Re: Jean Piel un soldat au 1e R de Zouave, feuillets de route
Publié : dim. nov. 23, 2008 5:58 pm
Bonjour, je vous transmets des extraits que mon oncle un des frères de ma mère a écrits sur des petites feuilles. J'ai avec l'aide de mon GPS et de Google maps calculé que ces combattants avaient parcouru près de 1000 km du 13 août 1914 au 17 septembre 1914.
Bonne lecture et bonne journée à vous tous,
Amicalement Stéphane.
FEUILLETS DE ROUTE DE JEAN PIEL, SIMPLE SOLDAT AU PREMIER RÉGIMENT DE ZOUAVES, 20 COMPAGNIE
En voici quelques extraits
Dimanche 23 août 1914
Nous allons à Walcourt, à midi nous croyons pouvoir dormir un peu, mais il faut s'en aller vers Clermont. Nous arrivons dans une plaine où nous faisons des tranchées. On les abandonne ensuite au lever du jour pour s'en aller de nouveau. C'est encore une belle nuit !...
Lundi 24 août 1914
On part au matin pour aller à Clermont-les-Walcourt, où on arrive à deux heures. On mange ce que l'on trouve dans les maisons. À cinq heures, au moment de cantonner : coups de canon. Retraite dans les bois, et nous passons la nuit à la course.
Mardi 25 août 1914
On arrive en France, à Eppe-Sauvage. On marche, on marche. Nous couchons dans une usine. Aux armes !... Il faut partir au matin.
Mercredi 26 août 1914
On arrive au cantonnement. On change de place; on change encore dans la nuit. On repart dès le matin.
Jeudi 27 août 1914
On se concentre à Laigny, où on couche. Enfin une nuit !...
Vendredi 28 août 1914
Saint-Gobert, etc., etc. On allait cantonner, mais on part.
Samedi 29 août 1914
Je me repose à deux heures du matin chez un curé. On repart pour aller se battre à Sains-Richaumont. Batailles Vlliers-le-Sec, La Ferté-Chevresis... (Lit) !...
Dimanche 30 août 1914
Montigny, Crécy, vers Laon.
Lundi 31 août 1914
On repart en groupes d'isolés vers Soissons, puis on revient vers Laon et à un vinage, près de Crécy, où je retrouve ma compagnie. On se couche.
Mardi 1er septembre 1914
On repart à deux heures du matin vers Laon. On marche derrière le convoi. Nous faisons des pauses continuelles. On marche jusqu'à minuit. Nous nous couchons après avoir traversé la Serre (affluent de l'Oise).
Mercredi 2 septembre 1914
On repart à deux heures du matin, esquintés, vannés, fourbus, on marche toujours. Enfin, on va faire une pause à dix heures dans un champ. On boit le café et c'est tout... Viande à la fin et pain. On repart à midi, poursuivis à coups de canon. On s'en va toujours. Comment tient-on ? C'est un miracle. Après avoir été chassés plusieurs fois, on arrive à onze heures du soir dans une grande ferme, où l'on dort trois heures. Café.
Jeudi 3 septembre 1914
On repart à deux heures et l'on fait une marche plus régulière, le convoi ayant pris une autre route. On marche deux heures sans s'arrêter, sauf deux fois de suite pour que nous puissions passer la Marne, à Passy, en temps propice. Le canon tonne derrière nous et nous fuyons toujours. Nous cantonnons à Saint-Agnan, où nous arrivons vers cinq heures. On fait le café, on a de la viande et des légumes, c'est une vraie noce !... Mais, hélas ! à neuf heures, il faut repartir pour aller coucher dans un champ, à un kilomètre.
Vendredi 4 septembre 1914
On repart à deux heures, mais c'est plus pénible et nous sentons que cela ne va pas aller. Nous attendons deux heures, puis nous sommes détachés en flanc-garde et nous ne rejoignons la colonne que trois heures plus tard. Le canon ennemi parvient jusqu'au convoi, notre canon répond et on se sauve comme on peut... Des voitures sont abandonnées, des civils pleurants vont à travers bois, et nous marchons. Comment ? C'est impossible à dire... sans sommeil, sans rien sous la dent... (Mûres, pommes, poires). Vers quatre heures nous retrouvons notre régiment. On marche toujours et j'ai un genou ankylosé. J'ai les plus mauvaises pensées et je récite des Ave pour me donner un peu de cœur, je n'en ai plus...
On arrive à Le Gault, village à six kilomètres de Montmirail, et nous sommes détachés en petit poste, où j'écris ces notes. On vient nous chercher une heure trop tard et nous partons sans le bataillon, dont nous perdons la liaison. Nous marchons jusqu'à minuit... Un cuirassier mort sur la route... Un coup de fusil... Puis à cent mètres du village, c'est une grêle de balles; nous fuyons... Deux cents mètres plus loin, rassemblement, clairon, et nous avançons de nouveau... À trois mètres d'eux, nouvelle grêle de coups de fusil ;c'étaient des Allemands..."Vous pouvez entrer en toute sécurité"... Nous repartons en nous sauvant. À cinq heures enfin nous rencontrons notre régiment. Nous buvons, à Treloup, un quart de lait et nous repartons ensuite. Nous marchons ainsi toute la journée. À trois heures et demie, dans un village abandonné, nous trouvons un peu de vin et du lard, mais pas de pain. Nous y retrouvons aussi une dizaine de types, appartenant tous à notre section, quand nous repartons.
Samedi 5 septembre 1914
Aspect inoubliable de la colonne en marche "pendant la retraite". Nous couchons dans une grange. Je mange deux poires épatantes et je vais me coucher, à bout de force et de pensées...Le canon nous fait déloger, mais nous voyons de nombreuses troupes, nous reprenons courage et nous repartons. Nous couchons à Beauchery dans une ferme. Pour dîner, du poulet, du pain.
Dimanche 6 septembre 1914
Nous partons à six heures et nous touchons du pain sur la route. À ce moment-là même, où j'étais démoralisé et déprimé, j'aperçois un dragon, je le regarde sans espérer et cependant c'est bien lui !...Je me lève, en courant, malgré mes pieds en sang que je ne sens plus, alors j'appelle : "Jacques !" ( Son frère aîné) Nous nous serrons les mains, si heureux de nous retrouver dans la tourmente... Mais, hélas ! il me dit que le Comandant Cappe est mort, (beau-père de Jacques) et déjà notre rencontre en est attristée. Quelle chose terrible que la guerre !... Nous nous quittons vite !... Nous n'avons pas de nouvelles de Xavier...(Frère de Jean et Jacques)
Nous traversons Lechelle, Saint-Brice et enfin nous retrouvons notre bataillon qui a été bien éprouvé. Nous sommes affectés à la garde de l'État-Major du 18e Corps, au château du Houssay (près de Provins), où nous arrivons à une heure. Nous faisons à manger. On dort, on se soigne les pieds et on recommence à penser un peu. Je me demande d'où je sors, et comment nous avons pu résister à tant de fatigues, sans manger ni dormir. Je me souviens de l'état d'énervement morbide qui nous prenait tous à ces moments extraordinaires : la chaîne qui frappait régulièrement sur la gamelle, la baïonnette qui sautait dans le fourreau, le bidon qui sonnait le creux, le bruit qui accompagnait chaque pas des mulets, chargés des cartouches de mitrailleuses ; tout cela avait le don de nous exaspérer à un tel point que les plus calmes se mettaient en colère pour un rien et en venaient aux mains.
Jean Piel, mort pour la France, mort au Champ d'Honneur, mort glorieusement au combat de Drie Grachten le 12 novembre 1914.
Né à Paris le 1e février 1891, chirurgien dentiste diplômé, voulant s'orienter vers la médecine...
Bonne lecture et bonne journée à vous tous,
Amicalement Stéphane.
FEUILLETS DE ROUTE DE JEAN PIEL, SIMPLE SOLDAT AU PREMIER RÉGIMENT DE ZOUAVES, 20 COMPAGNIE
En voici quelques extraits
Dimanche 23 août 1914
Nous allons à Walcourt, à midi nous croyons pouvoir dormir un peu, mais il faut s'en aller vers Clermont. Nous arrivons dans une plaine où nous faisons des tranchées. On les abandonne ensuite au lever du jour pour s'en aller de nouveau. C'est encore une belle nuit !...
Lundi 24 août 1914
On part au matin pour aller à Clermont-les-Walcourt, où on arrive à deux heures. On mange ce que l'on trouve dans les maisons. À cinq heures, au moment de cantonner : coups de canon. Retraite dans les bois, et nous passons la nuit à la course.
Mardi 25 août 1914
On arrive en France, à Eppe-Sauvage. On marche, on marche. Nous couchons dans une usine. Aux armes !... Il faut partir au matin.
Mercredi 26 août 1914
On arrive au cantonnement. On change de place; on change encore dans la nuit. On repart dès le matin.
Jeudi 27 août 1914
On se concentre à Laigny, où on couche. Enfin une nuit !...
Vendredi 28 août 1914
Saint-Gobert, etc., etc. On allait cantonner, mais on part.
Samedi 29 août 1914
Je me repose à deux heures du matin chez un curé. On repart pour aller se battre à Sains-Richaumont. Batailles Vlliers-le-Sec, La Ferté-Chevresis... (Lit) !...
Dimanche 30 août 1914
Montigny, Crécy, vers Laon.
Lundi 31 août 1914
On repart en groupes d'isolés vers Soissons, puis on revient vers Laon et à un vinage, près de Crécy, où je retrouve ma compagnie. On se couche.
Mardi 1er septembre 1914
On repart à deux heures du matin vers Laon. On marche derrière le convoi. Nous faisons des pauses continuelles. On marche jusqu'à minuit. Nous nous couchons après avoir traversé la Serre (affluent de l'Oise).
Mercredi 2 septembre 1914
On repart à deux heures du matin, esquintés, vannés, fourbus, on marche toujours. Enfin, on va faire une pause à dix heures dans un champ. On boit le café et c'est tout... Viande à la fin et pain. On repart à midi, poursuivis à coups de canon. On s'en va toujours. Comment tient-on ? C'est un miracle. Après avoir été chassés plusieurs fois, on arrive à onze heures du soir dans une grande ferme, où l'on dort trois heures. Café.
Jeudi 3 septembre 1914
On repart à deux heures et l'on fait une marche plus régulière, le convoi ayant pris une autre route. On marche deux heures sans s'arrêter, sauf deux fois de suite pour que nous puissions passer la Marne, à Passy, en temps propice. Le canon tonne derrière nous et nous fuyons toujours. Nous cantonnons à Saint-Agnan, où nous arrivons vers cinq heures. On fait le café, on a de la viande et des légumes, c'est une vraie noce !... Mais, hélas ! à neuf heures, il faut repartir pour aller coucher dans un champ, à un kilomètre.
Vendredi 4 septembre 1914
On repart à deux heures, mais c'est plus pénible et nous sentons que cela ne va pas aller. Nous attendons deux heures, puis nous sommes détachés en flanc-garde et nous ne rejoignons la colonne que trois heures plus tard. Le canon ennemi parvient jusqu'au convoi, notre canon répond et on se sauve comme on peut... Des voitures sont abandonnées, des civils pleurants vont à travers bois, et nous marchons. Comment ? C'est impossible à dire... sans sommeil, sans rien sous la dent... (Mûres, pommes, poires). Vers quatre heures nous retrouvons notre régiment. On marche toujours et j'ai un genou ankylosé. J'ai les plus mauvaises pensées et je récite des Ave pour me donner un peu de cœur, je n'en ai plus...
On arrive à Le Gault, village à six kilomètres de Montmirail, et nous sommes détachés en petit poste, où j'écris ces notes. On vient nous chercher une heure trop tard et nous partons sans le bataillon, dont nous perdons la liaison. Nous marchons jusqu'à minuit... Un cuirassier mort sur la route... Un coup de fusil... Puis à cent mètres du village, c'est une grêle de balles; nous fuyons... Deux cents mètres plus loin, rassemblement, clairon, et nous avançons de nouveau... À trois mètres d'eux, nouvelle grêle de coups de fusil ;c'étaient des Allemands..."Vous pouvez entrer en toute sécurité"... Nous repartons en nous sauvant. À cinq heures enfin nous rencontrons notre régiment. Nous buvons, à Treloup, un quart de lait et nous repartons ensuite. Nous marchons ainsi toute la journée. À trois heures et demie, dans un village abandonné, nous trouvons un peu de vin et du lard, mais pas de pain. Nous y retrouvons aussi une dizaine de types, appartenant tous à notre section, quand nous repartons.
Samedi 5 septembre 1914
Aspect inoubliable de la colonne en marche "pendant la retraite". Nous couchons dans une grange. Je mange deux poires épatantes et je vais me coucher, à bout de force et de pensées...Le canon nous fait déloger, mais nous voyons de nombreuses troupes, nous reprenons courage et nous repartons. Nous couchons à Beauchery dans une ferme. Pour dîner, du poulet, du pain.
Dimanche 6 septembre 1914
Nous partons à six heures et nous touchons du pain sur la route. À ce moment-là même, où j'étais démoralisé et déprimé, j'aperçois un dragon, je le regarde sans espérer et cependant c'est bien lui !...Je me lève, en courant, malgré mes pieds en sang que je ne sens plus, alors j'appelle : "Jacques !" ( Son frère aîné) Nous nous serrons les mains, si heureux de nous retrouver dans la tourmente... Mais, hélas ! il me dit que le Comandant Cappe est mort, (beau-père de Jacques) et déjà notre rencontre en est attristée. Quelle chose terrible que la guerre !... Nous nous quittons vite !... Nous n'avons pas de nouvelles de Xavier...(Frère de Jean et Jacques)
Nous traversons Lechelle, Saint-Brice et enfin nous retrouvons notre bataillon qui a été bien éprouvé. Nous sommes affectés à la garde de l'État-Major du 18e Corps, au château du Houssay (près de Provins), où nous arrivons à une heure. Nous faisons à manger. On dort, on se soigne les pieds et on recommence à penser un peu. Je me demande d'où je sors, et comment nous avons pu résister à tant de fatigues, sans manger ni dormir. Je me souviens de l'état d'énervement morbide qui nous prenait tous à ces moments extraordinaires : la chaîne qui frappait régulièrement sur la gamelle, la baïonnette qui sautait dans le fourreau, le bidon qui sonnait le creux, le bruit qui accompagnait chaque pas des mulets, chargés des cartouches de mitrailleuses ; tout cela avait le don de nous exaspérer à un tel point que les plus calmes se mettaient en colère pour un rien et en venaient aux mains.
Jean Piel, mort pour la France, mort au Champ d'Honneur, mort glorieusement au combat de Drie Grachten le 12 novembre 1914.
Né à Paris le 1e février 1891, chirurgien dentiste diplômé, voulant s'orienter vers la médecine...