Re: Verdun rive gauche: la Cote 304
Publié : dim. mai 29, 2016 9:47 am
Aujourd'hui, commémoration de la bataille de Verdun, je vous fait partager une lettre envoyée par mon grand-père à sa femme relatant le récit de 6 jours de combat sur la Cote 304.
1er juin 1916.
Enfin, depuis ce matin nous voilà à l’arrière au repos pour quelques jours. Ce n’est pas volé après les dures journées que nous venons de passer en ligne, dans un secteur terrible. Nous y avons passé six jours consécutifs, mais c’est le dernier jour qui a été le plus mauvais. J’en suis encore à me demander comment j’en suis revenu, et je suis persuadé que ce n’est pas un hasard seulement qui m’a fait éviter la mort. Les prières que tant d’êtres aimés disent pour moi, depuis Maman jusqu’à ma petite Suzon ont dû sûrement contribuer à me préserver. Aux supplications doivent succéder maintenant les actions de grâce, sans cesser cependant de demander à Dieu une protection efficace dont j’aurai peut-être besoin avant longtemps.
Mais ne pensons pas à cela pour le moment, soyons dans la joie de nous retrouver en bonne santé après une si terrible épreuve. Terrible est en effet le mot juste; car l’imagination ne peut pas se figurer dans quel état se trouvent les pauvres hommes soumis à des bombardements pareils. Pendant les quatre premiers jours, c’est allé presque bien quoiqu’ayant des pertes sensibles, mais le cinqième nous subîmes un bombardement préparatoire. C’était les batteries boches qui réglaient leur tir. Nous devions être relevés ce soir-là, mais au dernier moment on nous annonça qu’on resterait 24 heures de plus. Le bataillon devait les payer cher ces 24 heures.
Le lendemain, à midi commençait le bombardement dirigé surtout sur l’emplacement où se trouvait ma Compagnie. Je le subis jusqu’à 4 heures et je t’assure que ces 4 heures me parurent 4 siècles. Pour tout abri, on avait des petites excavations ménagées dans le parapet des tranchées, profondes à peine d’un mètre, abris juste capables de vous abriter des éclats d’obus qui sifflaient de tous côtés. Pendant ces 4 heures d’après les estimations, plutôt inférieures à la vérité, les boches nous envoyèrent environ 28 à 30000 obus de gros calibres qui arrivaient par groupe de 12 ou 15 à la fois. La terre tremblait sans discontinuer et vous, accroupis en boule dans votre trou au prise avec des crampes dans les jambes et dans l’impossibilité de bouger, vous vous disiez à chaque seconde, le prochain obus est pour moi et je vais être enseveli.
Les éclatements formidables, tout autour de vous, brisaient les oreilles, vous secouaient terriblement. On vivait dans un nuage de poussière et de fumée, la gorge sèche et pleine de terre.
Ah ! que de pensées me sont passés par la tête pendant ces 4 heures ! cependant je n’ai jamais désespéré et j’ai toujours eu confiance que j’en sortirais sain et sauf. Le moral a toujours été bon, je m’en étais remis entre les mains de la Providence et je priais.
Garder un bon moral est une chose énorme, je me rends compte que si dans ces moments là, le cafard vous prend ou si vous êtes perdu, vous risquez de devenir fou.
Tout d’un coup, à 4 heures moins 10, je sentis une secousse formidable, je ne vis plus rien, je crus que c’était la fin!…
Pas du tout, la fumée se dissipa et je me trouvais à découvert, je ne reconnais plus le terrain que j’ai devant moi. Un gros obus venait de m’enterrer jusqu’à la ceinture, balayant tout, tout autour de lui, et écrasant un autre abri à côté de moi et dans lequel se trouvaient cinq personnes dont un prêtre soldat et un sous-lieutenant de la Compagnie.
J’avais reçu sur tout le côté gauche, la masse de terre projetée par l’obus, mais je n’avais pas la moindre égratignure!!! (Votre cher père portait toujours sur lui le petit fanion du Sacré-Cœur que nous conservons précieusement).
A ce moment m’arriva l’ordre de me rendre en première ligne avec deux sections. Il fallait que je fasse sous le bombardement environ 300 mètres en terrain découvert, sur un terrain bouleversé et en pente très raide.
Je me dégage comme je peux, je rassemble ce qui restait des deux sections, je prends un fusil et je monte en ligne. Tout le côté gauche me fait très mal, je suis obligé de m’arrêter plusieurs fois pour souffler!
Enfin j’arrive en ligne où les hommes se dispersent comblant les vides. Ici c’est plus calme, on est près des Boches, et ils n’osent pas bombarder, car ils ont peur que leurs obus leur tombent dessus. On ne craint que les balles et les grenades, mais ce qu'il y a de bon, c'est qu’on est à l’air, qu’on peut faire du mouvement, qu’on peut lutter et se battre au lieu de rester immobile attendant impassible le moment de se laisser écraser.
Une fois en ligne, les Boches attaquèrent, mais ne passèrent pas , ils furent refoulés et l’enthousiasme de nos soldats fut magnifique!
Notre bataillon reçut des félicitations et le soir même notre colonel recevait des télégrammes de Pétain et de Nivelle le complimentant. Nous fûmes relevés dans le courant de la nuit suivante et je t’avoue que lorsque j’arrivais au cantonnement je n’en pouvais plus, les hommes étaient aussi éreintés. Le lendemain on eût repos et le soir on s’embarquait pour aller plus à l’arrière.
La journée du 30 et du 31, je n’ai pas eu le courage de t’écrire longuement, les évènements étaient trop récents, de repenser à ce cauchemar du bombardement me faisait mal, car alors l’excitation nerveuse était retombée et l’on était moralement usé.
Une telle épreuve ne pourrait pas se supporter par une même troupe à date rapprochée, il faut entre temps lui laisser le temps de se refaire son énergie morale par un repos complet de l’esprit.
Si le régiment a remporté lui aussi sa part de lauriers, il a malheureusement coûté cher et pas mal de bons camarades sont tombés, entre autres le pauvre Tarquiny que nous avions vu à Monte-Carle avec sa jeune femme. Pour lui, on a eu au moins la consolation de pouvoir descendre son corps et de le transporter à l’arrière, pour l’enterrer au village de Jubécourt. Y étant hier nous avons orné sa tombe, et j’en ai pris la photographie afin de l’envoyer à sa famille.
D’autres sont malheureusement restés là-haut, sur cette fameuse Côte 304, ensevelis dans quelques coins ignorés. Que de choses tristes l’on voit dans cette guerre!
De ma compagnie je reste seul officier sur quatre et je suis passé commandant de Compagnie, les autres sont tués, blessés et évacués.
1er juin 1916.
Enfin, depuis ce matin nous voilà à l’arrière au repos pour quelques jours. Ce n’est pas volé après les dures journées que nous venons de passer en ligne, dans un secteur terrible. Nous y avons passé six jours consécutifs, mais c’est le dernier jour qui a été le plus mauvais. J’en suis encore à me demander comment j’en suis revenu, et je suis persuadé que ce n’est pas un hasard seulement qui m’a fait éviter la mort. Les prières que tant d’êtres aimés disent pour moi, depuis Maman jusqu’à ma petite Suzon ont dû sûrement contribuer à me préserver. Aux supplications doivent succéder maintenant les actions de grâce, sans cesser cependant de demander à Dieu une protection efficace dont j’aurai peut-être besoin avant longtemps.
Mais ne pensons pas à cela pour le moment, soyons dans la joie de nous retrouver en bonne santé après une si terrible épreuve. Terrible est en effet le mot juste; car l’imagination ne peut pas se figurer dans quel état se trouvent les pauvres hommes soumis à des bombardements pareils. Pendant les quatre premiers jours, c’est allé presque bien quoiqu’ayant des pertes sensibles, mais le cinqième nous subîmes un bombardement préparatoire. C’était les batteries boches qui réglaient leur tir. Nous devions être relevés ce soir-là, mais au dernier moment on nous annonça qu’on resterait 24 heures de plus. Le bataillon devait les payer cher ces 24 heures.
Le lendemain, à midi commençait le bombardement dirigé surtout sur l’emplacement où se trouvait ma Compagnie. Je le subis jusqu’à 4 heures et je t’assure que ces 4 heures me parurent 4 siècles. Pour tout abri, on avait des petites excavations ménagées dans le parapet des tranchées, profondes à peine d’un mètre, abris juste capables de vous abriter des éclats d’obus qui sifflaient de tous côtés. Pendant ces 4 heures d’après les estimations, plutôt inférieures à la vérité, les boches nous envoyèrent environ 28 à 30000 obus de gros calibres qui arrivaient par groupe de 12 ou 15 à la fois. La terre tremblait sans discontinuer et vous, accroupis en boule dans votre trou au prise avec des crampes dans les jambes et dans l’impossibilité de bouger, vous vous disiez à chaque seconde, le prochain obus est pour moi et je vais être enseveli.
Les éclatements formidables, tout autour de vous, brisaient les oreilles, vous secouaient terriblement. On vivait dans un nuage de poussière et de fumée, la gorge sèche et pleine de terre.
Ah ! que de pensées me sont passés par la tête pendant ces 4 heures ! cependant je n’ai jamais désespéré et j’ai toujours eu confiance que j’en sortirais sain et sauf. Le moral a toujours été bon, je m’en étais remis entre les mains de la Providence et je priais.
Garder un bon moral est une chose énorme, je me rends compte que si dans ces moments là, le cafard vous prend ou si vous êtes perdu, vous risquez de devenir fou.
Tout d’un coup, à 4 heures moins 10, je sentis une secousse formidable, je ne vis plus rien, je crus que c’était la fin!…
Pas du tout, la fumée se dissipa et je me trouvais à découvert, je ne reconnais plus le terrain que j’ai devant moi. Un gros obus venait de m’enterrer jusqu’à la ceinture, balayant tout, tout autour de lui, et écrasant un autre abri à côté de moi et dans lequel se trouvaient cinq personnes dont un prêtre soldat et un sous-lieutenant de la Compagnie.
J’avais reçu sur tout le côté gauche, la masse de terre projetée par l’obus, mais je n’avais pas la moindre égratignure!!! (Votre cher père portait toujours sur lui le petit fanion du Sacré-Cœur que nous conservons précieusement).
A ce moment m’arriva l’ordre de me rendre en première ligne avec deux sections. Il fallait que je fasse sous le bombardement environ 300 mètres en terrain découvert, sur un terrain bouleversé et en pente très raide.
Je me dégage comme je peux, je rassemble ce qui restait des deux sections, je prends un fusil et je monte en ligne. Tout le côté gauche me fait très mal, je suis obligé de m’arrêter plusieurs fois pour souffler!
Enfin j’arrive en ligne où les hommes se dispersent comblant les vides. Ici c’est plus calme, on est près des Boches, et ils n’osent pas bombarder, car ils ont peur que leurs obus leur tombent dessus. On ne craint que les balles et les grenades, mais ce qu'il y a de bon, c'est qu’on est à l’air, qu’on peut faire du mouvement, qu’on peut lutter et se battre au lieu de rester immobile attendant impassible le moment de se laisser écraser.
Une fois en ligne, les Boches attaquèrent, mais ne passèrent pas , ils furent refoulés et l’enthousiasme de nos soldats fut magnifique!
Notre bataillon reçut des félicitations et le soir même notre colonel recevait des télégrammes de Pétain et de Nivelle le complimentant. Nous fûmes relevés dans le courant de la nuit suivante et je t’avoue que lorsque j’arrivais au cantonnement je n’en pouvais plus, les hommes étaient aussi éreintés. Le lendemain on eût repos et le soir on s’embarquait pour aller plus à l’arrière.
La journée du 30 et du 31, je n’ai pas eu le courage de t’écrire longuement, les évènements étaient trop récents, de repenser à ce cauchemar du bombardement me faisait mal, car alors l’excitation nerveuse était retombée et l’on était moralement usé.
Une telle épreuve ne pourrait pas se supporter par une même troupe à date rapprochée, il faut entre temps lui laisser le temps de se refaire son énergie morale par un repos complet de l’esprit.
Si le régiment a remporté lui aussi sa part de lauriers, il a malheureusement coûté cher et pas mal de bons camarades sont tombés, entre autres le pauvre Tarquiny que nous avions vu à Monte-Carle avec sa jeune femme. Pour lui, on a eu au moins la consolation de pouvoir descendre son corps et de le transporter à l’arrière, pour l’enterrer au village de Jubécourt. Y étant hier nous avons orné sa tombe, et j’en ai pris la photographie afin de l’envoyer à sa famille.
D’autres sont malheureusement restés là-haut, sur cette fameuse Côte 304, ensevelis dans quelques coins ignorés. Que de choses tristes l’on voit dans cette guerre!
De ma compagnie je reste seul officier sur quatre et je suis passé commandant de Compagnie, les autres sont tués, blessés et évacués.