Trouvées sur une brocante, quelques cartes 14-18 échangées entre un père et son fils entre 1913 et 1916, Emile LEVIONNOIS et son fils Maurice, né un 13 janvier (une carte pour l'anniversaire adressée le 13/01/1913).
Emile reçut la Croix de guerre. Je ne suis pas parvenu à l'identifier avec certitude. Je devine juste qu'il s'agit d'un territorial, dont l'épouse se prénommerait Marie (il lui adresse une très belle carte brodée le 15 août 1915). Quelques noms de camarades cités.
Je présume qu'Etienne a pu être instituteur : mention de l'anniversaire de la bataille de Waterloo, définition du terme ultérieurement, description du rôle du soldat, et écriture soignée sans faute d'orthographe....
Je vous propose ci-dessous la transcription de celles-ci :
Le 21/10/1914
Mon gentil Maurice
Ta visite m'a fait bien plaisir. Je t'adresse une jolie carte pour te rappeler le rôle de ton Papa. En bas est la caserne où je loge. A droite, le sac où le soldat met son mobilier, à gauche est le tambour qui bat la charge.
En haut, au-dessus des vues de St-Lô, sont des fusils en faisceaux. C'est comme cela quelles soldats les mettent quand ils reposent. En haut est la sentinelle qui veille, en cas d'alerte, elle réveille les soldats qui s'élancent sur leurs fusils pour défendre et sauver le drapeau qui représente comme tu sais la Patrie.
Gros baisers mon chéri de ton papa qui t'aime bien.
Tu diras à Maman qu'hier soir avec les gens qui rentraient nous avons fait un copieux souper à quatre : c'était excellent.
Lefoulon est parti et je le regrette. Il sera fort bien, me dit-on. Nous restons jusqu'à nouvel ordre.
Amitiés à tous et à Maman et G'Maman en particulier.
Emile
La face illustrée de cette carte représente diverses vues de St-Lô et la mention souvenir du 136ème d'infanterie.
Emile a soigneusement rayé le 1, fait un 8 avec le 3, surchargé d'un 0 le dernier chiffre et ajouté « territoriale » après infanterie.
On apprend ainsi qu'il était au 80è RIT, malheureusement pas de JMO pour ce régiment.
Belgique, 18 juin 1815 (Il y a aujourd'hui 100 ans que la France fut vaincue à Waterloo (Belgique))
Mon bien cher Maurice,
Ta Maman me prend pour un cachottier,et grossissant un fait banal mal raconté ou incompris,voudrait faire de moi un brave ayant accompli une action d'éclat. Il y en a déjà beaucoup de trop qui se vantent d'avoir été des héros. Beaucoup plus nombreux sont ceux qui ont bravé la mort 10 fois, 100 fois, obscurément, qui n'ont eu et n'auront aucune citation et qui s'en contentent. Ils n'ont fait et ne font chaque jour que leur devoir, cela leur suffit et à moi aussi, mais ne va pas raconter que je me suis distingué, je passerai, à juste titre, pour un sot vantard.
Je serais heureux que tu puisses dire « Papa a sauvé la vie à un camarade en danger, en exposant la sienne ». Je n'ai rien fait de tout cela. Je vais te raconter ce qui s'est passé, ou plutôt si tu vas à St-Lô à la caserne et que tu vois le soldat LE MORVAN, c'est le blessé en question. Il est à la 15è Cie – il te confirmera ceci :
C'était le 14 avril, vers 7 h du soir. Il commençait à faire brune. Toute la journée, l'ennemi avait été assez agressif et nous avait envoyé balles et grenades. Par prudence, nous étions restés couchés dans nos tranchées peu confortables et mal situées. Depuis quelques minutes seulement, un bon garçon de la Dordogne du nom de BLEMONT, excellent caractère, toujours gai, courageux, délicat, qui était resté à côté de moi, sort pour fumer une pipe ; assis à l'abri et respirer un peu [...], d'autant que la journée avait été magnifique. A ce moment, LE MORVAN était en sentinelle. Une explosion violente retentit tout près. LE MORVAN accourt et appelle : « LEVIONNOIS ! », il me causait je ne pense pas à lui et lui demande pressentant un malheur : « Et BLEMONT ? ». Je crois qu'il est tué. J'y vais aussitôt. Accroupi, fumant sa pipe, il n'avait pas bougé. Je l'appelle, je le prends et l'appuie contre un gabion. Il était mort sur le coup, criblé d'éclats. C'est à ce moment que je sus que LE MORVAN était blessé. Je le secouai même un peu vigoureusement en paroles, pour qu'il ne s'évanouit pas, lui fit boire à deux reprises du bon vieux rhum que ta Maman m'a donné au départ et lui fit à la tête un pansement du mieux que je pus avec les bandelettes que ta Maman m'avait aussi donné. Bien courageux, LE MORVAN s'en alla à pied un peu plus tard au poste de secours. Tout cela se faisait derrière la tranchée, je n'exposais pas ma vie, comme tu vois,j'essayais de soulager deux camarades, c'est ce qu'on doit faire et c'est ce qu'on fait tous les jours.
Ton Papa qui t'embrasse.
Emile
Une fiche présente sur MDH au nom de BLEMONT Pierre, décédé le 14 avril 1915 à Bixschoote (Belgique). Soldat au 80 RIT, originaire de Sergeac (24) recrutement de Bergerac.
Son nom est écorché dans l'historique du 80è RIT où il est indiqué BLEMENT Pierre parmi les MPLF.
Le nom de LE MORVAN est absent de cette liste et de MDH pour le 80è RIT.
Concernant Pierre BLEMONT, son acte de décès précise qu'il appartenait à la 5è Cie. Deux de ses camarades ont servis de témoins : le Sergent-major Arsène MABIRE et le Sergent Charles LEBRETON.
Pierre BLEMONT était marié et laissait une veuve prénommée Eugénie Alphonsine.
MAJ du 28/07/2012
Belgique, Mardi 22 juin 1915 – 5 heures
Mon cher Maurice,
Ton Papa, levé de bonne heure, par un beau temps, t'envoie cette carte, assis sous un pommier au grand air. Au loin on entend le canon qui gronde, c'est la musique habituelle. Les camarades sont partis faire une petite marche militaire. Ce midi, je prendrai la garde avec HELYE et quelques autres. HELYE couche à côté de moi au cantonnement où nous sommes bien. Aide toujours G'Mère [...] veille à ce qu'elle ne s'use pas trop vite pour pouvoir la conserver longtemps. Veille aussi à ce que ta Maman ne fasse pas d'imprudences, pour ne pas retomber malade et travaille bien, couche-toi bien pour toujours les contenter.
Et embrasse les bien comme tu sais pour ton Papa.
Paternels baisers
Emile
Une fiche figure sur mémoire des hommes au nom de HELYE Victor du 80è RIT, peut-être s'agit-il du même homme. Tombé le 8 août 1916 devant Boesinghe (Belgique). Il figure lui aussi sur l'historique du 80è RIT. Décès transcrit à Cerisy la Salle. La plupart de cartes sont adressées à Cerisy la Salle
De Maurice à papa
Quibou, le 27 - 8- 15
Mon cher petit papa,
Mes vacances s'écoulent toujours gaiement. Ma pêche n'a pas été fructueuse, nous avons mis Folette à l'eau elle nage très bien mais dans l'après-midi, probablement qu'on l'y avait mise trop de fois, elle était sans doute fatiguée, elle a manqué de se noyer. Aussi nous ne l'y remettrons pas.
Les tantines Madeleine et Simonne t'embrassent de tout coeur.
Ton gros chéri,
Maurice
La seule du fils à son père. Ecriture d'un enfant à la plume. Emile écrit quant à lui au crayon noir ou violet.
Cette carte s'est trouvée salie par inadvertance. Je te l'envoie tout de même
B – (Belgique) 2 – 10 – 15 – 8 heures
Mon petit Maurice,
J'ai reçu hier soir la lettre de ta maman en date du 28/9/15. Elle va recevoir toutes mes lettres en retard, au fur et à mesure que l'autorité militaire le permettra.
J'ai développé hier le paquet reçu. Remercie la de tous les soins qu'elle prend de ton Papa. Le tout était en bon état. J'ai utilisé hier les bas en papier et bonne flanelle. Je lui donnerai des détails ultérieurement, ce qui veut dire (retiens la signification de ce mot) plus tard, dans quelques temps, à une date qui viendra.
Je suis de service depuis hier soir. Je ne sais si cette carte pourra partir aujourd'hui. Je vais essayer de la faire parvenir au vaguemestre. La lutte a été chaude depuis huit jours mais pas ici. Nous avons à peine reçu notre ration habituelle. Notre service est modifié. J'espère bien que je serai conservé à ton affection et à celle de ta Maman et que je pourrai vous revoir dans quelques mois tous deux pour y continuer la bonne vie de famille.
Baisers bien affectueux à tous deux.
Emile
22/1/1916
Mon petit Maurice,
Cette carte m'a été remise par un camarade. Le « Journal » a réclamé des canons, des munitions pendant des mois. Nous en avions mais il demande qu'on en ait de plus en plus [...] prodigieuse, afin qu'on en manque jamais. Les engins sont si puissants, si perfectionnés, si meurtriers que l'infanterie ne peut avancer que sous la protection d'une artillerie considérable. Les ouvriers des usines seraient donc bien coupables s'ils ne travaillaient pas de toutes leurs forces malgré la fatigue de l'atelier. C'est d'eux que dépend le succès et leur vie n'étant guère en danger, ils sont encore moins à plaindre que ceux qui passent leur vie dans la tranchée.
Un armement puissant, supérieur permettra seul au coq gaulois de chanter victoire, ce qui [...] impatiemment.
Emile
_____
Malheureusement, le JMO du 80è RIT est absent pour cette période. Si l'un d'entre vous passe par les AD de la Manche, peut-être y serait-il possible de relever dans les tables alphabétiques de recrutement si un Emile LEVIONNOIS y figure né dans les années 1875-1885 ?
Cordialement,
Christophe