La vie d'un canon sur le champ de bataille

ALVF
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La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par ALVF »

Bonsoir,

Un sujet précédent a étudié "La mort des canons sur le champ de bataille". Le sujet de ce jour est consacré à un point particulièrement difficile à étudier, celui de la "vie" des canons de campagne au sein des unités. En effet, les JMO conservés évoquent très rarement "l'identité" exacte des pièces d'artillerie à l'exception notable des canons de très gros calibre de l'Artillerie Lourde à Grande Puissance qui ont le privilège, du fait de leur faible nombre, de leur poids et de leur coût, d'être bien identifiés et souvent même "baptisés" d'un nom particulier. Les pièces de l'artillerie lourde peuvent encore souvent être suivies dans les JMO bien tenus mais beaucoup sont très laconiques et l'exercice devient difficile.
En ce qui concerne l'artillerie de campagne, il est tout à fait exceptionnel de pouvoir suivre le parcours d'un canon sur le champ de bataille car, surtout à partir de la fin de 1915, les canons changent continuellement d'unités et donc d'affectation sur le front même pour éviter les sorties de batteries d'un front devenu continu et de plus en plus fortifié. Les relèves ne concernent alors que les personnels et les canons sont pris en compte sur le front même par les relevants qui cèdent en échange leurs canons aux relevés, ceux-ci les perçoivent dans l'arrière-front.
Cette pratique économise beaucoup d'efforts et permet surtout de ne pas indiquer à l'ennemi les relèves et même les positions exactes des canons si l'unité a eu la chance rare de ne pas avoir été repérée.
L'inconvénient majeur de ces changements fréquents d'affectation réside dans le suivi du bon entretien des pièces, les artilleurs n'ont plus "leurs" pièces mais utilisent temporairement des pièces inconnues. Les équipes d'entretien et les Parcs sont donc très sollicités pour maintenir un haut niveau de fiabilité des matériels.
Dans les secteurs particulièrement agités, notamment à Verdun et sur la Somme, les changements d'affectation des canons de 75 sur le front sont continuels.
Il serait théoriquement possible de suivre en détail la vie d'un matériel de 75 sur le front car chaque pièce dispose d'un "livret de bouche à feu" qui détaille les affectations successives, les réparations, les changements d'éléments, les tirs effectués, etc...
Il existe aussi des "Registres à souche des mouvements du matériel" qui rassemblent tous les mouvements depuis les plus petits accessoires jusqu'au mouvement d'une pièce complète.
Malheureusement, les archivistes chargés du tri des montagnes d'archives papier existantes à la fin de la Grande Guerre et après n'ont pas jugé utile de garder ces documents techniques, jugés sans intérêt.
Heureusement, certains officiers, généralement à l'issue de la destruction d'un matériel sur le front ou à l'issue d'une dissolution d'unité, ont estimé importante la conservation de leurs documents techniques dont bien peu sont parvenus jusqu'à nous.

Avant d'étudier en détail la "vie" du 75 modèle 1897 n°11851, j'expose en préambule quelques généralités:
Depuis le début de la fabrication du canon de 75 en 1896, plusieurs éléments du matériel sont immatriculés. En effet, l'interchangeabilité complète des éléments du canon de 75 autorise des changements instantanés d'éléments avariés ou usés et il importe de pouvoir bien les identifier. Sont principalement immatriculés:
...le manchon du canon qui porte la culasse, c'est l'élément principal qui identifie le matériel. Sur la partie supérieure arrière du manchon sont gravés: l'établissement constructeur, pour la grande majorité la Fonderie de Bourges, devenue "Atelier de construction de Bourges" et dont les initiales indique l'origine "ABS", suivies du numéro de série du canon et de l'année de fabrication.
...le frein, lui-aussi immatriculé, systématiquement fabriqué par l'Atelier de Puteaux "APX" ou "APx" suivi du numéro de série et de l'année de fabrication.
...le tube, fabriqué avant-guerre dans les établissements de l'état mais aussi construits dans plusieurs établissements privés pendant la guerre, l'immatriculation comprend le numéro de série, l'établissement constructeur et l'année de fabrication.
...l'affût, fabriqué comme le tube dans plusieurs établissements, le principe d'immatriculation est le même, celle-ci figure sur une plaque ovale fixée à l'affût.
Pour les non-spécialistes, je joins des illustrations montrant:
-la position du manchon et du tube:
1.jpg
1.jpg (138.49 Kio) Consulté 1806 fois
-le détail du frein, invention majeure à la douceur de fonctionnement inégalée:
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2.jpg (117.25 Kio) Consulté 1806 fois
-la position sur le manchon de la gravure de l'immatriculation du canon. J'ai choisi un matériel de 75 construit en 1917, fabriqué à Bourges vers la fin de l'année 1917 au vu de son numéro de série très élevé (N° 17951). Ce matériel figure devant les bâtiments de la Direction de l'Artillerie de l'Armée de la République du Niger à Niamey:
10.JPG
10.JPG (149.58 Kio) Consulté 1806 fois
-le même canon de 75 de Niamey a un affût fabriqué à la Manufacture d'Armes de Tulle en 1917, son numéro de série n'est plus lisible:
11.JPG
11.JPG (193.31 Kio) Consulté 1806 fois
Le prochain message décrira la vie du 75 modèle 1897 N° 11851 sur le front.
Cordialement,
Guy François.
ALVF
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Re: La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par ALVF »

Bonsoir,

Aucune photographie du canon de 75 modèle 1897 N° 11851 n'est malheureusement connue, il ressemble à tous ses congénères tel celui-ci qui nous montre le tube en position extrême de recul et une bonne présentation de son frein et de son affût:
3.jpg
3.jpg (212.63 Kio) Consulté 1789 fois
De même, cette belle photographie d'une pièce de 75 du 35e R.A.C permet d'examiner une pièce et son caisson en ordre de marche:
4-75 mle 1897 35e RAC 5e Bie.jpg
4-75 mle 1897 35e RAC 5e Bie.jpg (206 Kio) Consulté 1789 fois
Le canon de 75 modèle 1897 N° 11851 possède les éléments suivants:
...manchon N° 11851 ABS 1917. Au vu de ce numéro, il est certain que ce manchon a été fabriqué à Bourges au début de 1917.
...tube N° 3195 Claudinon 1917. Cette importante société métallurgique du Chambon-Feugerolles près de Saint-Étienne (Compagnie des Forges et Aciéries Jacques Claudinon et Compagnie) a produit de nombreux tubes de 75. Certains lots de tubes ont été jugés de piètre qualité (usure rapide en 2.000 coups) mais il semble que "notre" tube N° 3195 ait appartenu à un bon lot de fabrication.
...frein N° 1507 APx 1917. Pratiquement tous les freins de 75 modèle 1897 ont été fabriqués par les Ateliers de Puteaux, là-même où le commandant Deport a inventé son frein à long recul et les capitaines Sainte-Claire Deville et Rimailho ont procédé à sa mise au point définitive entre 1893 et 1896.
...affût N° 2412 Tulle 1917. La Manufacture d'Armes de Tulle participe depuis l'avant-guerre à la construction d'éléments du canon de 75 modèle 1897 puis construit des affûts complets pendant la Grande Guerre.
Le canon N° 11851 est donc entièrement neuf et tous ses éléments, assemblés à Bourges, ont été construits en 1917. En effet, il n'est pas rare de voir, au hasard des réparations, des canons de 75 comportant des éléments construits à des dates très différentes ce qui prouve surabondamment l'excellence de la construction du "75".

Après ses tirs d'épreuve et de bon fonctionnement, le canon neuf est envoyé pour affectation à un régiment prestigieux, le 61e R.A.C dont les servants ont gagné leur surnom de "Diables Noirs" donné par les allemands dès 1914. Dès la fin de 1916, le 61e R.A.C est le premier Régiment d'Artillerie dont les servants portent la Fourragère aux couleurs de la Croix de Guerre en attendant plus tard la Fourragère rouge de la Légion d'Honneur, seul régiment d'Artillerie portant cette haute distinction qui correspond à l'attribution de 6 citations à l'Ordre de l'Armée (sans compter les citations d'un rang inférieur).
Le document de base pour suivre le parcours du canon N° 11851 est son "Livret de bouche à feu", heureusement conservé par un officier du 42e R.A.C:
5.jpg
5.jpg (188.51 Kio) Consulté 1789 fois
On peut y lire sur la couverture, outre le numéro du canon répété deux fois, la mention rayée "2e P" qui correspond à une deuxième pièce d'une batterie non déterminée et la mention "1ère 4e P" qui désigne la 4e pièce d'une 1ère batterie, non identifiée mais qui peut correspondre à deux affectations ultérieures sur lesquelles je reviendrai.
C'est toutefois la page 3 du livret qui nous livre les affectations successives du canon N° 11851 et nous verrons demain que la bouche à feu a été engagée dans le pire secteur de Verdun à l'été 1917 et qu'elle y a subi les effets des tirs de l'ennemi:
6.jpg
6.jpg (175.7 Kio) Consulté 1789 fois
Cordialement,
Guy François.
(à suivre)
humanbonb
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Re: La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par humanbonb »

Bonsoir,
Nous attendons la suite avec impatience !

Merci pour ce nouveau sujet.
Bonne soirée.
ALVF
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Re: La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par ALVF »

Bonsoir,

...à la 8ème batterie du 61e R.A.C:
Le vie "active" du 75 modèle 1897 N°11851 commence donc avec l'affectation de ce canon neuf à la 8e batterie du 61e R.A.C le 18 mai 1917. A cette date, cette batterie ne possède plus aucun canon après son engagement à la corne Est du Bois de Geais et les durs combats du 16 avril 1917 et des jours suivants près de Berry-au-Bac qui voient la dramatique entrée en lice des chars français Schneider. Si l'infanterie peut conquérir les deux premières lignes allemandes, elle ne peut aborder la 3ème ligne et les combats dégénèrent en lutte d'usure.
Le 7 mai 1917, la batterie a 2 canons détériorés et un autre gonflé, enfin le 13 mai, une pièce est encore mise hors-service. Finalement, le 19 mai 1917, la batterie reçoit 4 canons neufs mais reçoit l'ordre formel prescrivant que "ceux-ci ne doivent pas tirer" et qu'il faut les mettre dans un coin proche de la position de batterie et de les camoufler. Manifestement, le haut-commandement médite une opération future pour laquelle il importe de disposer de canons prêts à effectuer des tirs intensifs. "Note" canon 11851 appartient à ce lot de canons neufs qui reste sans emploi ce qui n'empêche pas l'ennemi d'en détériorer deux dès le 22 mai.
A l'issue de ces événements, le 61e RAC suit sa Division, la 42e D.I, envoyée au repos à l'arrière puis à l'instruction au Camp de Mailly. Le 27 juin 1917, le 61e R.A.C remonte en ligne et prend position à Verdun, au Sud du Fort de Douaumont où il relève le 58e R.A.C de la 123e D.I prenant en compte les pièces en position de ce régiment et laissant les siennes au 58e R.A.C.
Dans ces conditions, le canon N° 11851 passe à la 2e batterie du 58e R.A.C sans avoir tiré un seul coup de canon au 61e R.A.C, il est toujours à l'état neuf!

...à la 2e batterie puis à la 1ère batterie du 58e R.A.C du 4 juillet au 31 août 1917:
Le 58e R.A.C va être engagé dans le cadre de la grande offensive voulue par le nouveau généralissime, Philippe Pétain, afin de reconquérir des objectifs stratégiques à Verdun, notamment la cote 304 et le Mort-Homme sur la rive gauche et la cote 344 sur la rive droite de la Meuse. L'idée générale est de conquérir des points extrêmement forts du dispositif ennemi avec un minimum de pertes de l'infanterie afin de restaurer l'esprit offensif et le moral des troupes, ébranlés par l'échec des offensives d'avril 1917. Pour se faire, l'artillerie jouera un rôle essentiel, la concentration des moyens d'artillerie de tous calibres et les stocks de munitions atteignent des niveaux encore jamais vus et les effectifs d'artilleurs dépassent ceux de l'infanterie dans de nombreux secteurs.
Le 58e R.A.C fait partie d'une masse d'artillerie de campagne destinée à appuyer l'attaque de la cote 344, objectif formidable qui s'étend sur plusieurs kilomètres. Du 18 juillet au 8 août 1917, les trois groupes construisent des positions de groupe pour l'attaque prévue de la Cote 344. Le 1er groupe du 58e R.A.C occupe trois positions de batteries au fond du Ravin Le Prêtre où les pièces sont casematées. Les réglages commencent discrètement et sont censés être terminés le 9 août ce qui n'est pas tout à fait exact car "notre" pièce 11851 commence ses tirs le 10 août seulement. L'offensive qui se déclenche le 20 août 1917, après deux reports essentiellement provoqués par les conditions climatiques, voit le tir de 4 millions d'obus tirés en 10 jours sur les deux rives de la Meuse (dont 1 million d'obus lourds et 3 millions d'obus d'artillerie de campagne).
Dans ce déluge de feu, le canon de 75 modèle 1897 N° 11851 tire:
-13 coups le 10 août.
-7 coups le 12 août.
-208 le 13 août (début de la préparation).
-478 le 14 août.
-575 le 15 août.
-350 le 16 août.
-260 le 17 août.
-120 le 18 août.
-415 le 19 août.
-125 le 20 août.
Les quantités plus faibles d'obus tirés du 16 au 18 août s'expliquent par le violent orage et le report du jour J ayant gêné la préparation du tir et l'observation aérienne.
Le 20 août, en plein tir d'accompagnement de l'offensive, le canon N° 11851 reçoit un obus ennemi qui brise sa roue droite et provoque l'arrêt du tir. L'équipe de réparation arrive sur place, évacue la pièce et la répare. Le canon revient sur sa position du ravin Le Prêtre le 26, celui-ci peut reprendre ses tirs à partir du 27 août.
Le livret de pièce indique les matériels disparus lors de cet épisode. Comme toujours, il est probable que le capitaine en profite pour remplacer des équipements usés, pas forcément tous détériorés par le tir de l'ennemi. Il faut savoir profiter de toutes les occasions à condition de ne pas abuser car toutes ces pertes passent ensuite au contrôle du général, commandant de l'Artillerie du Corps d'Armée afin de déterminer si ces pertes sont à prendre en compte sur les deniers de l'état (le capitaine est lui responsable sur ses deniers du matériel confié par l'état!):
12.jpg
12.jpg (224.75 Kio) Consulté 1675 fois
Le 27 août, à son retour, le canon N° 11851 passe à la 1ère batterie, 4e pièce, toujours en position au Ravin Le Prêtre, afin de niveler les matériels disponibles au sein du groupe. L'artillerie ennemie est très active et tire beaucoup à obus à ypérite sur les positions d'artillerie pour tenter de diminuer la cadence de tir infernale de l'artillerie française. Les servants doivent porter le masque en permanence et le nombre des intoxiqués grandit, d'autant plus que l'Armée française est confrontée pour la première fois en grand au tir d'obus chargés à l'ypérite.
A la 1ère batterie du 58e R.A.C, le canon N° 11851 tire encore:
-180 coups le 27 août.
-50 coups le 28 août.
-20 coups le 29 août.
-130 le 30 août.
L'activité a faibli temporairement en cette fin du mois d'août après les grands succès de l'attaque du 20 août.
Le 31 août, aucun tir n'est effectué car le 1er Groupe du 58e R.A.C va être relevé par le 3e Groupe du 42e R.A.C sur ses positions du Ravin Le Prêtre en laissant ses matériels aux nouveaux arrivants.
Cordialement,
Guy François.
(à suivre)
ALVF
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Re: La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par ALVF »

Bonsoir,

...à la 7e batterie du 42e R.A.C, neuf jours en enfer:

Le 31 août 1917, la 1ère section de la 7e batterie du 42e R.A.C relève une section de la 1ère batterie du 58e R.A.C au Ravin Le Prêtre et le 1er septembre, la 2e section relève l'autre section de la 1ère batterie du 58e R.A.C. Le même jour, la 7e batterie du 42e R.A.C cède ses précédents canons à la 9e batterie du 26e R.A.C en position devant la Côte du Talou.
Le 3e groupe du 42e R.A.C (7e, 8e et 9e batteries) au sein d'un groupement important d'artillerie de campagne a pour mission principale d'accompagner l'attaque de la 14e D.I afin de compléter la conquête de la cote 344 et de la tranchée de Trèves puis de faire barrage à toute tentative de contre-attaque allemande au nord-est de la cote 344. Toutefois, les allemands se sont renforcés depuis le 20 août, amènent une artillerie importante afin d'empêcher toute nouvelle avancée française au niveau de la cote 344 et même vont tenter de reprendre ce point important qui va demeurer très longtemps un point de friction permanent et l'objet de combats sanglants jusqu'à la fin de l'année 1917.
Le malheureux 3e groupe du 42e R.A.C (7e, 8e et 9e batteries) va être confronté à plusieurs tirs d'écrasement de l'artillerie allemande sur ses positions du Ravin Le Prêtre:
-le 1er septembre 1917: 200 coups de 15 cm.
-Le 2 septembre: 400 coups de 15 cm.
-le 3 septembre: 2000 coups de 15 cm.
-le 4 septembre: 400 coups de 15 cm.
-les 5 et 6 septembre: plusieurs centaines de coups de 15 cm et de 21 cm.
-le 7 septembre, l'attaque française se déclenche, la Tranchée de Trèves est prise puis reperdue.
-le 8 septembre, l'artillerie française appuie un simulacre d'attaque pour aider une attaque voisine du 32e Corps d'Armée mais subit une violente contre-batterie effectuée surtout par obus à gaz.
-le 9 septembre: une puissante contre-attaque allemande tente de reprendre la cote 344 et est repoussée à grand-peine.
Les pertes du 3e groupe deviennent très importantes et 84 intoxiqués doivent être évacués, le nombre de tués, blessés et intoxiqués conduit à conclure que le 3e groupe du 42e R.A.C ne peut plus assurer sa mission au Ravin Le Prêtre. Le 13 septembre 1917, les personnels sont relevés mais non remplacés tant les positions sont devenues intenables. Il semble que les canons ont été évacués quelques jours plus tard à une date qui ne peut être précisée exactement.
Dans cet enfer, où la 7e batterie a reçu 3 nouveaux canons en 9 jours, il semble bien que seul le canon 11851 a pu échapper à la mise hors-service malgré des coups encadrants à au moins trois reprises.
"Notre" canon a en effet tiré:
-20 coups le 1er septembre.
-150 coups le 2 septembre.
-95 coups le 3 septembre.
-170 coups le 4 septembre.
-210 le 5 septembre.
-80 le 6 septembre.
-380 le 7 septembre (jour de l'attaque de la Tranchée de Trèves).
-175 coups le 8 septembre.
-160 le 9 septembre, soit 1440 coups en 9 jours.
Les Registres à souche ont conservé la trace des matériels perdus pendant ces 9 journées difficiles:
-perdus lors du bombardement du 2 septembre:
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Bt 2-9-17.jpg (175.88 Kio) Consulté 1649 fois
-perdus pendant le bombardement du 4 septembre:
Bt 4-9-17.jpg
Bt 4-9-17.jpg (165.98 Kio) Consulté 1649 fois
-perdus pendant le bombardement du 8 septembre:
Bt 8-9-17.jpg
Bt 8-9-17.jpg (187.2 Kio) Consulté 1649 fois
La 7e batterie se remet lentement en condition au cours des journées du 14 au 26 septembre 1917.
Le 27 septembre 1917, la 7e batterie relève la 1ère batterie du 36e R.A.C au Bois de Malancourt.
Une feuille du registre à souches fait mention pour la dernière fois du canon de 75 modèle 1897 N° 11851 lors de cette relève:
8.jpg
8.jpg (198.94 Kio) Consulté 1649 fois
Il peut sembler curieux que le Livret de Bouche à Feu de la pièce 11851 n'ait pas suivi l'affectation du matériel au 36e R.A.C. Ce régiment a probablement ouvert un nouveau livret lors de l'affectation du canon. Dans la confusion de la relève sans remplacement des batteries décimées le 9 septembre 1917, ce carnet était peut-être dans une sacoche d'un officier blessé ou hospitalisé ou qu'il était égaré pour toute autre raison. Le fait est qu'il a survécu et que ce document rare est très parlant si on veut bien exploiter les données qui y figurent!

Le 36e R.A.C a pour sa part gagné l'Argonne où le front est plus calme mais où de nombreux coups de main de part et d'autre des lignes ont lieu jusqu'à la fin de 1917. Le sort final du canon N° 11851 n'est donc pas connu. Lors de son passage au 36e R.A.C, il avait tiré 4181 coups en un mois de front, ce qui est beaucoup et correspond à plus de la moitié de la vie d'un tube (mais un tube se change!).
En effet, la moyenne de vie d'un tube est de l'ordre de 6000 à 8000 coups. On cite bien un 75 ayant tiré 11299 coups mais la performance est exceptionnelle, de même un tube de 75 de la Société Claudinon n'a pas dépassé 2000 coups mais bien des facteurs expliquent l'usure d'un canon.
Ce petit sujet avait pour prétention d'expliquer un peu de technique d'artillerie. Les registres à souches et les livrets de bouche à feu contiennent de nombreux renseignements "bruts" qui témoignent des difficultés du service de l'artillerie. Ils contiennent aussi beaucoup de détails intéressants: date de perception de la mitrailleuse pour la protection contre les avions, date d'introduction de différents matériels, etc..., bref une foule de détails qui certes n’intéresseront pas l'Historien (avec un grand "H") mais qui présentent beaucoup d'intérêt pour les véritables chercheurs des conditions de la vie au front et du service de centaines de milliers d'artilleurs.
Cordialement,
Guy François.
Dernière modification par ALVF le jeu. août 25, 2022 9:59 pm, modifié 1 fois.
humanbonb
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Re: La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par humanbonb »

Merci pour ce complément.
J'ai retrouvé dans mes archives ce Schiesbuch allemand qu'avait bien voulu me scanner le membre d'un forum voisin, adjudant1.
Il a vraisemblablement la même utilité et concerne ici un Minenwerfer.

En voici quelques pages :

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Bonne soirée.
Cordialement.
ALVF
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Re: La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par ALVF »

Bonsoir,

Le "Schiessbuch" allemand correspond à notre document "Carnet de Tir". Ces documents donnent des précisions techniques sur les tirs effectués, en voici un exemple pour un canon de 75 modèle 1897:
-la couverture:
carnet tir.jpg
carnet tir.jpg (199.16 Kio) Consulté 1597 fois
-une page intérieure:
carnet tir 5.jpg
carnet tir 5.jpg (218.47 Kio) Consulté 1597 fois
Le document allemand correspondant à notre "Livret de bouche à feu" est le "Lafettenbuch" dont voici un exemple concernant un obusier lourd de 15-cm lg.s.F.H 13 (15-cm lange schwere Feldhaubitze 13) construit en 1917:
Lafettenbuch-15 cm s.F.H.jpg
Lafettenbuch-15 cm s.F.H.jpg (183.31 Kio) Consulté 1597 fois
Il s'agit ici d'un obusier lourd capturé par les français à l'issue de la contre-offensive du 18 juillet 1918. Ce document est intéressant car il concerne un des rares obusiers lourds ayant franchi la Marne lors de l'offensive allemande du 15 juillet 1918 et qui n'a pas pu se replier ensuite lors de notre contre-offensive. Je le commenterai dans un sujet particulier car il est riche en détails intéressants.
Cordialement,
Guy François.
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dmt4
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Re: La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par dmt4 »

bonjour
du coup c'est possible de retrouver l'histoire d'un canon avec son numéro de série ?
ces deux là ont servis dans une série télé qui va bientôt sortir sur tf1.
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merci
Didier
ALVF
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Re: La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par ALVF »

Bonsoir,

Vous évoquez deux canons, on ne voit que la photo d'un frein et une autre d'un manchon. S'agit-il de la même pièce?
En l'absence de livret de bouche à feu, reconstituer l'histoire d'un canon de 75 tient du travail de romain!
On trouve quelques listes de bouches à feu avec leurs numéros de manchon et de tube dans quelques JMO. Il y en a d'autres dans des archives du SHD mais ces listes ne révèlent généralement qu'une situation à une date donnée et le présent sujet montre que les affectations des 75 évoluent très rapidement, surtout dans les secteurs agités.
Retrouver un numéro de manchon parmi les 26.000 construits (environ!) entre 1896 et 1919, celui d'un frein parmi les quelques 28.000 construits entre 1897 et 1919 ou celui d'un tube parmi les plus de 40.000 construits entre les mêmes dates tient donc du miracle!
Tout ce qu'on peut dire de vos photos:
-le frein a été construit à l'APX vers la fin de l'été 1916. Il a été modifié pour permettre le tir en DCA jusqu'à l'angle vertical de + 40°afin de ne pas "fatiguer" l'affût, cette modification intervient dès la fin de l'automne 1914 et celui-ci a été modifié dès sa construction.
-le manchon portant le numéro 8368 et sa fabrication à Bourges (ABS) indique que l'année gravée sur le manchon (et curieusement effacée) ne peut-être que 1916, probablement vers l'été 1916.
Voici une photo d'un 75 modèle 1897 exposé devant la Direction d'Artillerie de Niamey en République du Niger montrant le 75 immatriculé N°9403 ABS 1916, construit à la fin de l'année 1916:
75-N° 9403 -1916.JPG
75-N° 9403 -1916.JPG (107.55 Kio) Consulté 1472 fois
Un dernier point, le numéro de manchon de 75 le plus élevé que j'ai relevé est le N° 25421 ABS 1918 (c'est un matériel de 75 monté sur un affût de bord à crinoline de la Marine modèle 1917) mais il doit y avoir encore plus élevé!
Cordialement,
Guy François
humanbonb
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Re: La vie d'un canon sur le champ de bataille

Message par humanbonb »

Bonjour et merci pour vos précisions concernant le livret.
Bon week-end.
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