Re: PARCOURS D'UN INSTITUTEUR ANGEVIN DU 167E RI
Publié : mar. juil. 01, 2014 12:02 am
Voici la trajectoire de mon grand-père (un miraculé quand je relis cela), bonne lecture.
LA GUERRE DE 14 DE GRAND-PERE DAUDET
Né en 1894, le 6 juin à Somloire (Maine-et-Loire), Eugène (Prosper) Daudet est le deuxième fils de François Daudet, sacristain et de Céleste-Joséphine Beillard. Il étudie bien et rejoint adolescent l’institution Saint-Gabriel à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Il y obtient son brevet, sésame pour enseigner dans le primaire privé.
Son incorporation pour le service militaire a lieu le 11 septembre 1914, un mois après l’ordre de mobilisation générale en France. Il est alors domicilié ….. rue Saumuroise à Angers et exerce la profession d’instituteur privé. Il va grossir les rangs du 167è régiment d’infanterie, jeune unité d’active formée en 1913, en garnison à Toul (Meuse, 55), avec le matricule 4206. Ce régiment compte au total, en théorie, 3300 hommes. Il est promu caporal le 28 octobre 1914. C’est une troupe qui recrute la plupart de ses hommes dans l’est de l’hexagone. Son frère aîné François (classe 1911) est mobilisé dans l’artillerie lourde (109è RAL). Emile, le benjamin de la famille, classe 1917, sera également mobilisé dans l’infanterie (32è puis 66è RI). Soldat téléphoniste, fonction très exposée, il décédera à l'ambulance le 21 mai 1918, durant la seconde bataille de la Somme, des suites d'une attaque allemande aux gazs dans le secteur du ravin de Rouvrel.
Diphtérique
On l’expédie « aux armées » le 6 avril 1915 alors que le 167è RI combat furieusement au Bois-le-Prêtre, au nord-est de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle, 54, région Lorraine). Il redevient simple fantassin deuxième classe. Les Allemands baptisent les régiments de la 73e Division d’Infanterie « les loups de Bois-le-Prêtre ». Pour les journées des 15 et 16 mai par exemple, dans ce secteur du Bois le Prêtre, le régiment perd au terme d'une attaque conçue pour gagner une ou deux tranchées 425 hommes, 34 sous-officiers, et 2 officiers. La 1ère compagnie de Grand-père est engagée dans l'offensive du 27 mai, résultat, 24 morts, 181 blessés et 47 disparus. Signalons qu'à partir du 16 juin 1915, la brigade active de Toul, rattachée jusqu'à ce jour à la 73e D.I., est constituée en division et prend le n° 128.
Il est évacué le 19 juillet 1915 du front de Champagne, entre Servon et le bois de la Gruerie (son régiment vient tout juste d 'être relevé de première ligne), pour soigner une angine diphtérique. Il guérit puis revient aux armées à peine trois mois plus tard, le 8 octobre 1915 dans le secteur de Villey-Saint-Etienne, entre Toul et Liverdun (Meurthe-et-Moselle). A cette date, son régiment compte 94 officiers, 2030 hommes de troupe et 245 chevaux !
En décembre, le 167 est du côté de Lunéville, en janvier 1916 vers Bénamenil, en février près de Reillon, en mars à Marainvillers (forêt de Mondon). Le régiment alterne entre la première ligne et des travaux de consolidation des défenses.
Devant Verdun…
Juillet 1916, le front ouest se cristallise aux abords de Verdun qui voit passer les deux-tiers des effectifs français entre février et octobre. Les Allemands ne savent plus comment procéder pour faire sauter ce véritable verrou devenu cause nationale. Le 167è RI, élément de la 255e Brigade d’infanterie de la 128e Division d’Infanterie, quitte ses cantonnements puis embarque à Gerbéviller (Meurthe-et-Moselle) le 28 juin. Les compagnies ont reçu un entraînement journalier intensif dans la deuxième moitié de juin en vue « du combat à la grenade et de l’attaque des tranchées ».
Le 167 est amené à Verdun dans la nuit du 5 au 6 juillet, dans le secteur de Fleury-devant-Douaumont, assurant la relève du 241è RI dans ce qu’on nomme le saillant de Verdun. Fleury est un petit village situé à 5km au nord-est de Verdun, entre les forts de Douaumont, Vaux et Souville. Autant dire au cœur de l’enfer. La compagnie de grand-père y creuse des boyaux et améliore les abris. Toujours fantassin 2è classe, il appartient à la 1ère compagnie du capitaine Portères, du 1er Bataillon du capitaine Gérard, établi dans le secteur du village de Fleury, en soutien très rapproché d’un bataillon du 168è RI. La position est excellente selon le quartier général du bataillon, mais les systèmes de défenses y sont quasi inexistants dans le village en ruines. Des trous d'obus à peine reliés entre eux font office de ligne de défense.
Marmitage et lance-flammes : le trommelfeuer
Dans la nuit du 10 au 11 juillet, l'enfer tombe du ciel : l’artillerie allemande (calibres 105 et 150) arrose les premières lignes françaises parfois à peine espacées de cinquante mètres des tranchées ennemies à l’aide de tous les types d’obus possibles (percutants, explosifs, à gaz). Le masque à gaz est porté presque toute la nuit du 10 au 11 juillet, « il est très efficace ». Le marmitage est intense. Il redouble entre quatre heures et six heures du matin. Le bataillon Gérard et donc la 1ère compagnie de grand-père (elle compte en théorie et au total 254 hommes) relèvent le bataillon du 168è RI au sud de Fleury et aux abords immédiats du village, à cinquante mètres de la station de Fleury. Alors, à six heures quarante-quatre, l’Alpen korps, la Garde royale bavaroise entre autres troupes sont lancés sur Fleury-village. L'objectif final de cette ultime offensive voulue par le kronprinz vise à enlever le fort de Souville, une des portes de Verdun. Les tirailleurs allemands lancent des liquides enflammés « qui sentent le goudron », ils sont en outre équipés de mitrailleuses légères qu’ils utilisent en marchant. Malgré tout, le 167è RI et les unités de la 128è DI stoppent l’assaut. A partir de 7 heures, plus aucun renseignement du bataillon Gérard. La 1re compagnie résiste, isolée, sans communications, sans ravitaillement, toute la journée et va enrayer toutes les tentatives de percée allemande dans ce secteur. L’ennemi capture de nombreux prisonniers, dont grand-père. Son nom apparaît dans l’état nominatif des pertes pour le 11 juillet, dans la colonne « prisonniers ou disparus ». Le régiment de grand-père est exsangue. Le quartier général ennemi stoppe l'offensive devant un constat d'échec (le fort de Souville n'a pas été pris).
Le bilan des pertes pour le 167è RI est pour cette seule attaque encaissée de 36 morts, 73 blessés et 1329 disparus (prisonniers ou morts), l’état-major de la 255è Brigade est fait prisonnier, enfin, « à signaler la belle conduite du 2è bataillon et de la compagnie Portères, première [compagnie ndlr] du 1er bataillon ». Cette attaque allemande marque l’avancée maximale de l’ennemi à Verdun. Le 21 juillet 1916, le 167è RI décimé vient cantonner à Troupille-en-Barrois. Il ne sera totalement reconstitué qu’en novembre 1916. A la fin de la guerre, le nombre de soldats du 167e tués entre 1914 et 1918 s'élève à 2913 hommes, soit l'équivalent d'un régiment au complet. Ce chiffre le place parmi les quinze unités les plus mortifères de toute l'Armée française (le moins est par exemple le 420e RI avec un mort, et le plus mortifère est le 113e RI avec 4277 tués), à l'instar du 66e RI de son petit frère Emile, qui affichera 3331 tués le 11 novembre 1918.
Les camps
Grand-père part en ce mois de juillet 1916 vers Cologne en Allemagne, dans le camp de Wahn, au sud-est de la métropole rhénane. Ce camp a pour fonction de transmettre la correspondance des prisonniers retenus dans les régions occupées et qui ne sont pas encore affectés à un camp en Allemagne (Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Ardennes). Mais il n’y fera qu’un passage puisqu’il ira travailler dans des mines de fer à Wetzlar et à Giessen, deux cités voisines dans le land de Hesse (ouest de l’Allemagne). La seconde ville a accueilli un camp d’immatriculation et de transit des prisonniers, camp par ailleurs muni d’un lazarett (hôpital). Il restera prisonnier de guerre jusqu’au 13 décembre 1918. La mémoire familiale rapporte qu’au cours de sa captivité, grand-père a travaillé dans des mines de fer, elle raconte aussi qu’il a travaillé dans des fermes.
Après le conflit, Grand-père a reçu la Croix de guerre, en bronze. Pour mesurer les conséquences du conflit au niveau local, Somloire recensait 982 habitants en 1914 et 929 en 1921.