Le déserteur américain qui n'en était pas un
Publié : dim. juin 20, 2021 11:52 am
Bonjour à tous,
Les aléas de la justice militaire - ici américaine - ne manquent, hélas, souvent pas de surprendre, au détriment de ses victimes. Le cas de ce "déserteur" des Marines en est malheureusement un triste exemple, 3 ans après l'armistice, comme le montre la traduction d'un article de The New York Herald du 2 octobre 1921 :
Un Marine n’ayant jamais déserté est libéré après une longue attente
Rumpke a simplement continué à se battre après être devenu un civil
Ses états de services perdus
L’Oncle Sam, dans le doute, n’a pas pris de risques et l’a incarcéré durant six mois
Il a perdu sa promise et sa ferme
Le héros de bien des batailles est sur le point de les recouvrer toutes deux
Henry W. Rumpke, ancien soldat du corps des Marines des Etats-Unis, a été libéré hier de la prison navale de New York après y avoir passé six mois pour, ma foi, personne ne sait quoi.
Il a été arrêté en avril dernier pour désertion, bien qu’il n’ait pu déserter puisque son engagement avait expiré avant qu’il ne se retrouve séparé de sa compagnie en France. La cour martiale a conclu à son incompétence à le juger, mais Rumpke est néanmoins resté sous les verrous jusqu’à hier, jour où il a été présenté au juge de district Garvin sur un recours en habeas corpus, puis libéré.
Ce qui est arrivé à Rumpke peut être compris par tout homme ayant servi outremer. Son dossier révèle qu’il s’est engagé dans le corps des Marines le 8 avril 1914. Son adresse connue était le 248, Donahue Street, à Cincinnati. Il a servi à Haiti dans les rangs des Marines puis, quand l’Allemagne et les Etats-Unis sont entrés en guerre, a embarqué pour la France avec le 5th Marines, au sein de la 2nd Division.
Il a été promu sergent, puis a été sollicité pour suivre les cours d’une école d’officiers. Il a refusé cette offre, arguant qu’il n’en avait pas les capacités. Il s’est trouvé à Château-Thierry et à Vaux, et bien que son dossier n’indique pas sa présence au Bois de Belleau, il révèle qu’il est resté avec sa compagnie malgré l’expiration de son engagement en avril 1918.
Il a participé à chaque combat sans prendre la peine de se réengager. Tout le monde était bien trop affairé pour s’arrêter à de telles broutilles. Bien sûr, il n’était plus un sergent, mais simplement un civil dans les rangs du 5th, un civil en uniforme. Cela ne semblait faire aucune différence dans son aptitude à se bagarrer, de toute évidence.
Cependant, quand tout a été fini, Rumpke a décidé qu’il était temps de visiter Paris. Il a fait une demande de laissez-passer le 14 novembre. Il subsiste un doute quant au fait qu’il l’ait obtenu ou non. Dans tous les cas, il a été emmené par deux hommes de la police militaire, aux yeux desquels son laissez-passer semblait douteux. Ainsi s’est-il retrouvé à Saint-Aignan.
Nulle charge contre lui
Il n’existait nulle charge contre Rumpke. Il n’avait plus à se soumettre à la discipline de l’armée ou de la marine. Il était un civil. Mais cela ne faisait aucune différence à Saint-Aignan. Il a donc été intégré à une compagnie de déserteurs affectés à des missions de garde. En juin 1919, toujours employé à ces missions à Saint-Aignan, il s’est retrouvé au garde-à-vous sur un terrain où une potence avait été dressée. Il y est resté durant une heure, pendant que deux Noirs étaient pendus. Le lendemain, il décidait de rejoindre sa compagnie du 5th Marines et de se réengager. Il n’obtenait alors aucun résultat en demandant aux officiers de Saint-Aignan de consulter ses états de services et d’en conclure qu’il était un civil : ses états de services avaient été perdus.
La chose suivante apprise par Rumpke : il était poursuivi pour désertion. Il avait quitté Saint-Aignan de son propre chef et s’était installé à Vitry, non loin de Paris. Il s’était acheté des vêtements civils été était tombé amoureux d’une fille nommée Louise Mourue, habitant le 19 de la rue Le Petit.
Rumpke et Louise travaillaient dur, économisaient, et achetaient finalement une petite ferme près de Vitry. La suite du programme devait être le mariage mais Louise, perspicace, voulait être sure que les autorités de l’armée ou de la marine ne viendraient pas les séparer après la cérémonie. Aussi a-t-elle prié Rumpke de se rendre à Paris, au quartier général, et d’y obtenir une preuve écrite de l’expiration de son engagement.
Il a été arrêté au quartier général et remis aux autorités de la marine. Personne ne savait quoi faire de lui en l’absence de ses états de services et finalement, sans même pouvoir revoir la consciencieuse Louise, il était renvoyé aux Etats-Unis où il apprenait, en avril dernier, qu’il était aux arrêts pour désertion.
A nouveau sous les verrous
Le capitaine H.D. Shannon, désigné pour sa défense, n’a eu aucun mal à convaincre la cour martiale qu’elle n’avait pas compétence. Quoique de cet avis, la cour, dans le doute, l’a placé en détention. Il y est resté jusqu’à ce qu’un de ses amis obtienne d’un avocat, Emery C. Weller, qu’il s’engage à ses côtés. Weller n’a pas été autorisé à rencontrer Rumpke afin d’obtenir de ce dernier sa signature de demande de recours. Il a été nécessaire de passer par l’entremise d’une connaissance de Rumpke, habitant Mount Vernon. S’en est suivi bien de l’ergotage dans le bureau du juge de district quant à la régularité de toute cette affaire, mais Rumpke a finalement été présenté hier à la cour, deux gardes armés à ses côtés. Cinq minutes plus tard, il était libre.
Pendant tout ce temps, Adolph Rumpke, son père, cherchait son fils en France. Il écrivait hier qu’il rentrait en Amérique, avec Louise.
« Qu’allez-vous faire ? » demandait-on à Rumpke.
« Louise et moi allons repartir pour Vitry et travailler à la ferme. Je ne suis pas en colère contre l’Amérique ou quelque chose dans ce genre, mais après tout ça, je ferais mieux de repartir en France. »
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Bien cordialement,
Eric Mansuy
Les aléas de la justice militaire - ici américaine - ne manquent, hélas, souvent pas de surprendre, au détriment de ses victimes. Le cas de ce "déserteur" des Marines en est malheureusement un triste exemple, 3 ans après l'armistice, comme le montre la traduction d'un article de The New York Herald du 2 octobre 1921 :
Un Marine n’ayant jamais déserté est libéré après une longue attente
Rumpke a simplement continué à se battre après être devenu un civil
Ses états de services perdus
L’Oncle Sam, dans le doute, n’a pas pris de risques et l’a incarcéré durant six mois
Il a perdu sa promise et sa ferme
Le héros de bien des batailles est sur le point de les recouvrer toutes deux
Henry W. Rumpke, ancien soldat du corps des Marines des Etats-Unis, a été libéré hier de la prison navale de New York après y avoir passé six mois pour, ma foi, personne ne sait quoi.
Il a été arrêté en avril dernier pour désertion, bien qu’il n’ait pu déserter puisque son engagement avait expiré avant qu’il ne se retrouve séparé de sa compagnie en France. La cour martiale a conclu à son incompétence à le juger, mais Rumpke est néanmoins resté sous les verrous jusqu’à hier, jour où il a été présenté au juge de district Garvin sur un recours en habeas corpus, puis libéré.
Ce qui est arrivé à Rumpke peut être compris par tout homme ayant servi outremer. Son dossier révèle qu’il s’est engagé dans le corps des Marines le 8 avril 1914. Son adresse connue était le 248, Donahue Street, à Cincinnati. Il a servi à Haiti dans les rangs des Marines puis, quand l’Allemagne et les Etats-Unis sont entrés en guerre, a embarqué pour la France avec le 5th Marines, au sein de la 2nd Division.
Il a été promu sergent, puis a été sollicité pour suivre les cours d’une école d’officiers. Il a refusé cette offre, arguant qu’il n’en avait pas les capacités. Il s’est trouvé à Château-Thierry et à Vaux, et bien que son dossier n’indique pas sa présence au Bois de Belleau, il révèle qu’il est resté avec sa compagnie malgré l’expiration de son engagement en avril 1918.
Il a participé à chaque combat sans prendre la peine de se réengager. Tout le monde était bien trop affairé pour s’arrêter à de telles broutilles. Bien sûr, il n’était plus un sergent, mais simplement un civil dans les rangs du 5th, un civil en uniforme. Cela ne semblait faire aucune différence dans son aptitude à se bagarrer, de toute évidence.
Cependant, quand tout a été fini, Rumpke a décidé qu’il était temps de visiter Paris. Il a fait une demande de laissez-passer le 14 novembre. Il subsiste un doute quant au fait qu’il l’ait obtenu ou non. Dans tous les cas, il a été emmené par deux hommes de la police militaire, aux yeux desquels son laissez-passer semblait douteux. Ainsi s’est-il retrouvé à Saint-Aignan.
Nulle charge contre lui
Il n’existait nulle charge contre Rumpke. Il n’avait plus à se soumettre à la discipline de l’armée ou de la marine. Il était un civil. Mais cela ne faisait aucune différence à Saint-Aignan. Il a donc été intégré à une compagnie de déserteurs affectés à des missions de garde. En juin 1919, toujours employé à ces missions à Saint-Aignan, il s’est retrouvé au garde-à-vous sur un terrain où une potence avait été dressée. Il y est resté durant une heure, pendant que deux Noirs étaient pendus. Le lendemain, il décidait de rejoindre sa compagnie du 5th Marines et de se réengager. Il n’obtenait alors aucun résultat en demandant aux officiers de Saint-Aignan de consulter ses états de services et d’en conclure qu’il était un civil : ses états de services avaient été perdus.
La chose suivante apprise par Rumpke : il était poursuivi pour désertion. Il avait quitté Saint-Aignan de son propre chef et s’était installé à Vitry, non loin de Paris. Il s’était acheté des vêtements civils été était tombé amoureux d’une fille nommée Louise Mourue, habitant le 19 de la rue Le Petit.
Rumpke et Louise travaillaient dur, économisaient, et achetaient finalement une petite ferme près de Vitry. La suite du programme devait être le mariage mais Louise, perspicace, voulait être sure que les autorités de l’armée ou de la marine ne viendraient pas les séparer après la cérémonie. Aussi a-t-elle prié Rumpke de se rendre à Paris, au quartier général, et d’y obtenir une preuve écrite de l’expiration de son engagement.
Il a été arrêté au quartier général et remis aux autorités de la marine. Personne ne savait quoi faire de lui en l’absence de ses états de services et finalement, sans même pouvoir revoir la consciencieuse Louise, il était renvoyé aux Etats-Unis où il apprenait, en avril dernier, qu’il était aux arrêts pour désertion.
A nouveau sous les verrous
Le capitaine H.D. Shannon, désigné pour sa défense, n’a eu aucun mal à convaincre la cour martiale qu’elle n’avait pas compétence. Quoique de cet avis, la cour, dans le doute, l’a placé en détention. Il y est resté jusqu’à ce qu’un de ses amis obtienne d’un avocat, Emery C. Weller, qu’il s’engage à ses côtés. Weller n’a pas été autorisé à rencontrer Rumpke afin d’obtenir de ce dernier sa signature de demande de recours. Il a été nécessaire de passer par l’entremise d’une connaissance de Rumpke, habitant Mount Vernon. S’en est suivi bien de l’ergotage dans le bureau du juge de district quant à la régularité de toute cette affaire, mais Rumpke a finalement été présenté hier à la cour, deux gardes armés à ses côtés. Cinq minutes plus tard, il était libre.
Pendant tout ce temps, Adolph Rumpke, son père, cherchait son fils en France. Il écrivait hier qu’il rentrait en Amérique, avec Louise.
« Qu’allez-vous faire ? » demandait-on à Rumpke.
« Louise et moi allons repartir pour Vitry et travailler à la ferme. Je ne suis pas en colère contre l’Amérique ou quelque chose dans ce genre, mais après tout ça, je ferais mieux de repartir en France. »
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Bien cordialement,
Eric Mansuy