Re: Inquisiteur le Villaret !
Publié : mar. oct. 30, 2007 9:31 pm
Bonsoir à toutes et à tous,
Le général de division de Villaret a fait parlé de lui par ailleurs...
Voici un rapport de sa main qui mérite le détour. Jugement sans appel sur des officiers
Contexte : Vosges, Hartmannswillerkopf, 27 décembre 1916, rapport du général de Villaret commandant la VIIe armée adressé au général Dubail, commandant le G.A.E. au sujet de l'attaque des 21 et 22 décembre.
VIIe Armée
Etat-Major
729 s/l
Confidentiel
Au Q.G., le 17 décembre 1915.
Le général de division de Villaret, commandant la VIIe armée, à Monsieur le général Dubail, commandant le groupe d'armées de l'Est.
J'ai l'honneur de vous adresser les conclusions de l'enquête à laquelle j'ai procédé, en vue d'établir à qui pouvait incomber les responsabilités de l'échec du 152e régiment [81e brigade / 66e division].
J'ai été amené à étudier l'activité des trois chefs intéressés : le général de division, le colonel commandant la 81e brigade et le lieutenant-colonel commandant le 152e régiment ; j'ai examiné également les ordres donnés par chacun d'eux.
I. Général commandant la division.
Dans son ordre d'opérations, le général de division prescrit :
- de prévoir le changement des P.C. de la brigade et du régiment de manière que les différents chefs puissent engager opportunément leurs réserves ;
- de progresser au delà des premières tranchées conquises avec des compagnies de première ligne et de deuxième ligne.
Il effectue en une 1/2 heure, de 16h30 à 17h, son changement de P.C., trouvant le moyen, à 16h45, de causer au "camp de Pierres" avec le ct Bonnotte, du 23e régiment, l'invitant dès maintenant à se mettre immédiatement en relation avec la gauche du 152e.
Il donne l'ordre, dès 19h10, que le bataillon Bonnotte soit mis à la disposition du colonel Goybet, comme réserve de brigade. Il prévoit dans son esprit l'emplacement de ce bataillon, poussé de suite, au moins 2 compagnies, aux tranchées de première ligne. Il ne le dit pas au colonel Goybet, venu à son poste à 18h45. Le 47e bataillon de chasseurs, dont l'emplacement était prévu à Wagram dans l'ordre d'opérations de la division, n'a reçu que le 22 décembre à 11h20 l'ordre de monter de Moosch.
II. Brigade
Le colonel commandant la brigade ne prévoit pas avec assez de certitude le changement de son P.C. Il effectue entre 16h30 et 22h, passant par Thomannplatz, le camp Renié, le P.C. du ct du 15 bataillon de chasseurs, et n'arrive à l'emplacement qu'il doit occuper qu'à 22 heures.
Sollicité dès 19h30 par le lt-cl Semaire de renforcer le 152e qui n'a plus qu'une compagnie de réserve (compte rendu de 19h30, pièce n°4), il juge opportun d'attendre.
Il estime dans son rapport qu'il n'a pas cru pouvoir faire droit à ses demandes, ayant donné déjà une compagnie au 5e bataillon de chasseurs et craignant pour le 15e bataillon dont les objectifs n'étaient pas atteints.
Or le ct du 15e btn dispose depuis 19h de tout le bataillon Gardel, du 23e régiment, dont 3 compagnies sont seulement engagées, et le btn réserve de D.I. est installé au camp Renié dès le début de l'opération ; donc de ce côté il n'y avait, semble-t-il, aucune inquiétude immédiate.
En fait, il se trouve que le 5e et le 15e bataillons ont pu l'un et l'autre bénéficier de renforts, seul le 152e régiment n'a rien reçu.
Lorsque à 7h15, le 22 décembre, le ct du 152e demande du renfort, on lui donne 2 compagnies qui mettent pour se transporter à pied d'oeuvre plus de 3 heures, puisque (rapport du lt-cl Semaire), ayant été engagées et morcelées dans une marche pénible à travers les boyaux, la fraction de tête de la première compagnie n'arrive au poste Moirey qu'à 10h30.
A ce moment des patrouilles allemandes étaient signalées, débouchant devant le front de nos tranchées, sur le sommet de l'Hartmannswillerkopf.
III. Lt-colonel commandt le 152e régiment
Le lt-colonel Semaire a demandé, dès le 21 au soir, 19h30 (pièce n°4), que des renforts soient mis à sa disposition lorsqu'il a été manifeste, par suite de l'extension du front et des pertes subies (environ 350 hommes le premier jour) que ses deux compagnies seraient insuffisantes.
Les conditions tardives dans lesquelles ces renforts lui ont été donnés ne lui ont pas permis d'en assurer l'emploi.
Conclusions
I. Préparation de l'attaque
Quant l'affaire de l'H.W.K. a été envisagée, il semble que son importance ait tout d'abord échappé aux exécutants (division, etc.) Au fur et à mesure que l'échéance approche, les difficultés de la préparation surgissent, en particulier au point de vue du front de départ à organiser. La date de l'opération, fixée d'abord aux premiers jours de décembre, est reculée au 10, puis au 15 ; elle a lieu le 21.
II. Exécution de l'attaque
La préparation par l'artillerie, bien étudiée, a été très bien faite (durée, 5 heures)
Dans l'assaut la troupe a fait tout son devoir ; d'un moral parfait, avec un entrain magnifique et un calme impressionnant, elle a donné ce que ses chefs lui ont demandé.
Au sud - 28e btn et droite du 27e - les objectifs ont été atteints et conservés ; l'opération a été très bien conduite.
A la 81e brigade, dont la mission était beaucoup plus difficile en raison de l'action divergente, la densité des troupes d'attaque, diminuant au fur et à mesure de la progression, paraît trop faible aux exécutants pour maintenir des fractions de soutien. Il importait à ce moment d'ordonner le mouvement des réserves. Je crois avoir mis en lumière les fautes du commandement.
Le général de division a conçu et ordonné en temps voulu les dispositions à prendre. Il aurait dû en contrôler l'exécution. Il importait aussi, pour matérialiser le succès et assurer, quoi qu'il arrivât, la conservation du sommet de l'H.W.K., de faire occuper et organiser les premières tranchées conquises. Rien ne fut fait, semble-t-il, à aucun échelon dans cet ordre d'idées.
Le général de division couvre ses subordonnés. C'est incontestablement un beau geste ; j'estime qu'il n'est pas entièrement justifié.
Le colonel Goybet a laissé flottant le commandement de sa brigade, en particulier celui du 152e entre 16h30 et 22h ; il était essentiel d'assurer d'abord le fonctionnement de son nouveau P.C. avant de se déplacer.
Le mouvement lent et tardif des compagnies du bataillon Bonnotte (23e régiment d'infanterie, camp de Pierres) le 22, entre 8 et 11h, lui est entièrement imputable. Sa connaissance de la guerre spéciale de montagne devait lui donner le sentiment impérieux d'une décision à prendre dès le soir du 21.
J'estime qu'il y a lieu de le relever du commandement de sa brigade, pour laquelle le colonel Gratier, de la 157e division, me parâit indiqué, et de lui donner le commandement d'un régiment à 3 bataillons.
Le lt-colonel Semaire a exercé le commandement de son régiment dans des conditions qui semblent peu prêter à la critique. Ne disposant que de 2 compagnies de réserve, il en a maintenu une à sa disposition jusqu'au 22 décembre 7h, heure de la contre-attaque ennemie. Il a attendu l'arrivée des compagnies du 23e régiment qui lui étaient données et a assuré personnellement leur départ pour l'attaque, que la brusque intervention de l'ennemi a rendue impossible.
Peut-être, aurait-il dû aller pendant la nuit causer avec ses trois chefs de bataillon. Arrivé depuis 3 jours, après avoir été depuis le commencement de la campagne sous-chef d'état-major du 7e C.A. et chef d'état-major du 35e C.A., il mérite qu'on lui fasse crédit.
Quant au général Serret, c'est un officier général d'une intelligence brillante et primesautière et plein de confiance en soi. La nature de son commandement étendu et compartimenté me semble avoir exagéré ses qualités d'initiative et d'indépendance.
De plus, il me paraît ne pas serrer les questions d'assez près, agit parfois d'impulsion, et, dans ces conditions, gagnerait à être stabilisé dans son rôle de divisionnaire où, l'expérience journalière aidant, il ajoutera aux qualités remarquables qui le distinguent déjà plus de précision, de mesure et de pondération.
Villaret.
Je n'ai pas trouvé dans mes archives si de Villaret a eu gain de cause sur le cas Goybet, mais en tout cas il y a deux choses dont je suis certain :
- le colonel Gratier qui commandait la 314e brigade (157e D.I.) n'a pas été mis à la tête de la 81e brigade comme il le désirait. Il deviendra en mars 1916 général de brigade et commande alors la 46e D.I. nouvellement crée.
- le général Serret a bien pris en compte ses directives : "...il me paraît ne pas serrer les questions d'assez près..." Tellement près que deux jours après la rédaction de ce rapport, le général Serret a été blessé mortellement lors de l'attaque allemande du 29 décembre...
Sacré de Villaret ! Jugement très fin !
Bien cordialement
Guilhem LAURENT
Le général de division de Villaret a fait parlé de lui par ailleurs...

Voici un rapport de sa main qui mérite le détour. Jugement sans appel sur des officiers
Contexte : Vosges, Hartmannswillerkopf, 27 décembre 1916, rapport du général de Villaret commandant la VIIe armée adressé au général Dubail, commandant le G.A.E. au sujet de l'attaque des 21 et 22 décembre.
VIIe Armée
Etat-Major
729 s/l
Confidentiel
Au Q.G., le 17 décembre 1915.
Le général de division de Villaret, commandant la VIIe armée, à Monsieur le général Dubail, commandant le groupe d'armées de l'Est.
J'ai l'honneur de vous adresser les conclusions de l'enquête à laquelle j'ai procédé, en vue d'établir à qui pouvait incomber les responsabilités de l'échec du 152e régiment [81e brigade / 66e division].
J'ai été amené à étudier l'activité des trois chefs intéressés : le général de division, le colonel commandant la 81e brigade et le lieutenant-colonel commandant le 152e régiment ; j'ai examiné également les ordres donnés par chacun d'eux.
I. Général commandant la division.
Dans son ordre d'opérations, le général de division prescrit :
- de prévoir le changement des P.C. de la brigade et du régiment de manière que les différents chefs puissent engager opportunément leurs réserves ;
- de progresser au delà des premières tranchées conquises avec des compagnies de première ligne et de deuxième ligne.
Il effectue en une 1/2 heure, de 16h30 à 17h, son changement de P.C., trouvant le moyen, à 16h45, de causer au "camp de Pierres" avec le ct Bonnotte, du 23e régiment, l'invitant dès maintenant à se mettre immédiatement en relation avec la gauche du 152e.
Il donne l'ordre, dès 19h10, que le bataillon Bonnotte soit mis à la disposition du colonel Goybet, comme réserve de brigade. Il prévoit dans son esprit l'emplacement de ce bataillon, poussé de suite, au moins 2 compagnies, aux tranchées de première ligne. Il ne le dit pas au colonel Goybet, venu à son poste à 18h45. Le 47e bataillon de chasseurs, dont l'emplacement était prévu à Wagram dans l'ordre d'opérations de la division, n'a reçu que le 22 décembre à 11h20 l'ordre de monter de Moosch.
II. Brigade
Le colonel commandant la brigade ne prévoit pas avec assez de certitude le changement de son P.C. Il effectue entre 16h30 et 22h, passant par Thomannplatz, le camp Renié, le P.C. du ct du 15 bataillon de chasseurs, et n'arrive à l'emplacement qu'il doit occuper qu'à 22 heures.
Sollicité dès 19h30 par le lt-cl Semaire de renforcer le 152e qui n'a plus qu'une compagnie de réserve (compte rendu de 19h30, pièce n°4), il juge opportun d'attendre.
Il estime dans son rapport qu'il n'a pas cru pouvoir faire droit à ses demandes, ayant donné déjà une compagnie au 5e bataillon de chasseurs et craignant pour le 15e bataillon dont les objectifs n'étaient pas atteints.
Or le ct du 15e btn dispose depuis 19h de tout le bataillon Gardel, du 23e régiment, dont 3 compagnies sont seulement engagées, et le btn réserve de D.I. est installé au camp Renié dès le début de l'opération ; donc de ce côté il n'y avait, semble-t-il, aucune inquiétude immédiate.
En fait, il se trouve que le 5e et le 15e bataillons ont pu l'un et l'autre bénéficier de renforts, seul le 152e régiment n'a rien reçu.
Lorsque à 7h15, le 22 décembre, le ct du 152e demande du renfort, on lui donne 2 compagnies qui mettent pour se transporter à pied d'oeuvre plus de 3 heures, puisque (rapport du lt-cl Semaire), ayant été engagées et morcelées dans une marche pénible à travers les boyaux, la fraction de tête de la première compagnie n'arrive au poste Moirey qu'à 10h30.
A ce moment des patrouilles allemandes étaient signalées, débouchant devant le front de nos tranchées, sur le sommet de l'Hartmannswillerkopf.
III. Lt-colonel commandt le 152e régiment
Le lt-colonel Semaire a demandé, dès le 21 au soir, 19h30 (pièce n°4), que des renforts soient mis à sa disposition lorsqu'il a été manifeste, par suite de l'extension du front et des pertes subies (environ 350 hommes le premier jour) que ses deux compagnies seraient insuffisantes.
Les conditions tardives dans lesquelles ces renforts lui ont été donnés ne lui ont pas permis d'en assurer l'emploi.
Conclusions
I. Préparation de l'attaque
Quant l'affaire de l'H.W.K. a été envisagée, il semble que son importance ait tout d'abord échappé aux exécutants (division, etc.) Au fur et à mesure que l'échéance approche, les difficultés de la préparation surgissent, en particulier au point de vue du front de départ à organiser. La date de l'opération, fixée d'abord aux premiers jours de décembre, est reculée au 10, puis au 15 ; elle a lieu le 21.
II. Exécution de l'attaque
La préparation par l'artillerie, bien étudiée, a été très bien faite (durée, 5 heures)
Dans l'assaut la troupe a fait tout son devoir ; d'un moral parfait, avec un entrain magnifique et un calme impressionnant, elle a donné ce que ses chefs lui ont demandé.
Au sud - 28e btn et droite du 27e - les objectifs ont été atteints et conservés ; l'opération a été très bien conduite.
A la 81e brigade, dont la mission était beaucoup plus difficile en raison de l'action divergente, la densité des troupes d'attaque, diminuant au fur et à mesure de la progression, paraît trop faible aux exécutants pour maintenir des fractions de soutien. Il importait à ce moment d'ordonner le mouvement des réserves. Je crois avoir mis en lumière les fautes du commandement.
Le général de division a conçu et ordonné en temps voulu les dispositions à prendre. Il aurait dû en contrôler l'exécution. Il importait aussi, pour matérialiser le succès et assurer, quoi qu'il arrivât, la conservation du sommet de l'H.W.K., de faire occuper et organiser les premières tranchées conquises. Rien ne fut fait, semble-t-il, à aucun échelon dans cet ordre d'idées.
Le général de division couvre ses subordonnés. C'est incontestablement un beau geste ; j'estime qu'il n'est pas entièrement justifié.
Le colonel Goybet a laissé flottant le commandement de sa brigade, en particulier celui du 152e entre 16h30 et 22h ; il était essentiel d'assurer d'abord le fonctionnement de son nouveau P.C. avant de se déplacer.
Le mouvement lent et tardif des compagnies du bataillon Bonnotte (23e régiment d'infanterie, camp de Pierres) le 22, entre 8 et 11h, lui est entièrement imputable. Sa connaissance de la guerre spéciale de montagne devait lui donner le sentiment impérieux d'une décision à prendre dès le soir du 21.
J'estime qu'il y a lieu de le relever du commandement de sa brigade, pour laquelle le colonel Gratier, de la 157e division, me parâit indiqué, et de lui donner le commandement d'un régiment à 3 bataillons.
Le lt-colonel Semaire a exercé le commandement de son régiment dans des conditions qui semblent peu prêter à la critique. Ne disposant que de 2 compagnies de réserve, il en a maintenu une à sa disposition jusqu'au 22 décembre 7h, heure de la contre-attaque ennemie. Il a attendu l'arrivée des compagnies du 23e régiment qui lui étaient données et a assuré personnellement leur départ pour l'attaque, que la brusque intervention de l'ennemi a rendue impossible.
Peut-être, aurait-il dû aller pendant la nuit causer avec ses trois chefs de bataillon. Arrivé depuis 3 jours, après avoir été depuis le commencement de la campagne sous-chef d'état-major du 7e C.A. et chef d'état-major du 35e C.A., il mérite qu'on lui fasse crédit.
Quant au général Serret, c'est un officier général d'une intelligence brillante et primesautière et plein de confiance en soi. La nature de son commandement étendu et compartimenté me semble avoir exagéré ses qualités d'initiative et d'indépendance.
De plus, il me paraît ne pas serrer les questions d'assez près, agit parfois d'impulsion, et, dans ces conditions, gagnerait à être stabilisé dans son rôle de divisionnaire où, l'expérience journalière aidant, il ajoutera aux qualités remarquables qui le distinguent déjà plus de précision, de mesure et de pondération.
Villaret.
Je n'ai pas trouvé dans mes archives si de Villaret a eu gain de cause sur le cas Goybet, mais en tout cas il y a deux choses dont je suis certain :
- le colonel Gratier qui commandait la 314e brigade (157e D.I.) n'a pas été mis à la tête de la 81e brigade comme il le désirait. Il deviendra en mars 1916 général de brigade et commande alors la 46e D.I. nouvellement crée.
- le général Serret a bien pris en compte ses directives : "...il me paraît ne pas serrer les questions d'assez près..." Tellement près que deux jours après la rédaction de ce rapport, le général Serret a été blessé mortellement lors de l'attaque allemande du 29 décembre...
Sacré de Villaret ! Jugement très fin !
Bien cordialement
Guilhem LAURENT