Re: quand Noël et Nouvel An étaient en guerre...
Publié : dim. déc. 24, 2006 9:32 am
bonjour à toutes et à tous
en cette période particulière de fin d'année,si porteuse de voeux,de réflexions et de résolutions,je voudrais rendre hommage à tous ces soldats qui ont passé un Noël et un Nouvel An,loin de chez eux.
peu importe l'année,c'était la guerre
peu importe les auteurs,c'était des hommes
morceaux choisis entre désenchantement,lucidité et espérance
Maurice Genevoix ,lieutenant français, dans "la boue" (fin décembre 1914)
Nous sommes venus aux Eparges:et c'était la veille du Jour de l'An.Nous avions oublié l'attaque du 26 décembre.Nous regardions au visage des heures notre propre mélancolie.Nous avions oublié...La guerre nous a durement puni.
Ce matin,nous mangerons des tranches de jambon fumé,des pommes jaunes et des mandarines;nous boirons à pleins quarts un champagne mousseux et rêche;nous fumerons des cigares à bagues rouges.Et nous bavarderons bruyamment;et nos huttes,peut-être,résonneront de nos rires.
Mais oublier....
Henri Bénard ,commandant français, dans "de la mort,de la boue, du sang" (fin décembre 1914)
Ma chère Anine,
Je passe la Noël à Bray au repos dans une bonne petite maison où j'ai du feu.La journée s'est bien passée.Les cadeaux ont afflué en grande quantité.Il y en avait pour tout le monde et j'avais invité un capitaine et un lieutenant.Mon excellent docteur avait reçu un confit de dinde et mon cuisinier,avec la viande du régiment avait fait un boeuf à la mode.Gâteau de riz,macarons de Nancy,cerises à l'eau de vie.Enfin,j'avais découvert dans les ballots de cadeaux,une petite bouteille de triple sec Cointreau qui a fait nos délices.Ce soir,chez le Colonel,nous mangerons la dinde que le Général a offerte.L'alcool fait défaut.Nous n'en trouvons pas et il est défendu d'en vendre.Enfin,la table marche tout de même.Peu de pommes de terre,mais du riz,du macaroni et des haricots.
Demain,nous retournerons aux tranchées,mais j'espère que nous allons y passer un séjour tranquille.Les pertes énormes que nous venons de faire amèneront nos généraux à être plus économes du sang de nos hommes,car nos efforts ont été inutiles sur tout le front.Nous n'avançons nulle part et depuis deux mois il en est ainsi partout.
C'est donc une guerre qui pourrait durer éternellement.Il faut bien nous faire à cette idée.L'Allemagne durera tant qu'elle pourra,mais nous ne la battrons pas.Les Russes n'y arriveront pas non plus.Le système de guerres de tranchées inventé par les Allemands est merveilleux pour eux.C'est une muraille de Chine inviolable.Il est impossible de les déloger et les Russes ont bien l'air d'être bloqués comme nous.L'Allemagne succombera à la longue,mais elle ruinera l'Europe en hommes et en argent.Nous devons espérer dans la diplomatie qui finira peut-être à faire marcher l'Italie ou le Japon.Ce sera long et nous croyons tous être ici encore à Noël 1915.
Prenez donc vos dispositions en conséquence.Ne croyez pas ce que peuvent vous faire espérer les journaux.C'est une guerre qui sera la ruine de tous les pays.Elle peut durer plusieurs années.
Je vous embrasse. Henri
Dominique Richert,soldat alsacien dans l'armée allemande,dans ses "cahiers d'un survivant" (fin décembre 1914)
Puis vint Noël,le premier Noël de guerre.Notre compagnie passa la fête à Vendin-le-Vieil.Des quantités de cadeaux étaient arrivés.Comme Zanger,Gautherat,de Menglat et moi-même ne pouvions plus communiquer avec notre village,et donc ne pouvions pas recevoir de colis,le chef de compagnie nous donna quelques présents supplémentaires.On reçut également un gros paquet offert par une riche industrielle de Mannheim,qui avait voulu faire plaisir aux soldats coupés de leur pays natal.On couvrit une table entière de chocolat,de brioches au sucre,de bonbons,de cigarettes,de saucissons,de sardines à l'huile,de pipes,de bretelles,d'écharpes,de gants,etc...
Je distribuai du chocolat et des bonbons aux enfants rencontrés dans la rue.Bientôt ils me connurent tous,et dès que j'allais quelque part,ils arrivaient en courant pour me demander des friandises.Mais je ne pus leur en donner que le temps que durèrent mes provisions.
Ivan Cassagneau,artilleur français,dans "ce que chaque jour fait de veuves" (1er janvier 1915)
Fritz,toujours plein de délikatesse à notre égard,nous a envoyé ses voeux à sa façon.A minuit,douze coups de canon--des fusants tirés très haut dans le ciel pour ne pas faire de mal--nous ont appris la naissance de la nouvelle année.Nous n'avons pas répondu.
Le nouveau capitaine,C..de B...,vient au matin nous souhaiter la bonne année.Je le remercie et lui transmets les voeux de ma section.Le ravitaillement nous apporte les présents du grand-père Joffre: oranges,noix,jambons,cigares,champagne,une vraie nouba!
Les alpins ont une tenue bizarre:sur leur capote,ils arborent une peau de mouton qui leur donne une carrure terrible,et l'épaisse barbe que tous ont laissée pousser les apparente vraiment à l'homme des cavernes.Peu loquaces,laborieux,ce sont d'autres voisins que les marsouins.Ils travaillent sans arrêt et en quelques jours transforment le sous-bois en un véritable village,propre et même coquet,remarquablement camouflé.
Le sous-lieutenant L.,venu à l'observatoire,me montre le document suivant:..."Ordre n°31.A partir de ce jour il ne sera plus fait de prisonniers.Tout ennemi pris,blessé ou non,sera mis à mort.Les prisonniers,même en grandes unités,seront mis à mort.Il ne doit plus rester derrière nous un seul Français vivant.signé:Von Stenger,général commandant le 58è corps d'armée allemand"
Je reste sans paroles,les hommes aussi.Eh bien,soit! Nous savons ce qu'il nous reste à faire.Ah,nous l'avons perdue depuis longtemps,cette sensiblerie du début qui nous arrachait des larmes quand,sous l'effet de nos 75,nous voyions les Feldgrau tomber en grappes!
Etienne Tanty,caporal français,dans "les violettes des tranchées" (jeudi 31 décembre 1914)
St Sylvestre.An 1914.
Je viens de me réveiller,ainsi que mon camarade de gourbi.Est-il 4 heures,n'est-il que midi? nous n'en savons rien.
J'ai déjeuné avec deux tablettes de chocolat tout à l'heure,après avoir mangé ce matin,à 5 heures,le rata cochon-patate.Quatorze heures de nuit glaciale hier, journée pluvieuse aujourd'hui,que sera-ce, ce soir? Je vais essayer de me rendormir car,jusqu'ici, je ne suis pas arrivé à me reposer;la terre du gourbi s'éboule,un gros rat fait un bruit infernal et le canon ne cesse de vous casser les oreilles,et le gourbi est incommode et obscur.
J'arrête là ma lettre;je pourrai vous écrire plus longtemps demain soir,je pense,car nous serons au bois.Dormir le jour,veiller la nuit,je perds la notion de tout.C'est une belle fin d'année! Que sera la prochaine? N'ayez pas le cafard;je vous embrasse et bonsoir.
1er Janvier 1915.Il est nuit;je me réveille d'un profond sommeil mais dans lequel j'ai tout le temps gémi,paraît-il.Je n'ai que le temps de remettre ce petit mot au cuisinier pour partir ce soir.Hélàs! je ne crois guère aux souhaits et c'est si triste, ce 1er janvier.(...)
Jules Isaac,caporal français,dans "lettres et carnets 1914-1917-un historien dans la Grande Guerre" (samedi 1er janvier 1916)
Premier jour de l'An.Je viens de sortir dans la boue glissante,au petit jour,pour souhaiter la bonne année à mes poilus avant leur départ pour la corvée.Pour faire cinquante mètres sur le terrain,dès qu'il a plu comme cette nuit,il faut risquer vingt fois la "bûche".Ils auront pour leur soupe de dix heures les bouteilles de champagne,repos l'après-midi--si peu que ce soit c'est bon à prendre,et les poilus sont devenus des enfants qu'un rien satisfait.
Des enfants à un certain point de vue;c'est une mentalité difficile à déchiffrer que celle du poilu,et je vois bien par ce qu'on écrit dans les journaux et dans les lettres qu'à l'arrière on n'y comprend pas grand-chose.On s'en fait une idée simpliste et romantique.Combien la réalité est différente et vous réserve de surprises!
On met en scène le poilu presque quotidiennement dans les nouvelles que publient les journaux et les revues.Je n'ai rien lu de vraiment satisfaisant--il est vrai que je n'ai pas lu "Gaspard",le prix Goncourt,dont on a dit beaucoup de bien.
Le poilu est un type à la Maupassant--autant qu'on peut le ramener à un type unique--,très amer et de poil fréquemment hérissé.La vie que nous menons nous rend durs,extrêmement durs,elle nous ramène à une mentalité primitive,sauvage,où l'instinct domine avec violence.C'est ce qui fait précisément le caractère indéchiffrable du poilu,civilisé ramené brusquemment à la barbarie.Quand vous le revoyez en permission,il vous paraît être le même,le même homme qu'avant la guerre;détrompez-vous,il a profondément changé;au fond de lui-même bouillonne une vie sauvage qui vous effraierait si elle vous était brusquemmment révélée.Vous ne pourrez pas le croire,je le comprends parfaitement,vous qui continuez à vous mouvoir dans le même plan qu'auparavant-et pourtant c'est vrai.
Après la guerre,peut-être,au bout d'un certain temps,redeviendront-ils eux-mêmes,ce qu'ils étaient avant la guerre,des hommes quelconques.Mais cela ne se fera pas instantanément.Comme la Révolution,le cataclysme auquel nous assistons est une de ces crises humaines qui ressemblent aux grands bouleversements de la nature,à un déchaînement volcanique,dont l'intensité décroît progressivement par degrés,avec par moments de brusques réveils.
Ne croyons pas hélàs que tout sera fini avec la paix surtout,la guerre ayant rompu l'équilibre du corps social,au détriment des ruraux (et rien n'étant plus mauvais que la colère profonde de Jacques Bonhomme).Ce souvenir historique me ramène au poilu:je le vois proche parent du paysan des anciennes jacqueries.
Louis Barthas,caporal français, dans ses "carnets de guerre" (fin décembre 1916)
et la Noël arriva.La seule différence qu'il y eût avec les autres jours fût qu'on n'alla pas à l'exercice,mais ce jour-là les journaux en lettres énormes annonçaient la sensationnelle proposition de paix de l'empereur Guillaume d'Allemagne.
Il y eut une lueur d'espérance qui fût bientôt éteinte.Les journaux serviles sur l'ordre des déments qui nous gouvernaient,hurlèrent de joie,d'allégresse,déduisant,prouvant que si l'empereur faisait une offre pareille,c'est qu'il était à bout de tout,d'argent,de vivres,de munitions.Il fallait non pas négocier mais se préparer pour le suprême effort,l'hallali final,la mise à mort de l'ennemi épuisé,à bout de souffle.
En résistant encore deux années,l'Allemagne a prouvé qu'elle avait encore les moyens de continuer la guerre et que nos gouvernants avaient menti.
Certes,je ne prétends pas défendre ici l'odieux Kaiser,incarnation vivante de militarisme autoritaire,hautain et brutal mais il a eu un geste qui l'honore en invitant les dirigeants des peuples en guerre à essayer de se réunir et de s'entendre pour arrêter l'effusion de sang.
En refusant d'écouter ou connaître les propositions de l'empereur sous prétexte qu'elles ne devaient pas être sincères,nos dirigeants ont assumé une terrible responsabilité devant l'Histoire et donné le beau rôle au Kaiser.
Olivier Guilleux,sous-lieutenant français prisonnier de guerre ,dans "la grande guerre d'Olivier Guilleux" (début janvier 1917)
Chers parents,chères soeurs,
Nous voilà en 1917,je vous ai quitté en 1914.Bien des choses se sont passés durant cet intervalle et pourtant,il me semble que ces trois années de ma vie,ou,plus exactement,ces trente mois,furent à peu près stériles.C'est que la vie en captivité se rétrécit,se réduit à presque rien.En un mot,ce temps ne compte pas.
Alors qu'en France,dans le chaud du danger,la vie est décuplée,ici,pour peu qu'on se laisse aller,on perd insensiblement toutes ses forces intellectuelles et physiques.N'allez pourtant pas croire que je vais vous revenir,usé et décrépit.Dieu merci,j'ai su,jusqu'ici me garder de toutes les influences déprimantes,abrutissantes.Pour moi,je me trouve aussi jeune qu'en 1914.(...)
Emilio Lussu,lieutenant italien,dans "les hommes contre" ( fin décembre 1916)
A Noël,nous étions encore dans les tranchées.
Les Autrichiens,normalement,respectaient toutes les fêtes religieuses.Pour les fêtes importantes,ils ne tiraient pas des tranchées et même leur artillerie se taisait.Mais cette fois,nos postes d'écoute avaient réussi à intercepter un message téléphonique ennemi,dans lequel il était question d'une mine qui devait sauter pour Noël,à minuit.Cette mine,nous supposions qu'elle était enfouie dans le rocher,sous nos tranchées,à l'extrême droite de notre secteur.
Nos appareils avaient perçu le bruit des perforatrices,fin octobre,et les commandements étaient constamment préoccupés.Si nos positions sautaient à cet endroit,les Autrichiens,profitant de la surprise,interrompraient,en même temps que nos lignes,nos communications et occuperaient le point dominant la vallée où se rejoignaient les deux divisions.Le flanc droit de notre brigade allait être,de surcroît,complètement vulnérable.
Notre bataillon connaissait,plus que les autres,ces positions, et le commandement ordonna à deux compagnies,la 9ème d'Avellini et la 10ème,la mienne,de rester en ligne la nuit de Noël.(...) La 9ème compagnie occupa le secteur de la mine,et la mienne fut postée en réserve,dans une proximité immédiate,pour être prête à contre-attaquer après l'explosion.Nous,les officiers,étions les seuls à savoir quand cela devait arriver.Les soldats,eux,regrettaient seulement d'avoir dû rester en ligne alors que le reste du régiment passait Noël au repos.Une généreuse distribution de chocolat et de cognac avait éveillé quelques soupçons,vite dissipés par la considération que c'était une compensation due à ce service exceptionnel.(...)
Nous visitâmes tous deux les postes les plus avancés.Les artilleurs étaient à leurs pièces,avec leurs officiers.Tout était en ordre.
Je retournai dans ma compagnie.Dans les abris,les soldats buvaient et fumaient.Je m'assis avec eux et attendis minuit.
Un quart d'heure avant minuit,je fis disposer les soldats par escouades,prêts à sortir des abris pour courir aux boyaux.Au fur et à mesure que minuit approchait,les soldats comprenaient qu'il allait se passer quelque chose d'insolite et s'interrogeaient les uns les autres du regard.Je leur dis qu'on craignait une attaque surprise et qu'il fallait être prêts à la riposte.Mais,plus l'heure attendue et redoutée s'approchait,plus mon esprit s'éloignait de ma compagnie,de la mine,des lieux alentours.(...)
Quand je regardai ma montre,il était minuit passé.La mine ne sautait pas.J'envoyai quelqu'un auprès d'Avellini pour en savoir plus.Il me répondit qu'il n'avait rien remarqué d'insolite et que dans la tranchée ennemie,on montait la garde comme les autres nuits.
Nous attendîmes,moins préoccupés,jusqu'à l'aube.Et si les postes d'interception s'étaient trompés? Et si les Autrichiens nous avaient joué un mauvais tour?...
Amand Saint-Pierre,dans "la Grande Guerre entre les lignes" (1er janvier 1918)
Nouvelle année qui s'annonce sous des auspices peu rassurants.Caractéristiques de l'esprit des poilus:résignation,anxiété,mais confiance quand même,lassitude et dégoût de toutes les saletés politiques.Toute la nuit,canon...intense.Départ demain matin.
je vais en rester là, histoire de ne pas vous lasser
si vous avez d'autres témoignages autour de cette période de fin d'année,issus d'écrits ou de lettres,connus ou inconnus,cela m'intéresserait de les lire
c'était il y a 90 ans...c'était hier
Joyeux Noël et très bonne année 2007 à vous et à vos proches
amicalement,
Mireille
en cette période particulière de fin d'année,si porteuse de voeux,de réflexions et de résolutions,je voudrais rendre hommage à tous ces soldats qui ont passé un Noël et un Nouvel An,loin de chez eux.
peu importe l'année,c'était la guerre
peu importe les auteurs,c'était des hommes
morceaux choisis entre désenchantement,lucidité et espérance
Maurice Genevoix ,lieutenant français, dans "la boue" (fin décembre 1914)
Nous sommes venus aux Eparges:et c'était la veille du Jour de l'An.Nous avions oublié l'attaque du 26 décembre.Nous regardions au visage des heures notre propre mélancolie.Nous avions oublié...La guerre nous a durement puni.
Ce matin,nous mangerons des tranches de jambon fumé,des pommes jaunes et des mandarines;nous boirons à pleins quarts un champagne mousseux et rêche;nous fumerons des cigares à bagues rouges.Et nous bavarderons bruyamment;et nos huttes,peut-être,résonneront de nos rires.
Mais oublier....
Henri Bénard ,commandant français, dans "de la mort,de la boue, du sang" (fin décembre 1914)
Ma chère Anine,
Je passe la Noël à Bray au repos dans une bonne petite maison où j'ai du feu.La journée s'est bien passée.Les cadeaux ont afflué en grande quantité.Il y en avait pour tout le monde et j'avais invité un capitaine et un lieutenant.Mon excellent docteur avait reçu un confit de dinde et mon cuisinier,avec la viande du régiment avait fait un boeuf à la mode.Gâteau de riz,macarons de Nancy,cerises à l'eau de vie.Enfin,j'avais découvert dans les ballots de cadeaux,une petite bouteille de triple sec Cointreau qui a fait nos délices.Ce soir,chez le Colonel,nous mangerons la dinde que le Général a offerte.L'alcool fait défaut.Nous n'en trouvons pas et il est défendu d'en vendre.Enfin,la table marche tout de même.Peu de pommes de terre,mais du riz,du macaroni et des haricots.
Demain,nous retournerons aux tranchées,mais j'espère que nous allons y passer un séjour tranquille.Les pertes énormes que nous venons de faire amèneront nos généraux à être plus économes du sang de nos hommes,car nos efforts ont été inutiles sur tout le front.Nous n'avançons nulle part et depuis deux mois il en est ainsi partout.
C'est donc une guerre qui pourrait durer éternellement.Il faut bien nous faire à cette idée.L'Allemagne durera tant qu'elle pourra,mais nous ne la battrons pas.Les Russes n'y arriveront pas non plus.Le système de guerres de tranchées inventé par les Allemands est merveilleux pour eux.C'est une muraille de Chine inviolable.Il est impossible de les déloger et les Russes ont bien l'air d'être bloqués comme nous.L'Allemagne succombera à la longue,mais elle ruinera l'Europe en hommes et en argent.Nous devons espérer dans la diplomatie qui finira peut-être à faire marcher l'Italie ou le Japon.Ce sera long et nous croyons tous être ici encore à Noël 1915.
Prenez donc vos dispositions en conséquence.Ne croyez pas ce que peuvent vous faire espérer les journaux.C'est une guerre qui sera la ruine de tous les pays.Elle peut durer plusieurs années.
Je vous embrasse. Henri
Dominique Richert,soldat alsacien dans l'armée allemande,dans ses "cahiers d'un survivant" (fin décembre 1914)
Puis vint Noël,le premier Noël de guerre.Notre compagnie passa la fête à Vendin-le-Vieil.Des quantités de cadeaux étaient arrivés.Comme Zanger,Gautherat,de Menglat et moi-même ne pouvions plus communiquer avec notre village,et donc ne pouvions pas recevoir de colis,le chef de compagnie nous donna quelques présents supplémentaires.On reçut également un gros paquet offert par une riche industrielle de Mannheim,qui avait voulu faire plaisir aux soldats coupés de leur pays natal.On couvrit une table entière de chocolat,de brioches au sucre,de bonbons,de cigarettes,de saucissons,de sardines à l'huile,de pipes,de bretelles,d'écharpes,de gants,etc...
Je distribuai du chocolat et des bonbons aux enfants rencontrés dans la rue.Bientôt ils me connurent tous,et dès que j'allais quelque part,ils arrivaient en courant pour me demander des friandises.Mais je ne pus leur en donner que le temps que durèrent mes provisions.
Ivan Cassagneau,artilleur français,dans "ce que chaque jour fait de veuves" (1er janvier 1915)
Fritz,toujours plein de délikatesse à notre égard,nous a envoyé ses voeux à sa façon.A minuit,douze coups de canon--des fusants tirés très haut dans le ciel pour ne pas faire de mal--nous ont appris la naissance de la nouvelle année.Nous n'avons pas répondu.
Le nouveau capitaine,C..de B...,vient au matin nous souhaiter la bonne année.Je le remercie et lui transmets les voeux de ma section.Le ravitaillement nous apporte les présents du grand-père Joffre: oranges,noix,jambons,cigares,champagne,une vraie nouba!
Les alpins ont une tenue bizarre:sur leur capote,ils arborent une peau de mouton qui leur donne une carrure terrible,et l'épaisse barbe que tous ont laissée pousser les apparente vraiment à l'homme des cavernes.Peu loquaces,laborieux,ce sont d'autres voisins que les marsouins.Ils travaillent sans arrêt et en quelques jours transforment le sous-bois en un véritable village,propre et même coquet,remarquablement camouflé.
Le sous-lieutenant L.,venu à l'observatoire,me montre le document suivant:..."Ordre n°31.A partir de ce jour il ne sera plus fait de prisonniers.Tout ennemi pris,blessé ou non,sera mis à mort.Les prisonniers,même en grandes unités,seront mis à mort.Il ne doit plus rester derrière nous un seul Français vivant.signé:Von Stenger,général commandant le 58è corps d'armée allemand"
Je reste sans paroles,les hommes aussi.Eh bien,soit! Nous savons ce qu'il nous reste à faire.Ah,nous l'avons perdue depuis longtemps,cette sensiblerie du début qui nous arrachait des larmes quand,sous l'effet de nos 75,nous voyions les Feldgrau tomber en grappes!
Etienne Tanty,caporal français,dans "les violettes des tranchées" (jeudi 31 décembre 1914)
St Sylvestre.An 1914.
Je viens de me réveiller,ainsi que mon camarade de gourbi.Est-il 4 heures,n'est-il que midi? nous n'en savons rien.
J'ai déjeuné avec deux tablettes de chocolat tout à l'heure,après avoir mangé ce matin,à 5 heures,le rata cochon-patate.Quatorze heures de nuit glaciale hier, journée pluvieuse aujourd'hui,que sera-ce, ce soir? Je vais essayer de me rendormir car,jusqu'ici, je ne suis pas arrivé à me reposer;la terre du gourbi s'éboule,un gros rat fait un bruit infernal et le canon ne cesse de vous casser les oreilles,et le gourbi est incommode et obscur.
J'arrête là ma lettre;je pourrai vous écrire plus longtemps demain soir,je pense,car nous serons au bois.Dormir le jour,veiller la nuit,je perds la notion de tout.C'est une belle fin d'année! Que sera la prochaine? N'ayez pas le cafard;je vous embrasse et bonsoir.
1er Janvier 1915.Il est nuit;je me réveille d'un profond sommeil mais dans lequel j'ai tout le temps gémi,paraît-il.Je n'ai que le temps de remettre ce petit mot au cuisinier pour partir ce soir.Hélàs! je ne crois guère aux souhaits et c'est si triste, ce 1er janvier.(...)
Jules Isaac,caporal français,dans "lettres et carnets 1914-1917-un historien dans la Grande Guerre" (samedi 1er janvier 1916)
Premier jour de l'An.Je viens de sortir dans la boue glissante,au petit jour,pour souhaiter la bonne année à mes poilus avant leur départ pour la corvée.Pour faire cinquante mètres sur le terrain,dès qu'il a plu comme cette nuit,il faut risquer vingt fois la "bûche".Ils auront pour leur soupe de dix heures les bouteilles de champagne,repos l'après-midi--si peu que ce soit c'est bon à prendre,et les poilus sont devenus des enfants qu'un rien satisfait.
Des enfants à un certain point de vue;c'est une mentalité difficile à déchiffrer que celle du poilu,et je vois bien par ce qu'on écrit dans les journaux et dans les lettres qu'à l'arrière on n'y comprend pas grand-chose.On s'en fait une idée simpliste et romantique.Combien la réalité est différente et vous réserve de surprises!
On met en scène le poilu presque quotidiennement dans les nouvelles que publient les journaux et les revues.Je n'ai rien lu de vraiment satisfaisant--il est vrai que je n'ai pas lu "Gaspard",le prix Goncourt,dont on a dit beaucoup de bien.
Le poilu est un type à la Maupassant--autant qu'on peut le ramener à un type unique--,très amer et de poil fréquemment hérissé.La vie que nous menons nous rend durs,extrêmement durs,elle nous ramène à une mentalité primitive,sauvage,où l'instinct domine avec violence.C'est ce qui fait précisément le caractère indéchiffrable du poilu,civilisé ramené brusquemment à la barbarie.Quand vous le revoyez en permission,il vous paraît être le même,le même homme qu'avant la guerre;détrompez-vous,il a profondément changé;au fond de lui-même bouillonne une vie sauvage qui vous effraierait si elle vous était brusquemmment révélée.Vous ne pourrez pas le croire,je le comprends parfaitement,vous qui continuez à vous mouvoir dans le même plan qu'auparavant-et pourtant c'est vrai.
Après la guerre,peut-être,au bout d'un certain temps,redeviendront-ils eux-mêmes,ce qu'ils étaient avant la guerre,des hommes quelconques.Mais cela ne se fera pas instantanément.Comme la Révolution,le cataclysme auquel nous assistons est une de ces crises humaines qui ressemblent aux grands bouleversements de la nature,à un déchaînement volcanique,dont l'intensité décroît progressivement par degrés,avec par moments de brusques réveils.
Ne croyons pas hélàs que tout sera fini avec la paix surtout,la guerre ayant rompu l'équilibre du corps social,au détriment des ruraux (et rien n'étant plus mauvais que la colère profonde de Jacques Bonhomme).Ce souvenir historique me ramène au poilu:je le vois proche parent du paysan des anciennes jacqueries.
Louis Barthas,caporal français, dans ses "carnets de guerre" (fin décembre 1916)
et la Noël arriva.La seule différence qu'il y eût avec les autres jours fût qu'on n'alla pas à l'exercice,mais ce jour-là les journaux en lettres énormes annonçaient la sensationnelle proposition de paix de l'empereur Guillaume d'Allemagne.
Il y eut une lueur d'espérance qui fût bientôt éteinte.Les journaux serviles sur l'ordre des déments qui nous gouvernaient,hurlèrent de joie,d'allégresse,déduisant,prouvant que si l'empereur faisait une offre pareille,c'est qu'il était à bout de tout,d'argent,de vivres,de munitions.Il fallait non pas négocier mais se préparer pour le suprême effort,l'hallali final,la mise à mort de l'ennemi épuisé,à bout de souffle.
En résistant encore deux années,l'Allemagne a prouvé qu'elle avait encore les moyens de continuer la guerre et que nos gouvernants avaient menti.
Certes,je ne prétends pas défendre ici l'odieux Kaiser,incarnation vivante de militarisme autoritaire,hautain et brutal mais il a eu un geste qui l'honore en invitant les dirigeants des peuples en guerre à essayer de se réunir et de s'entendre pour arrêter l'effusion de sang.
En refusant d'écouter ou connaître les propositions de l'empereur sous prétexte qu'elles ne devaient pas être sincères,nos dirigeants ont assumé une terrible responsabilité devant l'Histoire et donné le beau rôle au Kaiser.
Olivier Guilleux,sous-lieutenant français prisonnier de guerre ,dans "la grande guerre d'Olivier Guilleux" (début janvier 1917)
Chers parents,chères soeurs,
Nous voilà en 1917,je vous ai quitté en 1914.Bien des choses se sont passés durant cet intervalle et pourtant,il me semble que ces trois années de ma vie,ou,plus exactement,ces trente mois,furent à peu près stériles.C'est que la vie en captivité se rétrécit,se réduit à presque rien.En un mot,ce temps ne compte pas.
Alors qu'en France,dans le chaud du danger,la vie est décuplée,ici,pour peu qu'on se laisse aller,on perd insensiblement toutes ses forces intellectuelles et physiques.N'allez pourtant pas croire que je vais vous revenir,usé et décrépit.Dieu merci,j'ai su,jusqu'ici me garder de toutes les influences déprimantes,abrutissantes.Pour moi,je me trouve aussi jeune qu'en 1914.(...)
Emilio Lussu,lieutenant italien,dans "les hommes contre" ( fin décembre 1916)
A Noël,nous étions encore dans les tranchées.
Les Autrichiens,normalement,respectaient toutes les fêtes religieuses.Pour les fêtes importantes,ils ne tiraient pas des tranchées et même leur artillerie se taisait.Mais cette fois,nos postes d'écoute avaient réussi à intercepter un message téléphonique ennemi,dans lequel il était question d'une mine qui devait sauter pour Noël,à minuit.Cette mine,nous supposions qu'elle était enfouie dans le rocher,sous nos tranchées,à l'extrême droite de notre secteur.
Nos appareils avaient perçu le bruit des perforatrices,fin octobre,et les commandements étaient constamment préoccupés.Si nos positions sautaient à cet endroit,les Autrichiens,profitant de la surprise,interrompraient,en même temps que nos lignes,nos communications et occuperaient le point dominant la vallée où se rejoignaient les deux divisions.Le flanc droit de notre brigade allait être,de surcroît,complètement vulnérable.
Notre bataillon connaissait,plus que les autres,ces positions, et le commandement ordonna à deux compagnies,la 9ème d'Avellini et la 10ème,la mienne,de rester en ligne la nuit de Noël.(...) La 9ème compagnie occupa le secteur de la mine,et la mienne fut postée en réserve,dans une proximité immédiate,pour être prête à contre-attaquer après l'explosion.Nous,les officiers,étions les seuls à savoir quand cela devait arriver.Les soldats,eux,regrettaient seulement d'avoir dû rester en ligne alors que le reste du régiment passait Noël au repos.Une généreuse distribution de chocolat et de cognac avait éveillé quelques soupçons,vite dissipés par la considération que c'était une compensation due à ce service exceptionnel.(...)
Nous visitâmes tous deux les postes les plus avancés.Les artilleurs étaient à leurs pièces,avec leurs officiers.Tout était en ordre.
Je retournai dans ma compagnie.Dans les abris,les soldats buvaient et fumaient.Je m'assis avec eux et attendis minuit.
Un quart d'heure avant minuit,je fis disposer les soldats par escouades,prêts à sortir des abris pour courir aux boyaux.Au fur et à mesure que minuit approchait,les soldats comprenaient qu'il allait se passer quelque chose d'insolite et s'interrogeaient les uns les autres du regard.Je leur dis qu'on craignait une attaque surprise et qu'il fallait être prêts à la riposte.Mais,plus l'heure attendue et redoutée s'approchait,plus mon esprit s'éloignait de ma compagnie,de la mine,des lieux alentours.(...)
Quand je regardai ma montre,il était minuit passé.La mine ne sautait pas.J'envoyai quelqu'un auprès d'Avellini pour en savoir plus.Il me répondit qu'il n'avait rien remarqué d'insolite et que dans la tranchée ennemie,on montait la garde comme les autres nuits.
Nous attendîmes,moins préoccupés,jusqu'à l'aube.Et si les postes d'interception s'étaient trompés? Et si les Autrichiens nous avaient joué un mauvais tour?...
Amand Saint-Pierre,dans "la Grande Guerre entre les lignes" (1er janvier 1918)
Nouvelle année qui s'annonce sous des auspices peu rassurants.Caractéristiques de l'esprit des poilus:résignation,anxiété,mais confiance quand même,lassitude et dégoût de toutes les saletés politiques.Toute la nuit,canon...intense.Départ demain matin.
je vais en rester là, histoire de ne pas vous lasser
si vous avez d'autres témoignages autour de cette période de fin d'année,issus d'écrits ou de lettres,connus ou inconnus,cela m'intéresserait de les lire
c'était il y a 90 ans...c'était hier
Joyeux Noël et très bonne année 2007 à vous et à vos proches
amicalement,
Mireille