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Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : jeu. avr. 22, 2010 12:57 pm
par louis cazaubon
...une petite pensée pour les gars du 90 RI, et leurs capitaines Henri BAUDIMENT et Gaston MILLON (cf.
http://blessuredeguerre.canalblog.com ), tombés dans l'enfer de la Cote 304, il y a quatre-vingt quatorze ans aujourd'hui.
En ce samedi de Pâques 1916, ils avaient la pluie et la boue, pour les accompagner.
Aujourd'hui, il fait beau, et c'est bien comme ça.
Bien à vous tous,
Louis
Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : jeu. avr. 22, 2010 1:35 pm
par Charraud Jerome
Bonjour
De tout cœur avec toi, Louis
« 22 avril : Le mauvais temps persiste. La nuit a été atroce. Les ravitaillements sont difficiles, les corvées pénibles dans cette obscurité. Ce matin, la pluie encore. La boue s’infiltre partout.
A une heure trois quarts de l’après-midi, le bombardement des grosses pièces allemandes reprend, mais plus au Sud sur le Mort-Homme et plus à l’Ouest sur nos lignes, principalement dans le ravin de la Hayette.
Les nuages de fumées noires et grises montent du sol, comme des panaches régulièrement espacés. Cela va durer sans doute jusqu’à la nuit close.
Les journaux, les lettres qu’on reçoit continuent à émettre des pronostics. Ici, l’on ne voit pas si loin. Les choses sont simples. Des positions sont écrasées sous des projectiles énormes. Des troupes d’infanterie ont ordre de rester là. Elles y restent, et s’usent. Notre artillerie tire beaucoup, mais sa portée est insuffisante. Les données du problème sont élémentaires. Elles contiennent des réalités horribles pour certains. Personne ne peut s’en rendre compte sans l’avoir vu. Mais laissons cela. Les mots ne changent rien à rien.
Il est autrement intéressant de regarder nos hommes. En dehors des instants terribles, ils plaisantent. Un de nos coureurs nous arrive ce matin en signalant des conducteurs (des obus) et en parlant de Théodule (l’artilleur allemand). Notre cuisinier est un être extraordinaire. Il fabrique notre dîner à Béthelainville, l’apporte en voiture jusqu’à Esnes, et de là jusqu’ici, à pied. On fait réchauffer avec de l’alcool solidifié.
Le plus dur c’est de ne pouvoir sortir de ce trou. Nous sommes dans un abri qui a dû être construit avant l’évacuation des premières lignes, et qui servait sans doute à l’artillerie. Aussi est-il relativement solide. Il est bien entendu que si un 305 tombe dessus, rien n’en subsistera. Nous sommes quatre là-dedans, avec de la lumière nuit et jour. Dans d’autres abris, les coureurs de liaison, les pionniers, les téléphonistes, tous ces organes qui nous gardent en contact avec les divers éléments du régiment. Les fils sont coupés constamment.
A une heure du soir, un bombardement terrible se déchaîne sur nos lignes. Il ne cessera, et encore incomplètement, qu’à sept heures. Vers quatre heures, nous apprenons par coureur que l’attaque se déclenche. Nous mettons nos casques et prenons nos revolvers. Une corvée de pionniers part en ravitaillement de cartouches. Le jeune sous-lieutenant Sch[merber] les dirige avec sang-froid.
Les ordres se transmettent avec beaucoup de calme. Sur nos lignes, les obus continuent d’éclater. A sept heures, une accalmie se produit. On nous apporte la nouvelle de la mort de deux officiers, dont le prêtre capitaine M[illon]. Les Allemands ont attaqué par vagues et ont été arrêtés par notre fusillade et par un barrage bien réglé. Le colonel attend d’autres renseignements.
Ils nous parviennent. Le capitaine B[audiment] est tué, cinq lieutenants sont blessés. Dans la troupe, 150 blessés, 80 tués et des disparus. Rien qu’à une compagnie de mitrailleuses, il y a cinq pièces hors d’usage, 17 tués et 16 blessés. Nous sommes surpris qu’il y ait presque autant de tués que de blessés ; cela déroute les statistiques. Mais, étant donné le bombardement qui a eu lieu, il est bien plus étonnant qu’il y ait encore des vivants.
Les Allemands ont attaqué sur tout le front du [90]ème et de nos voisins de droite, 32ème compagnie du [161]ème. Ils ont été contenus, mais il semble qu’ils soient restés accrochés sur deux points en face de notre gauche, dans un bois défendu par le bataillon R[oyné], et dans le ravin de la Hayette où se trouve la liaison entre le [90]ème et le [161]ème. […]
[…] Nous recevons les journaux de Paris d’aujourd’hui même, 22 avril. C’est une sensation curieuse que de lire au communiqué : « Grande activité d’artillerie dans le secteur de la cote 304. […]
[…]L’abbé M[illon], capitaine, a été tué dans son poste téléphonique, en même temps que le téléphoniste. Le capitaine B[audiment] a eu la tête emportée par un obus, au moment de l’attaque, alors qu’il commandait « Feu à volonté ! »
Commandant Pierre Bréant «De l'Alsace à la Somme» - Hachette 1917
"Samedi 22 avril 1916
Le bombardement a encore redoublé d'intensité.
Perreau et Jarry viennent d'être enterrés vivants. On réussit à les dégager. Fortement contusionnés, ils ne sont pas capables de s'évacuer tout seuls. Comme il n'y a personne pour les accompagner, on les laisse sur place.
Deux heures plus tard, Mortault et Rousée sont écrasés sous un parapet qui s'est effondré.
Après c'est Leboeuf, Charles Franchetau qui disparaissent sous un éboulement.
Perreau et Jarry, incapables de bouger, sont de nouveau pris et enterrés. Jarry est très mal. De ma pauvre escouade, il n'e reste plus que trois. Les pertes de la 10e compagnie sont très importantes.
Dans l'abri, nous mourrons de soif. Le ravitaillement est d'ailleurs impossible car la liaison avec l'arrière n'existe pas.
De plus, nous commençons à étouffer dans notre souterrain. Placé tout au fond, je pense défaillir à plusieurs reprises"
Albert Le Flohic «Cinquante ans après» - Imprimerie de Champagne 1967 (Albert Le Flohic sera fait prisonnier le 4 mai 1916 à 304, avec le commandant Royné)
Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : jeu. avr. 22, 2010 2:51 pm
par Stephan @gosto
Bonjour,
En union avec vous, voici les dernières lignes du carnet de l'abbé Millon du 90e, tué ce même 22 avril, et que vous connaissez bien tous les deux :
20 avril (Jeudi-Saint). - La canonnade devient violente. Peu importe, je me confie entre les mains de Jésus, prêtre souverain et hostie. Pendant cette relève, je songerai à la Cène et à la nuit affreuse du Jardin des Oliviers, de la trahison de Judas, du reniement de Saint-Pierre, du commencement du grand drame. Que notre vie nous paraît insignifiante quand on réfléchit à notre destinée suprême que nous a value le sacrifice de Jésus ! Si, ô mon Dieu, vous voulez mon sang, je vous l'offre en union au sang de mon divin Sauveur.
21 avril (Vendredi-Saint). - La nuit vient clore la période des combats. La canonnade reste encore violente : les éclatements me sonnent dans les oreilles ; la terre est sans cesse ébranlée... A partir de 11 heures le gros calibre commence... Le Mort-Homme, à notre droite, disparaît dans la fumée... Vendredi-Saint, journée rédemptrice du genre humain : comme nous savons bien passer cette journée ! Punition de nos folies, de notre orgueil, de nos péchés ! Nous avions voulu vous oublier, ô Jésus, et vous avez de force mis la mort devant nos yeux : "Regarde et choisis ! Je mets ton sort éternel entre tes mains. Suis-moi au Calvaire". Les souffrances que j'endure aujourd'hui je les offre en union avec celles de Jésus.
22 avril (Samedi Saint). - Jésus au tombeau, mort. Moi dans mon abri tombeau, pouvant mourir à tout instant : quelle vie, si je n'avais pas foi en vous, ô mon Dieu ! Justement, un obus vient de tomber à quelques mètres : bougie éteinte. Un soldat tué à côté ! O mon Dieu, recevez mon âme.
11 h 45. - La mort est donc toute proche, toujours possible. Mon âme est prête à l'accueillir. Elle sera ma délivrance. Le Bon Dieu me recevra près de lui. A ces moments on comprend mieux que jamais son néant, sa faiblesse. Vivre pour être meilleur, pour se rapprocher de Dieu, pour être plus pur, pour faire plus de bien autour de soi. Si je sors de la guerre, avec quelle ardeur je me livrerai à l'apostolat des âmes !
Je suis encore prêtre : je dois autour de moi donner l'exemple de la vaillance. Quelle joie de se rappeler son ordination en cette semaine : jeudi-saint, fête du sacerdoce ; vendredi-saint, fête du sacrifice ; samedi-saint, fête du recueillement devant la mort. Et puis Pâques, résurrection glorieuse.
Bonne journée.
Stéphan
Source : "Camille Voisin, sous-lieutenant d'infanterie, tué à l'ennemi en octobre 1915", J. Siraudeau Editeur, 1917.
Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : jeu. avr. 22, 2010 3:26 pm
par Charraud Jerome
Bonjour
Merci Stephan pour ces extraits des carnets de Millon (Je finirais bien par trouver le "Voisin" un jour ou l'autre).
Ce type d'anniversaire me permet, une fois l'an de rouvrir certains témoignages. Les ouvrages en question ont souvent des reliures en mauvais état, alors je ne les manipule que précautionneusement.
On notera le mysticisme de ces hommes, dans ces moments de douleur et de mort.
Ce Samedi-Saint 1916. - Dans la plaine entre le Mort-homme et la cote 304 un trou d'obus; dans les parois de l'entonnoir, un trou plus petit qui me sert de refuge, et dans lequel je ne puis rie tourner. Il pleut depuis huit jours bientôt; de grosses ondées, et, de partout, d'en haut, d'en bas, l'eau m'envahit : c'est le triomphe de la boue. Hier, à trois heures, j'ai fait là mon, chemin de Croix; j'ai voyagé toute la nuit, la tranchée étant loin et le chemin à découvert partout bombardé par des obus de tous calibres. Pendant que je vous écris, le Mort-Homme est en feu ; c'est effrayant, et, sous ce déluge de feu, des hommes tiennent. Il y a beaucoup de tués ; mais ceux qui vivent ne se rendront jamais... Pas d'eau, nous n'avons pour aujourd'hui que du pain et des patates bouillies.
Je viens de réciter le Regina Coeli et j'aime à redire avec vous : Alleluia, quand même. Qu'importe la mort, puisque notre Maître vit et nous fera participants de sa vie !
Ce Dimanche de Pâques. - J'avais à peine cacheté hier soir la lettre que je venais de vous écrire sous l'intense bombardement qu'une sérieuse attaque boche se déclenchait. J'ai eu comme mission de ravitailler les lignes en cartouches avec quatre autres agents de liaison. Nous avons eu de fortes pertes, vécu des heures terribles ; mais le Boche n'a pas gagné un pouce de terrain. Ils ne passeront pas. Nous avons payé cher notre succès : deux commandants de Cie ont été tués. L'un d'eux était ce capitaine-prêtre [MILLON] du diocèse de Lyon dont je vous avais parlé. En pleine fournaise je suis allé réciter une prière et faire un long signe de croix sur ses pauvres restes absolument en bouillie, la tête séparée du tronc. Je lui avais servi la messe Dimanche dernier et commençais à me prendre d'affection pour lui. Les poilus l'aimaient; ils le pleurent.
Voici cinq jours et cinq nuits que je n'ai pas fermé l'œil ; je suis harassé. Sous le feu, hier, la liaison a été superbe et notre commandant nous a chaudement félicités.
Emile Baumann «Abbé Chevoleau - Caporal au 90e d'infanterie» - Perrin 1917 (Chevoleau tombera le 2 mai 1916 à 304)
Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : dim. mai 02, 2010 9:25 am
par louis cazaubon
Merci les amis.
Jérôme, pour le cas où le "Voisin" demeurerait introuvable, l'extrait des dernières pages des carnets de Gaston MILLON se trouve dans l'article de Maurice BARRES, paru le 6 décembre 1916, dans l'Echo de Paris, dans le cadre de la série d'articles qu'il rédigeait et faisait paraître sur: "Les diverses familles spirituelles de la France: les héros catholiques".
Bien à vous,
Louis
Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : dim. mai 02, 2010 8:52 pm
par Florent Deludet
Bonjour à tous,
Bonjour Louis,
Votre message m'a fait ressortir de mes archives, un document issu des AD55. J' y avais vu le nom de Baudiment et j'avais pensé à vous.
C'est la liste, établie par le Maire du village, des soldats inhumés dans le cimetière communal de Jubécourt, datant de Octobre 1916.
Les capitaines Baudiment et Millon sont cote à cote, tombes 20 et 21.
J'ai a disposition l'intégralité de la liste pour ceux qui sont intéressés.
Florent
Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : lun. mai 03, 2010 12:08 am
par louis cazaubon
Bonsoir Florent,
et merci mille fois pour la transmission de la photo de ce document, qu'en fait je recherche depuis plus de dix ans, et que j'avais recherché à Jubécourt (et ma famille avant moi l'y avait recherché dès 1920...), à l'époque où je démarrais mes recherches, où je ne connaissais personne, ni l'existence du forum, et où je ne savais pas trop comment m'y prendre, etc, etc...
Henri BAUDIMENT est en effet déclaré MpF le 23.04.1916 (et pas 1915, comme c'est noté sur le registre), à Jubécourt.
En fait, d'après les différents documents historiques (témoignages directs dans le JMO, dans le livre de BREANT, dans celui de CHEVOLEAU; recoupements avec certaines lettres de Poilus du 90 RI citées par PERICARD), Henri BAUDIMENT (et Gaston MILLON) sont morts le 22.04.1916, en fin de journée.
Henri a été inhumé dès le 23.04.1916, au cimetière militaire de Ville sur Cousances (les registres du Souvenir Français, présents à l'entrée de ce cimetière faisant foi), où, pourtant, aucune trace ne subsiste à côté de lui, de la sépulture de Gaston MILLON.
Il me semble avoir lu, dans PERICARD, qui cite la lettre d'un Poilu du 90 RI (JUTTEAU, je crois, mais je parle de mémoire, et me trouve à 7000 kms de mon exemplaire...), que la dépouille mortelle de Gaston MILLON, est restée plusieurs jours sur le champ de bataille, "dans une toile de tente". Si elle a effectivement eu lieu à l'arrière, l'inhumation de Gaston MILLON est intervenue plusieurs jours après celle de Henri BAUDIMENT.
Je n'ai retrouvé, depuis, aucune trace du lieu d'inhumation effective de Gaston MILLON. Or, ce capitaine-abbé m'intéresse, non seulement pour sa profondeur personnelle, mais également parce que Henri BAUDIMENT et lui-même avaient tissé des liens de grande estime réciproque, sinon d'amitié (selon un témoignage oral insistant de ma grand-mère, soeur d'Henri; je n'ai malheureusement trouvé aucune trace écrite sur ce point dans les quelques lettres qui m'ont été transmises).
L'un d'entre vous pourrait-il me dire comment les indications relatives à Gaston MILLON, telles que portées sur le registre photographié par Florent, pourraient m'être utiles pour retrouver le lieu de l'inhumation définitive (s'il existe) du Capitaine MILLON?
Je suis sûr que ce point intéressera également Jérôme.
Encore un grand merci, Florent.
Et une nouvelle fois merci à ceux qui pourront encore m'aider sur ce point.
Bien à vous,
Louis
Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : lun. mai 03, 2010 12:06 pm
par Florent Deludet
Bonjour Louis,
Vous dites :
"Henri a été inhumé dès le 23.04.1916, au cimetière militaire de Ville sur Cousances (les registres du Souvenir Français, présents à l'entrée de ce cimetière faisant foi)".
Or le document photographié est daté du 28 octobre 1916, fait et signé par le Maire de Jubécourt, ce qui suppose que le corps de Henri Baudiment soit resté dans le Cimetière Communal de Jubécourt au moins jusqu'a cette date, sinon plus tard.
Florent
Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : lun. mai 03, 2010 5:44 pm
par Florent Deludet
Re-bonjour,
Louis,
Après vérifications, Henri Baudiment est resté inhumé au Cimetière Communal de Jubécourt jusqu'au 27/01/1931 , date à laquelle son corps fut transferé à la NN de Ville sur Cousance, tombe N°948.
Malheureusement, pas plus d'infos sur Gaston Millon
(Sources : Service des Sépultures de Verdun)
cordialement,
Florent
Re: 22 Avril 1916: Ravin de la Hayette...
Publié : lun. mai 03, 2010 8:24 pm
par louis cazaubon
Bonsoir Florent,
cette information de poids concernant Henri BAUDIMENT, génère de mon côté, une avalanche de questions d'ordre familial.
Hélas, ceux qui auraient pu essayer de répondre, ne sont pas de ce siècle.
Seriez-vous assez aimable pour:
1) m'indiquer sur quel document (ou type de document) se trouve l'information de ce transfert de corps en janvier 1931?
2) Existe-t'il, à votre connaissance, un "pv de transfert" ou quelque chose d'équivalent, et qui pourrait attester:
- si on a cherché à contacter la famille avant d'effectuer ce transfert,
- et si ce transfert s'est finalement déroulé en présence d'une personne de la famille, ou de manière totalement anonyme et administrative?
3) Et si oui, comment peut-on se procurer la copie de tels documents?
A nouveau, merci mille fois pour votre aide précieuse.
Louis