on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire,

Parcours individuels & récits de combattants
myosotis
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Re: on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire,

Message par myosotis »

bonsoir à tous
encore quelques jours avec notre soldat du 158ièmeR.I.

Journal des jours de tranchées (suite) :

5 août 1915 : Un peu de soleil. Avec la jumelle je vois un Boche sur la lisière du bois. Le sergent est là. Il vise. Le premier coup n’atteint pas le Boche. Mais au second nous le voyons s’abattre en ouvrant les bras. Un de moins. La nuit vient. Il pleut à torrents jusqu’au matin. Durant la nuit les Boches attaquent deux fois et sont repoussés deux fois. A un moment donné, nous avons mis baïonnette au canon pour attaquer à notre tour mais il y a eu contre-ordre.

6 août : Le matin est calme. Je prends un croquis sur mon calepin. Mais l’après-midi les Boches nous repèrent et se mettent à nous envoyer des marmites. Bande de pignoufs ! A notre tour, notre 75 tire et pendant toute la soirée les Boches ont dû prendre quelque chose. Ce 75 est terrible. Lorsque l’obus éclate, il fait un bruit effroyable et les éclats vont au diable. Nous en recevons nous-mêmes. C’est ce soir que nous serons relevés. Je commence à être fatigué. Des nuits sans sommeil, des journées où l’on doit veiller, rongé par les poux et les mouches qui sont dangereuses à causes de la proximité des cadavres. La nuit la danse recommence comme d’habitude, on n’y fait pas attention. A 1 heure du matin, on nous relève.
En guise d’adieu, je tire sur mon boche d’en face 32 coups de fusil.

7 août : Nous filons directement, sans arrêt ou repos, à une trentaine de kilomètres en arrière en prenant en route de petites collations. Il pleut toujours, c’est lugubre. Enfin nous arrivons le 7 dans un patelin, gentil, où les gens sont aimables. Nous sommes tous vannés. Je me laisse tomber sur de la paille et jusqu’au soir je dors comme une brute.

8 août : Nous nous lavons à fond. Repos. J’écris à « Marraine » le présent journal. Je viens de recevoir sa lettre du 5 août dans laquelle elle me dit qu’elle est dompteuse. Il paraît que nous sommes ici pour une quinzaine.
Il y a du lait ici. Je me mets au régime pour me reposer l’estomac.

puis André arrête son journal, manifestement il a subit un choc,il dit s'être retrouvé sans papier, sans rien et ne veut pas raconter l'horreur au quotidien
Plus tard il entreprend de commencer un livre ( dont , "les cuistots" est un chapitre) qu'il veut publier après la guerre ...
un livre qu'il intitule "Les Martyrs" pour raconter à ceux de l'arrière et aux générations futures la souffrance et le quotidien de tous ces poilus qui abreuvent de leur sang cette terre de leur patrie .....il veut écrire afin que nul ne puisse les oublier.....
Lorsque j'ai lu ces lignes, devant une volonté exprimée si clairement, il me semblait que les lettres m'avaient été donnée pour que je remplisse cette mission ...
et voila pourquoi je veux partager ces écrits avec le plus grand nombre .....
amicalement
myosotis

"Je ne suis qu'un fou et vous ne me croirez pas. Et c'est justement ce qui nous fait souffrir tous, c'est de penser que l'on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire."
alain13
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Re: on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire,

Message par alain13 »


Bonjour Myosotis,

André a-t-il laissé dans ses lettres quelques témoignages des mois d'octobre et novembre 1916 où le 158ème a été engagé dans l'attaque de Vermandovillers puis d'Ablaincourt où malheureusement il a été tué.
Ma question n'est pas étrangère au fait que mon grand père n'était pas très loin à ce moment là.
Ceci dit, je viens de commander votre livre à l'Harmattan.

Amicalement,
Alain
myosotis
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Message par myosotis »

bonjour Alain

André a écrit une douzaine de lettres plus quelques petites missives d'une phrase
ces lettres parlent tantôt de sa nouvelle petite fiancée(ma grand mère) qu'il regrette de ne pouvoir rassurer complètement et tantôt de la guerre
voici la première dans la période que vous citez
André est au repos


1er octobre 1916
Ma chère Marraine
Votre lettre du 26 est arrivée seulement hier, en retard par conséquent. Vous savez que tout ce qui touche à Elle me fait plaisir, et le gentil épisode
de l’église St Eustache m’a fort attendri. A ce propos, il m’est venu une idée que nous mettrons à exécution si j’ai le bonheur de revenir et d’être
l’heureux époux de ma chère Nanie. Nous rassemblerons tout ce qui se rattache à elle, photos, souvenirs, anecdotes, en un petit musée. Ce sera charmant, n’est-ce pas Marraine ? Et il y aura deux épisodes à ce musée. Celui de sa jeunesse et celui qui a commencé le 5 septembre. N’est-ce pas. Vous m’y aiderez.
Je viens de faire un petit sonnet. Ce n’est pas extraordinaire. Je crois même qu’il y a des vers boiteux. Je préfère vous le remettre. Vous lui
donnerez si vous le souhaitez. Les petites photos m’ont été envoyées par mon oncle.
Ici nous sommes dans un village où il n’y a rien. On ne trouve pas même du chocolat ou des bougies. C’est honteux. On dirait que l’on cherche les
pires endroits pour nous y mettre. Enfin passons. Tout cela, on est obligé de le subir, mais après… Heureusement qu’il y a du lait, pas cher. 20 cent. le litre. On peut en boire pour varier le menu infect, que l’on s’obstine à vouloir nous faire accepter comme supérieur. Aujourd’hui dimanche, je passe ma journée à rêver que je suis loin de ce métier de brutes. Petite Mère, je vous remercie de penser continuellement à moi dans vos prières. Croyez que moi non plus, je ne vous oublie pas.
Je vous charge pour tous de mes meilleurs baisers, et vous, je vous embrasse, ma chère petite mère, très tendrement.
Votre André
Votre intention d’envoyer Nanie à Charny me fait bien peur. Il faut donc qu’elle soit très malade. Soignez-la bien, petite Mère, je vous la confie,
comme ce que j’ai de plus précieux, avec vous. Et donnez-moi de ses nouvelles le plus souvent possible. Je serais trop malheureux de ne rien savoir.
André
en voulez-vous quelques autres en attendant le livre ?
amicalement
myosotis
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alain13
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Message par alain13 »


Bonjour Myosotis,

Merci pour votre proposition concernant d'autres extraits relatifs à cette période qui m'intéresse particulièrement.
Début octobre 1916, le 158ème RI avait sans doute besoin de repos après les dures journées de septembre où il avait perdu plus de 500 hommes lors de la prise de Vermandovillers, avant d'être renvoyé au combat.
Un monument à la mémoire Jean Bourguet aspirant à la 7ème Cie du 158ème RI, élevé près de l'église de Vermandovillers rappelle cet événement qui avait permis la prise des boyaux du Duc et de la Reine.

Amicalement,
Alain

myosotis
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Re: on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire,

Message par myosotis »

bonsoir Alain
je remonte un peu le temps pour comprendre le parcours d'André qui n'a pu partiiciper aux combats de septembre
en fait, septembre, André le commence par une permission , à la suite d'une hospitalisation pour une "conjonctivite" dit-il qui nécessitait un bandage de l'oeil..... comme il mentionnait un combat précédé d'un nuage de gaz peu de temps avant et qu'il ne parle pas de blessure, je suppose que la conjonctivite en question devait être due au gaz
23 août 1916
Mes chères amies
J’ai été évacué pour les yeux. Ce n’est rien.
Je suis à Compiègne. Ecrivez-moi vite ici, car je ne sais pas si je vais yrester.
Le courrier part, je n’ai que le temps de vous embrasser
Votre André
Hôpital Temporaire N°16. Pavillon A.5
Royallieu, près Compiègne
Oise (à vérifier)

24 août 1916
Ma chère Marraine
Je puis maintenant vous écrire plus longuement. J’ai eu une petite conjonctivite à l’oeil gauche et, comme naturellement, je n’y voyais plus que d’un oeil, il m’était impossible de rester derrière mon créneau. Je dois vous dire que depuis quelques jours, le major m’avait posé un bandage sur l’oeil.
Donc, étant monté en ligne dans la nuit du 18 (la fête à Nanie), le lendemain 19, la nécessité de m’évacuer s’imposait. Marraine, ma chère Marraine, vous pouvez prier pour remercier celle qui me protège. De sanglants combats se passent là-haut… Et à l’ambulance, des blessés de mon régiment sont venus me rejoindre, deux heures à peine après mon arrivée. Et le nombre en était si grand, qu’embarqué avec eux, je suis venu ici à Compiègne, après quatre jours de voyage ! Je suis soigné dans une clinique spéciale. Tout va bien. C’est presque guéri et si je reste ici huit jours ce sera un grand maximum. Je n’espère pas trop sur une permission… Peut-être. Mais si je viens, ce sera par surprise et cette fois, peut-être pourrais-je aller voir le patron s’il y est encore.
Je n’ai pas eu le temps de répondre à sa lettre.
Adieu Marraine. Je vous charge pour tous de mon affection et vous embrasse bien affectueusement de tout coeur.
Votre André
La permission espérée par André lui a été accordée,
c'est pendant cette permission qu'andré et ma Grand mère sont fiancés

puis il rejoint le 158ième mais à l'arrière front et se trouve à ce moment à la 4ième compagnie au dépot divisionnaire (secteur postal 116)
mais dit par la suite qu'il rejoint sa companie: "n'oubliez pas que je suis à la 1ière" écrit-il

le 10 septembre
il écrit que son oeil ne va pas bien " on lui a emmailloté
le 13 septembre
.....J’ai appris que mon régiment a donné sérieusement dans la Somme. Je ne vous donne pas d’autres renseignements, vous savez par les
journaux, mieux que moi, ce qui se passe là-haut.
(je suppose que c'est à ce moment que se situe la prise de vermandoviller)
le 26 septembre il écrit qu'il a enfin rejoint sa compagnie( l1ière)
puis vous avez eu la lettre du 1ier octobre

2 octobre 1916
Ma chère Marraine
J’ai votre lettre du 29 Sept., celle où vous me causez précisément du grand, grand manteau. Il serait le bienvenu aujourd’hui car il pleut sans arrêt
depuis ce matin et comme vous je peux dire qu’on ne peut plus penser. Je n’ai donc rien de bien neuf à vous dire, si ce n’est que je pense sans
cesse à ma petite Mère et à ma Reine chérie qui me réchaufferaient de leur douce affection si elles étaient là tout près de moi, pour me dorloter comme un petit enfant.
L’hiver s’annonce rude. La campagne sera terrible d’autant plus que l’on se battra quand même. Pourvu qu’à notre prochaine période il ne fasse pas
trop mauvais temps, car cette fois encore, on n’y va pas pour s’amuser.
Figurez-vous que, la nuit passée, je me suis réveillé complètement glacé et avec une affreuse douleur dans la tête, provoquée par le froid.
Je vais commencer à trier les lettres pour vous les retourner. Je n’en garde que quelques-unes, les meilleures, celles qui me semblent les plus douces.
J’ai bien vu dans le journal la visite du président à Royaumont.
Je termine, chère petite Mère, en vous embrassant bien affectueusement
ainsi que ma petite Nanie et toute la maisonnée.
Votre André

André parle beaucoup des souvenirs si doux et si récents de ses fiançailles mais un mot une phrase sont toujours là pour évoquer les conditions des périodes de "ligne" comme il dit où," encore une fois on n'y va pas pour s'amuser."

amicalement
myosotis
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myosotis
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Message par myosotis »

bonjour à tous, bonjour Alain
voila la suite

6 octobre 1916
Ma chère Petite Mère
Ce soir je n’ai aucune envie d’écrire, mais j’ai tant besoin de ne pas me sentir seul, que je ne puis faire autrement. C’est ce soir que, d’être près de vous, enveloppé de la douce affection de ma fiancée et de la vôtre, que je me sentirais moins triste.
Je ne sais pas pourquoi, aujourd’hui, une grande vague de noir s’est abattue sur mon âme, brusquement, sans raison.
Une infinie tristesse monte en moi, et me torture si fortement les nerfs, que je frissonne malgré moi.
Un immense besoin de tendresse, de me sentir bercé dans la tiédeur d’un repos physique et surtout moral, me vient.
Et alors, lorsque que je vois encore tout le chemin à parcourir, les souffrances à endurer, le découragement me prend, et alors c’est fini.
Autrefois, je me révoltais, maintenant je n’en ai même plus la force. Le militarisme donne son fruit. Je suis abêti et abruti suffisamment pour me
faire tuer sans rien dire.
Non, cette vie est impossible, souffrir, être menés comme nous le sommes, pire que des chiens, pour finir par crever un beau jour, misérablement, dans un boyau perdu, cela surpasse ce que l’on peut demander à des hommes.
Et le sourire sur les lèvres, le poilu des affiches de l’emprunt, vous crie « On les aura ! »
S’il nous faut continuer à marcher vers la frontière, en perdant autant de monde que sur la Somme, il n’y aura plus personne quand on y sera.
La bataille de la Somme n’est qu’un bluff, une réclame pour faire verser leur or aux poires… C’est tout.
L’enthousiasme est facile à ceux qui ne se battent pas. Mais nous…
Et puis, à quoi bon vous parler de tout cela. Je ne suis qu’un fou et vous ne me croirez pas.
Et c’est justement ce qui nous fait souffrir tous, c’est de penser que l’on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire.
La meilleure preuve que l’on cherche à vous tromper, c’est l’énorme réclame que l’on a faite autour de quelques soldats qui sont venus faire les
pitres au footbal, devant les milliers d’imbéciles qui les regardaient.
Je lisais l’autre jour sur le « Journal » un article intitulé « A quoi rêvent les jeunes filles ». Il y était question qu’après la guerre, les jeunes Françaises
ne trouveront pas de maris car la fleur est tombée à la boucherie. Alors l’immonde journaliste concluait ainsi : « Eh bien, elles épouseront des
étrangers. Et elles n’auront pas besoin de dot, car, en se faisant tuer, les jeunes Français leur auront légué une auréole de gloire…! »
Et allez-y ! Faisons-nous massacrer en masse, pour laisser le champ libre à des rastaquouères qui viendront nous voler celles que nous aimions.
Je vous dis qu’on nous prend pour des imbéciles et que cette guerre devient une mascarade.
Tout cela nous encourage. Je me demande à quoi sert la censure ?
Je vous ai annoncé la réception de mon colis. Encore une fois, merci, ma petite mère. Votre lettre du 3, m’annonçant qu’Hélène va beaucoup mieux,
m’a fait plaisir. Tout à l’heure, quand elle dormira, embrassez-la, sur ses cheveux blonds, de tout coeur pour moi.
Je vous charge de mes affections pour toute la maisonnée.
Adieu, petite mère chérie, je vous embrasse bien tendrement.
Votre André

Dans la lettre qui suit, il y a vraiment un 3 à la place du 6 dans l’année, pourtant cette lettre ne pourrait pas avoir été rédigée avant la guerre.
Nous n’avons pas retrouvé les lettres du « 10 au soir » dont André parle ci-dessous. Le soldat aurait-il oublié ?
Griffonné sur un bout de papier :
12 octobre 1913 (1916 ?)
Mes chères amies
Mes lettres du 10 au soir, je les ai remises hier, en traversant une ville, à un soldat pour qu’il les mette à la boîte. J’espère qu’il l’aura fait et qu’elles vous seront parvenues. Jusqu’à présent tout va bien. Il fait vilain. Heureusement qu’il y a mon caoutchouc. J’ai empli mon stylo à votre intention, car il n’y a qu’à vous que j’écris à l’encre. Je vous gâte n’est-ce pas ?
On a avancé par ici hier. Les journaux vous le diront.
Priez pour votre soldat, mes biens chères, et n’oubliez pas que cela lui donne le courage et la patience.
A toutes, mes affectueux baisers.
Votre André

Samedi 14 octobre 16, 16 h.
Mes bien chères,
Avant que la nuit ne vienne complètement, vite un petit mot.
Depuis ce matin, le bombardement est effroyable. Il paraît que nous avançons.
J’ai les oreilles brisées et un mal de tête atroce. Quelle vie !
Je ne sais pas quand partira cette lettre. Je la donnerai à la première occasion.
Les meilleurs baisers de votre André et toute sa tendresse à sa petite Reine.
Votre André

Cette lettre n’est pas partie tout de suite, mais vraisemblablement lors d’un repos à l’arrière, car André a pu y glisser un petit article de journal de
quelques lignes, et une carte. On comprend bien qu’il indique ainsi les lieux où il a combattu. Il est écrit :

16 octobre, 23 heures (coupure de journal )(il n'y a que l'article de découpé)
Sur tout le front de la Somme, grande activité réciproque d’artillerie. Au nord, nous nous sommes consolidés dans la partie conquise de Sailly-
Sallisel, malgré un vif bombardement ennemi. Au sud, nous avons repoussé une violente contre-attaque à l’est de Berny-en-Santerre : nous avons enlevé un petit bois et pris deux pièces de 210 et une de 77, entre Gonermont et Ablaincourt. Au cours de ces actions, nous avons fait 110 prisonniers, dont quatre officiers.
Et on retrouve les noms qu’il avait entouré sur une carte découpée dans L’Echo de Paris, intitulée : « Région Chaulnes-Péronne », en bas de laquelle
est écrit cette ligne : le Hameau de Bovent se trouve à 1 kilomètre au nord d’Ablaincourt.
Il a entouré une région comprenant ces quelques noms : Ablaincourt, Pressoire, Vermandeviller, Soyecourt et Foucaucourt. Il a mis une croix au
crayon juste a gauche d’Ablaincourt.

amicalement
myosotis
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myosotis
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Message par myosotis »

bonjour à tous
la suite du 158ième dans la Somme :

19 octobre 1916
Ma chère Marraine et ma bien-aimée Nanie,
Nous voici pour 4 jours en seconde ligne, le temps de souffler et nous recommençons. Nous sommes au village d’Ab… dont les Boches occupent
une moitié et nous l’autre. C’est affreux. Avec cela, il pleut à verse. Je suis bout de tout, moral et forces. Plus ça va, plus j’en ai assez. Je me demande maintenant à quoi sert la guerre. Nous ne savons plus, ni pour qui, ni pour quoi nous nous battons.
Nous avons bien souffert cette fois. C’est affreux, affreux. Au delà tout.
J’ai reçu toutes vos lettres. Merci. Le paquet est arrivé aujourd’hui. La cotte est charmante et très bien faite. Je reconnais les boutons. C’est moi qui
les ai achetés au Printemps. Le passe-montagne va très bien. Inutile d’en faire un autre. Je suis déjà trop chargé. J’ai posé mes lèvres sur ces objets, que vos chères mains ont faits pour moi. Merci pour le tout, mes bien chères. Je ne comprends pas gribouillage des deux enveloppes.
Les projets de ma chère Hélène pour notre nid futur m’attendrissent beaucoup. Hélas ! C’est encore loin. N’oublions pas que ma vie est entre les
mains des assassins qui en disposent.
Est-ce que cette pauvre grand-mère va mieux ? Pardonnez-moi la brièveté de ce mot. Je suis éreinté au-delà de tout. Ah ! Avoir une jambe de moins
pour finir ce calvaire !
Je vous aime et vous embrasse de toute la ferveur de mon coeur.
Votre André

24 octobre 1916
..............
Ma chère petite Mère, j’ai reçu vos bouts d’or avec le plus grand plaisir. Elles me porteront bonheur. Également reçu les prix des diplômes et
l’échantillon de papier. Tout va bien. Mais est-ce que dans votre prix le cliché est compris ? Cela me semble bien bon marché ?
Nous ne sommes pas du tout descendus, et cette demande de prix nous vient des premières lignes. Seulement je l’ai faite dans l’atelier du capitaine,
à 20 mètres sous terre ; le capitaine sachant que je me suis occupé d’imprimerie, m’a chargé de cette affaire. Ces diplômes sont destinés à
commémorer la citation de mon régiment, qui vient, une fois de plus, de se distinguer dans la Somme. Les journaux vont sûrement vous en causer.
Nous ne sommes pas encore relevés. Il pleut à torrents c’est affreux. Il fait très froid et Nanie avait raison. Il y a déjà beaucoup de pieds gelés.
Nous souffrons, nous souffrons trop, pour d’autres. Que ceux qui veulent la guerre, viennent la faire et que l’on nous laisse tranquilles. Ah ! On se
moque bien de nous ! J’oubliais de vous dire que le croquis des diplômes, inspiré par moi, est exécuté par mon ami Anglès.
Je vous ai laissées quelques jours sans nouvelles, mais j’étais vraiment à bout de courage. Ce sacré patelin d’Ab… nous donne du mal.
Allons, je vais toujours bien et espère qu’il en est de même pour vous tous. Je vais gronder ma petite Reine de vous faire du chagrin.
Je vous charge pour tous des meilleurs baisers, et j’envoie à ma petite Mère chérie, dans un doux baiser, toute l’affection reconnaissante de mon
coeur.
Votre André
Il est fortement question de nous envoyer à Salonique.
Mes souvenirs au patron.

26 octobre 1916
Mes bien chères
Je reçois vos lettres du 24 et 23. J’y réponds par une lettre collective car je ne saurais quoi répondre à chacune de vous.
Ma chère petite Mère, votre bonne lettre d’encouragement me fait du bien. Certes, je fais ce que je peux pour rassembler mes forces et ma raison
et les tenir sans cesse en haleine. Mais il est des fois où quand même c’est impossible.
Je vous assure que le froid, la pluie, la ferraille, les privations et bien d’autres choses que je ne puis vous dire ici viennent à bout de tout. Nous
sommes tous dans un état moral affreux. Il est vrai que quelques jours au repos redonnent vite l’équilibre. Enfin, nous ferons notre possible pour tenir,
encore tenir, toujours tenir, comme certaines gens à l’arrière qui tiennent en donnant leur or.
Vous voyez, mes chères, quand je ne suis pas malheureux c’est pour être méchant et ironique.
Enfin, en pensant à la fin, on reprend courage pour quelques heures. Je serais curieux de savoir quand on se décidera à arrêter cette boucherie. Ah !
Les belles phrases de Sir Grey et des autres ! Ils iront jusqu’au bout, etc.… Qu’ils y viennent ici, les pieds dans la boue. Nous verrons. Les Roumains
reculent. Il va falloir que nous allions les aider. Il y a encore de la viande française à faire pourrir là-bas. Oh oui, nous sommes de belles poires ! Et la
formidable armée de Kitchener continue à faire parler d’elle… Sur les journaux. Voyez-vous, bientôt on vous prendra Jean, pour l’envoyer avec les autres à l’abattoir. Allez, ne croyez pas mes balivernes. Nous en avons assez et ça va se gâter.
Voyez-vous, il faudrait que l’emprunt ne donne pas un sou. On serait obligé de nous ficher la Paix.
Je vous embrasse tous affectueusement.
Votre André
Nous ne sommes toujours pas relevés… Nous avons les reins solides !

amicalement
myosotis
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alain13
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Re: on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire,

Message par alain13 »

Bonsoir à tous, bonsoir Myosotis,

Ces lettres sont émouvantes car elles cumulent à la fois du réalisme, de la tendresse, mais aussi de l'ironie et pas mal de désespoir.
Comme l'a fait comprendre André, la 43ème DI dont faisait partie son régiment se trouvait dans le secteur de Bovent en octobre 1916, par un temps exécrable et des bombardements incessants.
Dans le même temps le régiment de mon grand père, dans la région de Soyécourt subissait des pertes importantes, lui aussi sous de violents bombardements.
Tout ceci en attente de l'attaque générale sur Ablaincourt, le 7 novembre suivant...

Amicalement,
Alain

myosotis
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Re: on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire,

Message par myosotis »

bonsoir Alain , bonsoir à tous
voici les dernières lettres d'André
j'ai toujours la gorge serrée lorsque je les relit...pas seulement en pensant à lui , mais aussi en pensant à tous ceux qui n'avaient pas la possibilité de parler de leurs espoirs, leurs joies, leurs peines, leurs peurs et leur révoltes ....car tous n'avaient pas une famille ou une marraine de guerre

Mes chères amies
Un mot pour vous embrasser à la hâte. Il fait toujours un temps affreux.
La relève ne vient pas. C’est dégoûtant.
Affectueux baisers de Votre André
30 octobre 16

Petit mot griffonné sur demi-feuille pliée
4 novembre 1916, 8h matin
Mes chères
Un mot pour vous prévenir que nous sommes descendus cette nuit. Soyez donc sans inquiétude.
A plus tard une plus longue lettre.
Mes plus doux baisers.
Votre André
J’ai sommeil et froid.

4 novembre 1916, 20 heures
Mes bien chères,
Me voilà dans un coin, assis sur ma couverture, une chandelle près de moi. Nous sommes donc descendus la nuit passée. Nous étions en ligne
depuis le vendredi 13. Cela nous fait une période de 21 jours de souffrances et de fatigue. Quel enfer ! Et nous remontons très probablement dans trois ou quatre jours pour donner encore un coup.
Avez-vous reçu les coupures de journaux que je vous ai envoyées ? C’est affreux cette vie. Et c’est de plus en plus pénible en raison de l’artillerie qui devient de plus en plus puissante des deux côtés. Et avec cela on nous sacrifie pour rien. Il faut bien attaquer sans arrêt pour donner aux gens de l’arrière un beau communiqué et leur faire voir que l’argent de l’emprunt est bien employé !
Savez-vous que malgré les milliards de l’emprunt, on n’a pas, ou l’on ne veut pas nous donner de chaussures. Je suis resté 6 jours en ligne, dans la boue et le froid avec pour toute semelle, mes chaussettes puis la peau de mes pieds, les chaussettes étant usées.
Et la nuit passée, pendant la relève, il me fallait courir sous les obus, les pieds en sang sur les pierres.
Nous sommes traités comme du bétail de la plus vile espèce.
Notez qu’à mes demandes on opposait des refus systématiques, de me donner des souliers. Et maintenant encore, depuis ce matin, j’ai demandé au moins 10 fois une paire de chaussures et je n’en ai pas encore. Et il y en a, je les ai vues au magasin! Voilà quelque chose qui vous dira mieux que tout, la vérité sur ce que nous endurons.
Je voudrais que ma lettre fût publiée par un journal, pour l’édification des gens de l’arrière.
Quant au reste, c’est comme d’habitude. Des morts, des blessés, pour la plus grande gloire du pays. Heureusement qu’on les pleure en choeur à la Toussaint !
Je ne réponds pas à chacune de vous, ma petite Mère et ma douce fiancée. Je suis trop fatigué. Je vais dormir et rêver à vous. Bonsoir mes chéries, je vous aime et vous mbrasse tendrement ainsi que toute la maisonnée.
Votre André
Je vais étudier la question des peaux de mouton.


André a, semble-t-il, enfin obtenu des chaussures… mais l’impression « qu’ils sont tous sacrifiés » reste et son désarroi est immense.
et voici sa dernière lettre
6 nov. 16
Chère Petite Mère
J’ai répondu à Nanie une lettre pour elle toute seule, car je présume que cela lui fait plus plaisir. Ses lettres, de plus en plus tendres, sont pour moi
comme le parfum d’une fleur nouvellement éclose. Mais j’y discerne un peu de tristesse. Cela est de ma faute je le sais. Mais je ne puis pas y remédier, aussi je compte sur vous pour la consoler, n’est-ce pas ?
Ici, c’est toujours la même vie. On ne nous laisse pas souffler. Et nous allons recommencer, à peine descendus, la vie affreuse, car il y a beaucoup
de chance pour que nous remontions ce soir. Je ne sais pas ce que tout cela veut dire. Je crois que nous sommes tous sacrifiés, et que l’on veut nous faire massacrer jusqu’au dernier.
Au sujet des diplômes, vous aurez la commande, mais nous attendons d’être au grand repos pour nous en occuper. Le capitaine m’en causait hier.
Je vais vous retourner quelques lettres pour m’alléger.
Que devient le patron ?
J’ai à peine le temps d’écrire. Vous êtes favorisées car je laisse même ma tante sans nouvelles. Je suis si las.
Quelques fois, je rêve de venir dans le petit salon, délasser mes membres engourdis près d’un bon feu, dans la douce quiétude d’un entre soi, ma tête sur votre épaule comme ma Nanie. Des rêves tout cela ! À cause de quelques misérables. Mais enfin que dit on à l’arrière ? Est-ce que l’on n’a pas le courage de réagir, de faire quelque chose ? Est-ce que l’on va laisser massacrer tous les pères, tous les fils ?
Il ne faut pas se laisser bercer par des mensonges. Chacun a le droit à la vie après tout ! Que ceux qui veulent la guerre, la fassent avec leur peau.
Je vais vous quitter, petite mère, avec un doux baiser pour vous et tout le monde
Votre André
Malheureusement pour les peaux de lapins, je ne vois pas comment les employer. Comment les loger dans mes chaussures ? Ou des gants ? Je suis
incapable de confectionner quoique ce soit. On pourrait peut-être en faire des moufles ?
Le tricot d’Hélène me fait du bien.
Si d’ici quelques mois il n’y a pas de changement, il me faudra prendre une résolution que j’avais déjà en juin*
J’en ai assez.
* André à plusieurs reprises parle du seul espoir pour “en sortir” : « être blessé ou en finir » et l’on comprend qu’il songe au suicide.


Le Capitaine, à qui Madeleine a adressé sa lettre, en quête de nouvelles d’André, a transmis cette lettre à un camarade d’André, le mitrailleur
Anglès, qu’André a souvent cité dans ses lettres. Selon la coutume, celui-ci a cherché un camarade de combat qui avait assisté aux derniers instants
d’André, et c’est Aimé Desporte, un camarade de tranchée, qui est chargé de répondre à Madeleine.

Aux armées, ce dimanche 26 Nbre 1916.
Madame,
Aujourd’hui même le mitrailleur Anglès me communique votre lettre et me prie d’y répondre au sujet de la personne qui vous intéresse, c’est-à-dire
mon ami et camarade de combat André Tanquerel, des mêmes compagnie, section et escouade, duquel vous n’avez reçu aucune lettre depuis le 6
courant mois. Ce jour-là notre bataillon montait aux tranchées, à seule fin de soutenir les autres bataillons du régiment qui devaient attaquer le village et le cimetière d’Ablaincourt dans la matinée.
L’attaque, selon ce qui avait été prévu, eut lieu le 7 à midi. Notre compagnie était en soutien dans un boyau assez marmité, et pris en enfilade
par les obus ennemis, tous de gros calibre, des 105, 150 et 210. Un obus éclata sur le parapet de la tranchée, quelques minutes après l’attaque et
renversa deux de nos camarades, dont André, et trois autres furent blessés. À ce moment, ils furent relevés tous deux par nos soins et l’on s’aperçut qu’ils ne donnaient plus signe de vie, la mort avait fait son oeuvre et tous deux étaient touchés par des éclats à la tête. Le corps d’André ne fut pas détérioré par l’obus meurtrier et il repose au coin de la tranchée, à l’ombre d’une modeste croix avec inscription. Croyez que pour moi, il est fort pénible de vous apprendre la triste réalité, et soyez assurée, Madame, que j’ai pleuré cet ami avec lequel je n’eus jamais que de bonnes relations. Il fut regretté aussi bien de ses chefs que de ses camarades et tous nous aimions sa franche gaieté et son caractère ouvert. J’étais un peu renseigné sur ses projets d’avenir et je savais quels étaient les liens, qu’un jour, devaient unir votre famille à la sienne. J’ignore totalement si son cher père est au courant de la mort de son fils, je ne crois pas que le dépôt de Lyon ait déjà prévenu la famille. Inutile de vous dire que tout ce qu’il avait sur lui a été remis entre les mains du sergent-major de la compagnie pour être ensuite envoyé au dépôt et puis en dernier lieu à son père.
Je suis à votre entière disposition Madame pour vous remettre tous les renseignements complémentaires s’il y a lieu. Je vous demanderais également, autant que faire se peut, de bien vouloir m’adresser une de ses photographies à titre de souvenir
Je crois savoir qu’André a été proposé pour une citation à l’ordre du jour, mais tenez la chose secrète, la sachant indirectement. Aussitôt qu’il sera cité, je vous en enverrai le texte. Allons courage Madame et que Dieu vous garde. Espérons que maintenant il jouit du bonheur parfait réservé aux vaillants et aux braves.
Mon camarade Anglès répondra à votre lettre incessamment.
Croyez Madame à mes sentiments les meilleurs.
Aimé Desporte - 158e d’infanterie 1e Cie 1e Son - S.P.116

Aimé desporte envoie encore une lettre avec les coordonnées de la tombe puis une autre avec la citation pour la croix
voila...... ma grand mère a beaucoup pleuré et il a fallut 10 ans avant qu'elle songe à se marier

amicalement
myosotis
"Je ne suis qu'un fou et vous ne me croirez pas. Et c'est justement ce qui nous fait souffrir tous, c'est de penser que l'on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire."
alain13
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Re: on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire,

Message par alain13 »


Bonjour à tous , bonjour Myosotis,

Merci pour ces témoignages.
Le 7 novembre à 9 heures 55, un peu plus au sud et sous une pluie battante et un sol glissant, le bataillon de mon grand père sort des tranchées et se lance à l'assaut d'Ablaincourt. Il prend successivement
les tranchées du Serpentin, Sandale, Sinistre, Saxon, Eng-Wegg et se retouve à Ablaincourt.
Mon grand père réchappe à cette attaque mais le 11 novembre, au moment où le régiment devait être relevé, un obus tombe sur sa compagnie, le tuant ainsi que plusieurs de ses camarades. Il fut enterré provisoirement au cimetière du Camp des Chasseurs et transféré cinq ans plus tard, en présence de ma grand mère dans un petit cimetière de la Creuse. Mon père n'avait pas deux ans et n'a jamais connu son père. Ma grand mère ne s'est jamais remariée.

Amicalement,
Alain
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