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Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : mar. sept. 02, 2008 12:07 am
par Rutilius
Bonsoir à tous,

Article découvert à la rubrique Marine du journal Le Temps n° 15443 du 7 septembre 1903, page 2, à la faveur d'une recherche sur la construction des cuirassés et des croiseurs à cette époque :


" LES EXPERIENCES DU HENRI-IV. - On nous télégraphie de Cherbourg.

A la suite des expériences de tir faites sur le Henri-IV, il a été procédé, à bord de ce cuirassé, à l'examen médical des cinq moutons qui avaient été placés dans la tourelle de 274.4 pendant les tirs de la pièce de 138.6 placée dans la tourelle supérieure. La commission, composée du médecin du bord et d'un vétérinaire, a conclu que tous les moutons étaient étourdis, que deux avaient de fortes congestions du cerveau, les poumons et le coeur ne laissaient rien à désirer.

Il y aura donc des précautions à prendre pendant le tir de la pièce de 138.6, notamment en ce qui concerne certains angles de tir en hauteur et en direction sans lesquels cette pièce ne saurait tirer sans compromettre la sécurité de l'habitabilité des servants de la pièce de 274.4.

Les moutons ont servi, le soir, au repas de l'équipage."


Au moins le sacrifice à des fins expérimentales de ces ovins, malheureux descendants des moutons de Panurge, aura servi à améliorer l'ordinaire ! Mais, trève de balivernes ! L'artillerie terrestre a-t-elle mené, avant guerre, des expériences de même nature ?

Bonne soirée,

Rutilius.

Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : mar. sept. 02, 2008 12:23 am
par ALVF
Bonsoir,

Malheureusement, les animaux domestiques ont souvent servi à des "expériences", par exemple:

-avant guerre, les nouveaux types de balles (balle de revolver, balle "D" du fusil Lebel, etc...) ont fait l'objet d'expériences de perforation sur des chevaux vivants réformés.

-pendant la guerre, les obus à gaz français, dits "projectiles spéciaux", ont été essayés en 1916 et 1917, à de nombreuses reprises, sur des tranchées contenant des chiens et des lapins.

Les autres pays ont pratiqué des expériences similaires.

Cordialement, Guy.

Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : mar. sept. 02, 2008 1:03 pm
par Rutilius
Bonjour Guy,
Bonjour à tous,

Merci de cette prompte réponse. S'agissant de l'expérimentation des effets des obus toxiques sur les animaux, les précisions suivantes sont apportées par l'ouvrage d'Olivier LEPICK, " La grande guerre chimique. 1914-1918 " (Presses universitaires de France, Paris, 1998, préface de Pierre CHAUNU, p. 183 et 184) :

" En octobre 1915, Joffre écrivait une nouvelle fois à Albert Thomas : " J'insiste en particulier sur la nécessité primordiale qui s'attache à ce que les obus toxiques soient mis au point de la façon la plus complète dans le plus bref délai." En de nombreuses occasions, Joffre avait exprimé le désir de pouvoir utiliser des obus toxiques sur le front et demandé à ce que l'on procède rapidement à des essais. Néanmoins, quand ceux-ci eurent lieu les 2 et 29 décembre 1915 à Mailly, les résultats se révélèrent relativement décevants. De fait, à peine 20 % des animaux exposés aux tirs chimiques furent tués par les gaz. Joffre concluait qu'il ressortait " néanmoins des expériences qui viennent d'être faites que la Collongite (phosgène) et la Vincennite (acide cyanhydrique) ne donnent pas entière satisfaction " et répétait que " le commandant en chef et le général Foch sont d'accord pour estimer que les gaz représentent une arme nouvelle dans l'emploi de laquelle il est essentiel que nous prenions la première place dès le primptemps 1916 ". Par l'expression " première place ", Joffre signifiait bien sûr qu'il est impératif de disposer de munitions chimiques létales. Pendant le mois qui suivit, un débat houleux s'instaura entre le GQG et Albert Thomas à propos de l'efficacité des obus chimiques. Le GQG se plaignait des délais, jugés trop importants. Il fut décidé de poursuivre les recherches plus activement et les ingénieurs redoublèrent d'efforts. Après de nouveaux essais à Satory et à Mailly au cours des mois de janvier et février 1916, l'obus français, qui reçut la dénomination obus n° 5, fut déclaré bon pour le service. Cet obus (dans sa version 75 mm) contenait environ 0,6 kg de phosgène. Sa toxicité était inégalée et son usage ne demandait aucune logistique particulière puisqu'il était tiré à partir de pièces conventionnelles."

Bonne journée,

Rutilius.


Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : mar. sept. 02, 2008 11:42 pm
par ALVF
Bonjour,

Merci de ces précisions.Dans des conférences prononcées au ministère de l'Armement, je trouve des détails navrants pour nos compagnons à quatre pattes:
-entre les seuls mois de novembre 1916 à mars 1917, les rapports décrivent "quelques" expériences (il y en a eu d'autres!) totalisant pas moins de 41 "expériences", regroupant à chaque fois entre 10 et 19 animaux.
-le taux de mortalité atteignait à chaque fois entre 80 et 100% pour des animaux répartis dans des tranchées de deux mètres de profondeur et un mètre de large!
Pauvres chiens errants de Paris et de sa banlieue!
Cordialement, GUY.

Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : jeu. sept. 04, 2008 5:28 pm
par Rutilius

Bonjour Guy
Bonjour à tous,

Merci de ces nouvelles précisions. Ce qui m'a intrigué dans la brève parue à la rubrique Marine du Temps du 7 septembre 1903, c'est qu'il fut recouru au modèle animal que constituaient les moutons, non pour déterminer les effets invalidants ou létaux pour l'homme des munitions employées, mais pour évaluer l'incidence des tirs sur la santé et la sécurité des servants de pièces, à raison sans doute du bruit, des vibrations et des surpressions liés aux détonations, ou encore des émanations toxiques ou nocives résultant de la combustion des poudres.

Cette analyse expérimentale des risques au poste de tir, assurément très novatrice pour l'époque, était-elle également en usage dans l'artillerie terrestre ? A l'évidence, les officiers d'alors étaient déjà informés de la nécessité de préserver l'hygiène et d'assurer la sécurité de leurs subordonnés. S'en préoccupaient-ils pour autant ?

Bien à vous,

Rutilius.

Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : jeu. sept. 04, 2008 8:14 pm
par ALVF
Bonjour,

Avant la guerre l'artillerie et le génie ont étudié le problème de "l'habitabilité" des espaces confinés, notamment dans les tourelles et casemates des forts.Le problème de la ventilation des casemates est connu depuis des siècles, mais l'apparition d'armes à tir rapide et d'obus explosifs dont la détonation est accompagnée d'émission de gaz toxiques complique le problème à la fin du XIX° siècle.
Je trouve dans le très gros et remarquable cours de fortification de l'ecole de guerre de 1906-1907 du Cl Piarron de Mondésir, futur commandant de Corps d'Armée en 1914, quelques détails:
-lors des expériences d'obus explosifs, dits "obus torpille", en 1886 au fort de la Malmaison, on se contente de déduire de l'observation les conséquences possibles des explosions sur l'homme.
-après la mise en service des tourelles blindées dans les forts, à partir de 1876, on installe des ventilateurs à bras pour ventiler les chambres de tir.
-les expériences au fort de Pagny la Blanche Côte en 1901 vont plus loin puisque l'on cherche à vérifier la nocivité des gaz des explosions à proximité et sur les fortifications.Un pourceau est placé à l'intérieur d'une coupole blindée tournante en fonte dure, système Mougin, la bête ne résiste pas à l'inhalation des gaz provenant de l'explosion des projectiles tombant autour de la tourelle!
-le problème des gaz provoqués par un tir continu de mitrailleuse dans un espace clos était lui aussi connu.Il n'en demeure pas moins qu'il faudra le rappeler pendant la guerre de 1914-1918 dans des instructions puisque des mitrailleurs connurent des asphyxies mortelles par émission de monoxyde de carbone provenant de tirs prolongés de mitrailleuses dans des casemates de campagne mal ventilées.
-pour les pièces d'artillerie tirant en casemate,,il faut limiter la rentrée des gaz par l'embrasure, il est prévu des obturateurs d'embrasure tandis que les étoupilles obturatrices empêchent la rentrée des fumées au moment du tir.
-des expériences furent aussi faites à Saint-Cyr pour étudier la rentrée des gaz d'explosion par la rainure qui existe entre l'avant-cuirasse et la tourelle, vraisemblablement en employant des animaux.
-pour terminer, mentionnons aussi un dispositif réfrigérant dans les tourelles de côte de gros calibre installées à Dakar et Saïgon par l'artillerie coloniale, le dispositif était insuffisant pour lutter contre la chaleur existant à l'intérieur d'une tourelle fermée d'acier exposée au climat de ces pays!Tout au moins, permettait-il de rafraîchir les poudres, souci constant en climat tropical!
Cordialement, Guy.

Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : sam. sept. 06, 2008 12:37 am
par Rutilius
Bonsoir Guy
Bonsoir à tous,

Merci de ces nouvelles indications qui, comme à l'accoutumée, sont fort bien étayées. L'étude de l'habitabilité des espaces confinés était donc une préoccupation de la hiérarchie militaire depuis 1886 au moins. Je m'interroge néanmoins sur les enseignements qui, concrètement, furent alors tirés par la même hiérarchie des expériences ainsi menées, non pas en termes de conception, de construction et d'aménagement des tourelles et casemates des forts, mais plutôt de procédures de sécurité à appliquer et d'équipements de protection individuelle à utiliser à proximité immédiate des pièces d'artillerie lors de leur mise en oeuvre.

J'ai à l'instant sous mes besicles, publié en 1918 sous le timbre du Grand quartier général des armées du Nord et du Nord-Est (Etat-major - 3e bureau - I.G.A.) et revêtu de la mention Confidentiel, le Manuel de l'officier de batterie (Imprimerie nationale, 1918, 418 p. et trois dépliants) ; or, pas une ligne de cet opuscule, dont, pourtant, " la dotation [était] prévue pour tous les Officiers d'Artillerie ", n'aborde ce sujet. Sous le Titre VIII Renseignements divers, existe bien un chapitre intitulé Hygiène des hommes (n°s 686 à 698, p. 357 à 362), mais il ne traite que de l'hygiène corporelle, de l'hygiène de la marche, de celle du cantonnement, des feuillées, de l'hygiène des aliments et de l'eau, de la prévention des gelures et des posologies usuelles de quelques médicaments d'usage courant ! De même, si un chapitre particulier est consacré à la Protection contre les gaz (n°s 347 à 367, p. 165 à 176), et donc à l'usage des masques, il ne s'agit toutefois que de prémunir les hommes contre les attaques de l'ennemi au moyen " de projectiles dont le seul objet est de diffuser des gaz asphyxiants ou délétères ", pour reprendre la terminologie de la Convention de La Haye du 29 juillet 1899 ! Dès lors, il est sérieusement permis de douter de la volonté véritable des officiers du G.Q.G. de se préoccuper de la santé et de la sécurité des servants de pièces, préoccupation alors manifestement hors de propos et, par suite, accessoire...

Bien à vous,

Daniel.

Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : dim. sept. 07, 2008 12:17 am
par ALVF
Bonsoir,

Je ne pense pas que les différents échelons du commandement ne se préoccupaient pas de la sécurité des servants des pièces.J'illustrerai cette affirmation par trois exemples, étant entendu qu'il ne faut pas chercher des réponses à vos questions dans les règlements qui, avant et pendant la guerre, ne traitent que de descriptions techniques et de tâches à accomplir "sans hésitation ni murmure".Les réponses doivent être recherchées dans les Cours des Ecoles et aussi dans les circulaires, notes et conférences à usage des officiers:

-dans le Règlement sur le service des canons sous tourelle et casemate, édition de 1911, illustration parfaite du "règlement": description de l'appareil de ventilation (arbre à 2 manivelles actionnées par 2 "manoeuvres"), boîte à clapets pour recevoir les douilles vides éjectées.Pour le service, la mise en action de la ventilation s'effectue dès l'ordre "en batterie!" et ne cesse qu'à celui de "cessez le feu!"Il est précisé que les 2 "manoeuvres" se relaient avec l'équipe "de soulèvement" (de la tourelle à éclipse) ce qui montre la nécessité d'une permanence de la ventilation et d'une action constante d'artilleurs "costauds" pour préserver une bonne "habitabilité".

-dans le Cours des officiers de l'Ecole de Fontainebleau (Ecole militaire de l'Artillerie), "Affûts de tourelles", édition avril 1914, des considérations plus pratiques illustrent le "Règlement", j'y lis:
-Utilité de l'obturateur d'embrasure:il soustrait les servants du bruit de détonation de leurs propres pièces et de celui des explosions ennemies, et surtout, "la tourelle, et ceci est indispensable, ne pourra être envahie par la fumée s'échappant à la volée"..."on a déjà bien du mal, même avec une ventilation énergique, à se débarasser de la fumée qui s'échappe de la culasse au moment de son ouverture".
-Adoption (toute récente) de la tourelle tournante pour 1 pièce de 155 C ( adoptée pour économiser le coût trop élevé de la tourelle à éclipse du même calibre, tourelle tournante dont les premiers exemplaires venaient d'être installés à Epinal et dont deux autres étaient en cours de montage à Toul en 1914): on a adopté le "ventilateur ordinaire du dispositif de la Marine pour insuffler au besoin un jet d'air comprimé dans l'âme".La solution de la "chasse d'air comprimé", chère à la Marine, était donc adoptée par l'Armée de Terre en 1914 pour améliorer grandement les conditions du service des pièces en milieu fermé.
Cordialement,Guy.

Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : lun. sept. 08, 2008 7:41 pm
par Rutilius
Je ne pense pas que les différents échelons du commandement ne se préoccupaient pas de la sécurité des servants des pièces.
Bonsoir Guy,

Me voilà rassuré ! Et merci vivement pour ces nouveaux éléments, qui éclairent une question très rarement abordée par les historiens.

Bonne soirée,

Daniel.

Re: Artillerie navale et expérimentation animale.

Publié : jeu. juin 17, 2010 12:43 am
par Rutilius

Bonsoir à tous,

Un équipement de protection individuelle rendu d'emploi obligatoire à bord des bâtiments de la flotte :

● Navigazette, n° 902, Jeudi 9 août 1906, p. 8, en rubrique « Chronique » :

« Un nouveau bonnet protecteur. ― Par suite d’expériences satisfaisantes effectués par la Commission d’expériences de Gâvres et à bord du Jules-Ferry, d’un système de bonnet destiné à soustraire au souffle des pièces les hommes des tourelles et des blockhaus, le ministre de la marine a décidé d’en rendre l’emploi réglementaire à bord des bâtiments de l’escadre. »

Bien à vous,
Daniel.