Bonjour,
Un grand merci Jean-Michel, cela suffit amplement à répondre à ma question.
Ce que dit Norton Cru n'est d'ailleurs pas très éloigné de mon ressenti. Mon message initial était trop bref, faute de temps. En fait, et cela répond aussi à Régis, il y a de tout dans ce livre: il y a du patriotard du plus mauvais goût, avec des légendes cocardières à trois francs six sous telles que "jamais on n'a vu un blessé [français] se plaindre", des tranchées présentées sous un jour bucolique, et je vous passe la description de l'ennemi, à mourir de rire: allez, non, en fait, je vous le partage:
"Puisque, n'en déplaise aux spiritualistes intransigeants, nos pensées sont quelque peu les fruits de nos nourritures, comment veut-on qu'il y ait jamais rien de commun entre ce peuple qui sait si bien rendre délicates les sensuelles contingences de la table, et ceux qui ne rêvent voracement que de soupe à la bière, de saucisses aux confitures et autres atrocités barbares et monstrueuses ? Comment veut-on que l'esprit, la finesse, la fantaisie, la délicatesse, la légèreté, la charmante et tant méprisée légèreté, comment veut-on que toutes ces aimables douceurs qui seules rendent supportable la déglutition de l'amère pilule de la vie, puissent fleurir dans les réceptacles ventrus de pareilles horreurs ?"
... bien sûr qu'on est en pleine guerre et qu'il s'agit d'être patriote, mais fin 16, le public a déjà lu Genevoix et Barbusse, on n'est plus en août 14 et j'imaginais que le patriotisme avait commencé à prendre des formes un peu moins... burlesques.
A côté de cela, en effet, il y a la partie "technique", purement militaire, dont Norton Cru fait grand cas et qui tranche très curieusement avec le ton de la première partie, qui concentre ces souverains poncifs. Là, en effet, l'auteur se fait scientifique, sérieux, incisif même, car la guerre telle qu'elle a été conduite jusqu'à mi-16 et l'impréparation française à la guerre moderne, malgré les signes avant-coureurs, en prennent pour leur grade. On dirait presque que deux mains ont tenu la plume. Sans aller jusque-là, j'ai la nette impression que ce livre a été écrit en deux fois. En effet, j'ai remarqué dans la première partie la mention de soldats (d'infanterie) en képi, de tombes dont la croix est coiffée du képi du défunt, et ce, alors que l'auteur s'exprime au présent. Tout se passe comme s'il avait écrit les premiers chapitres, pompeux à souhait, dans le style des "mauvais livres de guerre" comme le dit Norton Cru, sans achever ou sans pouvoir publier, disons au printemps 15, après ses premiers mois de guerre sous Nivelle; et ensuite seulement, sur la base de toutes ses expériences et réflexions ultérieures (ce qui en fait l'intérêt), à la toute fin 16 (puisque la reprise de Douaumont est mentionnée), l'autre partie. Autre partie qu'il a d'ailleurs dû écrire très vite, peut-être en compilant des notes, puisqu'elles sont rédigées entre fin octobre 16 et avril 17 (je vois mal un éditeur accepté tel quel un livre incluant un tel panégyrique de Nivelle après le 16 avril...)
Mais je m'aventure, évidemment...
Cdlt
Cyrille