Re: Réflexions d'un brancardier
Publié : mer. mars 15, 2006 9:46 am
Bonjour à tous,
Voici ce qu’écrivait un brancardier du 133e R.I., dans les Vosges, en mai 1915 (orthographe et autres fautes de langue et coquilles en l'état) :
« Devant mon créneau, le soleil brille avec éclat, et la chaleur qu’il répand sur la campagne contracte singulièrement avec la fraicheur de la tranchée.
C’est alors que l’on regrette sa liberté perdue, et sa famille laissée si loin… Tout cela pourquoi ? Pour faire la chasse à l’homme. Tout cela pour faire depuis 9 mois ce métier atroce et barbare qu’on appelle « la guerre » !
Devant moi, à quelques mètres derrière d’autres créneaux, d’autres êtres humains, pères de familles, fils, frères, fiancées, nous guettent le fusil en mains et nous envoient à toute minutes des balles qui souvent font resonner le fer de nos créneaux et parfois blessent ou tuent quelques uns des notres.
A eux comme à nous on leurs a dit « Marchez » et ils ont marché. On leurs a dit « Tuez » et ils tuent, sans raison, sans pitié, comme ailleurs ils ont tué, violé, incendié !
C’est la guerre, impitoyable faucheuse qui sans aucune distinction moissonne les jeunes comme les vieux, les pères de famille et les garçons. Et sur ce spectacle douloureux auquel la grosse voix du canon prete ses rugissements, le soleil, le soleil pâle et chaud du printemps jette ses rayons !
Et pour que rien ne manque à la fête, voici qu’un ronflement se fait entendre dans loin, dans lazur du ciel. Soudain, un grand oiseau blanc se détache. C’est un aéro qui fait une reconnaissance. Car ces oiseaux, si gentil en temps de paix, sont devenus, eux aussi, des instruments de morts.
Ainsi que les hirondelles aux beaux jours, eux aussi quittent leurs hangard aux premiers rayons du soleil et parcourent le firmament pour préparer à la sinistre moissonneuse de nouvelles et nombreuses victimes.
J’ai lu autrefois que dans l’homme il y avait l’ange et la bête. La guerre a tué l’ange, il est resté la bête. La bête qui mange et boit, par instinct et par necessité. La bête qui marche et obeït, par quelle ne peut plus faire autrement. La bête enfin qui souffre et n’ose crier sa douleur par crainte du fouet.
Sous la peau de cette bête, il y avait autrefois des citoyens qui se vantaient d’être libres. On leur a dit « Prenez garde », la guerre vient et l’on vous ménera à l’abatoir. Mais ils ne l’ont pas cru, certains ont ri, d’autres ont fermé les yeux.
Aujourd’hui le crime est consommé. Depuis plus de 9 mois le citoyens est devenu la bête enchainée. Depuis 9 mois, la lutte se poursuit sans trêve et la bête se grise de sang. Depuis plus de 9 mois, la bête vit dans la terre des tranchées comme le renard dans son terrier, guettant une autre bête à tuer sans avoir seulement l’excuse de la faim.
C’est la guerre, c’est l’humanité, c’est la civilisation. Et dire que nous voulions civiliser les Marocains et que les Boches voulaient porter leur « Kultur » aux nègres du Congo. Il y aurait de quoi mourir de rire si le rire était permis, quant on sent monter près de soi tant de sanglots de veuves et d’orphelins.
Beau soleil de printemps, puisses-tu secher toutes ces larmes et faire bientôt luire sur nos têtes les rayons d’une paix bienfaisante et durable. »
Le 6 juin 1915, le brancardier C. eut le genou broyé dans les environs de Metzeral. Il fut évacué sur Gérardmer, Epinal où il reçut la croix de guerre le 14 juillet, Montpellier, puis Palavas-les-Flots. Il ne retourna pas au front.
Bien cordialement,
Eric Mansuy
Voici ce qu’écrivait un brancardier du 133e R.I., dans les Vosges, en mai 1915 (orthographe et autres fautes de langue et coquilles en l'état) :
« Devant mon créneau, le soleil brille avec éclat, et la chaleur qu’il répand sur la campagne contracte singulièrement avec la fraicheur de la tranchée.
C’est alors que l’on regrette sa liberté perdue, et sa famille laissée si loin… Tout cela pourquoi ? Pour faire la chasse à l’homme. Tout cela pour faire depuis 9 mois ce métier atroce et barbare qu’on appelle « la guerre » !
Devant moi, à quelques mètres derrière d’autres créneaux, d’autres êtres humains, pères de familles, fils, frères, fiancées, nous guettent le fusil en mains et nous envoient à toute minutes des balles qui souvent font resonner le fer de nos créneaux et parfois blessent ou tuent quelques uns des notres.
A eux comme à nous on leurs a dit « Marchez » et ils ont marché. On leurs a dit « Tuez » et ils tuent, sans raison, sans pitié, comme ailleurs ils ont tué, violé, incendié !
C’est la guerre, impitoyable faucheuse qui sans aucune distinction moissonne les jeunes comme les vieux, les pères de famille et les garçons. Et sur ce spectacle douloureux auquel la grosse voix du canon prete ses rugissements, le soleil, le soleil pâle et chaud du printemps jette ses rayons !
Et pour que rien ne manque à la fête, voici qu’un ronflement se fait entendre dans loin, dans lazur du ciel. Soudain, un grand oiseau blanc se détache. C’est un aéro qui fait une reconnaissance. Car ces oiseaux, si gentil en temps de paix, sont devenus, eux aussi, des instruments de morts.
Ainsi que les hirondelles aux beaux jours, eux aussi quittent leurs hangard aux premiers rayons du soleil et parcourent le firmament pour préparer à la sinistre moissonneuse de nouvelles et nombreuses victimes.
J’ai lu autrefois que dans l’homme il y avait l’ange et la bête. La guerre a tué l’ange, il est resté la bête. La bête qui mange et boit, par instinct et par necessité. La bête qui marche et obeït, par quelle ne peut plus faire autrement. La bête enfin qui souffre et n’ose crier sa douleur par crainte du fouet.
Sous la peau de cette bête, il y avait autrefois des citoyens qui se vantaient d’être libres. On leur a dit « Prenez garde », la guerre vient et l’on vous ménera à l’abatoir. Mais ils ne l’ont pas cru, certains ont ri, d’autres ont fermé les yeux.
Aujourd’hui le crime est consommé. Depuis plus de 9 mois le citoyens est devenu la bête enchainée. Depuis 9 mois, la lutte se poursuit sans trêve et la bête se grise de sang. Depuis plus de 9 mois, la bête vit dans la terre des tranchées comme le renard dans son terrier, guettant une autre bête à tuer sans avoir seulement l’excuse de la faim.
C’est la guerre, c’est l’humanité, c’est la civilisation. Et dire que nous voulions civiliser les Marocains et que les Boches voulaient porter leur « Kultur » aux nègres du Congo. Il y aurait de quoi mourir de rire si le rire était permis, quant on sent monter près de soi tant de sanglots de veuves et d’orphelins.
Beau soleil de printemps, puisses-tu secher toutes ces larmes et faire bientôt luire sur nos têtes les rayons d’une paix bienfaisante et durable. »
Le 6 juin 1915, le brancardier C. eut le genou broyé dans les environs de Metzeral. Il fut évacué sur Gérardmer, Epinal où il reçut la croix de guerre le 14 juillet, Montpellier, puis Palavas-les-Flots. Il ne retourna pas au front.
Bien cordialement,
Eric Mansuy