• Louis LACROIX : « Les derniers grands voiliers », éd. J. Peyronnet & Cie, Paris, 1937, p. 466.
« Le 13 novembre 1919, Thiers, capitaine Couëdel, faisant son retour de New-York sur Nantes, ayant perdu ses ancres en mouillant aux Charpentiers, vint s’amarrer aux appontements de Paimbœuf en couple du Duquesne et du Montcalm, également aux wharfs Kulhman. Depuis soixante ans, époque de la splendeur de Paimbœuf, on n’avait pas revu de trois-mâts à quai. »
Rapport de mer du capitaine Joseph Couëdel
21 novembre 1919 — Thiers.
L’an mil neuf cent dix-neuf, le vingt-et-un novembre devant nous, Président du Tribunal de commerce de Nantes, assisté de M. Doucet, greffier, a comparu le sieur Couëdel, capitaine du trois-mâts Thiers, du port de Nantes, lequel nous a déclaré être parti de New-York le 4 octobre à la remorque, ayant à bord 2.550 t. de farine et 635 t. de rails à destination de Nantes. J’ai largué le remorqueur à 13 h. 50 ; le vent m’étant contraire et le temps brumeux, j’ai mouillé par 15 m de fond à 2 milles au N. 80 E. du bateau-feu de Scotland Sandy Hook. J’ai quitté ce mouillage le lendemain 5 octobre, à 8 h.30 du matin, par petite brise du S. au S.-O. et brume assez forte. J’ai eu du beau temps les jours suivants avec des brises faibles et variables, mais se maintenant le plus souvent du N.-E. au S.-E. Du 22 au 24 octobre, coup de vent débutant au N. et terminant au N.-E. La mer très grosse embarque continuellement ; le navire donne de violents coups de roulis, fatiguant la mâture et le gréement. Du 25 octobre au 3 novembre, très grosse brise du S.-E. à l’E. S.-E., puis le vent passe à l’E. en fraîchissant jusqu’à souffler en tempête. La mer très grosse couvre le navire ; le poste d’équipage est envahi par l’eau. Dans la soirée du 3 novembre, j’ai pris la cape sous les huniers fixes et conservé cette allure jusqu’au 6, où le vent halait le N.-E. et le N. en mollissant. J’ai fait route de nouveau et établi la voilure. Temps incertain les jours suivants, avec de forts grains de pluie et de grêle ; le baromètre oscille entre 753 mm et 759 mm. Le 9, à 18 h., j’ai aperçu l’éclat du feu de Penmarc’h et l’éclat du feu de Belle-Île à 21 h. 50. J’ai gouverné alors au N. 70 E. pour me rapprocher de ce dernier feu. Aperçu le feu de la pointe des Poulains à 2 h., le 10, et continué la même route jusqu’à ce que ce feu soit masqué par les terres. J’ai fais alors route au S. 76 E. pour passer au S. de Belle-Île. J’ai pris la panne à 5 h. 30 pour attendre le pilote ; ce dernier monte à bord à 6 h. 15. Fait route immédiatement suivant ses indications. Le temps étant à grains avec fortes brises variant de l’O. N.-O. au N. N.-O., mais la mer belle, je décidai de mouiller aux Charpentiers pour attendre la marée et un remorqueur, les vents étant parfois trop N. sous les grains pour pouvoir faire le chenal. A midi, j’ai doublé la bouée de la Lambarde et j’ai mouillé à 12 h. 40 sous un violent grain à environ un mille et ½ dans le S. 30 O. du phare des Charpentiers. Le navire se trouvait alors en travers, avec vent sans erre de l’avant, mais drivant sous l’effort du vent. Trois maillons ½ de chaîne avaient déjà été filés en étalant. Le navire était venu debout au vent lorsque se produisit un choc brusque sur la chaîne. J’ai fait mouiller immédiatement la deuxième ancre ; la chaîne ne file que très lentement sans faire aucun effort. J’ai signalé alors au sémaphore de la pointe de Chémoulin que j’avais besoin d’un remorqueur. Dans la soirée, le vent étant tombé un peu, j’ai fait virer la chaîne de bâbord et constaté que la cigale de l’ancre était cassée, l’ancre perdue. Le navire n’ayant pas de troisième ancre de bossoir, j’ai fait mailler la première ancre à jet, ancre de croupiat, et mouillé cette dernière pour soulager l’autre ancre. Le remorqueur demandé ne venant pas à la marée, j’ai quitté la rade des Charpentiers le 11 à 5 h. du matin et mouillé sur rade à Saint-Nazaire à 8 h. J’ai quitté ce dernier mouillage le 13 à 5 h. du soir à la remorque du N. et du Commerce et deux pilotes à bord. A différentes reprises, le navire a touché dans le chenal après avoir passé Donges pour finir par s’échouer par le travers de Paimbœuf. Il a fallu atteler les remorqueurs derrière pour le sortir de sa position. La mer baissant, je me suis amarré en couple du Montcalm et du Duquesne aux appontements de Paimbœuf. Je suis resté à ce poste jusqu’au 20 novembre à 13 h. où j’ai fait route pour Nantes à la remorque du Commerce et du Haleur. Forte brise de S.-O. ; le navire prenant le vent par tribord gouverne très mal et, malgré sa barre, il vient sur la droite. Les remorqueurs ne peuvent le tenir dans le chenal et, à 15 h. 20, il s’échoue dans la passe du Baracoz sur la droite du chenal. Attelé immédiatement les remorqueurs derrière, un remorqueur des Ponts-et-chaussées nous prêtant assistance, mais la mer baissant, il est impossible de remettre le navire à flot. La sonde accuse de chaque côté du navire le même fond de sable. A la marée du 21, les deux remorqueurs Haleur et Commerce, aidés du remorqueur R. 7 des Ponts-et-chaussées, réussissent à remettre le navire à flot et à le conduire au quai de l’Aiguillon à Nantes à 7 h. 30. matin.
Ont aussi comparu les sieurs Herbert et Le Mercier faisant partie de l’équipage, lesquels ont juré et affirmé que le présent est sincère et véritable et le capitaine a signé avec les comparants. [Suivent les signatures]
En conséquence, nous avons reçu le présent sous notre seing et celui du commis greffier après lecture. »
[Enregistré à Nantes A.J., le 28 novembre 1919]
[Archives départementales de Loire-Atlantique, Rapports de navigation des capitaines au long-cours et au cabotage enregistrés par le Tribunal de commerce de Nantes, 16 janv. 1916 ~ 16 déc. 1919 : Cote 21 U 77, p. num. 325 et 326]
L’an mil neuf cent dix-neuf, le vingt-et-un novembre devant nous, Président du Tribunal de commerce de Nantes, assisté de M. Doucet, greffier, a comparu le sieur Couëdel, capitaine du trois-mâts Thiers, du port de Nantes, lequel nous a déclaré être parti de New-York le 4 octobre à la remorque, ayant à bord 2.550 t. de farine et 635 t. de rails à destination de Nantes. J’ai largué le remorqueur à 13 h. 50 ; le vent m’étant contraire et le temps brumeux, j’ai mouillé par 15 m de fond à 2 milles au N. 80 E. du bateau-feu de Scotland Sandy Hook. J’ai quitté ce mouillage le lendemain 5 octobre, à 8 h.30 du matin, par petite brise du S. au S.-O. et brume assez forte. J’ai eu du beau temps les jours suivants avec des brises faibles et variables, mais se maintenant le plus souvent du N.-E. au S.-E. Du 22 au 24 octobre, coup de vent débutant au N. et terminant au N.-E. La mer très grosse embarque continuellement ; le navire donne de violents coups de roulis, fatiguant la mâture et le gréement. Du 25 octobre au 3 novembre, très grosse brise du S.-E. à l’E. S.-E., puis le vent passe à l’E. en fraîchissant jusqu’à souffler en tempête. La mer très grosse couvre le navire ; le poste d’équipage est envahi par l’eau. Dans la soirée du 3 novembre, j’ai pris la cape sous les huniers fixes et conservé cette allure jusqu’au 6, où le vent halait le N.-E. et le N. en mollissant. J’ai fait route de nouveau et établi la voilure. Temps incertain les jours suivants, avec de forts grains de pluie et de grêle ; le baromètre oscille entre 753 mm et 759 mm. Le 9, à 18 h., j’ai aperçu l’éclat du feu de Penmarc’h et l’éclat du feu de Belle-Île à 21 h. 50. J’ai gouverné alors au N. 70 E. pour me rapprocher de ce dernier feu. Aperçu le feu de la pointe des Poulains à 2 h., le 10, et continué la même route jusqu’à ce que ce feu soit masqué par les terres. J’ai fais alors route au S. 76 E. pour passer au S. de Belle-Île. J’ai pris la panne à 5 h. 30 pour attendre le pilote ; ce dernier monte à bord à 6 h. 15. Fait route immédiatement suivant ses indications. Le temps étant à grains avec fortes brises variant de l’O. N.-O. au N. N.-O., mais la mer belle, je décidai de mouiller aux Charpentiers pour attendre la marée et un remorqueur, les vents étant parfois trop N. sous les grains pour pouvoir faire le chenal. A midi, j’ai doublé la bouée de la Lambarde et j’ai mouillé à 12 h. 40 sous un violent grain à environ un mille et ½ dans le S. 30 O. du phare des Charpentiers. Le navire se trouvait alors en travers, avec vent sans erre de l’avant, mais drivant sous l’effort du vent. Trois maillons ½ de chaîne avaient déjà été filés en étalant. Le navire était venu debout au vent lorsque se produisit un choc brusque sur la chaîne. J’ai fait mouiller immédiatement la deuxième ancre ; la chaîne ne file que très lentement sans faire aucun effort. J’ai signalé alors au sémaphore de la pointe de Chémoulin que j’avais besoin d’un remorqueur. Dans la soirée, le vent étant tombé un peu, j’ai fait virer la chaîne de bâbord et constaté que la cigale de l’ancre était cassée, l’ancre perdue. Le navire n’ayant pas de troisième ancre de bossoir, j’ai fait mailler la première ancre à jet, ancre de croupiat, et mouillé cette dernière pour soulager l’autre ancre. Le remorqueur demandé ne venant pas à la marée, j’ai quitté la rade des Charpentiers le 11 à 5 h. du matin et mouillé sur rade à Saint-Nazaire à 8 h. J’ai quitté ce dernier mouillage le 13 à 5 h. du soir à la remorque du N. et du Commerce et deux pilotes à bord. A différentes reprises, le navire a touché dans le chenal après avoir passé Donges pour finir par s’échouer par le travers de Paimbœuf. Il a fallu atteler les remorqueurs derrière pour le sortir de sa position. La mer baissant, je me suis amarré en couple du Montcalm et du Duquesne aux appontements de Paimbœuf. Je suis resté à ce poste jusqu’au 20 novembre à 13 h. où j’ai fait route pour Nantes à la remorque du Commerce et du Haleur. Forte brise de S.-O. ; le navire prenant le vent par tribord gouverne très mal et, malgré sa barre, il vient sur la droite. Les remorqueurs ne peuvent le tenir dans le chenal et, à 15 h. 20, il s’échoue dans la passe du Baracoz sur la droite du chenal. Attelé immédiatement les remorqueurs derrière, un remorqueur des Ponts-et-chaussées nous prêtant assistance, mais la mer baissant, il est impossible de remettre le navire à flot. La sonde accuse de chaque côté du navire le même fond de sable. A la marée du 21, les deux remorqueurs Haleur et Commerce, aidés du remorqueur R. 7 des Ponts-et-chaussées, réussissent à remettre le navire à flot et à le conduire au quai de l’Aiguillon à Nantes à 7 h. 30. matin.
Ont aussi comparu les sieurs Herbert et Le Mercier faisant partie de l’équipage, lesquels ont juré et affirmé que le présent est sincère et véritable et le capitaine a signé avec les comparants. [Suivent les signatures]
En conséquence, nous avons reçu le présent sous notre seing et celui du commis greffier après lecture. »
[Enregistré à Nantes A.J., le 28 novembre 1919]
[Archives départementales de Loire-Atlantique, Rapports de navigation des capitaines au long-cours et au cabotage enregistrés par le Tribunal de commerce de Nantes, 16 janv. 1916 ~ 16 déc. 1919 : Cote 21 U 77, p. num. 325 et 326]