Re: Charles Binet...
Publié : jeu. févr. 03, 2005 2:16 pm
... nous a quitté. Il était un des derniers combattants de la Grande Guerre encore en vie, né en 1896.
Cordialement,
Stéphan
Cordialement,
Stéphan
Les combattants & l'histoire de la Grande Guerre
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AlainCharles Lambroschini
L'ombre de la der des der
Le Figaro, 11.11.2003
C'était il y a quatre-vingt-cinq ans. C'était hier. Avant que le dernier poilu ne disparaisse, les Français s'aperçoivent que la Grande Guerre reste terriblement moderne.
Les petits-enfants l'avaient oublié. Parce que le récit des pères qui glorifiaient le débarquement de Normandie était tout simplement plus exaltant que le radotage des grands-pères sur la bataille de Verdun. Parce que les horreurs de 14-18 avaient été annulées par les atrocités de 39-45 : les obus à l'ypérite avaient fait des milliers de victimes sur le front des Flandres tandis qu'à Auschwitz c'est par millions que les juifs avaient été gazés. Parce que le premier conflit mondial, n'ayant eu d'autre motif que le choc d'ambitions impériales, s'était trouvé éclipsé par le second : une guerre juste, qui, elle, avait opposé le Bien au Mal.
Mais les arrière-petits-enfants redécouvrent l'actualité paradoxale de la der des der. Vrai début du XXe siècle, cet événement titanesque le couvrit tout entier de son ombre puisque le communisme, effet dérivé de 14-18, ne disparut qu'en 1989 avec la chute du mur de Berlin. Avant la bataille de la Marne, au temps du sabre et du fusil, on ne tuait qu'au détail. Après, on massacra en gros. Sous les tirs de mitrailleuses et les barrages d'artillerie, la France perdit dans les premiers mois de 1914 quelque 3 000 soldats par jour. En février 1943, la défaite de Stalingrad se solda pour les Allemands par 200 000 morts ; le 6 août 1945, la bombe atomique lâchée sur Hiroshima tua 75 000 Japonais.
En Europe, aujourd'hui, les jeunes générations qui se veulent si morales dans la lutte contre la mondialisation et la discrimination semblent prises de vertige devant le cauchemar qu'annonce l'explosion du fanatisme. Le total des soldats américains tombés en Irak cette année ne représentera que quelques secondes des tueries du Chemin des Dames. Mais la façon dont les douceurs de la Belle Epoque furent balayées, dans les tranchées, par un retour aux brutalités de la préhistoire ravive une angoisse existentielle.
Défié militairement par les kamikazes d'Oussama Ben Laden, déstabilisé politiquement par les revendications islamistes, l'Occident doute à nouveau de ses valeurs. Non sans raison puisque, quatre-vingts ans après l'attentat qui déclencha la Première Guerre mondiale, Sarajevo retomba, de 1992 à 1995, dans le délire d'un règlement de comptes fratricide. Pourtant, le fait que cet affrontement «tribal» ne déborda pas sur le reste de l'Europe prouve que le sinistre avertissement du passé avait été retenu.
Avant que la trace ne s'en efface définitivement, la Première Guerre mondiale apparaît comme un repère essentiel. Menacés d'enlisement en Irak, les Américains seraient bien inspirés de chercher la sortie. L'accident de 1914 le rappelle assez : un compromis peut être géré, une escalade jamais.