Re: GVC - janvier/février 1919
Publié : sam. févr. 23, 2008 1:19 am
Bonjour à tous,
Toujours dans ma lecture du journal le Temps, j'ai trouvé ce petit article sur un GVC. Il illustre bien les rôles d'un GVC, même si l'histoire en elle-même ressemble beaucoup à un conte...
Bonne lecture,
Bien cordialement,
Arnaud
Extrait du journal le Temps du 5 février 1919, page 3.
---------------------
Mon ami Bourrasse
Bourrasse appartient à l'une des plus vieilles classes des R.A.T. (Réserve de l'armée territoriale, pour ceux qui, après quatre ans de guerre ne connaissent pas encore la signification de ces trois initiales.) Depuis 1917, il est affecté à la surveillance de "l'ouvrage d'art n° 28, sur la ligne d'intérêt local - en langage courant cela s'appelle un "tortillard" - qui joint B.-sur-C. à Pont-de-l'Arche. Je croirais manquer à mes habitudes de probité littéraire et scientifique, si je ne reconnaissais que l'ouvrage d'art n° 38 est un simple caniveau, une rigole voûtée qui, passant sous l'étroit chemin de fer, conduit à la Seine toute proche les eaux d'une petite source qui ruisselle à la base de la falaise crayeuse. D'ailleurs, dès la première victoire de la Marne, il n'y avait plus aucun risque de voir les Boches se ruer sur la fertile Normandie. Et maintenant nous sommes sur le Rhin ; pourtant le soldat Bourrasse est toujours là. Il faut croire qu'on l'a oublié.
Je dois dire que Bourrasse fait tout ce qu'il peut pour ça. Seul, peut-être, parmi nos millions de guerriers, il ne se soucie en aucune façon d'être démobilisé. Tous les soirs, il retourne bien paisiblement se coucher dans sa propre demeure, à B.-sur-C., où il retrouve "sa vieille", qui lui a trempé la soupe. Sur le tortillard il ne passe que deux trains par jour. Au moment où ces trains franchissent "l'ouvrage d'art", Bourrasse empoigne son vieux flingot, modèle 74, et porte scrupuleusement les armes à la locomotive. Ce geste n'est pas exigé, mais ce sont les seuls moments où cet excellent R.A.T. a, militairement, quelque chose à faire, et il tient à faire preuve de zèle. Le reste du temps, il a découvert une occupation lucrative des heures.
D'abord, comme il y a des terriers de lapins dans la falaise, Bourrasse a creusé, creusé patiemment, les garennes avec sa pioche et sa pelle et ravi une douzaine et demie ou deux de jeunes lapereaux à l'affection de leurs génitrices. Il les élève dans des clapiers industrieusement construits par ses mains le long de la voie, il les nourrit avec l'herbe qui croît sur les talus de la compagnie ; il encourage leur reproduction. Et quand les lapereaux sont devenus des lapins, "sa vieille" les vend au marché, tant que la chasse est ouverte, en qualité de lapins de garenne, puisqu'ils sont les descendants parfaitement légitimes de libres et sauvages lapins, qu'ils en ont le poil, les oreilles, la queue, la taille et tout ce qu'il faut ; et après la fermeture de la chasse, comme lapin domestique, puisqu'ils ont été élevés dans un clapier.
Mais, ne bornant pas là son ingéniosité, Bourrasse a mis en culture une partie de ces talus dont la compagnie ne fait rien ; il les a même irrigués, détournant les eaux qui devraient régulièrement passer par le fameux caniveau, et il fait croître des pommes de terre, des choux et même des petits pois qui contribuent à l'alimentation nationale en lui laissant, à lui, Bourrasse, des bénéfices appréciables.
Voilà pourquoi il tient, en aucune façon, à être démobilisé. Il juge que les choses vont très bien comme ça, et que son député, qui harcèle perpétuellement le ministre pour obtenir la libération des vieilles classes, se mêle de ce qui ne le regarde pas. Telle est, pour l'instant, son opinion politique. Il ne manque jamais de me l'exprimer dans les conversations assez fréquentes que nous avons ensemble. C'est par l'intermédiaire des lapins, si j'ose dire, que nous nous sommes liés ; j'aime tout ce qui est en vie, j'aime à guetter les mères restées sauvages et qui viennent parfois regarder tristement, à travers les grillages, leur progéniture captive, et puis foncent comme des boulets dans l'herbe si je fais le moindre geste, si j'essaye seulement de remuer la tête.
- Me démobiliser, me dit Bourrasse, ça serait m'exproprier. C'est-il juste, ça de m'exproprier ? J'ai mis en valeur une partie du sol de la patrie et j'apprivoise, dans un but d'utilité, des animaux sauvages. On ruinerait mon oeuvre.
Un jour, il a ajouté :
- J'ai envie d'en parler à Poincaré.
Je contemplai avec quelques inquiétudes cet humble guerrier de 2e classe. Allait-il sombrer dans la folie des grandeurs, unie quelquefois à la manie de la persécution ? Allait-il devenir un de ces malheureux aliénés, dont la garde qui veille aux portes de l'Elysée doit protéger si souvent le premier magistrat de la République ? Bourrasse, comme ces infortunés, se croyait-il Dieu le Père, ou simplement l'empereur des Français voulant sommer un usurpateur de lui rendre sa place ? Mais il poursuivit d'un air paisible :
- Tel que vous me voyez, j'ignore s'il se souviendrait de moi. Mais moi, il me semble que je le reconnaîtrais. Il a l'air d'un brave homme...
"Il faut vous dire, continua-t-il, qu'aux premiers jours de la mobilisation, ce n'est pas ici que les autorités militaires m'avaient envoyé garder un caniveau. A cette époque-là, on nous faisait valser, nous autres, pauvres R.A.T., d'un bout à l'autre du territoire. Et c'est comme ça que, vers la fin d'août 1914, je me trouvais à une vingtaine de kilomètres de Poitiers, surveillant une route nationale.
"Vous vous souvenez peut-être comment on les surveillait, les routes nationales ? Avec une bonne solive, reposant de chaque côté sur des tréteaux posés en X, autant que possible devant une ferme, un caboulot, une maison quelconque, qui servait de poste. Un factionnaire, en avant de cette barricade, les autres hommes dans le poste, dormant ou jouant à la manille. Devoir du factionnaire : demander à toute personne circulant en voiture, à cheval ou à pied, son passeport ou sauf-conduit, ses papiers, enfin, roses, verts, blancs ou bleux - il y en avait de toutes les couleurs.
"L'adjudant Bouchut - dans le civil, il est tonnelier à Poitiers - prenait sa mission au sérieux. C'était un homme qui lisait les journaux ; il avait lu dans les journaux que la France fourmillait d'espions, que les Boches y couraient du nord au sud, de l'est à l'ouest, pour faire sauter : les viaducs, les ponts, les aiguillages des gares. Et c'est tout de même vrai qu'ils l'ont fait, les Boches, jusqu'en Normandie, du côté de Pont-de-l'Arche. Mais moi, je n'ai pas d'imagination : ça me paraissait peu probable qu'ils vinssent jusqu'à Poitiers, c'est pas un pays pour une invasion. Bouchut était d'un autre avis. Il disait qu'un Boche, ça ne recule devant rien quand il s'agit d'un mauvais coup, et qu'enfin la consigne est la consigne. En ça, il avait raison, y avait rien à répondre.
"Donc, voilà qu'un matin, c'était moi qui étais de garde, et je vois s'amener une file d'autos, mais une file ! Il y en avait bien une douzaine. Dans la première, un artilleur avec un mousqueton, sur le siège, à côté du chauffeur, qui était également habillé en militaire, et un civil et un militaire dans l'intérieur. je croise la baïonnette devant la barricade, comme faire se doit, et je dis :
" - Halte ! Vos papiers !
L'artilleur me tend un carton que je regarde ; je le regarde d'un air d'autant plus sévère que je ne sais pas lire ; mais c'était un carton rose, comme tous les cartons roses que j'avais vus, avec des cachets. je dis :
" - C'est bon. Passez !
"Et j'enlève moi-même la solive pour faire place à l'auto. Elle passe... Et toute la douzaine d'autos passent à la suite, sans s'arrêter, sans dire bonjour ni bonsoir. Ou plutôt je me trompe : dans la seconde auto, il y avait un civil coiffé d'une casquette de voyage, la figure rose dans une barbe blonde, l'air bien aimable, qui m'a salué poliment... Et puis toute la bande fiche le camp.
"L'adjudant Bouchut regardait ça par la fenêtre. Il vient à moi et m'eng... comme du poisson pourri.
"- C'est comme ça que vous faites vot' métier ? qu'il dit. C'est comme ça que vous leur demandez leurs papiers aux voitures automobiles ?
"J'essaye de lui expliquer que j'avais demandé les papiers à la première voiture, et que les autres avaient profité de ce que la barrière était ouverte pour se cavaler, que ce n'était pas ma faute...
" - Et qu'est-ce qu'il y avait sur ce papier ? qu'il demande, l'adjudant Bouchut.
" - Je ne sais pas, que je réponds, je ne sais pas lire. Mais il était rose, mon adjudant.
" - Vous ne savez pas lire ? Vous ne savez pas lire ! Et c'est des andouilles comme ça qu'on me donne pour garder les voies et communications ! Il fallait fiche un coup de fusil - c'est la consigne - à l'auto qui venait dernière !
" - J'y ai pas pensé ! que je dis. Le monsieur qui était dedans avait une figure trop aimable. Mon adjudant, je vous assure qu'il avait une figure trop aimable.
"- Vous verrez si ça ne vous coûte pas quinze jours avec le motif de faire le physionomiste !... Qu'on téléphone tout de suite à Poitiers qu'il est passé douze autos contenant des gens qu'on ne sait pas ce que c'est, par suite de la négligence d'un homme.
" Bon, on téléphone à Poitiers ; de Poitiers on répond qu'on va faire attention. Et dix minutes après, le téléphone recommence à sonner. On demande l'adjudant Bouchut.
" - C'est vous, l'adjudant Bouchut ?... Vous êtes complètement idiot ? c'était le président de la République, avec toute sa suite !
" Si vous aviez vu la tête qu'il a faite, l'adjudant Bouchut. Il n'a plus parlé de me f... quinze jours. Mais c'est égal : voyez-vous le coup, si j'avais envoyé une balle dans l'auto, comme il voulait ? Je lui ai sauvé quelque chose à Bouchut - et j'ai aussi sauvé la République, sans que ça paraisse."
Et Bourrasse se remit à couper l'herbe pour ses lapins.
Pierre MILLE.
Toujours dans ma lecture du journal le Temps, j'ai trouvé ce petit article sur un GVC. Il illustre bien les rôles d'un GVC, même si l'histoire en elle-même ressemble beaucoup à un conte...
Bonne lecture,
Bien cordialement,
Arnaud
Extrait du journal le Temps du 5 février 1919, page 3.
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Mon ami Bourrasse
Bourrasse appartient à l'une des plus vieilles classes des R.A.T. (Réserve de l'armée territoriale, pour ceux qui, après quatre ans de guerre ne connaissent pas encore la signification de ces trois initiales.) Depuis 1917, il est affecté à la surveillance de "l'ouvrage d'art n° 28, sur la ligne d'intérêt local - en langage courant cela s'appelle un "tortillard" - qui joint B.-sur-C. à Pont-de-l'Arche. Je croirais manquer à mes habitudes de probité littéraire et scientifique, si je ne reconnaissais que l'ouvrage d'art n° 38 est un simple caniveau, une rigole voûtée qui, passant sous l'étroit chemin de fer, conduit à la Seine toute proche les eaux d'une petite source qui ruisselle à la base de la falaise crayeuse. D'ailleurs, dès la première victoire de la Marne, il n'y avait plus aucun risque de voir les Boches se ruer sur la fertile Normandie. Et maintenant nous sommes sur le Rhin ; pourtant le soldat Bourrasse est toujours là. Il faut croire qu'on l'a oublié.
Je dois dire que Bourrasse fait tout ce qu'il peut pour ça. Seul, peut-être, parmi nos millions de guerriers, il ne se soucie en aucune façon d'être démobilisé. Tous les soirs, il retourne bien paisiblement se coucher dans sa propre demeure, à B.-sur-C., où il retrouve "sa vieille", qui lui a trempé la soupe. Sur le tortillard il ne passe que deux trains par jour. Au moment où ces trains franchissent "l'ouvrage d'art", Bourrasse empoigne son vieux flingot, modèle 74, et porte scrupuleusement les armes à la locomotive. Ce geste n'est pas exigé, mais ce sont les seuls moments où cet excellent R.A.T. a, militairement, quelque chose à faire, et il tient à faire preuve de zèle. Le reste du temps, il a découvert une occupation lucrative des heures.
D'abord, comme il y a des terriers de lapins dans la falaise, Bourrasse a creusé, creusé patiemment, les garennes avec sa pioche et sa pelle et ravi une douzaine et demie ou deux de jeunes lapereaux à l'affection de leurs génitrices. Il les élève dans des clapiers industrieusement construits par ses mains le long de la voie, il les nourrit avec l'herbe qui croît sur les talus de la compagnie ; il encourage leur reproduction. Et quand les lapereaux sont devenus des lapins, "sa vieille" les vend au marché, tant que la chasse est ouverte, en qualité de lapins de garenne, puisqu'ils sont les descendants parfaitement légitimes de libres et sauvages lapins, qu'ils en ont le poil, les oreilles, la queue, la taille et tout ce qu'il faut ; et après la fermeture de la chasse, comme lapin domestique, puisqu'ils ont été élevés dans un clapier.
Mais, ne bornant pas là son ingéniosité, Bourrasse a mis en culture une partie de ces talus dont la compagnie ne fait rien ; il les a même irrigués, détournant les eaux qui devraient régulièrement passer par le fameux caniveau, et il fait croître des pommes de terre, des choux et même des petits pois qui contribuent à l'alimentation nationale en lui laissant, à lui, Bourrasse, des bénéfices appréciables.
Voilà pourquoi il tient, en aucune façon, à être démobilisé. Il juge que les choses vont très bien comme ça, et que son député, qui harcèle perpétuellement le ministre pour obtenir la libération des vieilles classes, se mêle de ce qui ne le regarde pas. Telle est, pour l'instant, son opinion politique. Il ne manque jamais de me l'exprimer dans les conversations assez fréquentes que nous avons ensemble. C'est par l'intermédiaire des lapins, si j'ose dire, que nous nous sommes liés ; j'aime tout ce qui est en vie, j'aime à guetter les mères restées sauvages et qui viennent parfois regarder tristement, à travers les grillages, leur progéniture captive, et puis foncent comme des boulets dans l'herbe si je fais le moindre geste, si j'essaye seulement de remuer la tête.
- Me démobiliser, me dit Bourrasse, ça serait m'exproprier. C'est-il juste, ça de m'exproprier ? J'ai mis en valeur une partie du sol de la patrie et j'apprivoise, dans un but d'utilité, des animaux sauvages. On ruinerait mon oeuvre.
Un jour, il a ajouté :
- J'ai envie d'en parler à Poincaré.
Je contemplai avec quelques inquiétudes cet humble guerrier de 2e classe. Allait-il sombrer dans la folie des grandeurs, unie quelquefois à la manie de la persécution ? Allait-il devenir un de ces malheureux aliénés, dont la garde qui veille aux portes de l'Elysée doit protéger si souvent le premier magistrat de la République ? Bourrasse, comme ces infortunés, se croyait-il Dieu le Père, ou simplement l'empereur des Français voulant sommer un usurpateur de lui rendre sa place ? Mais il poursuivit d'un air paisible :
- Tel que vous me voyez, j'ignore s'il se souviendrait de moi. Mais moi, il me semble que je le reconnaîtrais. Il a l'air d'un brave homme...
"Il faut vous dire, continua-t-il, qu'aux premiers jours de la mobilisation, ce n'est pas ici que les autorités militaires m'avaient envoyé garder un caniveau. A cette époque-là, on nous faisait valser, nous autres, pauvres R.A.T., d'un bout à l'autre du territoire. Et c'est comme ça que, vers la fin d'août 1914, je me trouvais à une vingtaine de kilomètres de Poitiers, surveillant une route nationale.
"Vous vous souvenez peut-être comment on les surveillait, les routes nationales ? Avec une bonne solive, reposant de chaque côté sur des tréteaux posés en X, autant que possible devant une ferme, un caboulot, une maison quelconque, qui servait de poste. Un factionnaire, en avant de cette barricade, les autres hommes dans le poste, dormant ou jouant à la manille. Devoir du factionnaire : demander à toute personne circulant en voiture, à cheval ou à pied, son passeport ou sauf-conduit, ses papiers, enfin, roses, verts, blancs ou bleux - il y en avait de toutes les couleurs.
"L'adjudant Bouchut - dans le civil, il est tonnelier à Poitiers - prenait sa mission au sérieux. C'était un homme qui lisait les journaux ; il avait lu dans les journaux que la France fourmillait d'espions, que les Boches y couraient du nord au sud, de l'est à l'ouest, pour faire sauter : les viaducs, les ponts, les aiguillages des gares. Et c'est tout de même vrai qu'ils l'ont fait, les Boches, jusqu'en Normandie, du côté de Pont-de-l'Arche. Mais moi, je n'ai pas d'imagination : ça me paraissait peu probable qu'ils vinssent jusqu'à Poitiers, c'est pas un pays pour une invasion. Bouchut était d'un autre avis. Il disait qu'un Boche, ça ne recule devant rien quand il s'agit d'un mauvais coup, et qu'enfin la consigne est la consigne. En ça, il avait raison, y avait rien à répondre.
"Donc, voilà qu'un matin, c'était moi qui étais de garde, et je vois s'amener une file d'autos, mais une file ! Il y en avait bien une douzaine. Dans la première, un artilleur avec un mousqueton, sur le siège, à côté du chauffeur, qui était également habillé en militaire, et un civil et un militaire dans l'intérieur. je croise la baïonnette devant la barricade, comme faire se doit, et je dis :
" - Halte ! Vos papiers !
L'artilleur me tend un carton que je regarde ; je le regarde d'un air d'autant plus sévère que je ne sais pas lire ; mais c'était un carton rose, comme tous les cartons roses que j'avais vus, avec des cachets. je dis :
" - C'est bon. Passez !
"Et j'enlève moi-même la solive pour faire place à l'auto. Elle passe... Et toute la douzaine d'autos passent à la suite, sans s'arrêter, sans dire bonjour ni bonsoir. Ou plutôt je me trompe : dans la seconde auto, il y avait un civil coiffé d'une casquette de voyage, la figure rose dans une barbe blonde, l'air bien aimable, qui m'a salué poliment... Et puis toute la bande fiche le camp.
"L'adjudant Bouchut regardait ça par la fenêtre. Il vient à moi et m'eng... comme du poisson pourri.
"- C'est comme ça que vous faites vot' métier ? qu'il dit. C'est comme ça que vous leur demandez leurs papiers aux voitures automobiles ?
"J'essaye de lui expliquer que j'avais demandé les papiers à la première voiture, et que les autres avaient profité de ce que la barrière était ouverte pour se cavaler, que ce n'était pas ma faute...
" - Et qu'est-ce qu'il y avait sur ce papier ? qu'il demande, l'adjudant Bouchut.
" - Je ne sais pas, que je réponds, je ne sais pas lire. Mais il était rose, mon adjudant.
" - Vous ne savez pas lire ? Vous ne savez pas lire ! Et c'est des andouilles comme ça qu'on me donne pour garder les voies et communications ! Il fallait fiche un coup de fusil - c'est la consigne - à l'auto qui venait dernière !
" - J'y ai pas pensé ! que je dis. Le monsieur qui était dedans avait une figure trop aimable. Mon adjudant, je vous assure qu'il avait une figure trop aimable.
"- Vous verrez si ça ne vous coûte pas quinze jours avec le motif de faire le physionomiste !... Qu'on téléphone tout de suite à Poitiers qu'il est passé douze autos contenant des gens qu'on ne sait pas ce que c'est, par suite de la négligence d'un homme.
" Bon, on téléphone à Poitiers ; de Poitiers on répond qu'on va faire attention. Et dix minutes après, le téléphone recommence à sonner. On demande l'adjudant Bouchut.
" - C'est vous, l'adjudant Bouchut ?... Vous êtes complètement idiot ? c'était le président de la République, avec toute sa suite !
" Si vous aviez vu la tête qu'il a faite, l'adjudant Bouchut. Il n'a plus parlé de me f... quinze jours. Mais c'est égal : voyez-vous le coup, si j'avais envoyé une balle dans l'auto, comme il voulait ? Je lui ai sauvé quelque chose à Bouchut - et j'ai aussi sauvé la République, sans que ça paraisse."
Et Bourrasse se remit à couper l'herbe pour ses lapins.
Pierre MILLE.