MADELEINE
Bateau de pêche du Havre
Patron propriétaire LEFEBVRE Maurice
Matelot DAVID
7 tx
Immatriculé au Havre n° 1065
Attaque par un sous-marin. Rapport du patron
Le 10 Juin 1917 MADELEINE se trouve à 4 milles à l’Ouest de la bouée à sifflet de la grande rade du Havre. Mer plate. Brumeux avec petit vent de SE.
Le sous-marin n’est aperçu que lorsqu’il se trouve à 20 m du bateau et ce dernier est coulé au moyen d’une bombe.
L’équipage qui se compose de deux hommes va être embarqué dans le sous-marin ainsi que les 300 maquereaux de leur pêche. Il va y demeurer jusqu’au 12 Juin à 13h00 lorsqu’il est débarqué et remis au canot d’une goélette anglaise, qui venait d’être coulée par le même sous-marin à 15 milles dans le NNW de Cayeux. L’équipage de cette goélette, 4 hommes, était déjà dans le canot. Le canot sera aperçu par un petit voilier qui débarquera les naufragés à St Valéry sur Somme à 21h00.
Le patron fut interrogé par le commandant du sous-marin qui parlait très correctement le français et l’anglais. L’interrogatoire porta surtout sur la cherté de la vie en France. Le commandant demanda aussi quel était le règlement pour la sortie en mer des bateaux de pêche.
Au moment de leur débarquement, il pria les deux hommes d’équipage de prévenir leurs camarades qu’à l’avenir il coulerait tout navire de pêche rencontré en mer sans avertissement, car presque tous ces bateaux étaient armés.
Pendant son séjour à bord du sous-marin, l’équipage de MADELEINE n’a pas été maltraité. Il a du aider à la manœuvre de chargement de trois torpilles qui ont été lancées contre des bâtiments de commerce. Au moment de son débarquement, le sous-marin ne possédait plus aucun moyen de destruction, torpilles et bombes ayant été utilisées.
Le commandant leur a dit qu’il regagnait la côte allemande pour se ravitailler.
Description du sous-marin
80 m de long environ
Une petite passerelle fut vue sur le pont du sous-marin
1 canon de 100 mm sur l’avant du kiosque, monté sur pivot
Projecteur sur l’avant de la passerelle
Double filet pare-mines
Peinture grise vieille
1 périscope et 1 tube sondeur
Cloison étanche entre le poste central et le poste des torpilles
2 tubes lance-torpilles à l’avant dans le même plan vertical
5 officiers vus à bord
28 hommes d’équipage portant vêtements de cuir et bottes
Le quart se faisait par bordées de 14 hommes dont 8 dans le poste central et 6 dans les machines.
Le commandant demanda à Lefebvre le prix de la livre de beurre en France et celui-ci répondit « 5 francs ». Le second, qui prenait des notes à chaque question et qui parlait aussi assez bien le français dit alors « Ce n’est pas vrai » et il renvoya Lefebvre à l’avant. Lefebvre a bien remarqué que les officiers étaient plus en confiance avec David qui était traité avec plus d’égards en raison de son âge, 55 ans (il en avait déclaré 63). Le cuisinier du bord s’entretenait clandestinement avec David et le commandant rappela ce cuisinier à l’ordre en lui disant de se taire.
D’après la description faite par David, ce sous-marin est du type UB 18 à UB 47 (ROLAND MORILLOT)
Pendant la nuit, le sous-marin se pose sur le fond et y reste plusieurs heures. On entend alors le crissement de la coque sur le sable. On entend aussi très bien les allées et venues des vedettes anglaises de protection des drifters.
Il est intéressant de noter comment sont effectués les lancements de torpilles auxquels ont assisté les deux hommes de MADELEINE.
David, en raison de son âge, a été laissé dans sa couchette mais Lefebvre a participé aux manœuvres avant la mise à feu des torpilles. Les hommes disponibles, (10 à 12) appuient à la main sur la fermeture de culasse du tube. Après le départ de la torpille, qui suit d’une seconde la détonation de l’amorce, tous les hommes se précipitent vers l’arrière jusqu’au poste central pour compenser le changement d’assiette.
Voici la silhouette du sous-marin

Conclusions de l’officier enquêteur
La conduite de Lefebvre et David a été parfaitement normale et ils ne méritent ni récompense ni sanction.
La surexcitation de David empêche de porter un jugement précis sur les navires torpillés. Le témoignage de Lefebvre prouve qu’il y a bien eu trois lancements de torpilles. Toutefois, la D.N.T.O du Havre n’a eu connaissance d’aucun transport ni cargo torpillé. Il se peut toutefois que ces faits soient connus des autorités maritimes…
En rapprochant cette enquête de celle du FRANCOIS-GEORGETTE, la question s’est posée de savoir si ce n’était pas le même sous-marin qui avait pris à son bord Buquet et le matelot Lacorne d’une part, puis Lefebvre et David d’autre part.
Les quatre hommes ont été confrontés et il en ressort que les deux sous-marins sont d’un type à peu près identique. Mais ils sont sûrement distincts car la description des deux commandants est nettement différente.
Pour MARIE-GEORGETTE, le commandant était grand, rasé, avec des cheveux blonds très fournis. Pour MADELEINE, le commandant était de taille moyenne, avec une moustache taillée à l’américaine et une légère calvitie.
De plus, les cuisiniers des deux sous-marins étaient différents.
Enfin, le premier sous-marin avait un œil de requin peint en rouge sur son avant, tandis que le second avait une peinture grise sans aucun ornement.
Les deux marins de MADELEINE étant encore très impressionnés par les évènements qu’ils ont subis, il m’a paru inutile de les faire interroger par un commandant de sous-marin. Ils n’auraient pas donné d’autres renseignements que ceux contenus dans ce rapport.
Le sous-marin attaquant
C’était bel et bien l’UB 40 du Kptlt Hans HOWALDT, le même qui avait attaqué MARIE GEORGETTE le 9 Juin et gardé à son bord pendant 24 heures ses deux hommes d'équipage survivants.
Les trois navires torpillés les 11 et 12 Juin étaient :
- EUSTACE Anglais 3995 t à 01h50 (endommagé seulement) Le sous-marin restera 10 minutes en surface pour l’observer.
- HUNTSHOLM Anglais 2073 t à 03h30, transport qui allait de Dieppe à Newhaven. Le commandant du sous-marin fera monter le matelot David sur le kiosque et lui montrera les naufragés de ce navire à la mer, lui disant que le navire a coulé en 3 minutes.
- MARGARITA Anglais 2788 t le 12 à 03h20 qui allait de Hull à Madras avec du charbon. Le navire réussira semble-t-il à gagner un port
Enfin, le sous-marin revient en surface le 12 Juin à 13h00 et arraisonne la goélette anglaise ALFRED (d’ailleurs appelée FRANCE dans les rapports du Havre)
On peut noter tout de même que l’officier enquêteur ne fait pas preuve de beaucoup de perspicacité. Ayant eu les 4 marins français à son bord, le commandant Howaldt se doutait bien qu’ils seraient interrogés par les autorités françaises et sans doute a-t-il cherché à brouiller un peu les pistes.
Peut-être a-t-il inversé son rôle avec celui de son second comme pourrait le suggérer l’interrogatoire un peu bizarre sur le prix du beurre. On y voit le « second » intervenir dans l’interrogatoire et renvoyer l’homme que le « commandant » est justement en train d’interroger.
Que les cuisiniers soient différents est une preuve bien légère et recouvrir l’œil de requin d’un coup de peinture grise n’était pas bien compliqué….
Les rapports de marins alliés gardés à bord des sous-marins allemands, puis relâchés, sont relativement rares et souvent forts intéressants. Voir ceux du voilier français EMMA LAURANS à bord de l’U 52 et du voilier norvégien THOR II à bord de l’U 45, qui figurent tous deux sur ce forum.
Cdlt