Le regroupement des corps et un Lorrain révolté
Publié : dim. sept. 03, 2023 11:39 am
Bonjour à tous,
Au cours de la constitution des nécropoles nationales, dans les années 1920, un courrier du ministre de la Guerre et des Pensions, le 14 mars 1923, rappelle que « Le déplacement des tombes occupées dans les cimetières communaux par les restes de militaires inhumés dans ces derniers au cours de la campagne 1914-1918 doit donc être considéré comme une mesure exceptionnelle dont l’exécution ne peut être réalisée qu’en vertu d’une autorisation expresse émanant de mon département, et qui ne peut être délivrée qu’avec l’assentiment des familles intéressées. »
Néanmoins, quelques années plus tard, le 4 juillet 1927, une note du ministère des Pensions envisage « en principe le regroupement dans des nécropoles nationales des tombes de guerre dispersées dans les cimetières communaux. » Nombreux seront les transferts de corps, et restitutions, qui auront lieu dès lors, et surtout durant les années 1930. C’est à cette occasion que Le Lorrain publie une série de billets dont l’auteur est très remonté…
24 février 1931 :
« Du 9 au 18 mars 1931, le déplacement de 41 sépultures de victimes civiles de la guerre, situées dans le cimetière communal de Pont-à-Mousson, sera effectué par les soins des services de l’« état civil militaire ». Car telle est l’ironie des temps où nous vivons, que les restes de ces martyrs ne peuvent trouver le repos, tandis que les « coupables de guerre » vieillissent et digèrent, demeurant en paix à Doorn et autres lieux. »
17 septembre 1932 :
« Moosch. La chasse aux morts de guerre. Le 26 septembre, l’« état civil militaire » présidera au déplacement de neuf tombes militaires situées dans le cimetière communal de Moosch, comme si ces pauvres morts gênaient qui que ce soit. Les familles désireuses d’obtenir des renseignements complémentaires au sujet de ces opérations sont priées de s’adresser à M. le chef du secteur d’état civil militaire du département du Haut-Rhin, à Mulhouse, ou à M. le président du comité local du Souvenir Français à Husseren-Wesserling (Haut-Rhin). »
13 octobre 1932 :
« Mais laissez donc les morts dormir en paix !
Un communiqué de ce singulier organisme qu’on dénomme l’« état civil militaire » porte à la connaissance du public qu’il va se livrer ces jours-ci, en Lorraine, à un certain nombre d’opérations, à savoir :
Le 20 octobre 1932 et jours suivants, déplacement de 96 tombes situées dans le cimetière communal de Gérardmer (Vosges).
Du 24 au 29 octobre 1932, transfert dans le cimetière national de Badonviller (Meurthe-et-Moselle) de 43 tombes militaires situées dans le cimetière communal de Pierre-Percée (Meurthe-et-Moselle).
Loin de nous l’idée de faire de la démagogie en pareille matière. Toutefois, puisque le sentiment de ce que l’on doit à nos grands morts de la guerre n’a pas été assez fort pour empêcher des opérations quelque peu sacrilèges, nous permettra-t-on de faire observer que l’Etat, à la veille de rogner les pensions des survivants de la guerre ou d’en différer la jouissance, laisse passer une bien belle occasion d’améliorer sa situation budgétaire. Laissez donc les morts dormir en paix, quand ils ont et où ils ont reçu une sépulture digne d’eux.
Nous pouvons dire que la centaine de victimes qui reposent depuis trois lustres dans le cimetière de Gérardmer, inhumés en cercueils individuels après un respectueux ensevelissement, y sont certainement mieux qu’elles ne pourront être dans un cimetière si national qu’il soit, où leurs ossements auront été transférés dans l’état où se trouvent inévitablement les restes qu’on reprend à la terre quinze ans au moins après la mort. »
13 décembre 1933 :
« C’est la transplantation et la fixation des vivants, en effet, qui devrait requérir tous nos soins. Tandis qu’on s’occupe plutôt, à grands frais, de celles de pauvres morts qu’on s’obstine à ne point laisser en repos. C’est ainsi que, les 18 et 19 courant, l’« état civil militaire » va s’occuper de faire transférer dans la nécropole de Douaumont « 6 tombes militaires situées dans le cimetière communal de Maizey (Meuse) ; 4 tombes militaires situées dans le cimetière communal de Fains-les-Sources (Meuse) ; 2 tombes militaires situées dans le cimetière communal de l’Asile de Fains-les-Sources (Meuse) et 2 tombes militaires situées dans le cimetière communal de Gery (Meuse). » Jusques à quand ? »
31 mars 1934 :
« C’est beau, la logique. Tandis que le gouvernement étudie le moyen de reprendre d’une main aux anciens combattants survivants ce qu’il leur avait donné de l’autre, l’onéreuse et choquante « danse macabre » des morts de la guerre continue : du 9 au 14 avril prochain, l’« état civil militaire » des Vosges va exhumer les combattants français qui avaient reçu une sépulture fort décente au cimetière communal du Thillot, pour les véhiculer à Epinal afin de les enterrer au cimetière national dudit lieu. Et il va y avoir vingt ans que ces malheureux reposaient en paix dans les parages arrosés de leur sang ! C’est un pur scandale. »
4 avril 1934 :
« On a vu que, ces jours-ci, l’« état civil militaire » s’occuperait encore – mais jusques à quand ? – de réceptionner dans le cimetière national d’Epinal les corps de combattants français translationnés d’un cimetière paroissial vosgien. Et pendant ce temps-là… Hé bien, pendant ce temps-là, des touristes qui, pendant les fêtes de Pâques, excursionnaient au Pays Messin, ont pu faire la rencontre d’obus allemands non explosés qui se prélassent au bord des bois de Novéant, aux confins d’Arnaville, au lieu-dit « en Couaroïl ». Obus dûment fichés par des bûcherons et qui n’attendent…
Au fait, qu’attendent-ils ? »
17 mai 1934 :
« L’indécente danse macabre des morts de la guerre continue : le cimetière communal de Charmes, où repose Barrès, vient de recevoir l’indésirable visite de mercenaires de l’état civil militaire qui ont effectué le déplacement des tombes des soldats qui y avaient été enterrés.
Mais enfin, jusques à quand ?
Par contre, nous apprenons que le beau groupement du « Souvenir aux morts des Eparges » fera célébrer le lundi 21 mai, à 10 h. 30, sur le champ de bataille, un service pour le repos de l’âme des morts de ce coin de terre lorraine, et que, plus près de nous, dimanche prochain, à 9 h. 30, les « Loups du Bois-le-Prêtre », anciens de la 73e D.I., se feront remettre leur drapeau au cimetière du Pétang. »
Un mélange d’arguments de tous ordres qui laisse parfois dubitatif, mais n’en demeure pas moins intéressant au cœur de la problématique des regroupements de corps, qui a tout de même secoué la société, de part et d’autre de la Manche surtout, après la guerre.
Je n’ai pas effectué de recherches dans des titres de la presse régionale ailleurs que dans le Nord-Est. Si vous avez déjà découvert ce type de texte hors de la presse nationale, cela m’intéresse.
Bien cordialement,
Eric Mansuy
Au cours de la constitution des nécropoles nationales, dans les années 1920, un courrier du ministre de la Guerre et des Pensions, le 14 mars 1923, rappelle que « Le déplacement des tombes occupées dans les cimetières communaux par les restes de militaires inhumés dans ces derniers au cours de la campagne 1914-1918 doit donc être considéré comme une mesure exceptionnelle dont l’exécution ne peut être réalisée qu’en vertu d’une autorisation expresse émanant de mon département, et qui ne peut être délivrée qu’avec l’assentiment des familles intéressées. »
Néanmoins, quelques années plus tard, le 4 juillet 1927, une note du ministère des Pensions envisage « en principe le regroupement dans des nécropoles nationales des tombes de guerre dispersées dans les cimetières communaux. » Nombreux seront les transferts de corps, et restitutions, qui auront lieu dès lors, et surtout durant les années 1930. C’est à cette occasion que Le Lorrain publie une série de billets dont l’auteur est très remonté…
24 février 1931 :
« Du 9 au 18 mars 1931, le déplacement de 41 sépultures de victimes civiles de la guerre, situées dans le cimetière communal de Pont-à-Mousson, sera effectué par les soins des services de l’« état civil militaire ». Car telle est l’ironie des temps où nous vivons, que les restes de ces martyrs ne peuvent trouver le repos, tandis que les « coupables de guerre » vieillissent et digèrent, demeurant en paix à Doorn et autres lieux. »
17 septembre 1932 :
« Moosch. La chasse aux morts de guerre. Le 26 septembre, l’« état civil militaire » présidera au déplacement de neuf tombes militaires situées dans le cimetière communal de Moosch, comme si ces pauvres morts gênaient qui que ce soit. Les familles désireuses d’obtenir des renseignements complémentaires au sujet de ces opérations sont priées de s’adresser à M. le chef du secteur d’état civil militaire du département du Haut-Rhin, à Mulhouse, ou à M. le président du comité local du Souvenir Français à Husseren-Wesserling (Haut-Rhin). »
13 octobre 1932 :
« Mais laissez donc les morts dormir en paix !
Un communiqué de ce singulier organisme qu’on dénomme l’« état civil militaire » porte à la connaissance du public qu’il va se livrer ces jours-ci, en Lorraine, à un certain nombre d’opérations, à savoir :
Le 20 octobre 1932 et jours suivants, déplacement de 96 tombes situées dans le cimetière communal de Gérardmer (Vosges).
Du 24 au 29 octobre 1932, transfert dans le cimetière national de Badonviller (Meurthe-et-Moselle) de 43 tombes militaires situées dans le cimetière communal de Pierre-Percée (Meurthe-et-Moselle).
Loin de nous l’idée de faire de la démagogie en pareille matière. Toutefois, puisque le sentiment de ce que l’on doit à nos grands morts de la guerre n’a pas été assez fort pour empêcher des opérations quelque peu sacrilèges, nous permettra-t-on de faire observer que l’Etat, à la veille de rogner les pensions des survivants de la guerre ou d’en différer la jouissance, laisse passer une bien belle occasion d’améliorer sa situation budgétaire. Laissez donc les morts dormir en paix, quand ils ont et où ils ont reçu une sépulture digne d’eux.
Nous pouvons dire que la centaine de victimes qui reposent depuis trois lustres dans le cimetière de Gérardmer, inhumés en cercueils individuels après un respectueux ensevelissement, y sont certainement mieux qu’elles ne pourront être dans un cimetière si national qu’il soit, où leurs ossements auront été transférés dans l’état où se trouvent inévitablement les restes qu’on reprend à la terre quinze ans au moins après la mort. »
13 décembre 1933 :
« C’est la transplantation et la fixation des vivants, en effet, qui devrait requérir tous nos soins. Tandis qu’on s’occupe plutôt, à grands frais, de celles de pauvres morts qu’on s’obstine à ne point laisser en repos. C’est ainsi que, les 18 et 19 courant, l’« état civil militaire » va s’occuper de faire transférer dans la nécropole de Douaumont « 6 tombes militaires situées dans le cimetière communal de Maizey (Meuse) ; 4 tombes militaires situées dans le cimetière communal de Fains-les-Sources (Meuse) ; 2 tombes militaires situées dans le cimetière communal de l’Asile de Fains-les-Sources (Meuse) et 2 tombes militaires situées dans le cimetière communal de Gery (Meuse). » Jusques à quand ? »
31 mars 1934 :
« C’est beau, la logique. Tandis que le gouvernement étudie le moyen de reprendre d’une main aux anciens combattants survivants ce qu’il leur avait donné de l’autre, l’onéreuse et choquante « danse macabre » des morts de la guerre continue : du 9 au 14 avril prochain, l’« état civil militaire » des Vosges va exhumer les combattants français qui avaient reçu une sépulture fort décente au cimetière communal du Thillot, pour les véhiculer à Epinal afin de les enterrer au cimetière national dudit lieu. Et il va y avoir vingt ans que ces malheureux reposaient en paix dans les parages arrosés de leur sang ! C’est un pur scandale. »
4 avril 1934 :
« On a vu que, ces jours-ci, l’« état civil militaire » s’occuperait encore – mais jusques à quand ? – de réceptionner dans le cimetière national d’Epinal les corps de combattants français translationnés d’un cimetière paroissial vosgien. Et pendant ce temps-là… Hé bien, pendant ce temps-là, des touristes qui, pendant les fêtes de Pâques, excursionnaient au Pays Messin, ont pu faire la rencontre d’obus allemands non explosés qui se prélassent au bord des bois de Novéant, aux confins d’Arnaville, au lieu-dit « en Couaroïl ». Obus dûment fichés par des bûcherons et qui n’attendent…
Au fait, qu’attendent-ils ? »
17 mai 1934 :
« L’indécente danse macabre des morts de la guerre continue : le cimetière communal de Charmes, où repose Barrès, vient de recevoir l’indésirable visite de mercenaires de l’état civil militaire qui ont effectué le déplacement des tombes des soldats qui y avaient été enterrés.
Mais enfin, jusques à quand ?
Par contre, nous apprenons que le beau groupement du « Souvenir aux morts des Eparges » fera célébrer le lundi 21 mai, à 10 h. 30, sur le champ de bataille, un service pour le repos de l’âme des morts de ce coin de terre lorraine, et que, plus près de nous, dimanche prochain, à 9 h. 30, les « Loups du Bois-le-Prêtre », anciens de la 73e D.I., se feront remettre leur drapeau au cimetière du Pétang. »
Un mélange d’arguments de tous ordres qui laisse parfois dubitatif, mais n’en demeure pas moins intéressant au cœur de la problématique des regroupements de corps, qui a tout de même secoué la société, de part et d’autre de la Manche surtout, après la guerre.
Je n’ai pas effectué de recherches dans des titres de la presse régionale ailleurs que dans le Nord-Est. Si vous avez déjà découvert ce type de texte hors de la presse nationale, cela m’intéresse.
Bien cordialement,
Eric Mansuy