L'administration militaire, souvent pointilleuse à l’excès, oblige les commandants d'unité à remplir quantités d'imprimés. Ceux-ci sont particulièrement nombreux dans l'artillerie, arme de matériels par excellence. Si les documents de service et d'administration y sont fort nombreux, bien peu de ceux-ci sont parvenus jusqu'à nous.
Ces documents sont le plus souvent absents des dépôts d'archives car ils ont été volontiers classés par les "chartistes", chargés du tri, comme inutiles du fait de leur technicité et de leur peu d'intérêt apparent ce qui aboutit à leur destruction inévitable!
Il est certain qu'un tract "Morts aux vaches" décroché par un gendarme dans les lieux d'aisance du X...ème régiment d'infanterie à la fin avril 1917 sera plus facilement considéré comme la "Pierre de Rosette" de l'histoire de la genèse de la "grève des tranchées" mais comment peut-on trouver de l'intérêt au "Registre à souche modèle 3 du Service de l'Artillerie" concernant les mouvements du matériel et autres documents similaires ?
Je vous propose néanmoins de se pencher sur quelques documents, heureusement gardés par un officier en 1919 alors qu'il aurait dû logiquement les détruire. Ce côté "conservateur" d'un commandant de batterie me permet aujourd'hui de commenter quelques particularités du canon de 75 et des batteries l'ayant servi.
Avant tout, rendons hommage aux artilleurs de la Grande Guerre symbolisés ci-après par ces réservistes inconnus, bien fatigués à l'issue des premiers mois de guerre mais toujours vaillants autour de leur 75 modèle 1897:

Le canon de 75 modèle 1897 et ses servants.
Petit examen de quelques pages des registres à souche de la 7e batterie du 42e R.A.C (4e Division du 2e Corps d'Armée):



Cette page du registre:
-présente un des très nombreux mouvements de matériels de 75 entre batteries de régiments différents (ici le 16 avril 1916). Ces mouvements, rares en début de guerre, deviennent presque systématiques dans les secteurs agités, notamment en Champagne, à Verdun, sur la Somme puis dans l'Aisne. Afin d'économiser les efforts et les risques inhérents aux opérations de sortie et de mise en batterie des pièces d'artillerie nécessités par les relèves de divisions, les unités "échangent" leurs matériels, évitant des opérations nocturnes, susceptibles de révéler à l'ennemi les opérations de relève voire même les positions exactes des pièces si celles-ci n'ont pas encore été repérées. Les mouvements peuvent être aussi dictés par des opérations de nivellement entre unités ou pour des causes purement techniques.
-l'intérêt de ce cette page est aussi de montrer que le 42e R.A.C possède encore en 1916 un des tous premiers canons de 75 construits:
....le canon immatriculé sur le manchon du tube "103 F.Bs 96" est un des tous premiers tubes de 75 fabriqués dès 1896. Cette année là, la Fonderie de Bourges (F.Bs) construit déjà plus de 200 tubes. En effet, le canon de 75 n'est pas encore officiellement adopté car la mise au point de son frein n'est pas encore achevé mais il a été décidé de commencer la fabrication du manchon et des tubes dont les types ne subiront plus aucune modification. Le matériel complet ne sera adopté officiellement que le 28 mars 1898 sous l'appellation "canon de 75 modèle 1897" mais la construction en série de plusieurs éléments dont les tubes a commencé dès 1896.
....l'immatriculation des composants principaux du canon de 75 montre leur parfaite interchangeabilité et la diversité des fabricants: Puteaux (Px), Tarbes (Tbes) et Manufacture d'Armes de Saint-Étienne (M S). A noter que si l'immatriculation des manchons est en séquence croissante et unique, l'immatriculation des autres éléments est différenciée par initiales des constructeurs et numérotation annuelle.
Le 1er septembre 1917, la 7e batterie du 42e R.A.C passe tous ces canons à la 9e batterie du 26e R.A.C, on distingue encore 3 canons d'avant guerre fabriqués en 1899 et 1900 mais aussi un canon neuf fabriqué en 1917: A.B.S 1917 n° 14037-Atelier de Construction de Bourges (A.B.S), nouveau nom de la Fonderie de Bourges (F.Bs):

Le 1er septembre 1917, la 7e batterie du 42e R.A.C reçoit les canons de la 1ère batterie du 58e R.A.C, dont le tube A.B.S 1917 n° 11851 dont voici la couverture et la première page du livret de bouche à feu:


Chaque pièce reçoit un "livret de bouche à feu" sur lequel figure de nombreux renseignements, notamment les affectations successives, les réparations effectuées au Parc et le nombre de projectiles tirés avec mentions des dates des tirs.
Ainsi le matériel A.B.S 1917 n° 11851 est un canon neuf n'ayant effectué que ses tirs d'épreuve, affecté le 18 mai 1917 au 61e R.A.C, son tube porte le n° 3195 (Aciéries Claudinon) de 1917, son frein Px n° 1507 de 1917 et son affût n° 2412 de la Manufacture de Tulle de 1917.
Il n'a tiré que 13 coups de mai à début août 1917 mais a tiré 2551 coups jusqu'au 21 août 1917 (à Verdun) et 3466 au 6 septembre 1917 non sans avoir été avarié le 21 août par un obus qui brise une roue mais il est renvoyé par le parc à sa batterie dès le 26 août.
Son passage au 42e R.A.C est bref (1er septembre au 27 septembre 1917), il passe alors à la 1ère batterie du 36e R.A.C, il a alors tiré 4181 coups, presque tous en moins de cinq semaines!
Voici l'ordre de mouvement vers le 36e R.A.C qui montre en outre qu'un vétéran très composite voisine à la batterie avec ce canon de 1917:


Tout ceci n'est qu'un petit aperçu de ce que l'on trouve dans des documents purement "techniques".
Cordialement,
Guy François.