Bonjour à tous,
Naufrage du 11 Mai 1918
Rapport du capitaine
Quitté Tunis le 9 Mai à 14h40 avec 2500 t de phosphate tribasique de chaux en vrac pour la société du Dhyr à Marseille. Sorti du chenal de La Goulette à 16h00, puis route en convoi avec un vapeur anglais, escortés d’un chalutier. Forte brise d’ESE, mer forte. Mouillé en rade de Sidi Abdallah le 10 Mai à 01h30.
Appareillé le 10 à 10h00, selon les ordres reçus et rejoint un convoi dans la formation suivante.
Navigué dans les eaux du vapeur SUNRAY, matelot d’avant et à hauteur du vapeur américain WICO, matelot de tribord. A 04h45, violente secousse suivie d’une explosion et accompagnée d’une grande gerbe d’eau et d’un épais dégagement de fumée très noire. Nous avons été torpillés à l’avant tribord, sous le gaillard, et la cloison d’abordage a été défoncée. Le gaillard est tout de suite submergé. Fait au sifflet les signaux réglementaires et stoppé la machine. Vu la forte densité du chargement et l’importance de l’entrée d’eau, j’ai tout de suite compris que le navire ne pouvait être sauvé. Ordonné l’évacuation. Jeté à la mer la boite lestée des documents, percée de trous. Les embarcations à leur poste de mer sont débordées et le personnel de l’arrière, de la machine et de la chaufferie y prend place.
Un canonnier, de veille à sa pièce a été projeté sur le pont par l’explosion. Les autres ont été surpris dans leur sommeil. Ils ont eu beaucoup de peine à sortir de leur poste envahi par l’eau, obstrués par les engins et appareils de levage placés sur le gaillard. Ils n’ont pu prendre les gilets de sauvetage placés sous leurs couchettes. Je leur crie de la passerelle de se jeter à la mer pour être recueillis par le canot tribord. Plusieurs blessés restent accrochés aux tringles du gaillard. Je prends une brassée de gilets de sauvetage sur le château central et je tente d’aller à la nage jusqu’au gaillard. Mais le navire, quoi que très enfoncé, a conservé un peu d’erre et je ne peux lutter contre ce courant. Je heurte des tronçons de mâts de charge, les panneaux, et parviens enfin sur le gaillard tandis que le canot tribord approche. Peu à peu tous les hommes gagnent le canot. Lorsqu’il n’y a plus personne à sauver, je me jette à l’eau et gagne à mon tour le canot tribord.
Les chauffeurs me disent que leur camarade Penven est resté dans le poste des chauffeurs, probablement tué par l’explosion. Il est impossible de pénétrer dans le poste des chauffeurs, trop submergé, pour aller chercher le malheureux Penven. L’embarcation bâbord approche. Tout l’équipage est bien là, exception faite de Peven, inscrit à Concarneau.
Le navire s’enfonce et coule à 05h15, tandis que le chalutier ISOLE nous recueille. Nous naviguions en convoi avec six autres vapeurs et quatre chalutiers d’escorte. La position estimée du naufrage est 38°15 N et 08°05 E. J’étais de quart à la passerelle et la relève des hommes et des canonniers avait eu lieu 45 minutes auparavant, à 04h00. Nous faisions route au N70W.
L’équipage est resté digne et calme. Evacuation avec rapidité et le plus grand sang froid. Officiers et équipage ont fait leur devoir.
Recueillis par ISOLE, officiers et équipage ont ensuite été répartis sur les vapeurs HOMBY CASTLE, WICO et FORDE qui appartenaient au convoi. Nous avons trouvé le meilleur accueil sur ces navires. Débarqués à Gibraltar le 15 Mai à 09h00.
Rapport du 2e mécanicien SOUSSIN
J’étais de quart dans la machine au moment de l’explosion. J’ai attendu l’ordre de stopper la machine. Cet ordre ne venant pas et le navire apiquant de l’avant, j’ai stoppé la machine et suis remonté à mon poste d’abandon à l’embarcation arrière. L’embarcation était déjà à la mer et je me suis jeté à l’eau pour la rejoindre.
Rapport du 1er chauffeur GEFFROY
J’étais couché et l’explosion a eu lieu presque sous ma cabine. J’ai été projeté à terre. Je me suis porté vers le canot tribord et j’ai manœuvré les garants avec Morandière et le lieutenant. En raison de l’erre du navire, l’embarcation est partie au large avec Morandière et le lieutenant. Je me suis jeté à l’eau, ai rejoint l’embarcation, puis à trois nous avons nagé pour revenir vers le gaillard. Deux hommes nous ont rejoints. Puis nous avons embarqué quatre ou cinq hommes avant d’être obligés de nous écarter en raison de la houle. Nous sommes revenus une seconde fois et le reste de l’équipage a embarqué, ainsi que le commandant qui a quitté le bord le dernier.
Rapport du matelot CODUR
J’étais dans le poste d’équipage bâbord quand l’explosion s’est produite. Je suis monté sur le gaillard où se trouvaient d’autres matelots et chauffeurs. L’embarcation du lieutenant était au large. Je me suis jeté à l’eau avec le chauffeur Pierre Guillou. Nous avons rejoint l’embarcation et nous sommes mis aux avirons pour sauver les autres hommes restés sur le gaillard.
Rapport du lieutenant AMBROSINO
Au moment du torpillage, je venais de quitter le quart. Je suis allé au canot tribord qui était mon poste d’évacuation. Aidé de Morandière et du 1er chauffeur Geffroy nous avons amené à la mer l’embarcation. Geffroy a du sauter à l’eau pour nous rejoindre. A trois, nous sommes revenus vers l’avant, mais la houle et le vent nous écartaient vers le large. Deux hommes, Guillou et Codur nous ont alors rejoints et en deux tentatives nous avons pu recueillir tous les hommes du gaillard.
Rapport de l’officier enquêteur
Il reprend les diverses dépositions et précise que la catastrophe a été brutale. On n’a vu ni périscope, ni sillage. Tout l’avant du bâtiment a aussitôt été plongé sous l’eau. Le guindeau est tombé dans le poste équipage. C’est heureux car cela leur a permis de sortir, la porte étant coincée.
Le capitaine a été très dévoué et c’est grâce à son courage personnel que les hommes qui étaient dans le poste d’équipage avant ont pu être sauvés. Le chauffeur Penven a probablement été tué par l’explosion.
Conclusions de la commission d’enquête
Après avoir longuement repris le déroulement des faits, la Commission estime que le sauvetage a été mené à bonne fin, notamment grâce au lieutenant Ambrosino et aux hommes montés avec lui dans le canot tribord.
Elle trouve regrettable qu’après la première attaque qui s’était déroulée à 00h45 contre le SUNRAY, un 2e déroutement n’ai pas été ordonné par le chef du convoi (Américain). Elle regrette aussi que les navires les plus rapides du convoi n’aient pas été aussitôt expédiés en avant sous la garde d’un ou deux escorteurs ce qui leur aurait permis de s’écarter de la zone d’action de l’ennemi.
Elle estime que les suggestions du capitaine de SUZETTE FRAISSINET (nota : formulées dans un rapport complémentaire) doivent retenir l’attention. En particulier, il y a inconvénient à grouper dans un même convoi des navires de vitesses différentes. Il y aurait intérêt, pour la sécurité des bâtiments, de former, même au prix de quelque retard, des convois homogènes. Les navires les plus lents doivent être les mieux protégés.
Récompenses
Citation à l’Ordre de la Division
GIBERT Justin Capitaine
A donné l’exemple du sang froid et du calme lors du torpillage de son navire. A tenté par tous les moyens de donner des ceintures de sauvetage à une partie de son équipage qui se trouvait en situation périlleuse.
Citation à l’Ordre de la Brigade
AMBROSINO Pierre Lieutenant
A, par son esprit d’initiative et son courage, assuré au moyen de l’embarcation dont il était chargé, le sauvetage d’une partie de l’équipage sui se trouvait en situation périlleuse.
Témoignage Officiel de Satisfaction
MORANDIERE Philippe Matelot chauffeur
GEFFROY François 1er chauffeur
Ont prêté un concours diligent et dévoué au sauvetage d’une partie de l’équipage
CODUR Théodore Matelot
GUILLOU Pierre Chauffeur
N’ont pas hésité à se jeter à l’eau pour aider à la manœuvre d’une embarcation de sauvetage dont l’équipage luttait difficilement contre la mer et le vent
MINIOU Victor Chauffeur
SAOUT Jean-François Chauffeur
Etant eux même en position précaire, ont dégagé et sauvé cinq de leurs camarades coincés dans les débris du navire.
A noter que ces récompenses vont provoquer l’ire du chef mécanicien Canioni qui enverra, par le truchement de son syndicat, une longue lettre au Ministre dans laquelle il se plaint que l’on fait la part belle aux gens du pont. Cette lettre est d’ailleurs assez maladroite. Il déclare en effet :
- avoir été brièvement interrogé par une commission composée d’un « Enseigne de Vaisseau de N ième classe » -sic- et d’une dactylo
- n’avoir pas eu le temps de discuter du rapport du capitaine
- que toutes les actions sont considérées comme « d’éclat » quand il s’agit des gens du pont, et « ordinaires » quand il s’agit des gens de la machine.
- que cette commission de la Marine fait une fleur aux gens du pont sans doute par esprit de corps….
Outre l’inexactitude du propos, car les mécaniciens ont bien été récompensés, on sent que ce chef mécanicien, d’une part n’aime guère les militaires, d’autre part est extrêmement vexé de ne pas avoir été cité avec le commandant et le lieutenant…
Aucune réponse à cette lettre ne figure aux archives.
Le sous-marin attaquant
C'était donc l'UB 52 de l'OL Otto Launburg (1890 - 1980)
Cdlt