Forum PAGES 14-18

Bonjour,

Même si la partie du film consacrée aux chars n'en est qu'une des péripéties, il n'en reste pas moins, qu'elle aurait pu être construite et filmée, avec une tout autre rigueur historique.

Pour les jeunes générations, visiblement plus dans les " flashs rapides d'images " que dans la lecture posée d'ouvrages de référence, c'est, immanquablement cette représentation d'un engagement de chars en 14-18 qui restera ancré.

Le site de tournage, créé à Milovice, dans un ancien camp de l'Armée Soviétique en République tchèque a été construit de toutes pièces sur un espace, finalement assez restreint.


Dommage qu'Edward Berger et ses conseillers historiques n'aient pas été lecteur de "Pages 14-18", ils auraient pu trouver de quoi rendre plus réaliste, ce contact des fantassins allemands, avec les chars français.

Il faut reconnaître, qu'à distance, sur les vues panoramiques et les plans larges, le char Saint Chamond M1, réalisé par les Tchèques, pour cette version 2022 de "A l'Ouest rien de nouveau", passe très bien.


Cette séquence d'engagement avec les chars se passe en Champagne et en Octobre 1918.
Dans ce secteur, de fin Septembre à début Octobre n'ont été engagés que des Renault FT et du Schneider !
S'ils ne voulaient pas de Renault FT, c'est du Schneider qu'ils auraient dû faire construire !
Des Saint Chamond ont bien été engagés, à cette période, mais c'était plus à l'Est, à Saint Mihiel et en Argonnes, et uniquement avec des soldats américains. Ce qui ne pouvait cadrer avec un scénario sorti du livre.

Ce sont probablement les caractéristiques des engins, susceptibles de supporter le char, qui ont amené à choisir le Saint Chamond.
Si le BVP 1 Tchèque était dans le gabarit du Saint Chamond, il était bien trop long pour être utilisé comme support d'un Schneider. Son train de roulement est presque aussi long que la caisse du Saint Chamond et nettement plus long que celui du vrai char,
Il a donc fallu adapter la carcasse de cette maquette de Saint Chamond, pour rester dans un aspect général, assez proche de celui du vrai char.

Il y a eu 2 BVP-1 tchèques (le BMP 1 russe), modifiés en Saint Chamond. Le numéro deux a été conservé et la maquette du numéro 1 a été démontée.
C'est surtout l'avant du char qui a beaucoup été réduit et, du coup, la porte du côté droit (un peu trop basse)
n'est pas totalement en avant de la chenille.

Le BVP utilisé comme support, pour créer ces deux chars, n'a pas été modifié et même sa tourelle n'a pas été retirée. Dans ces conditions, comme le montre le cadre de fixation interne de la carcasse de Saint Chamond, montée sur le BVP, il devenait impossible de faire des séquences intérieur du char, avec l'équipage.
C'est tout un aspect du combat avec les chars qui aurait pu apporter une tout autre approche et qui n'a pu être, même fugitivement, montrée.
Le champ de bataille vu par un tankiste observant ou conduisant par les fentes d'observation de 5 mm n'aurait sans doute pas manqué d'intérêt.
Ils auraient du demandé le Saint Chamond de l'association "Mémoire de Poilus", il y avait des séquences prises de l'intérieur à faire qui auraient eu une autre rigueur. . .

A l'avant du BVP, la porte latérale se trouvait au niveau du glacis, sur lequel les deux tankistes pouvaient attendre de sortir.
Sur le char Saint Chamond, la porte est plus en avant et le plancher du char à mi-hauteur de la chenille, n'est pas au raz du bas de porte. Avec le marché pieds extérieur, la sortie en est tout de même plus aisée que montré dans le film, ou les tankistes semblent ne pouvoir sortir qu'en plongeant.

Deux actions principales sont montrées dans le film :
- Le franchissement des tranchées
- La destruction des chars

Les nombreuses séquences filmées en tranchée montre bien le soin qui a été apporté dans leur restitution et, si le passage d'une tranchée étroite se révèle conforme à ce qui pouvait se passer alors, il n'en est rien pour le franchissement des tranchées larges (comme le montre les photos qui suivent).
Pas d'incohérence non plus pour les tranchées de Champagne en 1918, qui n'étaient pas un secteur ouvert et sans obstacles, propice à la guerre de mouvement.
Tout ce secteur était couvert des réseaux de tranchées, du Front stabilisé depuis plusieurs années. Dans le secteur Souain/Somme-Py, les chars avaient 8 km de tranchées à franchir avant d'arriver sur leur base d'attaque.

Deux séquences du film sont consacrées à la mise hors de combat de deux chars.

Le manque de réalisme de certains détails extérieurs du char, et l'usage qui en est fait dans le scénario, montrent bien que les réalisateurs n'avaient qu'une connaissance approximative du char et de son emploi à l'époque..

La première se veut la démonstration de l'immobilisation d'un char à l'aide d'une grenade à manche !
Vaste rigolade, quand on sait qu'il fallait plutôt des éclats d'obus de gros calibre (10 à 21 cm) pour arriver à ce résultat !
Une grenade à manche de la première guerre mondiale (offensive ou défensive), posée sur une chenille, pour immobiliser un char, était incapable d'un tel résultat,
Les grenades antichar à charge creuse et à fixation magnétique, ne sont arrivées que pendant la deuxième guerre mondiale.
L'idée d'une immobilisation du char par destruction de la chenille était une bonne approche mais, pendant la première guerre mondiale, c'était, avant tout, le résultat des tirs d'artillerie.
De plus, dans le film, une fois le char immobilisé, la neutralisation des 8 membres de l'équipage, par l'infanterie, est totalement passée sous silence..

Plutôt que d'attaquer les chars à la grenade à manche, les faire exploser sur une mine antichar de circonstance, du type obus du 15 cm enterré verticalement dans une caisse en bois avec plateau à pression, aurait permis de partir sur une séquence plus réaliste, qui n'empêchait les fantassins allemands d'avoir ensuite à neutraliser ou faire prisonnier l'équipage.

En 1918, les engagements de chars en Champagne ont vu un certain nombre de chars, mis hors de combat par ce type de mines et dans les phases d'approche, les chars des Groupes Schneider engagés ont du progresser en suivant des tresses blanches, déroulées par des sapeurs, qui détectaient les mines sur leurs itinéraires. . .

La deuxième action présentée sur un des chars, consistait visiblement à le neutraliser, en mettant hors de combat son équipage.

Ici encore, c'est la grenade "magique", introduite dans le char, par le poste de mitrailleuse du côté droit, qui permet de neutraliser l'équipage.
Au delà des mitrailleuses Hotchkiss, aux copies pour le moins chétive, le masque support de mitrailleuse est peu conforme à la réalité. Il était impossible de glisser une grenade à manche par le poste de mitrailleuse. La seule action possible était d'engager un fusil Mauser, au niveau de la ligne de mire de mitrailleuse et de tirer, avec de bonnes chances de blesser ou de tuer le mitrailleur. . . .




Chaque côté du char disposait d'une mitrailleuse et, l'approche du côté droit du char est parfaitement irréaliste. Ces allemands auraient été fauchés par les rafales d'Hotchkiss qui couvrent un large secteur.
Il est vrai que, considérer que tout l'équipage a été neutralisé par une grenade explosant sur la chenille, ne pouvait que clore la discussion . . . .

Cette séquence montre la neutralisation de l'équipage, dans le char, avec une grenade passée au dessus d'une des mitrailleuses Hotchkiss.
L'unique grenade, en supposant qu'elle ait pu pénétrer et exploser dans le char (ce qui était totalement impossible), n'aurait pas pu tuer tout l'équipage.

Dans cette séquence de la grenade, supposée avoir explosé dans le char, deux tankistes ouvrent finalement la porte du char pour sortir et ils sont abattus, à bout portant par les Allemands.
Au-delà du fait que cela donne plus l'impression d'un "crime de guerre", dans la mesure ou aucun tir ne part de la porte ouverte et que les deux tankistes ne semblent pas armés, cette séquence est totalement irréaliste.

La porte, une fois ouverte, plusieurs grenades lancées dans le char auraient certainement eu une autre apparence d'efficacité. . . . .
Comme le montre bien un certain nombre de rapport de combat, de chars mis en difficulté, cette séquence ignore largement le fait que les 8 membres d'équipage possédaient un pistolet et qu'ils savaient s'en servir.
Par ailleurs, ils avaient le soutien de l'infanterie française qui, à d'assez rares exceptions, se trouvait au contact du char
Les exemples de chars immobilisés, sur le point d'être submergés et se dégageant au pistolet ne manquent pas, et ils se situaient, la plupart du temps, dans des séquences où l'infanterie française était sur le char et en mesure de soutenir l'équipage pendant son évacuation et/ou sa mise en défense du char.

Plutôt que ces séquences de grenadage, il aurait été plus judicieux de montrer un impact direct d'artillerie sur l'avant du char, impact pouvant avoir blessé ou tué quelques membres de char
Cette approche aurait apporté une meilleure crédibilité à l'ouverture de la porte.
Sans oublier que la porte, simplement entre-ouverte, rendait possible un tir protégé au pistolet, sur les Allemands. Cette action préalable aurait donné "à l'exécution" des deux tankistes une action plus normal de combat.

Toute cette séquence part d'une erreur importante, consistant à montrer des chars, très avancés, en avant des troupes d'assaut françaises, et noyés dans les fantassins allemands se repliant en désordre sous la pression française.
Une meilleure connaissance des techniques d'engagements des unités de chars françaises aurait certainement permis aux réalisateurs, de travailler sur un script plus élaboré et un peu plus sérieux !

Comment se déroulaient les engagements des chars français en 1917 et 1918.

Une section d'Infanterie d'Elite était affectée à chaque Batterie de 4 chars montant à l'assaut, avec :
- Trois fantassins affectés à chacun des chars pour assurer les liaisons entre les chars et avec le Cdt. de Batterie, qui dirigeait ses 4 chars à pied, utilisant aussi les Fantassins d'Elite pour donner ses ordres. Ces fantassins, en contact avec leurs chars, étaient " les yeux extérieurs" du chef de char.

- Une section chargée d'aménager les points de passage difficiles (trous de mines, tranchées très larges, . . . .).
Sur les tranchées larges, ces hommes devaient écrouler 7 longueurs de fusil pour permettre un passage aisé du char Saint Chamond
La tranchée de 1,50 m se passait facilement et c'est tout à fait ce que montre le film, à ceci près que, dans le film, les tranchée larges ont des passages pré-existants (trop facile !) qui ne sont pas préparés par l'infanterie française, ou le résultat d'une destruction d'artillerie..

Les chars français ne progressaient pas seuls, comme le montre le film, et les deux attaques qui y sont présentées sont de la pure fiction.

Les unités de chars françaises se trouvaient face à deux types d'engagement :

- Engagement démarrant directement sur des tranchées à conquérir, comme sur le Front stabilisé en 1917, ou en 1918 sur certains secteurs comme en Champagne ou à Saint Mihiel et dans les Ardennes..
Dans ce cas, les unités d'infanterie d'attaque montaient à l'assaut, pour prendre la première tranchée, suivies par la section d'Infanterie d'Elite qui devait aider à préparer, les points de passage nécessaires.
Les chars rejoignaient l'infanterie, et participaient à la prise des points suivants, accompagnés par les unités d'infanterie d'assaut et leurs fantassins d"élite.

- Engagement démarrant sur un terrain libre d'obstacle (comme, par exemple, à la bataille de Méry, en Juin 1918), dans un terrain seulement coupés de quelques tranchées, trous ou obstacles.
Dans ce type de terrain, les chars partaient en avant les unités d'attaques, accompagnés par leur Infanterie d'Elite et commençaient à réduire les résistances découvertes.
Ils annonçaient à l'infanterie d'assaut, qui suivait juste derrière, en redressant ses panneaux d'appels d'infanterie qui, les obstacles identifiés avaient été réduits, et continuaient à détruire ces obstacles que l'infanterie pouvait aussi avoir découverts.

Les chars pouvaient se trouver neutralisés de plusieurs façons :

- La panne irréparable immobilisant le char.

Un char arrêté avait de grande chance d'être pris à partie par l'artillerie et détruit. L'équipage abandonnait alors le char, après avoir saboté : dynamo du moteur thermique, canon et mitrailleuses, puis
s'installait en défensive autour du char avec une de ses mitrailleuses, montée sur un trépied stocké dans le char.
A cette défense, par les 8 membres d'équipages (armés de leur pistolet) et les fantassins d'élite (équipés de mousquetons) pouvait se greffer les unités d"infanterie participant à l'attaque.
Si l'infanterie ne suivait pas, il était alors courant que les chars reculent à leur niveau pour tenter de relancer l'attaque.

- Un ou plusieurs coups au but (comme du 77, tiré à courte distance en tir tendu).

Avec le char immobilisé, partiellement endommagé, ou en feu, l'équipage se retrouvait dans la même
situation que pour la panne (avec potentiellement des morts et des blessés).

- La mise hors de combat du char, par rupture de chenille, provoquée par un éclat d'obus de gros calibre, explosant près du char, pouvait être une autre possibilité de mise hors de combat d'un char. Les réactions de l'équipage étant, ici encore, du même type que pour les autres cas.

La destruction partielle ou l'immobilisation du char (par l'artillerie) est exactement l'action qu'il aurait été plus réaliste de jouer dans le film.
Un impact direct de gros calibre pouvait aussi amener à la destruction complète du char et de son équipage, comme par exemple le Schneider M2, détruit devant les grilles du château de Grivesnes.
Le 21 cm allemand, en coup direct ne pardonnait pas !
Il y avait là une belle séquence en numérique à faire avec un troisième char ! Il existe de belles photos de Saint Chamond totalement explosés. Dans les secteurs de Méry et de Missy-au-Bois

Le 11 Juin 1918 entre Tricot et Courcelles-Epayelles, les Groupes Saint Chamond AS 33 et AS 36, accompagnant les troupes d'assaut eurent à franchir un barrage de 210 mm, suivi d'un barrage de 150 mm et, pour finir les tirs des 77 mm.(Voir le livre du Cne Henri Désagneaux du 395° RI attaquant sur Courcelles, avec son Bataillon).

C'est bien, au final, l'artillerie qui neutralisait les chars, et pas du tout les fantassins isolés montant à l'assaut.

Pour terminer, une petite séquence au tankgewehr aurait pu être du plus bel effet. Les combats en Champagne ont été un de leurs terrains de prédilection.


Pour les maquettistes, il y avait mieux à faire sur les marquages du char . . . . .



Bonne après-midi - Michel
Qui a lu le livre, au siècle dernier et aussi vu la version d'entre-deux guerre . . . . .

Bonjour Michel,

Encore une fois, quel travail ! Passionnant !

Merci et bonne journée.
Stéphan

Bonjour,
Comme à 'habitude, un sujet très bien documenté et illustré comme il se doit.

Merci du partage.