Re: Cour spéciale de justice militaire
Publié : lun. déc. 08, 2008 11:03 pm
Bonsoir à toutes et à tous,
Par la loi du 9 mars 1932 est créée une cour spéciale de justice militaire chargée de la révision des jugements rendus dans la zone des opérations des armées de terre et de mer par des juridictions spéciales.
Dans le JO les arrêts rendus par cette juridiction d'exception sont visibles et librement consultables par tout un chacun. C'est pourquoi, je vous propose petit à petit de les disposer ci-après dans leur intégralité. Derrière les termes juridiques, le destin de ces hommes nous éclatte à la figure.
Le temps de la réhabilitation collective étatique est venu. Ces arrêts honorent la mémoire de ces hommes injustement condamnés.
Amicalement
Guilhem
Affaire Jean Baptiste Georges BOURCIER sergent au 7e bataillon territorial de chasseurs, fusillé le 7 mai 1915.
Cour spéciale de justice militaire
Au nom du peuple français,
La cour spéciale de justice militaire a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
Ce jourd'hui 8 décembre 1934,
La cour composé conformément à l'article 2 de la loi du 9 mars 1932, de :
Président
M. Magnin, conseiller à la cour d'appel de Paris ;
Membres.
MM.
Dreyfus, conseiller à la cour d'appel de Paris
Perny, conseiller à la cour d'appel de Paris
De Barral de Montauvrard, lieutenant de réserve
Morin, sergent réformé de guerre
Latreille, soldat réserviste,
Nommés, le président et les conseillers, par arrêté du garde des sceaux, en date du 8 avril 1932, et les membres, anciens combattants, par arrêté du ministre de la guerre du 15 mars 1933
M. Bourlois, officier de justice militaire de 2e classe, commissaire du Gouvernement
M. Boiron, adjudant-chef commis greffier près ladite cour,
S'est réunie dans le lieu de ses séances, en audience publique, à l'effet de procéder, conformément à ladite loi du 9 mars 1932, à la révision du jugement prononcé le 6 mai 1915, par le conseil de guerre spécial du 7e bataillon territorial de chasseur, ayant condamné le nommé Bourcier (Jean Baptiste Georges), né le 1er septembre 1871 à Poitiers (Vienne), fils de Jean et de…, alors domicilié à Marseille, profession de forgeron, sergent du 7e bataillon territorial de chasseurs, à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l'ennemi.
La cour spéciale de justice militaire,
Vu le précédent arrêt de cette cour du 3 mars 1934, ordonnant un supplément d'information, après avoir déclaré recevable en la forme la requête introduite en vertu des dispositions de la loi du 9 mars 1932, par la veuve Bourcier, demeurant 106 rue de Tivoli à Châtellerault (Vienne), aux fins de révision du jugement rendu le 6 mai 1915, par le conseil de guerre spécial du 7e bataillon territorial de chasseurs alpins, qui a condamné son mari, le sergent Bourcier (Jean Baptiste Georges) né le 1er septembre 1871 à Poitiers, à la peine de mort, pour abandon de poste en présence de l'ennemi, jugement qui a reçu son exécution le lendemain 7 mai ;
Vu les pièces du supplément d'information auquel il a été procédé en exécution dudit arrêt ;
Vu les pièces de la procédure soumise au conseil de guerre et l'expédition de la décision attaquée ;
Vu l'arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel d'Aix du 6 juillet 1922 qui, au vu du supplément d'information a rejeté une précédente requête en révision ;
Vu le mémoire déposé par M° Betty Brunschwicq, avocat à la cour ;
Vu les dépositions des témoins cités à l'audience de la cour spéciale de justice militaire ;
Après avoir entendu M. le commissaire du Gouvernement en ses réquisitions, M° Betty Brunschwicq, au nom de la demanderesse en révision, et la demanderesse en révision, en leurs observations à l'appui de la requête et en avoir délibéré en chambre du conseil conformément à la loi ;
Attendu que le recours institué par la loi du 9 mars 1932 tend uniquement à un nouvel examen de la culpabilité et n'autorise pas la cour spéciale de justice militaire, qui en est saisie, à se prononcer sur les irrégularités de procédure qui fussent-elles certaines comme en l'espèce, laisseraient entière la culpabilité du condamné ;
Qu'il s'en suit qu'il y a lieu de retenir seulement pour mémoire, d'abord, que le conseil de guerre spécial, qui a condamné Bourcier a été présidé par l'officier qui avait délivré l'ordre de mise en jugement directe sur le vu d'un interrogatoire auquel il avait lui-même procédé ;
Ensuite que le conseil de guerre a statué par une seule réponse sur la situation principale d'abandon de poste, et sur la circonstance aggravante de "présence de l'ennemi" sans que le jugement énonce le nombre de voix, auquel la peine a été prononcée ;
Qu'il échet de statuer au fond ;
Attendu que la section du 7e bataillon territorial de chasseurs alpins, à laquelle appartenait le sergent Bourcier, était détachée en petit poste, à 400 mètres environ de l'ennemi dans la vallée de la Fecht, lorsque, dans la soirée du 5 mai 1915, vers 21 heures, par une nuit obscure, les cris de "Aux armes" ou de "Ho ! les gars, feu !" poussés par le sergent Bourcier, provoquèrent chez les hommes de la section une alerte accompagnée, durant une demi-heure environ, d'une fusillade, d'ailleurs inoffensive, à la suite de laquelle, le calme étant rétabli, l'effectif du poste était au complet à l'exception du sergent Bourcier qui avait disparu ;
Attendu que le lendemain matin, vers 6 heures, ce sous-officier se présentait seul au poste de commandement de son chef de bataillon, où, en présence du lieutenant Jullien, il déclara qu'au cours de la nuit son poste avait été attaqué et enlevé par les Allemands et qu'il s'était enfui pour éviter d'être fait prisonnier :
Attendu que pour apprécier la conduite du sergent Bourcier en la circonstance, il ne saurait être fait état de prétendus aveux de culpabilité, consignés dans un procés-verbal, dressé par le chef de bataillon, ce document constituant un simple questionnaire dans lequel Bourcier s'est borné à répondre par oui ou par non aux questions posées par son supérieur ;
Attendu que ce questionnaire ainsi établi, sur lequel s'est nécessairement fondé le conseil de guerre spécial devant lequel l'interrogatoire a été reproduit dans une forme identique, ainsi qu'en font foi les notes d'audience, ne permet pas de retenir les réponses évasives qu'il relate comme une preuve décisive de la culpabilité du condamné qui, dans une lettre adressé à sa sœur, après le jugement de condamnation, a écrit de sa main des protestations d'innocence qu'il a renouvelées quelques instants plus tard devant le peloton d'exécution ;
Attendu qu'il ressort des pièces produites et des débats devant la cour spéciale de justice militaire, notamment des dépositions des témoins Cartier (Louis) et Emmelling (Jean) que le sergent Bourcier avait pu confondre avec des patrouilleurs ennemis des hommes de sa section rentrant de corvée que l'obscurité de la nuit ne lui avait pas permis de reconnaître ;
Attendu que s'il ne peut être contesté que Bourcier a manqué de sang-froid, qu'il a agi dans un moment d'affolement et avec une précipitation que les évènements n'ont pas justifié, il n'est pas impossible d'admettre qu'il ait cru à la réalité d'une attaque allemande.
Attendu qu'au cours du supplément d'information ordonné par la cour spéciale de justice militaire, le lieutenant Jullien a déposé, sous la foi du serment, qu'il se trouvait aux côtés du chef de bataillon lorsque le 6 mai vers 7 heures du matin, Bourcier s'est présenté "donnant l'impression d'avoir été l'objet d'une hallucination, encore sous l'emprise d'une grande frayeur, paraissant très fatigué et n'être plus en état d'équilibre mental".
Attendu que le témoin a ajouté qu'il ne croyait pas que Bourcier ait délibérément et en possession de tous ses moyens abandonné son poste ;
Attendu que cette déposition offre d'autant plus d'intérêt que le lieutenant Jullien était le commissaire du gouvernement près le conseil de guerre spécial qui a jugé Bourcier :
Attendu que tout concourt à démontrer que la défaillance inexplicable dont s'est rendu coupable le sergent Bourcier, considéré jusque-là comme un vaillant soldat, n'est pas l'œuvre d'une volonté consciente mais est la conséquence d'une erreur de fait de nature à l'exonérer de toute responsabilité pénale :
Annule le jugement du conseil de guerre spécial du 7e bataillon territorial de chasseurs alpins qui a condamné, le 6 mai 1915, le sergent Bourcier, à la peine de mort, pour abandon de poste en présence de l'ennemi ;
Déclare Bourcier acquitté de l'accusation ainsi retenue contre lui ;
Décharge sa mémoire de la condamnation prononcée ;
Ordonne l'affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l'article 446 du code d'instruction criminelle et son insertion au Journal officiel ;
Ordonne également que le présent arrêt sera transcrit sur les registres du conseil de guerre et que mention en sera faite en marge du jugement annulé ;
Dit que les frais de la publicité ci-dessus prescrite et les frais de l'instance en révision seront à la charge de l'Etat.
Ainsi jugé et prononcé, les jours, mois et an que dessus.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président et le greffier.
Le président, Magnin.
Le greffier, Boiron.
Par la loi du 9 mars 1932 est créée une cour spéciale de justice militaire chargée de la révision des jugements rendus dans la zone des opérations des armées de terre et de mer par des juridictions spéciales.
Dans le JO les arrêts rendus par cette juridiction d'exception sont visibles et librement consultables par tout un chacun. C'est pourquoi, je vous propose petit à petit de les disposer ci-après dans leur intégralité. Derrière les termes juridiques, le destin de ces hommes nous éclatte à la figure.
Le temps de la réhabilitation collective étatique est venu. Ces arrêts honorent la mémoire de ces hommes injustement condamnés.
Amicalement
Guilhem
Affaire Jean Baptiste Georges BOURCIER sergent au 7e bataillon territorial de chasseurs, fusillé le 7 mai 1915.
Cour spéciale de justice militaire
Au nom du peuple français,
La cour spéciale de justice militaire a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
Ce jourd'hui 8 décembre 1934,
La cour composé conformément à l'article 2 de la loi du 9 mars 1932, de :
Président
M. Magnin, conseiller à la cour d'appel de Paris ;
Membres.
MM.
Dreyfus, conseiller à la cour d'appel de Paris
Perny, conseiller à la cour d'appel de Paris
De Barral de Montauvrard, lieutenant de réserve
Morin, sergent réformé de guerre
Latreille, soldat réserviste,
Nommés, le président et les conseillers, par arrêté du garde des sceaux, en date du 8 avril 1932, et les membres, anciens combattants, par arrêté du ministre de la guerre du 15 mars 1933
M. Bourlois, officier de justice militaire de 2e classe, commissaire du Gouvernement
M. Boiron, adjudant-chef commis greffier près ladite cour,
S'est réunie dans le lieu de ses séances, en audience publique, à l'effet de procéder, conformément à ladite loi du 9 mars 1932, à la révision du jugement prononcé le 6 mai 1915, par le conseil de guerre spécial du 7e bataillon territorial de chasseur, ayant condamné le nommé Bourcier (Jean Baptiste Georges), né le 1er septembre 1871 à Poitiers (Vienne), fils de Jean et de…, alors domicilié à Marseille, profession de forgeron, sergent du 7e bataillon territorial de chasseurs, à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l'ennemi.
La cour spéciale de justice militaire,
Vu le précédent arrêt de cette cour du 3 mars 1934, ordonnant un supplément d'information, après avoir déclaré recevable en la forme la requête introduite en vertu des dispositions de la loi du 9 mars 1932, par la veuve Bourcier, demeurant 106 rue de Tivoli à Châtellerault (Vienne), aux fins de révision du jugement rendu le 6 mai 1915, par le conseil de guerre spécial du 7e bataillon territorial de chasseurs alpins, qui a condamné son mari, le sergent Bourcier (Jean Baptiste Georges) né le 1er septembre 1871 à Poitiers, à la peine de mort, pour abandon de poste en présence de l'ennemi, jugement qui a reçu son exécution le lendemain 7 mai ;
Vu les pièces du supplément d'information auquel il a été procédé en exécution dudit arrêt ;
Vu les pièces de la procédure soumise au conseil de guerre et l'expédition de la décision attaquée ;
Vu l'arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel d'Aix du 6 juillet 1922 qui, au vu du supplément d'information a rejeté une précédente requête en révision ;
Vu le mémoire déposé par M° Betty Brunschwicq, avocat à la cour ;
Vu les dépositions des témoins cités à l'audience de la cour spéciale de justice militaire ;
Après avoir entendu M. le commissaire du Gouvernement en ses réquisitions, M° Betty Brunschwicq, au nom de la demanderesse en révision, et la demanderesse en révision, en leurs observations à l'appui de la requête et en avoir délibéré en chambre du conseil conformément à la loi ;
Attendu que le recours institué par la loi du 9 mars 1932 tend uniquement à un nouvel examen de la culpabilité et n'autorise pas la cour spéciale de justice militaire, qui en est saisie, à se prononcer sur les irrégularités de procédure qui fussent-elles certaines comme en l'espèce, laisseraient entière la culpabilité du condamné ;
Qu'il s'en suit qu'il y a lieu de retenir seulement pour mémoire, d'abord, que le conseil de guerre spécial, qui a condamné Bourcier a été présidé par l'officier qui avait délivré l'ordre de mise en jugement directe sur le vu d'un interrogatoire auquel il avait lui-même procédé ;
Ensuite que le conseil de guerre a statué par une seule réponse sur la situation principale d'abandon de poste, et sur la circonstance aggravante de "présence de l'ennemi" sans que le jugement énonce le nombre de voix, auquel la peine a été prononcée ;
Qu'il échet de statuer au fond ;
Attendu que la section du 7e bataillon territorial de chasseurs alpins, à laquelle appartenait le sergent Bourcier, était détachée en petit poste, à 400 mètres environ de l'ennemi dans la vallée de la Fecht, lorsque, dans la soirée du 5 mai 1915, vers 21 heures, par une nuit obscure, les cris de "Aux armes" ou de "Ho ! les gars, feu !" poussés par le sergent Bourcier, provoquèrent chez les hommes de la section une alerte accompagnée, durant une demi-heure environ, d'une fusillade, d'ailleurs inoffensive, à la suite de laquelle, le calme étant rétabli, l'effectif du poste était au complet à l'exception du sergent Bourcier qui avait disparu ;
Attendu que le lendemain matin, vers 6 heures, ce sous-officier se présentait seul au poste de commandement de son chef de bataillon, où, en présence du lieutenant Jullien, il déclara qu'au cours de la nuit son poste avait été attaqué et enlevé par les Allemands et qu'il s'était enfui pour éviter d'être fait prisonnier :
Attendu que pour apprécier la conduite du sergent Bourcier en la circonstance, il ne saurait être fait état de prétendus aveux de culpabilité, consignés dans un procés-verbal, dressé par le chef de bataillon, ce document constituant un simple questionnaire dans lequel Bourcier s'est borné à répondre par oui ou par non aux questions posées par son supérieur ;
Attendu que ce questionnaire ainsi établi, sur lequel s'est nécessairement fondé le conseil de guerre spécial devant lequel l'interrogatoire a été reproduit dans une forme identique, ainsi qu'en font foi les notes d'audience, ne permet pas de retenir les réponses évasives qu'il relate comme une preuve décisive de la culpabilité du condamné qui, dans une lettre adressé à sa sœur, après le jugement de condamnation, a écrit de sa main des protestations d'innocence qu'il a renouvelées quelques instants plus tard devant le peloton d'exécution ;
Attendu qu'il ressort des pièces produites et des débats devant la cour spéciale de justice militaire, notamment des dépositions des témoins Cartier (Louis) et Emmelling (Jean) que le sergent Bourcier avait pu confondre avec des patrouilleurs ennemis des hommes de sa section rentrant de corvée que l'obscurité de la nuit ne lui avait pas permis de reconnaître ;
Attendu que s'il ne peut être contesté que Bourcier a manqué de sang-froid, qu'il a agi dans un moment d'affolement et avec une précipitation que les évènements n'ont pas justifié, il n'est pas impossible d'admettre qu'il ait cru à la réalité d'une attaque allemande.
Attendu qu'au cours du supplément d'information ordonné par la cour spéciale de justice militaire, le lieutenant Jullien a déposé, sous la foi du serment, qu'il se trouvait aux côtés du chef de bataillon lorsque le 6 mai vers 7 heures du matin, Bourcier s'est présenté "donnant l'impression d'avoir été l'objet d'une hallucination, encore sous l'emprise d'une grande frayeur, paraissant très fatigué et n'être plus en état d'équilibre mental".
Attendu que le témoin a ajouté qu'il ne croyait pas que Bourcier ait délibérément et en possession de tous ses moyens abandonné son poste ;
Attendu que cette déposition offre d'autant plus d'intérêt que le lieutenant Jullien était le commissaire du gouvernement près le conseil de guerre spécial qui a jugé Bourcier :
Attendu que tout concourt à démontrer que la défaillance inexplicable dont s'est rendu coupable le sergent Bourcier, considéré jusque-là comme un vaillant soldat, n'est pas l'œuvre d'une volonté consciente mais est la conséquence d'une erreur de fait de nature à l'exonérer de toute responsabilité pénale :
Annule le jugement du conseil de guerre spécial du 7e bataillon territorial de chasseurs alpins qui a condamné, le 6 mai 1915, le sergent Bourcier, à la peine de mort, pour abandon de poste en présence de l'ennemi ;
Déclare Bourcier acquitté de l'accusation ainsi retenue contre lui ;
Décharge sa mémoire de la condamnation prononcée ;
Ordonne l'affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l'article 446 du code d'instruction criminelle et son insertion au Journal officiel ;
Ordonne également que le présent arrêt sera transcrit sur les registres du conseil de guerre et que mention en sera faite en marge du jugement annulé ;
Dit que les frais de la publicité ci-dessus prescrite et les frais de l'instance en révision seront à la charge de l'Etat.
Ainsi jugé et prononcé, les jours, mois et an que dessus.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président et le greffier.
Le président, Magnin.
Le greffier, Boiron.