Forum PAGES 14-18

Bonjour à tous,

Dans ses carnets de guerre, Germain Torrès, du RICM, note pour le 6 juin 1918 :

"Les 75 français que les Boches ont pris du côté de Soissons nous tapent tout le temps dessus, et ce n'est pas gai", page 91.

Je n'arrive pas à trouver d'éléments confirmant ou infirmant cette anecdote. Son proche de celui d'un 75 ? Tirs trop courts de nos 75 ? Canons effectivement retournés ? Mise en mot d'une rumeur entendue ?

Avez-vous déjà trouvé une référence à cette réutilisation de canons de 75 pris à Soissons et retournés contre leurs anciens propriétaires ?

Cordialement,
Arnaud

Bonsoir,

Le réemploi immédiat des canons pris en bon état à l'ennemi est une pratique courante en 1918, des deux côtés du front.
En effet, les offensives foudroyantes sont propices à la capture de matériels que leurs servants n'ont pu détruire et, dans ce cas, ces canons sont mis en œuvre immédiatement contre leurs anciens propriétaires.
Lors de la guerre de position de 1915 à 1917, la capture de matériels intacts est rare, généralement les servants ont un peu de temps pour détruire les pièces ne pouvant être repliées.
Pour la France, les statistiques sont très parlantes:
-en 1914, pas moins de 447 pièces de 75 sont capturées dont beaucoup intactes (près de 10% de notre parc de 75). Les canons intacts, très nombreux, sont ramenés à l'arrière et tous ceux en bon état sont transformés en pièces de DCA avec emploi de munitions allemandes car les quantités de munitions françaises capturées sont très faibles. Par contre, les canons russes capturés en très grande quantité sur le front Est et avec des stocks énormes de munitions seront mis en service dans des unités allemandes du front.
-en 1915, seuls 25 canons de 75 sont perdus et la plupart ont été sabotés avant capture.
-en 1916, malgré l'avance à Verdun, les allemands n'ont pris que 14 canons de 75, détruits pour la plupart.
-en 1917, aucun canon de 75 n'a été capturé par l'ennemi.
-en 1918, par contre, nous perdons 383 canons de 75, la plupart pendant l'attaque du 27 mai 1918 et beaucoup sont capturés intacts du fait de l'avance rapide des attaquants.
Il n'est donc pas étonnant que l'ennemi ait retourné immédiatement contre nous les pièces de 75 capturées, d'autant que nous avons perdu des stocks importants de munitions de tous calibres dans des dépôts arrière.

Les photographies allemandes sont nombreuses pour l'emploi de 75 modèle 1897 en DCA mais je n'en ai jamais vus dans leur état de canon de campagne en première ligne, servis par des allemands.
Par contre, un exemple extrême est bien documenté: le 27 mai un canon ALVF français de 285 modèle 1917 est capturé à l'Ouest de Reims et, dès le 30 mai, la gare de Germaine et la ville d'Epernay reçoivent des obus de 285 français. Ce bombardement ne dure pas car les quantités de munitions capturées dans un wagon à munitions étaient heureusement faibles.
De même, sur le front anglais percé le 21 mars 1918, les allemands emploient immédiatement des canons de campagne, des mortiers lourds et même des pièces d'ALVF de 305 britanniques car ils ont capturé de grands dépôts de munitions anglaises. J'ai plusieurs photographies du réemploi immédiat de ces pièces anglaises par les allemands.

A noter aussi qu'en 1918, l'Armée française, qui a pourtant répugné de 1914 à 1917 à employer des matériels ennemis sur le front, admet le réemploi immédiat des canons allemands capturés après une visite rapide de spécialistes pour vérifier le bon état des pièces en cause. On trouve souvent la mention du réemploi immédiat de 7,7 cm et de 10,5 cm confiés souvent à des artilleurs de tranchée en priorité car ces Crapouillots n'ont plus à servir leur matériels après la prise des premières lignes ennemies.
En résumé, je pense que le témoignage de ces "Marsouins" du RICM est à prendre en compte sans réserve.
Cordialement,
Guy François.

Bonjour,

Un très grand merci pour cette réponse complète et pour l'avis final. Toujours d'une aussi grande précision !

Bien cordialement,
Arnaud