui ont inspiré ce texte.

1-La désobéissance militaire est un néologisme de circonstance qui n’apparait pas dans le code de justice militaire. Aucun des militaires français n’a été condamné à mort pour désobéissance militaire mais pour un abandon de poste, un refus d’obéissance, etc.

2-Les conseils de guerre « temporaires » (autre méconnaissance) spéciaux ne sont responsables que de 26% des exécutions pour la période où ils ont fonctionné.
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Cet histogramme montre que les « on-dit » selon lesquels les conseils de guerre spéciaux n’ont sévi qu’en 1914, qu’ils sont les responsables de la rigueur de cette année-là, est à corriger. Ces conseils ont produit tant en 1914 qu’en 1915, une part minoritaire des actions de Justice Militaire. Passer en conseil de guerre spécial ou en conseil de guerre « ordinaire » semble avoir eu peu d’incidence sur la probabilité d’échapper au peloton d’exécution.

Cette phrase du général Bach rappelle les fondamentaux. Qu’un militaire soit jugé par un conseil de guerre temporaire ordinaire ou spécial, les conditions de fonctionnement de la justice militaire étaient les mêmes, au cours de la 1ère période de l’exceptionnalité du recours en grâce : pas de circonstances atténuantes, pas de recours en révision, recours en grâce qui dépend du seul officier qui a ordonné la mise en jugement .

Les conseils de guerre temporaires spéciaux sont des juridictions d’exception du fait qu’ils n’ont pas été prévus dans le code de justice militaire. Paradoxalement, l’une des raisons invoquées lors de la création des conseils de guerre temporaires ordinaires (à 5 juges) en 1875 était de bannir le recours aux cours martiales comme en 1871 ou pendant la révolution française.

Prisme rappelle que les conseils de guerre temporaires spéciaux sont tombés en désuétude dès août 1915 bien avant leur suppression officielle par la loi d’avril 1916 qui n’a fait qu’entériner une situation de fait.

3-ainsi que les conseils de guerre rétablis par la loi du 27 avril 1916 :
Cette phrase est incompréhensible. Soit l’auteur de cette phrase a voulu dire que les conseils de guerre temporaires spéciaux ont été officiellement supprimés par la loi du 27 avril 1916 mais il s’est fourvoyé, soit l’auteur de cette phrase a voulu rappeler que les conseils de guerre temporaires ordinaires sont également responsables de ces exécutions mais rédigée de cette manière, cette phrase ne veut rien dire et n’a pas sa place dans un texte officiel.

La précédente proposition de loi comme le rapport sénatorial qui a suivi, présentaient également de grossières erreurs. On peut se questionner : qui a pu fournir de telles erreurs ?

Pour information, il faut rappeler :

-que le rapport 2008 du président de l’assemblée nationale Bernard Accoyer recommandait de ne plus voter de lois mémorielles suite à la « violente polémique » qui a opposé d’une part de nombreux juristes/historiens et d’autre part certains hommes politiques.

-que l’article 6 de la loi du 3 janvier 1925 a amnistié 88,4% des militaires français fusillés par les conseils de guerre temporaires excluant les cas d’espionnage, d’embauchage pour l’ennemi, de capitulation, de désertion à l’ennemi, de désertion avec complot, de pillage et les crimes sanctionnés par le code pénal qui sont les plus nombreux.
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-il ne faut pas confondre la réhabilitation et la pratique de la révision. Par exemple, les jugements de Lucien Bersot et des 4 caporaux ont fait l’objet d’une révision favorable de la part d’une cour de justice. Ils ont été acquittés et leurs mémoires ont été déchargées des faits qui leur étaient reprochés. Si une action contemporaine est entreprise dans le but « d’innocenter » un individu, elle le sera en « révision » et non pas en réhabilitation.

-le 28 février 2020, le conseil constitutionnel a déclaré que la réhabilitation « légale » ne s’appliquait pas aux peines criminelles et qu’une personne condamnée à mort dont la peine a été exécutée ne peut pas bénéficier d’une réhabilitation judiciaire. Selon le conseil constitutionnel, la réhabilitation « efface la condamnation ». Plus précisément, elle produit, en vertu de l’article 133-16 du CP, les mêmes effets que l’amnistie et « efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent de la condamnation.

Quant à la réhabilitation dite « collective », il faut se souvenir de la très juste et brillante intervention de Daniel (Rutilius).
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Cordialement
Yves
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garigliano1
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Re: Fusillés - réhabilitation

Message par garigliano1 »

Bonjour à tous

Un des autres aspects sur lequel se base cette proposition est le chiffre 639. En réalité, c’est maintenant 642 mais les auteurs de cette proposition ne semblent pas bien au courant de cette mise au point.

Avant d’aborder le côté aberrant de ce chiffre, il faut se souvenir des propos du général Bach au sujet des tableaux du corpus des fusillés visibles sur Mémoire des Hommes dont ce chiffre est extrait : ce sont des tableaux d’une construction non raisonnée et inexploitables.

Venant de la part de l’ancien chef du service historique de l’Armée de terre, auteur de deux livres (Fusillés pour l’exemple 1914/1918 puis Justice militaire 1915/1916) qui sont les références en la matière, unanimement reconnu comme l’un des meilleurs connaisseurs des fusillés de la Première Guerre mondiale, un des six rédacteurs du rapport Prost sur le centenaire remis au Président de la République le 1er octobre 2013 et membre du conseil scientifique de la Mission Centenaire jusqu’à son décès en mai 2017, cela interroge. Aujourd’hui, en dehors des rédacteurs du rapport Prost, personne n’est en mesure de lui succéder.

Comme le général Bach le soulignait : la représentation des fusillés à travers des tableaux doit rendre absolument compte de la façon dont la Justice militaire était rendue durant la guerre. Pour cela, il suffisait de consulter le rapport sur le centenaire dit rapport Prost dans lequel le général Bach avait publié le tableau adéquat que nous avons repris ci-dessus.

Au lieu de cela, ces tableaux ont été réalisés en fonction des séries archivistiques de la justice militaire : 9 J (CdG de Paris), 10 J (CdG des régions militaires), 11 J (CdG temporaires aux armées), 12 J (CdG Outre-Mer).

Rappelons que le code de justice militaire de 1875 ne prévoit que 2 catégories de conseils de guerre : les permanents et les temporaires. Les conseils de guerre spéciaux étant des conseils de guerre temporaires comme l’a précisé Joffre dans son courrier du 9 septembre 1914. Prisme mentionne ci-dessus le code de justice militaire de 1875 car celui de 1857 ne prévoyait que les conseils de guerre permanents d’où la profonde réforme de 1875, le conflit de 1871 a montré l’inadaptation complète du code du code de justice militaire de 1857 au temps de guerre.

Petite anecdote, la précédente proposition de loi faisait référence au code de justice militaire de 1857, on peut s’interroger sur les connaissances des auteurs de cette proposition.

Sur le tableau 3 ci-dessous, les conseils de guerre de Paris et des régions militaires possèdent le même type de conseil de guerre : ce sont des conseils de guerre permanents. Ils fonctionnement conformément au titre I du livre premier du code de Justice Militaire.

Sur le même tableau, on note une colonne « outre-mer » or il n’existe pas de conseils de guerre spécifique à l’outre-mer. Les conseils de guerre qui ont fonctionné à Tunis, en Algérie sont des conseils de guerre permanents. Les conseils de guerre qui ont fonctionné au Maroc, dans le sud-tunisien, en Indochine, dans la zone sub-saharienne, au sein de l’AFO sont des conseils de guerre temporaires.
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Ce chiffre de 639 fusillés pour « désobéissance militaire » est la somme de 563 individus fusillés aux Armées pour désobéissance militaire », de 27 fusillés sans jugement pour « désobéissance militaire » dont les 7 du 8e RTM, de 49 fusillés après jugement pour désobéissance militaire par d’autres sources (fichier des militaires morts et archives des unités et états-majors).

1-les 563 individus du tableau n°3 dont on ne peut pas savoir s’ils sont des militaires français ce qu’on peut espérer mais dont la construction non raisonnée des tableaux ne prête pas à y souscrire surtout avec le néologisme « désobéissance militaire » car aucun militaire français n’a été condamné à mort pour « désobéissance militaire »mais pour un abandon de poste en présence de l’ennemi (article 213 & 1), pour révolte (article 217), pour refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi ou contre des rebelles (article 218 & 1), ….

2-les 27 fusillés sans jugement pour « désobéissance militaire » du tableau n°5 dont les 7 militaires connus de la décimation Foch sont des exécutés sommaires tout comme le sont tous les 55 exécutés sommaires du tableau 7. Pourquoi prendre les 27 et pas les 55 autres. La question des exécutés sommaires et abattus a été tranchée par la loi du 9 août 1924 dont l’article 2 de cette loi prévoyait : Dans les cas d’exécution sans jugement, la réhabilitation des militaires passés par les armées pourra être demandé par le Ministre de la Justice à la requête du conjoint, des ascendants ou descendants ou du Ministre de la Guerre ou de la Marine.
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Pour réhabiliter ces militaires, des Cours d’appel ont été appelées à statuer sur chaque cas présenté. Ainsi le soldat Santer a été réhabilité par le Cour d’appel de Douai.

Ces 27 militaires sont des exécutés sommaires et n’ont pas à figurer par les « 639 »

3- 49 fusillés après jugement « pour désobéissance militaire » par d’autres sources (fichier des militaires morts et archives des unités et états-majors) selon le tableau n°6.
Sur les fiches des Non-morts pour la France, on relève effectivement des militaires dont le genre de mort est : passé par les armes ou fusillé. Comme Prisme l’a souvent indiqué, la mention « passé par les armes » ne présage en aucun cas de la tenue d’un conseil de guerre. Cette mention que l’on retrouve souvent sur les fiches dites des « Non morts pour la France » n’a pour fonction que d’exclure un militaire qui ne répond pas aux critères de l’instruction ministérielle du 11 janvier 1922 concernant l’attribution de la mention « Mort pour la France », et donc de l’inscription sur le livre d’Or de la commune de naissance ou de résidence à la mobilisation. Dans les JMO des unités, on retrouve également cette mention « passé par les armes » mais là aussi cela ne présage en aucun cas de la tenue d’un conseil de guerre. Par contre les archives de la série 19 N, par exemple, fournissent des documents mentionnant les condamnations à mort mais également les confirmations d’exécution. Autre curiosité sur ce tableau n°6, une ligne mentionne : fusillés pour crimes et délits de droits communs ou trahison, or contrairement à un crime, un délit n’est pas sanctionné par la peine de mort donc le mot délit est de trop.

Une partie de ces 49 militaires sont des exécutés sommaires comme le soldat Herda ou le soldat Robert pour lequel Prisme a publié un article en décembre 2017. Une partie de ces militaires ne sont donc pas à prendre en compte dans cette proposition de loi.

4- la colonne Outre-mer comporte des militaires qui ont été jugés en Indochine ou dans la zone sub-saharienne et qui sont donc sans rapport avec le conflit 14/18.

5- la ligne « espionnage » du tableau 3 répartit les cas d’espionnage or d’après les données de Prisme, il n’existe que 6 militaires français condamnés puis fusillés pour espionnage par les conseils de guerre temporaires. Les 120 autres moins le capitaine Estève sont donc des civils. A noter que l’autorisation de la CNIL de mettre en ligne les dossiers de fusillés, ne concernait que les seuls militaires français.

6-Le tableau 3 est constitué de 3 lignes : le néologisme « désobéissance militaire », espionnage et « droit commun ». Pour les spécialistes de ces questions, l’article 267 du code de justice militaire permet de juger les délits et les crimes qui ne sont pas listés dans le code justice militaire en renvoyant aux articles de code pénal. C’est ce qu’on appelle les cas de droit-commun. Mais même si on exclut également les cas d’espionnage, il reste dans le code de justice militaire tous les autres motifs sanctionnés par une condamnation à mort dont une partie s’est soldée par un homicide. A noter que parmi la catégorie du néologisme « désobéissance militaire », une forte proportion concerne des récidivistes et des multirécidivistes.

Avec ses bases de données, Prisme sait que le chiffre « 522 » contient des motifs de condamnation à mort pour des actes s’étant soldés à un homicide.

En ce qui concerne les quantités affichées dans les cases « régions militaires », « Paris » et « Outre-mer » de la ligne « désobéissance militaire, Prisme s’interroge sur ces quantités. Cette dernière case « Outre-mer » regroupe les jugements prononcés en Algérie, à Tunis par les conseils de guerre permanents et ceux du Maroc, en Indochine, dans la zone sub-saharienne, ceux du sud tunisien qui sont des conseils de guerre temporaires. Souvenons-nous que l’Algérie est la 19e région militaire. Prisme a relevé tous ces cas mais on doit s’interroger sur les jugements prononcés en Indochine et dans la zone sub-saharienne : dans le cadre du conflit 14/18, doit-on les prendre en compte ? Le général Bach avait choisi de ne pas les intégrer dans les statistiques du conflit.

Il ne faut pas oublier une particularité de la Cour spéciale de justice militaire créé par la loi du 9 mars 1932 qui a, par exemple, acquitté les 4 caporaux de Souain. Cette Cour a reçu par la loi comme directives de ne pas traiter les recours en révision concernant les jugements prononcés par les conseils de guerre permanents. En effet, les conseils de révision de ces conseils de guerre n’ont jamais été suspendus et les recours en grâce ont été rétablis en janvier 1915. En 1914, un seul militaire a été fusillé suite à un jugement prononcé par ce type de conseil de guerre pour des voies de fait. La loi indiquait donc que : ces conseils de révision permanents n’ayant jamais été suspendus durant le conflit ont pu statuer sur les demandes de révision présentées par les militaires condamnés par les conseils de guerre permanents. Pour mémoire, en temps de guerre, les conseils de révision se subsistent à la Cour de Cassation dont ils possèdent les prérogatives. Inclure les militaires jugés par les conseils de guerre permanents dans les « 639 » est donc contraire à la loi du 9 mars 1932.

In fine, ce chiffre de « 639 » ou « 642 » est aberrant et en aucun cas ne peut servir de base à quoi que ce soit.

Sur le plan juridique, la réhabilitation étant du domaine exclusif de l’autorité judiciaire, cette proposition de loi votée ne serait qu’une nouvelle amnistie renommée pour la circonstance mais moins bien « ficelée » que celle de janvier 1925. Les parlementaires de l’époque ayant compris qu’il était plus facile de prendre comme repère certains articles du code de justice militaire plutôt qu’un chiffre surtout quand il s’avère aberrant.

Qui plus est, les amnisties de 1921 et 1925 ont effacé les condamnations des casiers judiciaires des condamnés mais pour reformuler les faits, seule une Cour de justice peut le faire comme cela a été le cas pour Lucien Bersot ou pour les caporaux de Souain.

Pour résumer, une proposition de loi qui contient de grossières erreurs, une entorse aux préconisations du rapport du Président Accoyer de 2008, un cadre juridique inexistant, une base des « 639 » aberrante, une nouvelle fois, qui a pu rédiger de telles insuffisances et énormités ?

Cordialement
Yves
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