Re: Abel Ferry - le Ministre combattant
Publié : ven. sept. 01, 2006 8:14 pm
Bonsoir à tous,
Voici un extrait de la lettre d'Abel à Hélène son épouse..
21 mai 1915 (Les Eparges - 2° CA)
……Hier j'ai fait une longue reconnaissance : une pente sinistre, presque à pic, descend dans la vallée de la "mort". Pas un arbre qu'un obus n'ai coupé; dans ce printemps verdoyant, la terre des Eparges est d'une stérilité volcanique. La plaine est verte, les bois des hauts de Meuse sont verts. Elle, elle est noire et retournée; partout des cratères, des trous énormes où l'on ensevelirait une escouade. Là, ont percuté des 105, des 150, des 210, des 280, des 305, des Minenwerfer. Les allemands appelle cela l'enfer des Combres. Une de leurs poésies sur un prisonnier dit: "Là, l'obus enterre les hommes. Horreur ! Là, l'obus les déterre. Horreur !"
Les tranchées sont construites en cadavres. Partout des pieds, des mains dépassent. On ne reconnaît plus les Allemands des Français qu'aux bottes. Un homme, donnant un coup de pioche dans le parapet, a crevé un ventre; du jus de cadavre lui a sauté au visage. La puanteur est épouvantable, il faut pourtant vivre, se battre et manger là.
Cinquante mille hommes sont tombés là; huit à dix mille sont peut-être ensevelis dans la boue de ces deux kilomètres carrés.
…..Pourquoi cinquante mille hommes, de part et d'autre, ont-ils sacrifiés pour la conquête de ce petit charnier ?
La pauvreté de conception de nos grands chefs n'a d'égal que l'héroïsme et la foi de tous ces cadavres.
Pauvres familles ! Ce sont là les "disparus". Jamais elles ne recevront la pauvre médaille d'identité accrochée à leur cou. Ils descendent inconnue dans la boue : Misère et Grandeur.
Je suis hors de moi. J'ai cheminé sous les balles qui rasent, presque à plat ventre vers les Minenwerfer qui tombent. Je ne comprends pas. L'art de la guerre se réduit à être un boucher méthodique. Ce monstrueux grignotage de la France m'écoeure. Tant d'héroïsme si mal utilisé, pas d'autre pensée stratégique que de choisir un terrain au petit bonheur. Ah ! c'est la démocratie, le peuple, Monsieur "Tout le monde" qui nous aura sauvés. Mais les grands chefs auxquels on fait une réputation : néant !…
Le 26 mai 1915 dans ses carnets secrets, il écrit ceci :
"Il est conté dans mes notes sur la guerre comment le général Joffre, averti par des indiscrétions filtrant du Conseil des ministres de mes critiques sur la conduite de la guerre, frappa dans le lieutenant Abel Ferry le ministre trop renseigné. (Joffre l'affecte à un secteur inactif à Nieuport en Belgique)
Soldat je m'incline. Mais Ministre, je crus devoir demander à Viviani si je pouvais continuer de dire au Conseil ce que le militaire au combat avait appris. Il m'écouta lut l'ordre de Joffre et d'un ton vif me dit :
"Si vous croyez que c'est pour avoir dit ce que vous savez au Conseil, que vous êtes frappé, je vais demander des explications. Je n'admets pas le G.Q.G. agisse ainsi".
Je le remerciai, mais refusé, décidé à obéir. Il me dit de continuer à le renseigner."
Abel Ferry - neveu de Jules - Il est nommé, à 33ans, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères dans le premier gouvernement de la guerre. Il est réformé pour des raisons de santé, il fait casser cette décision et le 3 août 1914, il donne sa démission pour rejoindre son régiment à la frontière - Sa démission est refusée - il sera un ministre - puis député soldat des vosges et membre de la commission de l'Armée.
Sous-Lieutenant au 166° RI - puis officier mitrailleur au 91° R.I. Il sera mortellement blessé par un obus et meurt le 15 septembre 1918
Pour ceux qui ne le connaissent pas, je conseille ce Livre :
"Abel Ferry - Carnets secrets 1914/1918 chez Grasset.
Bien cordialement
Alain
Voici un extrait de la lettre d'Abel à Hélène son épouse..
21 mai 1915 (Les Eparges - 2° CA)
……Hier j'ai fait une longue reconnaissance : une pente sinistre, presque à pic, descend dans la vallée de la "mort". Pas un arbre qu'un obus n'ai coupé; dans ce printemps verdoyant, la terre des Eparges est d'une stérilité volcanique. La plaine est verte, les bois des hauts de Meuse sont verts. Elle, elle est noire et retournée; partout des cratères, des trous énormes où l'on ensevelirait une escouade. Là, ont percuté des 105, des 150, des 210, des 280, des 305, des Minenwerfer. Les allemands appelle cela l'enfer des Combres. Une de leurs poésies sur un prisonnier dit: "Là, l'obus enterre les hommes. Horreur ! Là, l'obus les déterre. Horreur !"
Les tranchées sont construites en cadavres. Partout des pieds, des mains dépassent. On ne reconnaît plus les Allemands des Français qu'aux bottes. Un homme, donnant un coup de pioche dans le parapet, a crevé un ventre; du jus de cadavre lui a sauté au visage. La puanteur est épouvantable, il faut pourtant vivre, se battre et manger là.
Cinquante mille hommes sont tombés là; huit à dix mille sont peut-être ensevelis dans la boue de ces deux kilomètres carrés.
…..Pourquoi cinquante mille hommes, de part et d'autre, ont-ils sacrifiés pour la conquête de ce petit charnier ?
La pauvreté de conception de nos grands chefs n'a d'égal que l'héroïsme et la foi de tous ces cadavres.
Pauvres familles ! Ce sont là les "disparus". Jamais elles ne recevront la pauvre médaille d'identité accrochée à leur cou. Ils descendent inconnue dans la boue : Misère et Grandeur.
Je suis hors de moi. J'ai cheminé sous les balles qui rasent, presque à plat ventre vers les Minenwerfer qui tombent. Je ne comprends pas. L'art de la guerre se réduit à être un boucher méthodique. Ce monstrueux grignotage de la France m'écoeure. Tant d'héroïsme si mal utilisé, pas d'autre pensée stratégique que de choisir un terrain au petit bonheur. Ah ! c'est la démocratie, le peuple, Monsieur "Tout le monde" qui nous aura sauvés. Mais les grands chefs auxquels on fait une réputation : néant !…
Le 26 mai 1915 dans ses carnets secrets, il écrit ceci :
"Il est conté dans mes notes sur la guerre comment le général Joffre, averti par des indiscrétions filtrant du Conseil des ministres de mes critiques sur la conduite de la guerre, frappa dans le lieutenant Abel Ferry le ministre trop renseigné. (Joffre l'affecte à un secteur inactif à Nieuport en Belgique)
Soldat je m'incline. Mais Ministre, je crus devoir demander à Viviani si je pouvais continuer de dire au Conseil ce que le militaire au combat avait appris. Il m'écouta lut l'ordre de Joffre et d'un ton vif me dit :
"Si vous croyez que c'est pour avoir dit ce que vous savez au Conseil, que vous êtes frappé, je vais demander des explications. Je n'admets pas le G.Q.G. agisse ainsi".
Je le remerciai, mais refusé, décidé à obéir. Il me dit de continuer à le renseigner."
Abel Ferry - neveu de Jules - Il est nommé, à 33ans, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères dans le premier gouvernement de la guerre. Il est réformé pour des raisons de santé, il fait casser cette décision et le 3 août 1914, il donne sa démission pour rejoindre son régiment à la frontière - Sa démission est refusée - il sera un ministre - puis député soldat des vosges et membre de la commission de l'Armée.
Sous-Lieutenant au 166° RI - puis officier mitrailleur au 91° R.I. Il sera mortellement blessé par un obus et meurt le 15 septembre 1918
Pour ceux qui ne le connaissent pas, je conseille ce Livre :
"Abel Ferry - Carnets secrets 1914/1918 chez Grasset.
Bien cordialement
Alain