Re: La reconnaissance du lieutenant Grellet (8 août 1914)
Publié : sam. mai 07, 2011 6:50 pm
Bonjour à tous,
Si le 19e Chasseurs à Cheval, surtout en tout début de guerre, intéresse qui que ce soit...
Bien cordialement,
Eric Mansuy
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« Le lieutenant Henri Grellet, du 19e régiment de chasseurs à cheval, mort héroïquement les armes à la main, le 8 août 1914, dans les rues du village de Mercy-le-Bas (Meurthe-et-Moselle), né à Allègre (Haute-Loire) le 9 juillet 1882, était le deuxième fils de M. Emmanuel Grellet de la Deyte, ancien sous-préfet, maire d’Allègre, conseiller général de la Haute-Loire, chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, et de Madame, née de Landrian de Fisson du Montet, baronne héréditaire du Saint-Empire. Marié le 26 juin 1911 à Mlle Jenny Calemard de la Fayette, sœur du délicat poète, Olivier de la Fayette, et petite-fille de l’auteur du « Poème des Champs » couronné par l’Académie Française, il appartenait, par son alliance, aussi bien que par sa naissance, à deux familles des plus anciennes, des plus distinguées de la Haute-Loire, l’une et l’autre fécondes en hommes de cœur et de talent qui ont, depuis des siècles, bien servi la France sur les champs de bataille et dans nos assemblées politiques. […]
Le 31 juillet 1914, dans une lettre à sa mère, après avoir exprimé à ses parents qu’il s’attend à être rappelé par dépêche, sans arrêt possible, avec le regret de ne pouvoir leur fixer un rendez-vous à Paris, pour les embrasser « avant la séparation qui peut être longue et dure », Henri Grellet ajoute : « Mais je suis plein d’enthousiasme ! Un soldat ne doit pas aller à la guerre avec un cœur triste. Si j’étais sans famille, je me féliciterais de ce déclanchement général. Jamais l’occasion n’aurait été pour nous aussi favorable ; je me confie à Dieu ! »
Il part le 2 août, rejoint le dépôt de son régiment à la Fère le 3, et entre en campagne le 4 août, à Srtenay (sur la Meuse). Déjà les Allemands avaient occupé Briey (Meurthe-et-Moselle) et envahi la partie frontière de cet arrondissement. Le samedi 8 août, au matin, le lieutenant Grellet fut chargé d’une reconnaissance périlleuse et partit de Spincourt (Meuse), pour Saint-Suppelet et Mercy-le-Bas (Meurthe-et-Moselle). Avant d’arriver à Saint-Suppelet, il dit à son maréchal des logis : "Si je viens à mourir, je désire qu’on mette sur ma tombe « A vous le souvenir, à moi l’immortalité !" »
Il divise alors sa reconnaissance, en envoie une partie, sous la conduite du maréchal des logis, dans la direction de Xivry-Circourt et, gardant avec lui cinq cavaliers, pénètre dans Saint-Suppelet. Ce village se compose d’une seule rue à pente rapide au sommet de laquelle se trouve l’église. Il la monte et, brusquement, débouchent en deux pelotons, de chaque côté de l’église, une quarantaine de uhlans. Il se jette sur eux pour s’ouvrir un passage et, suivant l’expression de son colonel, « les charge avec une folle bravoure ». Ses hommes le suivent. L’un est tué, deux autres blessés hors de combat, l’un d’eux s’échappe et rapporte la nouvelle qu’il a vu le lieutenant vivant entouré d’Allemands qui avaient saisi la bride de son cheval. On le crût prisonnier ; il n’en était rien. Son courage, sa vigueur le sauvent, il se dégage, fait sa trouée et, suivi d’un seul chasseur, brise le cercle de fer et poursuit sa reconnaissance vers Mercy-le-Bas, qui est à quinze cents mètres au-delà.
D’après les témoignages de plusieurs habitants de Mercy-le-Bas, réfugiés, depuis, à la Fère et à Paris, et le rapport qu’ils ont fait au commandant du dépôt du 19e chasseurs, il fut rejoint dans leur village par un fort peloton de uhlans. Voici un passage de ce rapport : « … Le 8 août, à neuf heures du matin, le lieutenant Grellet fut entouré d’une vingtaine de uhlansdans le bas du village de Mercy-le-Bas, à la première maison dans la direction de Saint-Suppelet. Des habitants de Mercy-le-Bas disent que M. Grellet arrivait blessé de la direction de Saint-Suppelet. Les Allemands tirèrent des coups de feu, l’entourèrent, son cheval s’abattit et, lorsqu’il fut à terre, comme il refusait de se rendre et se défendait d’un seul bras, les uhlans lui portèrent de nombreux coups de lance (sept dans la poitrine). Mme C…, qui était présente, ajoute que les officiers allemands, eux-mêmes, lui dirent alors : « C’était un brave, il s’est bien défendu ! » Mme C… leur répondit : « Mais, de votre part, c’était un assassinat, vous étiez vingt contre un blessé. » Les Allemands repartirent au galop de leurs chevaux. Mmes V… et C…, deux Lorraines admirables de dévouement, relevèrent l’officier français qui ouvrit les yeux et rendit le dernier soupir entre leurs bras. Elles le firent transporter dans le chœur de l’église de Mercy-le-Bas, où de nombreux soldats allemands vinrent le considérer très respectueusement. M. le Curé de Mercy-le-Bas voulait l’enterrer le lendemain, dimanche, à la grand’ messe, mais il fut empêché, 6.000 Allemands étant cantonnés dans le village ce jour-là. Revêtu de ses effets militaires (sauf de la moitié de son dolman, que le lieutenant de uhlans lui avait arraché dans l’église), Henri Grellet fut entouré d’un drap. A défaut de cercueil, les menuisiers étant partis pour la guerre, on joignit autour de lui du mieux qu’on pût quatre planches et, le lundi matin 10 août, l’absoute eut lieu dans l’église. Tous les habitants de Mercy-le-Bas y assistèrent, avec des gerbes de fleurs qu’ils avaient apportées, et l’accompagnèrent pieusement dans leur petit cimetière en terre lorraine, près de la frontière, où il repose provisoirement. Sa tombe resta fleurie jusqu’au 22 août, jour où l’on se battit dans le village que les habitants se virent contraints d’abandonner et où ils n’ont pu rentrer depuis. »
Abbé Emmanuel ROUGIER, Livre d’Or de la Haute-Loire pour perpétuer la mémoire de ses enfants morts pour la Patrie durant la Grande Guerre commencée le 4 août 1914, premier volume, Brioude, Imprimerie L. Watel, 1914.
Si le 19e Chasseurs à Cheval, surtout en tout début de guerre, intéresse qui que ce soit...
Bien cordialement,
Eric Mansuy
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« Le lieutenant Henri Grellet, du 19e régiment de chasseurs à cheval, mort héroïquement les armes à la main, le 8 août 1914, dans les rues du village de Mercy-le-Bas (Meurthe-et-Moselle), né à Allègre (Haute-Loire) le 9 juillet 1882, était le deuxième fils de M. Emmanuel Grellet de la Deyte, ancien sous-préfet, maire d’Allègre, conseiller général de la Haute-Loire, chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, et de Madame, née de Landrian de Fisson du Montet, baronne héréditaire du Saint-Empire. Marié le 26 juin 1911 à Mlle Jenny Calemard de la Fayette, sœur du délicat poète, Olivier de la Fayette, et petite-fille de l’auteur du « Poème des Champs » couronné par l’Académie Française, il appartenait, par son alliance, aussi bien que par sa naissance, à deux familles des plus anciennes, des plus distinguées de la Haute-Loire, l’une et l’autre fécondes en hommes de cœur et de talent qui ont, depuis des siècles, bien servi la France sur les champs de bataille et dans nos assemblées politiques. […]
Le 31 juillet 1914, dans une lettre à sa mère, après avoir exprimé à ses parents qu’il s’attend à être rappelé par dépêche, sans arrêt possible, avec le regret de ne pouvoir leur fixer un rendez-vous à Paris, pour les embrasser « avant la séparation qui peut être longue et dure », Henri Grellet ajoute : « Mais je suis plein d’enthousiasme ! Un soldat ne doit pas aller à la guerre avec un cœur triste. Si j’étais sans famille, je me féliciterais de ce déclanchement général. Jamais l’occasion n’aurait été pour nous aussi favorable ; je me confie à Dieu ! »
Il part le 2 août, rejoint le dépôt de son régiment à la Fère le 3, et entre en campagne le 4 août, à Srtenay (sur la Meuse). Déjà les Allemands avaient occupé Briey (Meurthe-et-Moselle) et envahi la partie frontière de cet arrondissement. Le samedi 8 août, au matin, le lieutenant Grellet fut chargé d’une reconnaissance périlleuse et partit de Spincourt (Meuse), pour Saint-Suppelet et Mercy-le-Bas (Meurthe-et-Moselle). Avant d’arriver à Saint-Suppelet, il dit à son maréchal des logis : "Si je viens à mourir, je désire qu’on mette sur ma tombe « A vous le souvenir, à moi l’immortalité !" »
Il divise alors sa reconnaissance, en envoie une partie, sous la conduite du maréchal des logis, dans la direction de Xivry-Circourt et, gardant avec lui cinq cavaliers, pénètre dans Saint-Suppelet. Ce village se compose d’une seule rue à pente rapide au sommet de laquelle se trouve l’église. Il la monte et, brusquement, débouchent en deux pelotons, de chaque côté de l’église, une quarantaine de uhlans. Il se jette sur eux pour s’ouvrir un passage et, suivant l’expression de son colonel, « les charge avec une folle bravoure ». Ses hommes le suivent. L’un est tué, deux autres blessés hors de combat, l’un d’eux s’échappe et rapporte la nouvelle qu’il a vu le lieutenant vivant entouré d’Allemands qui avaient saisi la bride de son cheval. On le crût prisonnier ; il n’en était rien. Son courage, sa vigueur le sauvent, il se dégage, fait sa trouée et, suivi d’un seul chasseur, brise le cercle de fer et poursuit sa reconnaissance vers Mercy-le-Bas, qui est à quinze cents mètres au-delà.
D’après les témoignages de plusieurs habitants de Mercy-le-Bas, réfugiés, depuis, à la Fère et à Paris, et le rapport qu’ils ont fait au commandant du dépôt du 19e chasseurs, il fut rejoint dans leur village par un fort peloton de uhlans. Voici un passage de ce rapport : « … Le 8 août, à neuf heures du matin, le lieutenant Grellet fut entouré d’une vingtaine de uhlansdans le bas du village de Mercy-le-Bas, à la première maison dans la direction de Saint-Suppelet. Des habitants de Mercy-le-Bas disent que M. Grellet arrivait blessé de la direction de Saint-Suppelet. Les Allemands tirèrent des coups de feu, l’entourèrent, son cheval s’abattit et, lorsqu’il fut à terre, comme il refusait de se rendre et se défendait d’un seul bras, les uhlans lui portèrent de nombreux coups de lance (sept dans la poitrine). Mme C…, qui était présente, ajoute que les officiers allemands, eux-mêmes, lui dirent alors : « C’était un brave, il s’est bien défendu ! » Mme C… leur répondit : « Mais, de votre part, c’était un assassinat, vous étiez vingt contre un blessé. » Les Allemands repartirent au galop de leurs chevaux. Mmes V… et C…, deux Lorraines admirables de dévouement, relevèrent l’officier français qui ouvrit les yeux et rendit le dernier soupir entre leurs bras. Elles le firent transporter dans le chœur de l’église de Mercy-le-Bas, où de nombreux soldats allemands vinrent le considérer très respectueusement. M. le Curé de Mercy-le-Bas voulait l’enterrer le lendemain, dimanche, à la grand’ messe, mais il fut empêché, 6.000 Allemands étant cantonnés dans le village ce jour-là. Revêtu de ses effets militaires (sauf de la moitié de son dolman, que le lieutenant de uhlans lui avait arraché dans l’église), Henri Grellet fut entouré d’un drap. A défaut de cercueil, les menuisiers étant partis pour la guerre, on joignit autour de lui du mieux qu’on pût quatre planches et, le lundi matin 10 août, l’absoute eut lieu dans l’église. Tous les habitants de Mercy-le-Bas y assistèrent, avec des gerbes de fleurs qu’ils avaient apportées, et l’accompagnèrent pieusement dans leur petit cimetière en terre lorraine, près de la frontière, où il repose provisoirement. Sa tombe resta fleurie jusqu’au 22 août, jour où l’on se battit dans le village que les habitants se virent contraints d’abandonner et où ils n’ont pu rentrer depuis. »
Abbé Emmanuel ROUGIER, Livre d’Or de la Haute-Loire pour perpétuer la mémoire de ses enfants morts pour la Patrie durant la Grande Guerre commencée le 4 août 1914, premier volume, Brioude, Imprimerie L. Watel, 1914.