La mobilisation vu par un instituteur dromois

jmm
Messages : 175
Inscription : lun. déc. 15, 2008 1:00 am

Re: La mobilisation vu par un instituteur dromois

Message par jmm »

Bonsoir,
De passage au AD de la Drôme, Je n'ai pas pu résiter à l'envie retranscrire les notes transmises par un instituteur de Chatillon de Diois au Prefet.
Elles sont ,avec une dizaine d'autres témoignages d'instituteurs adressés au préfet, classées sous la cote 200M111.
Je ne sais pas si ces témoignages furent spontanés ou sollicités par le préfet.



Instituteur de Chatillon à Mr le préfet de la Drôme. 8 octobre 1914

J’ai l’honneur de vous adresser sous ce pli une partie de mes fiches sur la guerre de 1914-1915.


N°1 Chatillon en Diois (Drôme) 26 juillet 1914

Distribution des prix à mes élèves des écoles laïques. A la sortie « Le 3% repart (…illisible) » me dit quelqu’un. « Cette querelle serbo-autrichienne pourrait bien nous amener que vilaine histoire ! Qui sait ? ». Ho ! Ho ! Le financier répondis-je. J’étais bien loin du 3%! » Et j’oubliais tout de suite ces quelques mots, absorbé que j’étais par ma besogne quotidienne. Dans la soirée et les 3 jours suivants, Mr Payot, Garde Général des Eaux et Forêts, le seul homme que je voyais journellement, m’exprima quelque crainte et surtout son indignation contre l’Autriche et le désir de voir la France intervenir en faveur du peuple serbe. « On parle beaucoup ici du conflit austro-serbe, me disait-il, on se préoccupe des interventions de la Russie, du jeu (?) de notre alliance etc…etc ». J’attachais peu d’importance à ces propos, croyant l’Autriche moins méchante qu’elle en avait l’air, et surtout tout occupé que j’étais par ma classe et l’organisation d’une fête scolaire, projetée pour les samedi et dimanche suivants.

N°2 Chatillon en Diois (Drôme) Vendredi 31 juillet 1914. Esprit public

Dans le public, l’idée de mobilisation, de guerre franco-allemande a pris corps. On est soucieux. Mr Payot, expansif et patriote, dit tout haut sa croyance à la guerre inévitable, sa résignation, sa décision ; il achète une bretelle neuve pour son révolver d’ordonnance. Certain émoi « Ce Mr Payot fait peur, me dit une femme, s’il veut tant la guerre, qu’il y aille, mais… ». « Il ne veut pas la guerre, expliquai-je, il la croit certaine, il est décidé à la faire, c’est tout ! ». Ma brave femme n’était pas rassurée. 5h du soir ! – Les élèves de l’école des filles et les membres de l’amicale laïque, dans une classe, vont faire une répétition générale pour les représentations des samedi 1er et dimanche 2 août. Les unes sont confiantes, rassurées et veulent répéter, les autres sont consternées : « C’est la guerre, disent-elles, tout le monde est triste. Fête impossible ! Oh ! Quel malheur, et notre voyage au Vercors ? Oh ! Falloir tout abandonner ! Pas possible ! » « Ne jouez pas demain, disent des amis de l’école, personne n’est à la joie ». Enfin gagnée par le pessimisme dominant, Mme Lacroix, accepta de renvoyer la fête. L’état d’esprit de la population venait de nous être révélé, comme la gravité des circonstances.

Guerre de 1914-1915 N°3. Chatillon en Diois. Samedi 1er août 1914

La mobilisation ! 3h du soir. Mr Maillet, maire, sort de chez lui, un papier à la main. « Cette fois, ça y est ! La mobilisation ! » Répond-il à mon signe de tête interrogateur. Le mot fit traînée de poudre, suscitant chez nous une rageuse expression de haine à l’adresse du Kaiser et de ses acolytes. « Bande canailles ! » Et chacun s’interrogeait mentalement sur ce qu’il avait à faire. Le gendarme Roux dans l’auto de Mr Ricateau, porte l’ordre de mobilisation dans les communes voisines ; le tocsin sonne, les paysans reviennent du champ, lisent les affiches, maugréent un peu contre les monarques qui les dérangent et vont se préparer au départ. Mr Payot rassemble ses gardes, le Dr Prunier les emporte vers Beaurières dans son auto. Le garde Bernard sortant de chez lui en tenue de campagne, Mr Vignon, un ancien de 70, me dit : « Voilà… Comment cela commence ! Ah M …. la guerre ! » Ses yeux se mouillèrent. Dans la rue, où chacun se hâte sans cris, sans affolement, comme si tous les hommes devaient prendre le train à telle heure pour leurs affaires habituelles, on entend qu’une question : « Où allez vous ? Où vas-tu ? Quand pars tu ? » Questions et réponses se croisent, se recouvrent et chacun vaque à ses préparatifs. Point de récriminations ni fanfaronnade, ni accablement, le calme de gens qui vont faire une besogne sérieuse, prévue et inéluctable. Le délai de mobilisation part du dimanche 2 à minuit. Et toute une semaine, notre petit chemin de fer faisant 5 voyages chaque jour, emporte vers le pont de l’Isère toutes ses voitures bondées de mobilisés. A chaque départ, les non mobilisés sont à la gare pour dire un « au revoir » ; à chaque arrivée, ils viennent aux nouvelles. Celles-ci sont rares et souvent contradictoires.

N°4 La mobilisation.
Le samedi 1er août, les forestiers seuls sont partis ; le 2 c’est le tour des volontaires citoyens qui se sont offerts pour garder les voies ferrées pendant la mobilisation avec les territoriaux ; ils ont entre 40 et 60 ans. Plusieurs sont de pauvres gens n’ayant que leur journée pour nourrir leur famille. Ils seront échelonnés sur la ligne Livron-Briançon, de Die à Beaurières, veillant jour et nuit, le fusil à l’épaule, sur la voie précieuse où passent chaque jour 25 trains militaires. Les civils ne voyagent plus ou à peu près, les marchandises non plus. Ils sont pittoresques nos gardes-voies, les uns en civil, un ceinturon d’ordonnance bouclé sur un veston déboutonné sur un ventre trop creux ou trop arrondi, coiffés d’un chapeau ou d’un képi trop étroit ou trop large ; d’autres couverts d’une capote immense dont les pans battent le pantalon de …(illisible) du militaire improvisé, tous suivant le passant d’un regard soupçonneux ou menaçant. Chacun prend son rôle au sérieux ; aussi tout s’est bien passé d’une façon parfaite. Certes, prendre la garde la nuit, sous la pluie, dans nos pays aux nuits froides est pénible pour les « vieux » mais il le faut. On ne murmure que contre Guillaume. Le poste de « garçin » vient se ravitailler ici. Tous les jours, des mobilisés qu’en autre temps on aurait pris pour des déguisés, circulent dans Châtillon en quête de vivres ou en permission de 24h. Ces vingt quatre heures sont d’un prix inestimable ! Vite, le permissionnaire en profite pour faire à la hâte quelque « gros travail » trop pénible pour la femme ou les enfants. Tout le monde est soulagé. A une autre fois ! Du 2 au 8, chaque matin arrivent au train des mobilisés des communes du haut canton qui se joignent aux camarades de Châtillon, faisant ainsi des fournées qui se renouvellent chaque jour. Après le 8, les départs sont moins nombreux. Devant la gare, on s’embrasse, on se serre la main. Des femmes s’efforcent à ne pas pleurer. « Au revoir, bonne chance ». Chaque jour mon cœur se serre à la vue de quelque pauvre diable arraché à sa famille, nombreuse et miséreuse, par l’ambition de Guillaume ! S’il était là,ce « monstre », comme on l’écharperait avec rage, cet auteur de tant de malheurs présents ou futurs ! Le 22, la mobilisation est terminée. L’animation baisse, la curiosité et l’anxiété la remplace… Les volontaires rentrent le 24, les réservistes et territoriaux le25; soulagement ! Les territoriaux (jusqu’à 40 ans) partent pour Montélimar ; ils reviennent 3 jours après pour repartir le 25 septembre. Les réservistes et les territoriaux étant rentrés, beaucoup de familles respirent : Les travaux agricoles se feront quoique péniblement. Le 20 août une levée de chevaux a lieu ; dans beaucoup de cas, le cheval est parti et son propriétaire ; quel vide ! Vieillards, femmes et enfants sont désemparés ! Les privilégiés dont la monture est restée, charrient gerbes et fourrage moyennant finance; la main d’œuvre est rare et chère… Le 25 septembre, les hommes disponibles sont rappelés jusqu’à la classe 1891 inclus. Ils vont s’entraîner dans des cantonnements des environs de Montélimar. Les femmes s’alarment; vers le 10 octobre plusieurs enfants quittent l’école pour remplacer les mobilisés. Adieu le C.E.P.E !

N°5 Mobilisation et chemin de fer.

Les chemins de fer ont fait merveille parait-il ; un cheminot m’affirme qu’un seul accident s’est produit : celui du tunnel de Beaurières. Le 17 août vers 9h ½ du soir, un train militaire Livron-Besançon s’arrêta dans ce tunnel en fer à cheval, sa machine étant trop faible. Les employés occupèrent le train, le mécanicien emmena la ½ avant à la Baume, revint au tunnel, remorqua la ½ arrière. Pendant ce temps, la fumée asphyxiant les malheureux soldats : cinq moururent, les autres furent sauvés grâce au dévouement de la population de Beaurières et de son poste de garde-voie. Et tout de suite d’incriminer le malheureux mécanicien qui « aurait du mettre une locomotive plus puissante…etc… » On oublie que la machine était géante, roulant d’ordinaire sur le littoral méditerranéen d’où venait le convoi, que son mécanicien, qui n’avait peut être pas pris de repos depuis 30h ignorait le détail de notre petite voie.



(Fin de transcription)

Cordialement

Jean Michel
Cartographie 1914-1918 au jour le jour
http://www.carto1418.fr
TMJ-55
Messages : 142
Inscription : mar. août 14, 2007 2:00 am

Re: La mobilisation vu par un instituteur dromois

Message par TMJ-55 »

bonjour Jean - Michel,

les AD de la Meuse comportent des témoignages identiques émanant d'instituteurs; ils ont été sollicités par le préfet afin de renseigner les autorités de "l'état d'esprit" des populations civiles au moment de l'entrée en guerre.
Vos témoignages doivent procéder de la même volonté.
Cordialement,

Thierry
Cordialement. " Ce que nous avons fait, c'est plus qu'on pouvait demander à des Hommes, et nous l'avons fait ", Ceux de 14.
Avatar de l’utilisateur
violette
Messages : 997
Inscription : dim. nov. 16, 2008 1:00 am
Localisation : Finistère/Isère
Contact :

Re: La mobilisation vu par un instituteur dromois

Message par violette »

Bonjour à tous,
Bonjour Jean-Michel,
Merci pour ce témoignage, spontané ou sollicité comme semble le penser Thierry, il est interessant.
Vous parlez d'une dizaine d'autres témoignages d'instituteurs, vous rappeleriez-vous de quelles communes il s'agissait ?
J'aurai bientôt l'occasion de descendre sur Valence et je ferais volontiers un crochet par les AD ... si certains étaient susceptibles de m'interesser.
Cordialement,
Violette
"Voici que point ton dernier jour - Dépose ici toute espérance - Hélas, comme un fardeau trop lourd"
F Carco in La Bohème et mon coeur
jmm
Messages : 175
Inscription : lun. déc. 15, 2008 1:00 am

Re: La mobilisation vu par un instituteur dromois

Message par jmm »

Bonsoir Violette,

Pris par le temps je n'ai pu lire les autres témoignages, mais ils m'ont semblé beaucoup moins détaillés. Je me souviens d'un village : Saint Agnan.
La cote exacte est 1M200M111

Cordialement
Jean Michel
Cartographie 1914-1918 au jour le jour
http://www.carto1418.fr
Avatar de l’utilisateur
violette
Messages : 997
Inscription : dim. nov. 16, 2008 1:00 am
Localisation : Finistère/Isère
Contact :

Re: La mobilisation vu par un instituteur dromois

Message par violette »

Merci Jean Michel,
Saint Agnan, sauf erreur de ma part, c'est le Vercors Drômois, ce doit être interessant aussi même si moins détaillé.
En tous cas, merci pour la cote exacte, je la conserve sous le coude : même si ce n'est pas dans l'immédiat, j'ai encore du travail en perspective aux AD26, elle me sera utile un jour.
Cordialement,
Violette
"Voici que point ton dernier jour - Dépose ici toute espérance - Hélas, comme un fardeau trop lourd"
F Carco in La Bohème et mon coeur
Répondre

Revenir à « Récits et témoignages »